Résumé : Loki sait qu'il n'est pas un homme bien; quelque chose de pourri le ronge de l'intérieur; et pourtant même un homme bien meilleur que lui laisserait Thor l'embrasser, parce que Thor, Thor a le goût de l'éclair qui brûle et ravage, il a le goût de la pluie qui martèle la terre, tel un puissant désir, si féroce, si vorace, si terrifiant que lorsque relâché, il mettra aisément Asgard à genoux.
Note de la traductrice : Moi qui ne jurais que par le FrostIron, je suis tombée dans le monde merveilleux et addictif du Thorki suite à Thor Ragnarok et je n'en suis jamais ressortie ^^ ! Je suis vraiment très fière de vous présenter cette traduction (c'est sans conteste l'une de mes traductions les plus abouties), je me suis démenée pour choisir chaque mot avec soin afin de retranscrire au mieux cette magnifique histoire. La fanfiction originale est en anglais, a pour titre 'How Long We Were Fooled' (disponible sur AO3) et a été écrite par la fantastique auteur Ark, qui m'a émue aux larmes avec ses histoires.
Il y a peu de fanfictions françaises Thor/Loki, alors j'espère pouvoir contribuer un peu à l'expansion de ce pairing avec plein de potentiel !
Surtout, surtout si cela vous a plu, n'hésitez pas à laisser un petit commentaire ! Je sais que les auteurs et traducteurs disent un peu tous la même chose, mais vous ne pouvez pas savoir combien les heures passées à peaufiner cette traduction valent le coup lorsqu'on sait que cela vous plaît !
Je vous dis à très bientôt pour le prochain et dernier chapitre de cette histoire ! (et pour ceux qui suivent mes autres traductions, la suite arrive, promis !)
Note de l'auteur : Une petite histoire qui n'est plus si petite que ça. Celle-là est d'abord à savourer, et aussi dédiée à stuffimgoingtohellfor et bewaretheides315 pour leurs encouragements et avoir fait briller la première étincelle de cette histoire lors de nos discussions enfiévrées sur Thor.
Le titre, comme c'est souvent le cas, est tiré d'un poème de Whitman (un peu raccourci):
TOI et moi - peu importe où nous sommes, nous sommes,
Combien de temps fûmes-nous trompés, nous deux !
Aujourd'hui métamorphosés, nous nous évadons promptement comme la Nature s'évade,
Nous sommes deux soleils resplendissants, c'est nous qui nous balançons arrondis et stellaires, nous sommes tels que deux comètes,
Nous sommes des mers qui se mêlent, nous sommes deux de ces vagues joyeuses qui roulent l'une sur l'autre et s'entr'inondent,
Nous sommes l'atmosphère, transparente, réceptive, perméable, impénétrable,
Nous sommes neige, pluie, froid, ténèbres, nous sommes chaque produit et chaque influence du globe,
Nous avons fait des tours et des tours, tous les deux, avant de nous retrouver de nouveau chez nous,
Nous avons épuisé tout hormis la liberté, tout hormis notre propre joie.
- Walt Whitman, "We Two, How Long We Were Fooled" - 'Combien de temps fûmes-nous trompés, tous deux' traduction Léon Bazalgette (1914)
Chapitre 1 : Avant
Ils ont quinze ans la première fois que Thor succombe à la rage née des tempêtes.
Ils ont commencé à mûrir, tant dans leurs corps que dans leurs esprits, bien que Loki soit plus concerné par le dernier, puisqu'il sait pertinemment qu'il ne battra jamais Thor question musculature.
Ils ont quinze ans et Loki est assis dans son coin favori de la bibliothèque. Un livre rempli de sortilèges plus merveilleux les uns que les autres pour créer toutes sortes de problèmes est ouvert sur ses genoux et il le lit avec passion.
Mais soudain, il lève brusquement la tête; il regarde autour de lui et ne rencontre que le silence et le calme de la bibliothèque, vide de tout occupant. Quelque chose ne va pas, quelque chose de terrible est en train de se produire, mais pas ici.
Loki bondit sur ses pieds -
Le grondement de l'orage est assourdissant. Et proche. Le tonnerre rugit, non pas des cieux, mais des terrains à l'extérieur du palais. Une fraction de seconde plus tard, et le ciel à travers les hautes fenêtres est devenu noir d'encre, zébré de tant d'éclairs que ces derniers semblent se toucher, ne former qu'une gigantesque toile d'araignée chargée d'électricité.
