Cette fanfiction est un AU mélangeant les intrigues de Les Misérables et de Six of Crows en conservant chaque personnage, se déroulant à Paris au XIXe siècle. Vous allez peut-être trouver ce chapitre un peu lent, il sert surtout à mettre en place les personnages et leurs dynamiques :)


-Étrange de te trouver là, Brekker. Si on m'avait dit que ce jour viendrait, j'aurais réfléchi à deux fois avant de prendre chacune de mes décisions.

Kaz s'avança à la lumière de la bougie. Enjolras ne s'était même pas retourné. Évidemment, il savait déjà qu'il se trouvait là. Kaz s'était assuré qu'il s'en rendrait compte – il n'était pas trop fan des introductions et des présentations. Et il savait tout ce qu'il y avait à savoir sur Enjolras. Ce n'était pas un homme stupide.

Sa cane claqua sur le sol de bois alors qu'il s'immobilisait derrière le jeune étudiant. On pourrait croire qu'un des futurs meneurs de la Révolution serait plus âgé. Enjolras n'avait même pas vingt-deux ans. Kaz n'avait à peine considéré la question. S'il pouvait diriger un des gangs les plus dangereux de Paris, Enjolras avait bien le droit de guillotiner le roi, et chacun menait ses affaires de son côté.

Oui mais non. Leur route avait été voué à se croiser. Certaines destinées sont ainsi tracées pour s'influencer.

-M. Enjolras, commença-t-il en tendant une main gantée. Je m'appelle Kaz Brekker. Vous avez peut-être entendu parler de Patron-Minette, une association...

-Arrêtez ça tout de suite, l'interrompit Enjolras d'une voix sévère et froide. Je sais qui vous êtes, M. Brekker, et je sais avec quel type d'individus vous vous "associez". C'est déjà une infamie que vous soyez ici, encore plus que nous soyons encore en train de discuter. Dites ce que vous avez à dire, et partez.

Kaz remarqua les poings serrés d'Enjolras, sur la table, et il comprit que sa présence ici le mettait vraiment, vraiment en colère. Il esquissa un sourire fin. Pas de perte de temps en introduction. Sa main se referma sur le vent et il la reposa sur le pommeau de sa cane.

Pour la première fois depuis qu'il était entré dans sa propre chambre, Enjolras se retourna. La lueur de la bougie éclairait sa redingote rouge. Ses cheveux blonds retombaient en boucle sur ses épaules. Malgré l'heure tardive, son teint était frais, ses lèvres étaient roses, et ses yeux brûlaient du même éclat qui semblait l'entourer. Un halo rouge, corrosif et envoûtant. Kaz se sentit se raidir dans sa posture. Son sourire ondula légèrement mais il n'en fit rien percevoir.

-Alors ? demanda Enjolras, du même ton glacial. De quoi s'agit-il ?

-Vous êtes sûrement au courant que le roi est à la recherche d'un successeur à Sébastien Saulnier en tant que préfet de police de Paris, entreprit alors Kaz.

En même temps, il sortait de la poche de sa cape le morceau de papier plié que Claquesous leur avait rapporté aujourd'hui même. Il le tendit à Enjolras, qui le saisit d'un air suspicieux et en fronçant le nez. Il le déplia et l'examina.

-J'ai entendu quelques conversations, confirma-t-il en relevant les yeux. Je ne poserai pas de question sur l'origine de ce document.

Il lui rendit le bout de papier.

-La rumeur court que le poste est sur le point d'échoir à...

-Pekka Rollins, acheva Enjolras.

Kaz hocha la tête d'un air raide.

-Dans ce cas, M. Enjolras, reprit-il, je crois que votre petit groupe d'étudiants et le mien ont un ennemi en commun.

Enjolras croisa les bras, plissa les yeux. Il soutenait le regard de Kaz sans ciller comme peu de gens en étaient capables.

-Pekka Rollins n'a jamais été l'ami du peuple, dit-il. Qu'il devienne préfet de police serait une catastrophe, non seulement pour les ouvriers, mais aussi pour les étudiants, les écoliers, les veuves, les infirmes, les plus démunis... Nous avons tout intérêt à empêcher cette élection. Mais en quoi cela peut concerner un groupe de malfrats comme Patron-Minette ?

