Cap Sounion
Gary sentit quelque chose frôler sa jambe et se retourna, inquiet. Il n'eut guère à chercher le responsable de cette attaque surprise car il croisa aussitôt le regard rieur de sa femme et esquissa un sourire que le détendeur transforma rapidement en grimace. Il agita un doigt faussement colérique sous le nez d'Isabel et, jouant le jeu, celle-ci s'éloigna à petits coups de palmes vifs et désordonnés. Le jeune homme fit mine de la poursuivre mais s'arrêta brusquement.
Malgré les nuages compacts rendant difficile la visibilité dans les profondeurs marines, il crut voir une murène se réfugier en toute hâte dans une cavité rocheuse. La curiosité aidant, il s'avança lentement vers la haute paroi mais l'obscurité était trop grande pour lui permettre de discerner quoique ce soit.
C'était bien leur veine, songea-t-il. Isabel et lui avaient décidé de plonger le seul jour où le temps était nuageux… Pourtant, en plein mois d'Août, la Grèce était réputée pour être particulièrement ensoleillée. Tellement ensoleillée, d'ailleurs, qu'il était recommandé de rester à l'ombre l'après-midi.
Une petite séance de plongée leur avait donc semblé judicieuse. Mais c'était sans compter ce changement de temps totalement inopiné.
Rajustant son détendeur, Gary s'approcha un peu plus de la paroi rocheuse. Il se maudissait déjà de ne pas avoir pensé à prendre une lampe torche lorsqu'un rayon de soleil traversa brusquement la couche nuageuse et vint illuminer les fonds marins. Admiratif, le jeune homme vit les coraux gris et sombres revêtir des couleurs chatoyantes et leva un visage émerveillé vers sa femme. Un éclat de lumière retint cependant son attention, l'éblouissant un court instant. Fronçant les sourcils, il se déplaça légèrement sur la droite afin de découvrir le point d'origine de cette étrange lueur, mais l'obscurité l'enveloppa de nouveau.
Le soleil jouait les timides.
Intrigué, il fit signe à sa femme de le suivre et se mit à longer le mur de corail de quelques puissants coups de palmes. Fouillant les environs des yeux, tâtonnant de sa main la paroi rocheuse, il parvint finalement aux abords d'un long renfoncement. Large de deux mètres et s'élevant jusqu'à la quasi surface de l'eau, le couloir semblait étrangement artificiel, taillé dans la roche. Le soleil étant absent, Gary plissa des yeux afin de discerner jusqu'où ce canal menait mais il ne distingua rien d'autre que les murs sombres et abrupts.
Le prenant par surprise, une main se posa sur son épaule et il se tourna, croisant aussitôt le regard inquiet et réprobateur d'Isabel. Elle n'avait guère envie de le voir s'enfoncer dans ce coupe-gorge marin. D'un signe de tête, elle lui indiqua le large et s'éloigna de quelques coups de palmes dans cette direction. Docile, Gary s'apprêtait à la suivre lorsqu'une nouvelle éclaircie l'incita à se tourner de nouveau vers le mystérieux couloir.
Ce dernier n'était pas aussi profond qu'il le croyait et devait faire une dizaine de mètres tout au plus. La main toujours agrippée au rebord du renfoncement, le jeune homme tendit le cou et découvrit au fond du passage une longue entaille en losange de trois mètres de haut sur un mètre de large. Gary resta plusieurs longues secondes à observer cette étrange découverte avec une incrédulité grandissante. Ce qui le frappait le plus était la parfaite symétrie de la fissure. Elle n'avait rien de naturel. Aucune irrégularité dans la courbe. Aucun appendice ni crevasse.
Finalement, retrouvant ses esprits, le jeune homme se tourna vers Isabel, toujours éloignée, et lui fit signe de s'approcher. D'un signe négatif de la tête, elle lui demanda implicitement de la rejoindre mais, agacé, Gary reporta son attention sur sa découverte. Son regard se posa alors sur la haute paroi à laquelle il se tenait encore et son cœur fit une embardée. Malgré la présence de coraux et autres éléments aquatiques, des symboles semblaient être gravés à même la roche. Partagé entre fébrilité et curiosité, il entreprit de gratter la pierre afin de déchiffrer les idéogrammes. Deux symboles apparurent bientôt le laissant totalement perplexe. Jamais jusqu'ici il n'en avait vu de pareil. Il n'était pas un spécialiste dans ce domaine mais il ne reconnaissait ni l'écriture grecque antique, ni toute autre langue de sa connaissance.
