Chapitre 1.
Cela faisait maintenant deux semaines qu'on travaillait sur cette affaire et, pour être honnête on n'avait pas vraiment avancé. Un marine assassiné à la sortie d'un bar ça n'avait, hélas, rien d'exceptionnel mais nous n'avions trouvé absolument aucun indice sur place. Le pauvre garçon avait eut la gorge tranchée, un travail de professionnel d'après les conclusions de Ducky.
On avait bien sûr cherché dans le passé de la victime, rien de suspect. En tout cas, rien qui puisse expliquer pourquoi cet homme avait été exécuté dans une ruelle sombre de Washington.
L'ambiance, au bureau, commençait sérieusement à se dégrader. Gibbs carburait au café, Ziva était prête à sauter sur tout ce qui bougeait et, même McGee, d'habitude si calme commençait à manifester des signes de nervosité.
Quant à moi, je ne saurais expliquer pourquoi mais cette histoire me hantait. Au cours des dernières années, on avait traverser des moments particulièrement difficiles, des affaires tordues, stressantes et parfois même sordides mais c'était la première fois, depuis bien longtemps, que le visage de la victime hantait mes nuits.
Je me réveillais toutes les nuits en sueur avec l'entêtante impression de ne pas avoir fait ce qu'il fallait pour sauver la victime. Ma raison me disait que c'était idiot dans la mesure où, la première fois que j'avais croisé cet homme, il était étendu mort dans une ruelle. Mais ce sentiment d'urgence ne me quittait pas.
Quelque chose m'échappait, quelque chose d'important et ce sentiment devenait insupportable. Même mon légendaire sens de l'humour commençait à en pâtir, au grand désespoir de McGee qui était devenu la cible de mes remarques acerbes et parfois méchantes. J'étais bien conscient que ça ne menait à rien mais je savais que Tim avait les épaules suffisamment solides pour encaisser ma mauvaise humeur.
Il était loin d'être aussi fragile et d'avoir aussi peu confiance en lui qu'à ses débuts. Et, même si je me plaisais à l'appeler « le bleu », c'était plus par habitude que par réelle moquerie.
Après une nouvelle nuit perturbée par de désagréables cauchemars, j'avais décidé de me rendre au bureau au lieu d'essayer vainement de retrouver le sommeil. Je relus une fois de plus le dossier de l'affaire. Il n'y avait pas grand chose à lire. Le Sergent Matthews avait 32 ans. Il avait été adopté alors qu'il était bébé et ses parents adoptifs ne savaient rien de ses parents biologiques. Il s'était engagé à l'âge de 20 ans et avait poursuivi une carrière sans tâche jusqu'à ce soir de novembre où il avait perdu la vie.
On avait interrogé ses parents, ses amis, tous l'avaient décrit comme un homme gentil, serviable et droit. Il n'avait pas d'ennemi, aucune zone d'ombre. Plus je regardais les photos, plus j'étais hypnotisé par ses yeux d'un bleu profond. Abby avait, un jour, fait une remarque à propos d'une victime qu'elle trouvait attirante et je me rappelais très bien avoir froncé les sourcils en l'entendant parler ainsi d'un mort.
Mais, aujourd'hui, face à cette photo, je ne pouvais m'empêcher de penser que j'aurais aimé rencontrer cet homme, avoir la chance de plonger mon regard dans le sien.
Il fallait absolument que je chasse ce genre de pensées de mon esprit. Cet homme était mort et je n'avais pas passé ces dernières années à construire cette belle façade de séducteur pour tout flanquer par terre maintenant.
Je ne pensais pas que mes collègues soient dérangés par le fait que je puisse être attiré par un homme. Même Gibbs n'y verrait probablement aucune objection. Peut être que c'était à moi que ça posait un problème. Peut être que ça ne correspondait pas à l'image que je me faisais d'un Agent Spécial.