C'était là le vif du sujet. Le sourire de Kaz avait disparu depuis un moment, à présent.

Pekka Rollins était la raison même pour laquelle c'était lui qui était chargé de tenir cette discussion, ce soir. En temps normal, Montparnasse était heureux de s'occuper de la partie diplomatique du travail. Pas que Montparnasse était un grand bavard, mais il n'y avait pas à dire, il avait du charisme, et il savait se mettre en avant. Il savait aussi se défendre quand la situation dégénérait.

Mais Montparnasse ne débattait pas avec la même férocité que Kaz. Peu importait les enjeux, une discussion avec Montparnasse donnait toujours l'impression qu'il existait un compromis là où seul Patron-Minette se retrouvait avantagé alors que Kaz n'hésitait pas à barrer cet espoir lorsque nécessaire. Plus honnête, dans un sens. Et face à une nature telle que celle d'Enjolras, il ne doutait pas qu'il était mieux placé que Montparnasse pour le travail.

L'autre détail était que les enjeux étaient très différents pour lui que pour Montparnasse. Il ne l'avait pas dit, mais il ne doutait pas que la fermeté avec laquelle il avait annoncé mener cet entretien l'avait peut-être laissée suggérer. Très bien. Peu importe. Pas comme s'il se souciait de laisser des traces. Il avait un tatouage à l'initiale de Rollins, après tout. Et il s'était dressé une telle réputation qu'il était certain que personne n'oserait le confronter sur le sujet. Et ceux qui laisseraient filtrer quoique ce soit... eh bien, on n'était pas chez Patron-Minette car on était un enfant de chœur.

-Rollins va traquer les étudiants, les prostituées, les pauvres, les infirmes, répéta Kaz. Ce sont ceux qui vous soutiennent... mais, pas de chance pour vous, ce sont aussi ceux qui grossissent nos rangs. Aucun de nous ne veut le voir à la tête de tous les inspecteurs de police de la ville.

Il ne plaisantait pas. Montparnasse lui-même avait déjà assisté à certaines réunions des Amis de l'ABC.

-Qu'est-ce que vous suggérez ? demanda Enjolras.

-Patron-Minette fera son possible pour empêcher Rollins de devenir préfet, assura Kaz. En échange, si la situation dégénère, vous devez nous promettre votre aide.

-Notre aide ?

-Une aide armée. Ou une révolution, affublez-ça du nom le plus utopiste que vous voulez.

Enjolras sembla à peine considérer l'offre. Ses bras étaient plus croisés que jamais sur sa poitrine, son visage plus fermé qu'avant et ses yeux encore plus durs.

-Hors de question, dit-il. La Révolution se doit d'être juste. Elle se doit d'être pure. Qu'un homme comme vous ait l'audace de l'envisager est une insulte à son nom, et si je vous vois un jour sur nos barricades, vous...

-Me tuerez ? l'interrompit Kaz. Je croyais que vous vouliez que le peuple se soulève. Je vous offre un soulèvement.

-Né de l'injustice et du mensonge, compléta Enjolras. Une démocratie tachée n'est qu'incomplète. Nous n'en voulons pas.

Il y eut un instant de silence. Kaz consulta ses cartes.

-Vous n'avez rien à gagner de l'élection de Rollins, annonça-t-il.

-Je ne cherche pas à gagner, répondit alors Enjolras. Je lutte. Pour qui ? Le peuple. Comment ? Avec la vérité et le droit de mon côté. Le peuple se soulèvera quand il s'éveillera. Cela arrivera à l'annonce de l'élection de Rollins ou non. Vous n'avez pas un rôle à jouer dans cette histoire.

Cette phrase fit sourire Kaz. La bougie commençait à faiblir, alors Enjolras ne le remarqua pas.

-Très bien, dit-il. Si jamais vous changez d'avis, faites-le savoir. On sera là.

Enjolras parut surpris qu'il lâche l'affaire aussi vite. Il se redressa. Kaz venait de lui tourner le dos et s'approchait de la porte.

La main de Kaz était sur la poignée.

-Je ne vous aime pas, M. Brekker, dit soudainement la voix d'Enjolras, derrière lui.

