Voyageur sans bagage

Il était là seul depuis il ne saurait dire combien de temps. Le regard perdu sur les vagues, le regard dans le vague. Devant les flots brodés d'argent. Il voyait sans le voir le temps qui avait fui. Les années qui avaient fini par l'abandonner rejeté à terre.

Dis, que fais-tu là l'homme au soleil sur ce banc
Le regard perdu sous tes cheveux d'argent

Je regarde fuir mes ultimes printemps
Emportés par mille chevaux blancs

Il aurait aimé qu'il ait quelqu'un. Une personne pour lui dire qu'il n'avait pas rêvé. Qu'il n'était pas fou. Mais son monde s'était écroulé et personne ne se souviendrait. Les années avaient passé lui aussi aurait aimé oublier. Mais cela aurait été sans cet étrange compagnon d'infortune. Sans ce fantôme qui revenait à lui. Illusion de son cerveau blessé par trop de solitude.

Je voyage, je voyage,
Vers les lieux bénis de ma vie
De voyages en voyages
A travers erreurs et acquis

Il voyageait, voyageait encore vers ce passé lointain et proche. Vers ses rares moments agréables et vers les autres aussi. Comme son esprit aimait à lui rappeler. Des erreurs il en avait fait, sa vie il l'avait vécue. Son unique acquis avait été sa liberté, sa solitude.

Sans bagage, par image
Par le rêve et par la pensée
De voyages en voyages
Sur les vagues de mon passé

Son passé, fait de guerre, de sang et de passion il en savourait les images dans un énième voyage. Vagabondage aux couleurs d'azur et d'ombre. Parfois teinté de lumière ou d'obscurité. Comme la mer qui se parait de sa robe rouge du soir.

Ce voyage dans les limites
De vos regrets, de vos remords
Est-ce un refuge est-ce une fuite
Ou bien une aventure encore

Il voyageait, il fuyait vers ses propres rivages, au grès de ses souvenirs au grès de ses regrets.

Parcourant les chemins de sa vie qui était devenue bien fade. Embrun salé et coup de vent.

Il n'avait plus d'utilité depuis long temps, personne qui lui ressemble assez pour pouvoir aimer.

Sur l'eau calme de mon âge
Où l'orage ne tonne plus
De mirages en mirages
Vers mes plages de temps perdu
Je voyage

Les années qui avaient blanchi sa crinière avaient assagi l'animal en lui. Les tempêtes de ses jeunes ans n'étaient que lointain passé. Il avait appris à se contenter du calme, à rêver à d'anciens désirs à jamais hors de sa portée.

Alors assis devant la méditerrané il voyageait par la pensé, vers un monde onirique peuplé d'ombres.

Et toi jeune fille aux sources de ta vie
Fugueuse à seize ans que fais-tu par ici

Je vais au devant du comprendre et savoir
Voir la vie de l'envers des miroirs

Il fut une époque ou il avait vu dans le miroir, vu son envers mais il s'était fait un devoir de le briser. Lui il n'avait pas su y voir, lui il avait comprit trop tard.

La destinée était étrange, le monde avait périclité mais comme son signe il était resté fidèle à ses ruines à surveiller. Vieux monstre mythologique oublié, que les vivants ne craignaient plus.

Je voyage, je voyage
Et je cours pour aller de l'avant
De voyages en voyages
Sac au dos cheveux dans le vent

Plus jeune il avait fait le tour du monde, des mondes. Il avait foncé ver l'avenir ne sachant vraiment ce qu'il cherchait. Ce qu'il cherchait.

Fugueur, rebelle, marin à ses heures il avait si bien avancé qu'il ne l'avait pas reconnu son but.

Parfois folle, parfois sage
Refusant les idées reçues
De voyages en voyages
Dans l'espoir de trouver un but

Toujours fort et déraisonnable il avait voyagé. La cause de son périple il l'avait trouvée, trouvée et détruite. Alors sans bagages il était parti de l'avant, sans regretter sans comprendre.

De rivages en rivages
Pour des grèves à découvrir
De mirages en mirages
Vers les rives de l'avenir

Il est un jour ou l'avenir n'est plus, le sien était devenu si fin. En regardant la route parcourue de plage en rivage, sa route était derrière lui.

Je voyage, je voyage
Un peu plus de jour et de nuit
De voyages en voyages
A travers rêves et insomnies

Il voyageait encore et à jamais la tête remplie d'images entre songe et réalité. Le chemin commençait à s'estomper. Comme les brumes de la nuit, comme celles de l'ennuis. Il voyageait de son dernier voyage. Au bout du chemin il n'y aurait rien, rien à part une image.

Celle d'un frère qu'il avait aimé, celle d'un homme qu'il aurait pu aimé.

Si à la nuit l'océan se teinte de noir, peut être que leurs dragons se croisent

Par temps clair ou d'orage
D'un pied léger ou d'un pas lourd
De mirages en mirages
Par la mémoire et par amour
Je voyage

(Texte de Charles Aznavour je voyage)