Et Loki court, il court en direction des portes du palais. Ses instincts de conservation lui hurlent de s'éloigner du danger, de s'enfuir. Mais il n'y prête pas attention. Il accélère.
Parce qu'il n'y a qu'une seule personne qui peut en être la cause et que quelque chose de terrible est en train de se produire.
Tout à sa course, il percute sa mère, la reine. Stupéfait, Loki ouvre de grands yeux. Frigga a toujours été l'image même de l'élégance et de la sérénité à tout instant, et ce n'est que le choc de la voir ainsi, dans cet état, qui convainc Loki de s'arrêter.
Les cheveux brillants de sa mère, habituellement si habilement coiffés, partent dans tous les sens. Elle a remonté sa robe jusqu'aux genoux, comme si, elle aussi, avait été en train de courir. Ses yeux sont assombris par l'inquiétude et - Loki le réalise alors - par la peur, la peur qui vacille dans son regard, une émotion aussi étrange que terrible sur son visage. Une expression qui n'y a pas sa place.
"Mère," s'exclame Loki et quand elle tend la main, il enlace brièvement leurs doigts.
"Loki, tu dois rentrer." Et à son plus grand désarroi, elle lui prend le bras et a l'intention de le reconduire là d'où il vient. Sa force est impressionnante, déconcertante par rapport à sa silhouette gracieuse. Mais elle veut le ramener. Elle veut le ramener là d'où il vient, là où il sera protégé, dans les profondeurs du palais; elle veut qu'il fasse marche arrière, loin, loin, loin de Thor.
L'air est chargé d'électricité statique. Peu importe ce qui se passe avec son frère, c'est en train d'empirer. Nullement de s'améliorer.
Loki se libère de l'étreinte de sa mère aussi gentiment que possible, avec cette agilité qu'il a acquise et perfectionnée au bout d'innombrables entraînements, lorsqu'il ne pouvait rivaliser avec la force brute de Thor. "Mon frère," demande-t-il. "Dites-moi ce qui est arrivé."
Frigga soutient son regard. Puis, au bout d'un long moment, elle pousse un soupir tremblant et finit par lui dire : "Thor a perdu le contrôle de ses dons. Nous ne savons pourquoi ou comment c'est arrivé; d'après les dires de Sif, il était en train d'échanger des coups avec Fandral lors d'un combat amical et ce dernier a usé d'une ruse pour le distraire et le mettre à terre. Thor s'est relevé, furieux, et puis -" Elle fait un geste de la main. Comme s'il n'attendait que cela, le rugissement du tonnerre se fait entendre et la foudre s'abat sur le sol avec une violence inouïe, faisant trembler le palais jusqu'à ses fondations.
Loki digère frénétiquement ces informations, son esprit marchant à la vitesse de la lumière. Il est jeune, c'est vrai, mais il a déjà lu tellement d'histoires, tellement de légendes, et il sait, il sait qu'il doit y avoir une solution à l'affliction dont semble souffrir Thor. Il y a toujours une clef qui déverrouille la porte qui paraît ne devoir jamais s'ouvrir, même dans les contes les plus terribles. Il détourne le regard, ne souhaitant pas que sa mère voit dans ses yeux la même peur qui brille dans les siens.
"La magie," s'aventure Loki. "Son pouvoir pourrait être contenu par -"
Frigga semble vouloir le serrer contre elle et l'éloigner de l'orage qui gronde. Elle ne le fait pas. Elle secoue la tête, un geste bref, désespéré. "Huit de nos plus grands sorciers sont inconscients à l'heure qu'il est," explique-t-elle et elle pince les lèvres sous l'anxiété jusqu'à ce qu'elles ne forment qu'une mince ligne blanche, "et beaucoup de nos guerriers valeureux sont à terre. Loki, tu dois venir avec moi."
Une prise de conscience terrifiante soulève l'estomac de Loki et il tente de la tenir à distance en déglutissant difficilement. Ce n'est pas seulement l'amour maternel qui pousse Frigga à agir de la sorte : elle souhaite le protéger parce qu'elle l'aime, oui, mais aussi pour le bien d'Asgard. L'avenir d'Asgard. Elle le protégera à tout prix. Car si Thor est perdu, Loki sera alors le seul prince héritier.