Kaz se retourna avec lenteur. Enjolras était là où il l'avait quitté, et il fixait ses yeux clairs dans les siens.

-Et pour répondre à votre question oui. Si jamais je vous vois près de nos barricades, je n'hésiterais pas à vous en faire descendre de force.

Kaz ne répondit pas. Il sortit, laissa la porte se refermer derrière lui.

Le couloir était vide. Il le traversa à pas lents. Il avait peut-être sous-estimé Enjolras. Il se sermonna mentalement. Les personnes les plus difficiles à corrompre étaient les idiots et les hommes justes. Et, comme il l'avait dit, Enjolras n'était pas quelqu'un de stupide. Il avait simplement espéré qu'il y avait une once de retors dans son être. Personne à Paris n'était entièrement bon. Il y avait toujours une faiblesse à exploiter. Il avait espéré trouver la faiblesse d'Enjolras dans cette discussion. Parfois, l'expérience de terrain vaut mieux que l'étude. Erreur de débutant. Mais ils n'avaient vraiment rien pu trouver en l'étudiant.

Kaz s'était trompé. Il semblait que le seul défaut de ce garçon – son trop-plein d'amour pour la République, son idéalisme répugnant de l'avenir – était aussi ce qui l'empêchait de chuter. Chuter vers quoi ? Vers ce que Kaz représentait, sûrement. À l'heure actuelle, Enjolras devait être en train de lire un des discours de Saint-Just ou de Robespierre, histoire de se purifier l'âme, s'assurer que cet entretien de dix minutes avec Dirty Hands ne l'empêcherait pas d'entrer au Paradis.

Kaz manqua de rire. Il était persuadé qu'Enjolras ne croyait pas au Paradis.

Il sortit. L'air était froid, on était en décembre. C'était un hiver assez rude, en France. La neige tourbillonnait, la nuit était noire, les réverbères projetaient une pâle lumière orangée qui mourait quelques mètres plus loin. Aucune voiture, très peu de passants. Pourtant...

Kaz continua de marcher. Il avait atteint le pont d'Austerlitz lorsqu'il s'arrêta enfin. La Seine s'étendait comme une mer noire sous ses pieds.

-Je sais que tu es là, dit-il simplement.

-Cela ne s'est pas passé aussi bien qu'on ne l'espérait, pas vrai ?

La voix d'Inej lui parvenait de quelque part sur sa gauche, il n'aurait su dire où.

-Il changera d'avis, répondit Kaz comme s'il s'agissait d'une obligation. C'est Montparnasse qui t'envoie ?

-Je m'envoie toute seule, répondit la voix.

Évidemment, pensa Kaz.

-Le vieil homme a réapparu, lui dit alors Inej.

Kaz releva la tête.

-Il vit près de l'église, poursuivit-elle. C'est tout ce que je sais. Il disparaît à la tombée de la nuit. Je n'arrive pas à remonter jusqu'à chez lui.

-Et sa fille ? demanda Kaz.

-Même chose, répondit Inej. Impossible de connaître leurs noms, leur histoire, plus d'un détail sur eux. Ils apparaissent et disparaissent tous les six mois.

-Les gens comme ça, dit Kaz, ont soit un secret qu'on peut exploiter, soit de l'argent qu'on peut dépenser.

-Celui-ci a de l'argent, assura Inej. Il en donne toujours sur le chemin de l'église.

-Tu es sûre que ce sont les mêmes qui venaient au jardin du Luxembourg il y a cinq mois ?

-Absolument.

Elle émergea de l'ombre environnante et s'assit sur le rebord du pont. Elle portait une blouse sombre et quelques mèches de cheveux bruns s'échappaient de la capuche de sa cape. Sa silhouette dessinait une masse à peine moins sombre que le ciel nocturne.

-Qu'est-ce que tu vas faire de lui ? demanda-t-elle.

C'était là la question. Kaz ne savait pas lui-même. Il ignorait qui était ce type qui allait et venait dans Paris. Il ne disait rien et ne semblait connaître personne. Il avait le profil typique de l'homme louche, et les hommes louches, il fallait les garder sous la main. D'un autre côté, il avait l'attitude d'un saint. Il donnait son argent, semblait vivre dans la pauvreté, et seule sa fille paraissait l'approcher. Kaz ne pouvait pas corrompre un saint, mais il ne pouvait pas laisser filer un malfrat. Bien entendu, il ignorait dans laquelle des deux catégories cet homme tombait.