Le Sergent Matthews avait réveillé en moi des émotions que je croyais avoir enfouies depuis des années. Je m'étais juré de ne plus penser à Yann. Je lui avais ouvert mon cœur et lorsque j'avais reçu ce coup de fil m'annonçant que sa voiture avait quitté la route et qu'il n'avait pas survécu, mon cœur s'était brisé et la fuite en avant avait commencé.
Le NCIS m'avait redonné un peu de la stabilité que j'avais perdue ce jour-là. Mais il était inutile de ressasser le passé J'avais un travail à faire et je savais bien que mon esprit ne retrouverait sa sérénité que quand cette affaire serait bouclée.
-Tu as vraiment une sale tête, Tony. Il faudrait penser à dormir.
Je n'avais même pas entendu Ziva arriver. Elle avait le don de me surprendre et elle y prenait un malin plaisir.
-Bonjour à toi aussi, Ziva. Ravi de te voir en cette belle matinée.
Je savais que le sourire sur mon visage n'était pas sincère et que Ziva ne serait pas dupe.
-Bonjour, Tony. Nuit difficile ?
-Qu'est-ce qui te fait dire ça ?
Ziva s'approcha de mon bureau, les deux mains posées à plat devant moi. Les yeux rivés dans les miens j'avais l'impression qu'elle essayait de lire mes pensées.
-Je ne sais pas. Peut être les cernes sous tes yeux…le fait que tu sois là à 6 heures du matin en train de relire le dossier Matthews.
J'aurais pu mentir en lui disant que j'avais passé la nuit avec une nouvelle conquête.
-Cette affaire me prend la tête…
-Je comprends. C'est frustrant de n'avoir aucune piste. Ce type est blanc comme neige, le gendre idéal. A croire qu'il a été tué par erreur.
-Tu penses qu'il n'était pas la cible ?
-Je ne sais pas. Il fait nuit, la ruelle est sombre. Il y a peut être eu erreur sur la personne.
-Peut être. Mais ça serait quand même un peu bizarre. D'après Ducky c'était un pro…un pro qui se serait trompé de cible.
-Bizarre mais pas impossible.
Ziva me tourna le dos et s'assit derrière son bureau. Elle semblait aussi désemparée que moi. On tournait en rond. Rien ne pouvait expliquer pourquoi cet homme avait été exécuté et aucune piste ne nous indiquait la direction à suivre pour le moment.
Je passai l'heure suivante à finir de vieux rapports en entendant l'arrivée de Gibbs.
Je le vis sortir de l'ascenseur peu après 7 heures et je compris immédiatement que sa nuit n'avait pas été plus reposante que la mienne. Gibbs détestait encore plus que nous de ne pas pouvoir résoudre une affaire et celle-ci était loin d'être simple.
Je ne pouvais m'empêcher de ressentir une pointe d'angoisse à chaque fois que je croisais ce regard perçant. J'avais l'impression d'avoir encore dix ans et d'être face à mon professeur qui allait m'interroger sur la leçon que j'avais oubliée d'apprendre.
-Bonjour, patron.
-Que nous vaut cette bonne humeur, Dinozzo ? L'affaire Matthews est résolue ?
On pouvait toujours compter sur Gibbs pour vous recentrer sur l'essentiel.
-Non, patron. Rien de nouveau. Il n'y a rien, dans son dossier, qui offre une quelconque piste.
-C'est bien ça le problème. Le Sergent Matthews n'avait aucune raison de mourir mais le fait est là : il s'est fait égorger, ici, à Washington, après avoir survécu aux bombes en Afghanistan.
-Je sais patron mais je ne vois pas bien ce qu'on pourrait faire de plus.
-Et la famille ?
-On a interrogé les parents deux fois.
-Je parlais de ses parents biologiques.
-On n'a aucun renseignement de ce côté-là non plus. Les parents adoptifs ont suivi les démarches habituelles. L'orphelinat ne possédait aucun renseignement.
-Ils n'ont pas fait de recherches ?