Et c'est impensable. Il y a sûrement un millier de possibilités, d'approches différentes à tenter sans mettre en danger la vie de Thor. Odin ne risquerait jamais -
"Père ne peut faire cela," s'écrie Loki, parce qu'il sait, en même temps qu'il pense et prononce les mots, qu'Odin n'hésiterait pas une seule seconde au contraire. Thor est peut-être son fils favori et son héritier, la jeunesse éclatante et l'espoir d'Asgard, mais l'instinct de conservation de Loki n'est rien face à celui de son père.
On ne règne pas sur Asgard en tant que Père de toute chose aussi longtemps pour accepter de perdre son royaume à cause de sentiments. Odin choisira de se sauver à tout prix, lui et son royaume, et ce même si cela signifie que Thor doive être sacrifié. Et dans les histoires, c'est déjà arrivé.
Et maintenant sa mère a les yeux assombris par l'agonie, le désespoir, parce qu'elle sait aussi bien que lui que ce qu'il craint est la vérité. "Loki," dit-elle doucement, mais Loki sait mieux que personne déceler les mensonges et les duperies. Alors que sa voix cherche à l'apaiser, sa mère trace dans l'air des symboles qu'il reconnaît parce que c'est elle qui lui en a enseigné le sens. Des sortilèges qui ont pour but de l'amadouer, de l'étourdir, une magie qui le contraindra à rester ici -
"Je suis sincèrement désolé," dit-il, espérant que Frigga puisse lire ce qu'il ressent dans son regard, puis il met à profit l'enseignement qu'elle lui a prodigué et s'évanouit hors de sa vue.
Il n'a jamais voyagé aussi loin. Ce type de magie, incroyablement complexe, n'est pas aisé à maîtriser, et se doit d'être travaillé progressivement, étape par étape, précautionneusement. Il n'a réussi à se téléporter que de quelques mètres jusqu'alors. Il s'était volatilisé de l'entrée pour réapparaître au milieu de la pièce et cette simple action lui avait causé une sensation de nausée atroce. Pourtant Thor, qui le regardait, avait trouvé ces quelques mètres digne d'éloges. Il avait posé une main agréablement chaude sur l'épaule de Loki et s'était exclamé que c'était un tour bien utile.
Mais désormais, la magie de Loki, animée de la force née du désespoir, l'entraîne plus loin qu'il n'a jamais été. Il se matérialise là où il l'escomptait, plus ou moins, à l'orée des terrains d'entraînements qui recommencent à verdir avec l'arrivée du printemps.
Il serre les dents tandis qu'il regarde aux alentours. Le sol est défiguré par les innombrables impacts de foudre et l'herbe est sèche, noircie, sans une trace de vie.
Et au milieu de toute cette sinistre destruction se tient Thor qui rugit comme le tonnerre. Les éclairs sont son manteau, le vent tempête dans ses cheveux et des étincelles de pouvoir pur crépitent le long de son corps.
Il surplombe le corps bien trop immobile de Fandral, couché face contre terre dans l'herbe calcinée. Des douzaines de gardes sont éparpillés tout autour de lui, dans un désordre si savamment orchestré que cela en deviendrait presque comique, dans un tout autre contexte - la scène rappelle en effet à Loki comment Thor cassait leurs jouets ou renversait, frustré d'avoir perdu, les pièces d'un quelconque jeu stratégique qu'ils disputaient. Même au bord de la folie, son frère reste d'une prévisibilité incorrigible.
Loki secoue la tête. Pourtant sa gorge se serre sous l'émotion. Il ne sait pas ce qu'il va faire, ce qui doit être fait pour libérer Thor de cette terrible fureur qui l'avale tout entier; il sait seulement qu'il doit être près de lui ou Thor lui sera pris, peut-être pour toujours.
Odin n'est pas d'accord, bien entendu. Son père aussi est ici, hors de portée de Thor et entouré de ses conseillers les plus avisés, un conseil de guerre convoqué à l'improviste. C'est Heimdall qui voit Loki le premier - Heimdall doit avoir senti sa présence au moment où il est arrivé ou bien a-t-il prédit sa venue; et c'est Heimdall qui le pointe du doigt à son père.
Ils ne peuvent l'atteindre de là où ils sont, mais la voix d'Odin, amplifiée, emplie de puissance, tonne plus fort que l'orage de Thor. "Loki. Ne t'approche pas."
Loki ne l'écoute pas bien évidemment. A à peine quinze ans, il a déjà eu de multiples occasions de désobéir à son père, et là où tout autre Asgardien se serait agenouillé sous l'autorité d'Odin, Loki reste debout.
A l'entente du nom de Loki, Thor se retourne. Le voit.