-Je ne sais pas encore, dût-il admettre.

-Alors, je peux donner son adresse à Thénardier ? demanda Inej.

Kaz réprima une exclamation.

-Pourquoi tu veux toujours donner l'adresse de nos potentiels associés à Thénardier ? demanda-t-il.

-Il pourrait avoir besoin de l'argent, dit Inej. Sa famille est pauvre, tu sais.

-On vit à Paris en 1831, Inej, dit Kaz. Tout le monde est pauvre.

-Tu as vu où ils vivent ? La masure Gorbeau, au bout de la barrière des Gobelins. Ils n'ont pas de feu, rien à manger, …

-Personne ne mange ni n'a de feu.

-Ses filles vivent presque nues ! s'écria Inej. On est en plein hiver.

C'était vrai. Kaz n'essaya pas d'argumenter. Il y avait certains terrains sur lesquels il ne fallait pas s'opposer à Inej. Il y avait certaines discussions où elle avait l'ascendant – car elle avait raison.

Il prit une profonde inspiration.

-Thénardier n'a pas besoin de toi pour être un parasite, dit-il. Je suis presque sûr qu'il vendrait ses enfants, si ce n'est pas ce qu'il a déjà fait. Il peut trouver son propre argent, c'est ce qu'il fait depuis des années.

-Alors quoi ? On doit attendre que ses filles meurent d'une pneumonie ?

Kaz s'empêcha de répliquer. À vrai dire, il devait admettre que perdre Éponine et Azelma seraient un coup dur. Elles étaient très impliquées dans leur organisation et, même, plutôt douées.

-Écoute, dit-il. Garde l'adresse du vieillard et de sa petite-fille pour toi, continue de creuser la piste. Juste quelques semaines... le temps que je décide quoi en faire.

Inej ne répondit pas. Elle le regardait droit dans les yeux, et n'avait pas l'air heureuse du compromis. Finalement, elle se redressa et fut avalée dans les ténèbres qui les entouraient, disparaissant comme elle était apparue.

Kaz soupira. Il s'appuya sur le parapet contre lequel elle avait été assise. Sa cane reposait à ses côtés. Lui non plus n'était pas satisfait par ce compromis. Beaucoup de choses allaient se jouer en même temps. Il devait empêcher Rollins de devenir préfet de police. Il devait attendre qu'Enjolras se mette à réfléchir et accepte sa proposition. Il devait en savoir plus sur le type qui traînait du côté de l'église. Et à côté de ça, on le pressait de tous les côtés – Thénardier était pauvre, les étudiants de Paris se plaignaient de ne pas avoir de droits, et Montparnasse et le reste de Patron-Minette lui reprochaient de leur cacher des choses. C'était totalement vrai. Kaz ne leur avait même pas parlé de la piste qu'Inej avait découverte, sur l'homme de l'église.

Attendre, attendre, attendre. Kaz détestait attendre. Il se sentait presque dépourvu. C'était frustrant. Il fixa les eaux de la Seine. Il tuerait pour que quelque chose ait lieu. Les mots d'Enjolras revinrent dans son esprit.

« Vous n'avez pas un rôle à jouer dans cette histoire. »

Si c'était vraiment ce qu'on croyait de lui, alors il allait devoir leur prouver qu'ils avaient tord. S'il devait passer les prochains mois à attendre que tout se déroule comme prévu, il allait devenir fou. Alors il devait créer une alternative. Il créerait une alternative. Il s'assurerait que Rollins soit pauvre et qu'il pourrisse dans les égouts de Paris. Et il veillerait à ce qu'il soit riche, lui, et Inej, et tous les autres.

Si on refusait un rôle à Kaz, il créerait sa propre histoire. De cela, il en faisait la promesse.


Voilà haha je ne sais pas trop qui va lire cette fanfiction en particulier mais si vous êtes tombé/e/s dessus c'est que vous aimez Les Misérables et/ou Six of Crows, ce qui est plutôt cool, bref j'espère que vous avez apprécié, n'hésitez pas à me donner votre avis, des chapitres sont à venir :)