Une longue vague d'excitation vint alors le saisir.
Il venait de faire une découverte archéologique !
Avec une ivresse sans précédent, il reporta son attention sur le long couloir, toujours parfaitement éclairé par les rayons du soleil. Prenant appui sur le mur rocailleux, Gary se décala sur sa gauche afin de se trouver juste en face de l'entaille à dix mètres de lui. Un nouvel éclat de lumière vint l'aveugler quelques secondes, l'obligeant à s'écarter un peu plus.
Quelque chose reflétait les rayons du soleil à l'intérieur de cette grotte. Quelque chose en métal, peut-être. Quelque chose en or… Grisé par cette perspective et faisant fi de toute prudence, il donna un coup de palme énergique et pénétra dans le couloir.
Mais à peine avait-il fait un mètre qu'une puissante décharge le traversa de part en part. Aveuglé par un halo éblouissant, il sentit avec effroi ses muscles se crisper, ses poumons se bloquer et une douleur sourde se propager dans chaque parcelle de son corps.
Et il perdit connaissance.
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- Alors ? De quoi s'agit-il ? demanda Jack en s'asseyant tranquillement sur son siège.
SG1 avait été appelé en salle de Briefing près d'un quart d'heure plus tôt et le Colonel O'Neill lança un regard interrogateur autour de lui. Ses sourcils se haussèrent cependant lorsqu'il avisa l'une des chaises vides. Daniel Jackson manquait à l'appel.
Perplexe, Jack regarda machinalement sa montre, jeta un bref coup d'œil sur celle de Teal'c afin de vérifier que la sienne était bien à l'heure, puis se tourna vers le Général Hammond qui observait son manège avec indifférence.
- J'ai manqué quelque chose ? C'est déjà terminé ?
- Nous attendons le Docteur Jackson, répondit le Jaffa posément.
Des pas précipités se firent aussitôt entendre et le retardataire franchit la porte avec dans ses bras un amoncellement de livres et de papiers en tout genre qui firent frétiller les zygomatiques du Colonel O'Neill.
- Non… Pitié… grommela celui-ci en s'adossant à son fauteuil, fataliste. Pas de ruines !
- Ah ah ! Très drôle Jack ! s'exclama Daniel en posant son fatras sur le large bureau de la salle de Briefing. Mais cette fois-ci, vous allez adorer !
- J'en doute !
- Colonel, intervint le Général.
Jack marqua son agacement d'un puissant soupir puis se tourna vers le Docteur Jackson, non sans avoir préalablement évité de croiser le regard de son second, assise juste en face de lui.
- Eh bien allez-y ! Etonnez-moi !
Daniel lui envoya un sourire resplendissant puis lança d'une voix forte et enjoué :
- Nous partons pour la Grèce !
Un silence circonspect suivit cette nouvelle mais Jack ne resta pas longtemps à court de mots.
- La Grèce ?
- Oui.
- Le pays ?
- Quoi d'autre ?
- Messieurs, intervint de nouveau le Général Hammond avant de reporter son attention sur l'archéologue. Je n'ai pas encore donné mon accord, Docteur.
- Mais vous allez le faire ! répondit Daniel avec assurance. Je viens de recevoir ceci.
Le jeune homme fouilla rapidement dans ses papiers et distribua quatre photocopies imprimées à la va-vite. SG1 et le Général s'en saisirent.
- C'est du Goa'uld, lança Teal'c avant de reposer la feuille sur la table.
- Précisément. Et cela a été découvert non loin du Cap Sounion en Grèce, à près de vingt mètres sous l'eau. Un couple de plongeurs amateurs a trouvé ces inscriptions juste à côté d'une grotte à la structure plus qu'inhabituelle.
Une nouvelle série de photocopies, cette fois-ci couleurs, fut distribuée et Daniel poursuivit.
- Voyez l'ouverture en losange. Elle n'a rien de naturel ! Elle est parfaite.
- Parfaite oui… Enfin, on ne peut pas dire que les photos soient de très bonne qualité, grommela Jack.
- Ils n'ont pas pu s'approcher davantage. L'un des deux plongeurs a voulu le faire et il a été repoussé par une mystérieuse onde de choc.
Il avait dit ces mots d'un air entendu et Sam proposa :
- Un bouclier défensif ?
- Je le crois, acquiesça aussitôt Daniel. Le type n'a rien de grave. Il est juste tombé dans les pommes. Mais aux dires de sa femme, c'est comme si la grotte l'avait repoussé, comme si elle n'avait pas voulu qu'il entre. Quant à lui, lorsqu'il a repris conscience, il a parlé d'une violente décharge qui l'aurait traversé…
- Un bouclier Goa'uld, sans aucun doute, approuva Teal'c.