Et pendant un instant, le monde ne se réduit qu'à eux, qu'à l'espace qui les sépare, et rien d'autre - la tempête qui sévit, leur père, les hurlements et les cris, le chaos - tout cela s'évanouit comme le ferait un monde entraperçu par le biais d'une fenêtre, à des milliers de lieux d'ici.
Thor a les yeux pleins d'éclairs, ses iris noyés par l'électricité aveuglante qui les parcourt, mais il regarde Loki et Loki lui rend son regard sans faillir.
Loki réprime ce qu'il ressent vraiment : une peur si intense qu'elle menace de comprimer sa gorge et de l'étouffer, mais aussi, plus profondément, bien plus profondément dans son cœur - une bouffée d'admiration à l'état pur qui le paralyse, admiration envers la destruction que Thor a apportée et dont il est le créateur. Admiration envers ce cruel pouvoir, ce pouvoir à l'état brut qu'invoque Thor aujourd'hui, dont Loki ne l'aurait jamais cru capable. Thor n'a jamais été aussi magnifique.
Loki regarde son frère comme s'il le voyait vraiment pour la première fois et quand Loki sourit, les éclairs dans les yeux de Thor s'estompent.
Thor a les yeux remplis d'une terreur abjecte, d'une culpabilité profonde, mais ce sont de nouveau les siens; et le voilà de nouveau lui-même, ce frère que Loki ne reconnaît que trop.
Thor, bouche bée, fixe d'un air ébahi la scène qu'il a provoquée. A ses pieds, Fandral ne bouge pas d'un pouce. Loki sait que si Thor a tué son ami, il sera dévoré par la culpabilité, sera insupportable pour un millénaire.
Loki, étonné de voir à quel point la magie lui vient facilement désormais, aiguise ses sens : il sent la vie s'échapper de Fandral agonisant sur le sol et, d'un geste, renverse sa course.
Il n'a jamais réussi à véritablement refermer une plaie jusqu'à ce jour, mais qu'importe lui murmure son esprit : car si Thor est capable d'autant de puissance, alors peut-être que Loki, lui aussi, est capable de plus que ce qu'il ose imaginer. Et après avoir réalisé cela, ce n'est plus qu'un jeu d'enfant de plier son pouvoir à sa volonté.
Mais soigner Fandral n'est que secondaire, Fandral ne vaut guère plus qu'un jouet cassé que Thor aurait jeté de côté; non, ce qui est important, c'est Thor, Thor qui, des éclairs dans les yeux, regarde toujours Loki.
Loki va à lui, pas à pas, tremblant, frissonnant dans la tempête. Thor atterrit lourdement sur le sol; la terre tressaille sous son poids; le ciel assombri est zébré de tant d'éclairs qu'on y voit comme en plein jour.
Loki ne s'arrête qu'à une dizaine de centimètres de son frère. Bien que plus tard on lui demandera, maintes et maintes fois, comment avait-il pu être aussi certain que Thor ne le blesserait pas, Loki n'arrivera jamais à répondre. Car il ne connaît pas la réponse lui-même, il savait juste, à cet instant précis, au plus profond de lui, qu'il ne craignait rien.
"Thor," dit-il sèchement, comme s'il venait de surprendre son frère en train de faire une bêtise - une plaisanterie ayant mal tourné, des mots prononcés à la légère alors que Thor aurait dû être plus diplomate avec leurs invités au banquet royal.
"Loki," gémit Thor. "Aide-moi."
Loki est pris d'un frisson qui parcourt tout son corps, manquant de le figer sur place. Car Thor ne lui a jamais demandé de l'aide, même quand il aurait pu bénéficier de nombreuses fois de sa sagesse. Incomparablement têtu et fier, Thor préfère s'embourber dans sa bêtise et pâtir des conséquences plutôt que de requérir l'assistance de son frère. Mais pourtant, voici ces mots, ces mots suppliants, déchirants. Qui pénètrent Loki en plein cœur.
Et instinctivement, Loki lui tend la main, comme il l'aurait fait avec joie toutes ces fois où Thor aurait pu profiter de ses conseils, au lieu de s'entêter dans sa bêtise et son arrogance. Il tend la main, brave le vent qui drape Thor tel un manteau, les éclairs qui comme par miracle ne le brûlent aucunement.
Il prend la main de Thor dans la sienne. Et tout s'arrête.