-Ils ont bien essayé. J'ai eu au téléphone l'ancienne responsable de l'orphelinat. Elle se souvenait de ce bébé. La seule chose qu'ils ont réussi à savoir c'est que le nourrisson avait été déposé par quelqu'un qui n'avait pas laissé son identité. Le petit était en bonne santé et il avait au moins deux semaines.
-Ça ne nous avance pas vraiment.
Gibbs alla s'asseoir derrière son bureau. La question qu'il me fallait résoudre maintenant était de trouver des renseignements sur les parents de Matthews. Comment allais-je bien pouvoir trouver où il était né. J'avais déjà fait le tour des hôpitaux de la région qui, bien évidemment, n'avaient pas d'archives datant de plus de trente ans.
Il allait falloir faire preuve d'inventivité cette fois-ci. Mais, pour le moment, je n'avais aucune idée de la manière de procéder. Le Sergent Matthews avait, lui-même, tenté de retrouver ses origines mais il n'avait abouti à aucun résultat. Les informations n'existaient plus. Il faudrait un miracle ou un fabuleux concours de circonstances pour trouver ces renseignements. De plus, je doutais fortement que cela ait un quelconque lien avec sa mort.
Le téléphone de Gibbs me sortit de ma rêverie. Il se leva et se dirigea sans dire un mot vers le bureau du directeur. Je le suivis du regard. Cela n'augurait rien de bon. Même si cela n'avait rien d'étonnant après deux semaines sans résultat, il n'était pas bon que le Directeur Vance convoque Gibbs dans son bureau.
J'étais encore en train d'essayer de trouver un moyen de glaner quelques précieux renseignements quand Gibbs redescendit du bureau de Vance l'air visiblement préoccupé. McGee était, lui aussi à son bureau et nous avions tous les trois le regard tourné vers Gibbs attendant qu'il nous fasse part du résultat de son entretien avec Vance. Je crois qu'on s'attendait tous à se faire remonter les bretelles mais au lieu de ça, Gibbs prit son arme et son manteau et se dirigea vers l'ascenseur.
-Prenez vos armes. On a une nouvelle mission. Je vous expliquerai dans la voiture.
Il nous fallut quelques secondes pour réagir. Nous avions une enquête en cours et, vu la réaction de Gibbs, il y avait peu de chance que celle-ci soit une partie de plaisir.
Nous avons tous les trois rattrapé Gibbs avant que les portes de l'ascenseur ne se referment.
-Alors, c'est quoi cette nouvelle mission ?
-J'ai dit dans la voiture, Dinozzo.
-Pourquoi tant de suspense, patron ?
Gibbs se tourna vers moi l'air exaspéré. Ce petit jeu durait depuis des années. Je jouais les mauvais élèves et Gibbs faisait semblant de s'en agacer. La majeure partie du temps, ça se réglait avec un sourire et une tape derrière la tête mais, aujourd'hui, Gibbs se contenta de répondre.
-Une mission de protection. On doit protéger un témoin et le garder en vie jusqu'à ce que le FBI arrête les méchants.
-Ça risque de durer un moment.
Cette fois, je récoltai une tape à l'arrière de la tête. J'entendis un rire étouffé derrière moi. J'avais atteint mon but, tout le monde semblait plus détendu. Même Gibbs avait esquissé un sourire.
Le voyage jusqu'à la planque du FBI se passa en silence chacun essayant de comprendre pour quelle raison Vance nous avait affecté à une nouvelle mission alors que nous n'avions pas avancé. Ce témoin devait être de première importance. Gibbs n'en avait pas dit plus. Il avait seulement précisé qu'on devait jouer les baby-sitters pendant quelques jours à la place d'une équipe du FBI qui était, elle, requise sur le terrain.
L'opération montée par le FBI devait être énorme pour qu'ils nous demandent de prendre le relais dans la surveillance de leur principal témoin.
