Chapitre 1 : 20 février 1920
-Il est 6h15 Anna ! Tu vas être en retard !
Anna tenta d'ouvrir les yeux tant bien que mal. Elle avait de plus en plus de mal à se lever. Avant, il lui suffisait d'un seul appel de Daisy pour qu'elle se lève aussitôt. Elle faillit refermer les yeux mais se força à se lever en se rappelant que ce matin, lady Mary revenait d'Amérique après presque deux mois d'absence. Assise sur le lit, elle regarda son alliance, comme elle le faisait tous les matins pour se donner du courage. John…
Elle n'avait pas aimé sa dernière visite. Matthew et le comte n'avaient pas trouvé de nouveaux éléments pour relancer l'affaire. C'était frustrant pour eux de le savoir innocent et de n'avoir rien pour le prouver. Matthew commençait même à douter de la justice des hommes.
Si John Bates se préparait à passer sa vie enfermée entre quatre murs, il lui était difficile d'imposer cela à Anna. Il lui avait dit qu'il ne lui en voudrait pas si elle demandait le divorce pour refaire sa vie. Pour Anna, il n'en était pas question. Elle était sa femme, envers et contre tout. Avait-il perdu la conviction qu'il sortirait un jour ? S'il avait perdu espoir, il allait falloir maintenant qu'elle en ait pour deux. Elle tiendrait, puisqu'il le fallait. Elle n'avait pas le choix.
Mme Hugues et Mr Carson étaient toujours fidèles à leur poste. Mr Carson était plus excité que d'habitude mais cela s'expliquait par le fait que sa jeune maitresse rentrait chez elle. Il voulait que tout soit parfait. Quitte à martyriser un peu ses employés. En entrant dans la chambre de lady Mary pour voir où tout en était, Mr Carson remarqua un étourdissement d'Anna.
-Vous avez l'air très fatiguée Anna. Ce n'est pas étonnant avec tous ces allers et retours entre Downton et la prison. Vous devriez annuler votre prochaine visite. Je suis sûr que Mr Bates comprendra.
-Non, Mr Carson. J'ai besoin de ces visites. Cela me rassure de savoir qu'il va bien et qu'il garde espoir.
-Au détriment de votre santé ?
Anna soupira.
-J'ai juste besoin d'un peu de repos. Je vous l'accorde monsieur.
Carson réfléchit quelques instants.
-Je parlerais avec Mme Hugues pour que votre journée de demain vous soit donné. Vous pourrez rester un peu au lit, et souffler quelques heures.
-Merci à vous Mr Carson mais avec le retour de lady Mary, cela ne sera pas possible.
-Et pourquoi donc ? Nous venons d'engager une nouvelle femme de chambre. Lucy vous remplacera.
-Accordez-moi au moins de servir lady Mary. Elle m'a beaucoup manqué vous savez.
-A moi aussi Anna. A moi aussi.
Anna salua Mr Carson et retourna à ses taches.
Mary descendit de voiture. Elle avait hésité à faire ce voyage en Amérique. A peine fiancée, il lui avait été difficile d'abandonner Matthew et sa fidèle Anna. Matthew l'avait accepté sans aucune protestation, ce qui l'avait rassuré sur ce point. Mais elle s'était sentie mal de laisser Anna endurer ses problèmes seule. Elle connaissait Anna depuis si longtemps. Elle lui avait fait subir bien des choses. La plus horrible était la mort de Mr Pamuk. Elle l'avait obligée à porter son cadavre, à garder ce secret si horrible. Et à cause du chantage de feu Mme Véra Bates, Anna avait dû affronter le départ et l'absence de Mr Bates, tout aussi loyal et honnête qu'elle envers les Crowley. En y repensant, Mary se dit qu'elle s'était comportée comme une petite fille gâtée à qui l'on cède tous les moindres caprices. Anna et Bates avaient fait passer l'honneur de Mary avant leur propre bonheur. Elle leur était reconnaissante. Elle faisait confiance à Matthew. Il trouverait bien une faille dans le dossier de Bates pour le faire libérer.
-Anna ! Je suis tellement heureuse de vous retrouver !
-Lady Mary, je suis si contente de vous revoir.
-Comme vous semblez pâle ! J'espère que vous n'êtes pas malade et que vous mangez bien.
Avant son départ, Mme Hugues avait remarqué que sa femme de chambre en chef avait tendance à ne plus s'alimenter correctement et en avait parlé à Mary. La jeune lady avait alors demandé à Anna de faire attention à sa santé.
-Oui lady Mary, ne vous inquiétez pas. C'est juste… le moral. Mais cela va passer.
-Venez et racontez-moi tout.
Dans sa chambre, Mary regarda Anna ranger ses affaires ramenées d'Amérique et cela lui sauta aussitôt aux yeux. Anna avait changé. Elle était différente.
-Anna ! Pourquoi ne me l'avez-vous pas écrit dans votre dernière lettre ?
Anna regarda Mary sans vraiment comprendre.
-Je suis déçue que vous ne m'ayez pas dit que vous étiez enceinte.
Anna la regarda surprise.
-De quoi parlez-vous milady ?
-Mais de…
Mary se tut quand elle s'aperçut qu'Anna ignorait ce fait.
-Vous ne vous êtes pas aperçue que vous avez pris du poids ?
Anna se regarda en riant.
-Je suis gênée milady. Ai-je tant grossi pour que vous croyez que…
Le visage d'Anna s'emplit soudain d'effroi. Elle mit sa main sur sa bouche et manqua de défaillir. Mary la fit s'assoir.
-Vous ne le saviez pas ?