- Et que veulent dire ces symboles ? demanda Hammond en levant la première photocopie.
Daniel se saisit de son exemplaire et leva un regard brillant d'excitation vers le Général.
- « Ci-gît l'ennemi des hommes. »
Des sourcils se haussèrent, d'autres se froncèrent et Jack s'enfonça dans son siège.
- Mm, tout un programme… maugréa-t-il en croisant le regard de Teal'c.
- Rien de plus ? demanda Hammond. Une idée du nom de cet ennemi ?
- … Aucune, répondit Daniel en secouant la tête, après une courte hésitation. Il faudrait que je voie la totalité du texte. L'archéologue qui m'a contacté à ce sujet l'a fait car certains symboles lui ont rappelé des hiéroglyphes. Mais comme vous pouvez le voir sur cette image, on ne voit pas grand chose à cause des coraux. Cette photo date de deux jours et ils ont dû commencer à travailler la roche pour rendre tout cela plus lisible. Je pense que nous devrions partir dès maintenant.
Les quatre membres de SG1 se tournèrent vers Hammond et celui-ci acquiesça sans attendre.
- Très bien, vous partez pour la Grèce, dit-il en se levant. Mais restez discrets. Inutile de leur apprendre que cette découverte intéresse l'armée américaine.
- A vos ordres, répondirent en chœur les deux militaires.
Lorsque le Général eut quitté la salle, Jack se tourna vers Daniel qui rassemblait ses papiers éparpillés sur la table.
- Vous nous offrez donc des vacances en Grèce…
- Ce ne sont pas des vacances, répondit le jeune homme tout en esquissant un sourire. Mais vous aurez en effet le droit de vous baigner. N'oubliez surtout pas votre canard en plastique lorsque vous ferez vos bagages.
- Très drôle. Et quel temps fait-il là-bas ?
Daniel ouvrait déjà la bouche pour répondre lorsque la voix calme de Sam s'éleva dans la pièce.
- Caniculaire.
Jack leva enfin les yeux vers elle et tenta de faire taire la douleur qui lui vrillait brusquement l'estomac. Le regard de la jeune femme était doux et il mit dans son sourire le plus de naturel possible.
- Caniculaire ? Caniculaire comment ?
- Y aurait-il quelque chose que vous ne comprenez pas dans le terme « caniculaire » ? lui demanda-t-elle, une lueur amusée dans les yeux.
- Non, non, j'ai compris. C'est juste que d'habitude, vous êtes… moins avare d'explications !
Ils échangèrent un sourire et le cœur de Jack se serra.
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Jack venait de poser sa valise sur son large lit lorsque la porte d'entrée claqua.
C'était ridicule. Pourquoi s'entêtait-il ainsi ? En sept ans il n'avait eu en tout et pour tout que cinq relations et chacune d'entre elle n'avait jamais excédé trois mois. A chaque fois, il s'était vu rejeté pour la même raison et en un sens, ces ruptures l'avaient toujours soulagé.
Pourtant, cette fois-ci, il avait passé les mois fatidiques avec succès et entamait même son quatrième. Amy était superbe, intelligente, avec un caractère affirmé et une retenue qui n'était pas sans lui rappeler la sienne. Parfaite.
Alors pourquoi se sentait-il aussi mal ? Pourquoi diable en était-il arrivé à éviter Carter du regard alors qu'il n'avait finalement qu'une envie, passer la journée dans son fichu labo ? Il sentait bien que son comportement la blessait. La distance qu'il mettait entre eux ne rendait la jeune femme que plus mélancolique. Il le devinait parfaitement même si elle cachait parfaitement ses sentiments, comme tout bon petit soldat. Mais qu'aurait-il dû faire ? Continuer comme si rien n'avait changé dans sa vie ? Poursuivre leurs, certes rares, mais indéniables jeux de séduction ?
Non. Ça n'aurait pas été honnête avec Amy.
Mais honnête… L'était-il vraiment avec lui-même ?
Il avait envie de passer du temps avec Carter. Elle lui manquait. Elle lui manquait vraiment, et compte tenu du comportement de son second, la réciprocité était évidente. Elle recherchait sa compagnie et la plupart du temps pour des broutilles. Elle recherchait son regard, comme ce matin au Briefing. Plus il s'éloignait d'elle, et plus elle redoublait d'efforts pour rester à ses côtés.