Nous nous étions garés à quelques dizaines de mètres de l'appartement. Après nous être séparés en deux groupes, Gibbs et moi frappions à la porte de l'appartement. Deux agents se tenaient derrière la porte lorsqu'elle s'ouvrit. L'appartement était modeste et aucun bruit ne venait des autres pièces.
-NCIS ?
-Oui, moi c'est l'Agent Dinozzo et lui c'est…
-Pas besoin de détails. Le paquet est dans le salon. Bon courage.
Sur ces paroles expéditives, les deux hommes quittèrent les lieux nous laissant seuls dans le couloir.
-Tony, fais le tour pour voir si tout est ok.
-J'y vais, patron.
L'appartement n'était pas bien grand et la majorité des pièces étaient vides. Il ne me fallut pas bien longtemps pour m'assurer que personne d'autre n'occupait les lieux. Lorsque je revins dans le salon, je vis Gibbs, debout, immobile au milieu de la pièce. Il m'empêchait de voir l'homme assis sur le canapé. L'attitude de Gibbs me paraissait étrange mais tout s'éclaira lorsque je fis quelques pas dans la pièce.
L'homme assis sur le canapé était le Sergent Matthews : le même regard, la même taille. Ce n'est que lorsqu'il se mit à parler que la différence devint évidente. Je n'avais jamais entendu le Sergent Matthews mais je doutais fort que j'aurais entendu ce délicieux accent oriental si j'avais eu l'honneur de lui parler.
-Bonjour, messieurs. Vous devez être mes nouveaux gardes du corps.
Aucun de nous n'avait bougé et je ne pouvais détacher mon regard de ses yeux bleus. Un sourire se dessina sur le visage du jeune homme. Il se leva et tendit la main vers Gibbs.
-Je m'appelle Aydan Hasiri.
Sa voix chantait légèrement.
-Agent Spécial Gibbs, NCIS.
Gibbs avait refait surface avant moi. Cet homme avait beau être le sosie d'un homme mort, ce n'était pas une raison pour être malpoli.
-Et celui avec la bouche grande ouverte, c'est l'Agent Dinozzo.
Je devais avoir l'air particulièrement stupide car la seule réponse de notre témoin fut un léger rire. Je dois avouer que j'étais complètement envoûté par son regard, par sa voix.
-Enchanté, Agent Dinozzo. Je m'excuse de vous poser cette question mais vous semblez tous les deux avoir vu un fantôme.
Je finis par retrouver le contrôle de mon cerveau.
-Enchanté, M. Hasiri. Connaissez-vous le Sergent Matthews ?
-Je ne suis pas dans votre pays depuis longtemps et je n'ai pas vraiment eu l'occasion de faire des connaissances. Hormis les deux agents que vous avez croisez en entrant.
Gibbs se tourna vers moi et je compris à son regard qu'il ne souhaitait pas que j'aille plus loin. La ressemblance était frappante…et qui ne pouvait pas avoir cinquante explications. Aydan et le Sergent Matthews étaient parents…si on exclut la chirurgie esthétique.
Gibbs avait probablement plus d'informations que moi sur cet homme et je comprenais qu'il ne veuille pas en dire plus pour le moment.
-Nous avons deux autres agents qui vont bientôt arriver.
-Quatre agents fédéraux rien que pour moi. Ça fait un peu beaucoup. Je ne suis pas aussi précieux.
-Le FBI semble penser que si.
Je ne pus m'empêcher de noter une pointe de colère dans la voix de Gibbs et le jeune homme face à nous semblait avoir, lui aussi, noté cette agressivité car il recula d'un pas et le radieux sourire qui avait illuminé son visage s'effaça rapidement.
-Très bien, Agent Gibbs. Il n'y a pas grand chose à faire ici mais je peux quand même vous proposer un café. Si vous m'autorisez à aller à la cuisine ?
-Tony.
Gibbs n'avait pas besoin d'en dire plus et je fis signe à Aydan qu'il pouvait circuler librement. Il se dirigea vers la cuisine et je lui emboîtais le pas.