-Non ! Non ! Je pensais que c'était… le stress et la fatigue. Mais…cela ne se peut ! C'est impossible ! Je l'aurais vu ! Les autres l'auraient vu !
Mary essaya de la calmer.
-A quand remonte vos dernières… menstruations ?
Anna essaya de se souvenir. Le temps passait si vite. Elle tenta de mettre de l'ordre dans ses idées.
-Je ne sais plus. Je crois que c'était… avant le mariage.
-Cela fait presque cinq mois. Cela est possible Anna. A moins que vous n'ayez pas… profiter de votre nuit de noces.
Les joues d'Anna s'empourprèrent. Elle osa dire à sa jeune maitresse que si.
Une nuit. Elle n'avait eu droit qu'à une seule nuit avec son mari. Apres tant d'années à espérer un jour pouvoir être ensemble, c'était injuste. Pour elle, autant que pour lui. Pourquoi leur refusait-on le bonheur ? Elle était arrivée à Downton quand elle était encore adolescente, après la mort de sa mère. Elle était montée en échelon à force de travail acharné jusqu'à devenir la femme de chambre en chef. Elle n'avait jamais espéré un jour quitter Downton pour faire sa propre vie, puisque sa vie et sa famille, c'était Downton. Elle s'y sentait bien, les manigances de Thomas et d'O'brien mises à part. Elle s'était satisfaite de ce qu'elle avait. Jusqu'à sa rencontre avec Mr Bates, le nouveau valet de chambre de Mr le comte. Elle avait toujours eu beaucoup d'empathie, mais plus encore avec lui. Elle avait admiré son courage et il était devenu aussitôt son ami. Ils pouvaient tout se confier l'un à l'autre. Ils se respectaient mutuellement. Et c'était sans s'en rendre compte que ses sentiments étaient nés. En dépit de tout. Alors, elle avait senti que la vie pouvait être différente. Pour la première fois de sa vie, elle avait envie de faire des projets. Mais l'ex-femme de John avait tout emporté avec elle. Comment une personne pouvait-elle être jalouse du bonheur d'autrui ?
Tout le passé ressurgissait, toutes les douleurs et surtout cette absence insoutenable. Anna pleura. Elle était à la fois heureuse et consternée par cette nouvelle, si elle se révélait vraie.
-Je vais tout de suite faire appeler le Dr Clarckson.
-Promettez-moi de ne pas en parler, milady. Pas tant que je ne serais pas sûre. J'ai déjà assez de choses à affronter comme cela.
-Mais bien sûr Anna. Tenez-moi au courant dès que le docteur vous aura vu.
-Je vous ferais cet honneur, lady Mary.
Le Dr Clarckson passa en fin de matinée.
-Il n'y a pas de doute possible ?
-Aucun doute Mme Bates. Les nausées, la fatigue, la prise de poids, les changements de caractère… Je suis surpris que vous n'ayez pas remarqué tous ces changements.
-Je ne l'ai jamais envisagé. C'était inconcevable pour moi.
-Mais il suffit d'une fois.
Anna demanda au docteur de ne pas évoquer sa grossesse pour l'instant aux autres, ayant promis à lady Mary la primauté de la nouvelle. Le docteur jura, amusé de cette entente entre maitre et serviteur, et n'évoqua que du surmenage à Mme Hugues et Mr Carson.
Apres le départ du médecin, Anna se rendit dans la chambre de Mary.
-Alors ?
-Vous aviez raison. Le docteur l'a confirmé. Mais je n'arrive toujours pas à me rendre à l'évidence.
-Venez vous regarder dans la glace.
Anna s'approcha du miroir. Mary lui enleva son tablier et la fit se mettre de profil.
-Redites-moi encore que vous le croyez pas.
Anna posa une main sur son ventre qui s'était arrondi. Pas encore assez pour que tout le monde le voit du premier coup d'œil, mais assez pour que l'on ne puisse ignorer le fait qu'Anna était belle et bien enceinte. Elle retint avec peine ses larmes. Pas étonnant que Lady Mary l'ait vu. Bien sûr elle s'était aperçue que sa robe avait plus de mal à se fermer. Mais elle pensait que c'était le fait de ne pas manger correctement qui était à l'origine de cela.
-Je suis quand même surprise que personne dans cette maison ne l'ait vu, remarqua Mary, ravie d'avoir été la première à apprendre la nouvelle.
-Quand allez-vous le lui dire ?
-Je ne sais pas, lady Mary. Notre dernière entrevue n'a pas été… comme d'habitude.
-Que voulez vous dire ?
-Mr Bates voudrait me voir heureuse.
-Tout le monde le souhaite à Downton, Anna.
-Il serait prêt à accepter de me libérer pour cela.
-Vous libérer ? Mais comment ? Je ne comprends pas.
-Je veux dire… Il accepterait le divorce, si je le demandais.
-Quoi ? Il vous a dit cela ?
-Je sais qu'il m'aime, mais cette éventualité n'est pas acceptable pour moi. Même si je n'ai eu droit qu'à une nuit avec lui, c'est déjà beaucoup pour moi. Jamais je n'avais espéré autant.
-Calmez-vous Anna. Vous devriez aller vous reposer, je me passerais de vous ce soir.
-N'en parlez pas aux autres s'il vous plait milady. Je ne veux pas les affronter pour l'instant.
-Vous avez ma parole Anna.
Avant qu'Anna ne sorte de la pièce, Mary ne put que le lui faire remarquer.
-Je trouve que c'est une bonne nouvelle Anna. Enfin une. Et je suis sûre que quand il le saura, Mr Bates retrouvera espoir et fera tout pour sortir de cet enfer.