Elle ne lui facilitait guère la tâche.
Mais qu'espérait-elle, à la fin ? Qu'il était prêt à passer encore plusieurs années à vivre cette situation impossible, cette relation ambigüe mais platonique ? Ou voulait-elle lui faire comprendre quelque chose ? Après tout, lui aurait abandonné depuis longtemps, s'il avait vu la jeune femme rechigner ainsi à sa compagnie. Il n'était pas du genre à forcer les sentiments.
Mais dans un grognement, Jack balaya le faible espoir qui était venu sournoisement s'insinuer en lui.
Elle ne voulait rien lui faire comprendre du tout. L'attention qu'il lui portait devait simplement lui manquer. Ça lui passerait. Il devait penser à lui, à présent. Il avait laissé cette situation ridicule prendre beaucoup trop d'importance dans sa vie. Sa meilleure chance était de s'éloigner d'elle. De prendre un nouveau départ.
Un point c'est tout.
Un soupir las lui échappa et il finit par lancer :
- Je suis dans la chambre !
Le bruit de talons retentit dans le couloir et Jack leva la tête, un sourire de commande sur les lèvres.
- Salut !
Une jolie femme rousse, grande et élancée, apparut sur le seuil, les yeux pétillants de plaisir.
- Jack ! Je ne pensais pas que tu m'appellerais si tôt, lança-t-elle avant de se figer en découvrant la valise grande ouverte sur le lit. Tu vas quelque part ?
- Ouaip, en mission, pendant quelques jours. Je ne sais pas encore combien de temps ça va durer, répondit-il en jetant son maillot de bain dans la malle.
Amy observa le vêtement avec surprise. Elle n'allait bien évidemment pas demander à Jack sa destination puisqu'elle savait par expérience qu'il ne lui dirait rien. « Secret défense », était après tout son excuse préférée. Mais elle voyait difficilement l'utilité d'un maillot de bain.
- Tu emportes ça en mission ? demanda-t-elle donc en montrant le vêtement.
Jack releva la tête, un sourire enjoué sur les lèvres.
- J'espère qu'on aura le temps de piquer une petite tête !
« On » …
- Tu y vas donc avec ton équipe ?
- Oui, répondit-il en rajoutant dans sa valise un tuba.
Amy l'observa faire pendant quelques secondes, brûlant de lui poser une question en particulier. Finalement, n'y tenant plus, elle fit mine de replier un tee-shirt qui trônait à présent sur le maillot de bain et demanda :
- Le Major Carter y sera aussi ?
- Bien sûr, c'est le cerveau de l'équipe. J'espère juste qu'elle me laissera faire trempette.
Il releva la tête en souriant mais se figea. Le regard d'Amy se voulait pourtant indéchiffrable, mais Jack rajouta hâtivement :
- Quoique, c'est plutôt Daniel que je vais devoir semer…
La jeune femme lui sourit et Jack rejoignit la salle de bain afin de prendre ses affaires de toilette.
Elle se rembrunit aussitôt.
Samantha Carter.
Belle et, aux dires de son supérieur lui-même, extrêmement intelligente et bon soldat. En bref, elle excellait en tout. Alors bien sûr, certains hommes n'aimaient pas ces femmes fortes et indépendantes mais Jack O'Neill ne faisait pas partie de ces gens-là. Il admirait les caractères bien trempés, surtout lorsqu'ils étaient liés à un physique agréable. Aussi n'était-elle pas rassurée de voir son amant passer la plupart de son temps avec une femme possédant précisément ces qualités.
Pourtant, en temps ordinaire, Amy n'aurait pas souffert de cette proximité. Après tout, Jack et Samantha Carter travaillaient ensemble depuis près de sept ans et s'il avait pu se passer quelque chose entre eux, cela aurait déjà dû arriver. Mais sa confiance avait faibli lorsque les deux femmes s'étaient croisées.
Elles n'avaient certes jamais échangé le moindre mot mais s'étaient aperçues de nombreuses fois. De trop nombreuses fois aux yeux d'Amy. A chacune de ses visites aux abords de Cheyenne Mountain, elle tombait immanquablement sur le Major Carter. Toujours collée à son supérieur. Toujours à le suivre du regard lorsqu'il s'éloignait d'elle.
« J'espère juste qu'elle me laissera faire trempette. Quoique c'est plutôt Daniel que je vais devoir semer… »
Sous-entendait-il, avant de se reprendre et d'éviter ainsi une crise de jalousie, que c'était son second qu'il allait devoir semer ?
A suivre…