Le temps lui-même semble ralentir sa course, avant de soudain reprendre de plus belle : les nuages menaçants au-dessus de leurs têtes s'enfuient, comme s'ils n'avaient soudain plus aucune raison d'être dans le ciel; le vent s'évanouit, pas même une légère brise ne subsiste; et les éclairs disparaissent, la foudre se volatilise comme si elle n'avait jamais existé.
Tout revient à la normale, et le monde retrouve ses couleurs. Loki entend les cris des hommes autour d'eux, discerne parmi eux la voix de son père, celle de sa mère.
Mais ils n'ont guère d'importance. Rien n'a d'importance, à part Thor bien sûr. Thor qui, les yeux révulsés, tombe en avant et que Loki rattrape de justesse, titubant sous le poids de son frère.
Et ce n'est qu'à cet instant, la crise avortée, que Loki se rend compte à quel point il a repoussé ses limites, les siennes et celles de sa magie - pour se téléporter jusqu'ici en dépit des avertissements de sa mère, soigner Fandral, et ramener Thor à la raison d'une mystérieuse manière.
Les cris se font de plus en plus forts, de plus en plus près, mais Loki ferme les yeux. Il se laisse tomber en arrière, le poids réconfortant de son frère sur son torse. S'assure que Thor respire bien, avant de s'abandonner aux ténèbres qui l'entourent et de s'évanouir.
La seconde fois que cette folie orageuse prend d'assaut Thor, ils ont dix-neuf ans.
Ils ont dix-neuf ans, en quelque sorte; le temps s'écoule différemment à Asgard, et tous deux sont devenus considérablement plus puissants, plus matures grâce aux épreuves traversées ensemble et chacun de leur côté. Cela fait cinq ans, cinq cents ans peut-être. Ils n'ont jamais été aussi vifs, aussi forts.
Ainsi, en toute logique, cela n'aurait pas dû arriver une nouvelle fois : après cette première débâcle, leurs parents avaient consulté les plus grands sorciers du royaume, avaient requis les services des plus éminents professeurs de tous les mondes connus pour apprendre à Thor à maîtriser ses pouvoirs.
Thor avait détesté ces leçons avec passion, mais elles demeuraient nécessaires, aussi les avait-il subies à contrecœur.
Pendant des années, il avait été une épine dans le pied de Loki, toujours là, toujours présent à ses côtés. À encombrer sa bibliothèque bien-aimée de son inconvenante présence, à interrompre à tout-va la concentration de Loki, plongé dans des recherches passionnantes, avec des questions sur la magie auxquelles n'importe quel apprenti sorcier midgardien de cinq ans connaîtrait la réponse. Ou alors cherchait-t-il à distraire Loki de ses livres délicieux qui n'attendaient que lui pour être découverts, en le suppliant de participer à un jeu quelconque, de partir à la quête d'une aventure insignifiante ou chercher à séduire une femme considérée comme attirante, est-ce que Loki est intéressé, est-ce que Loki arrêtera-t-il jamais un jour de lire.
À un moment Loki, excédé, jeta un sort de silence pendant un mois entier dans la bibliothèque, afin de ne plus avoir à supporter les bavardages incessants de Thor. Un bienfait sans nom. Thor continuait à jacasser sur des sujets sans intérêt pendant que Loki lisait, lisait, lisait encore et encore et n'avait pas à en entendre le traître mot.
Thor avait été si furieux contre lui lorsqu'il l'avait découvert; mais on avait dit à Thor que la colère était l'étincelle qui pouvait embraser sa fureur dévastatrice, risquant de le consumer tout entier. Alors, faisant preuve d'une volonté qui avait surpris Loki, son frère avait simplement tourné les talons, et était parti bouder.
Dès le lendemain, tout était pardonné et oublié, comme toujours, comme si rien ne s'était passé; et Loki, se sentant un tout petit peu coupable, avait même cédé aux suppliques de Thor et s'était entraîné au combat avec lui toute la soirée.
Chacun avait donné du fil à retordre à l'autre, la force brute de Thor confrontée aux puissantes illusions que Loki dirigeait désormais d'une main de maître, merci beaucoup; et ils avaient combattu et ri ensemble pendant des heures, se tournant autour, tous deux refusant de céder jusqu'à ce que, finalement, l'épuisement les force à l'égalité.
Et progressivement, parce qu'il savait que c'était important, Thor apprit à maîtriser ses pouvoirs spectaculaires. On lui enseigna à canaliser sa force à travers Mjöllnir, à la concentrer, à la manipuler à sa guise; à se détourner du champ du bataille quand la colère menaçait de le submerger, bien que cette leçon fut, pour Thor, la plus difficile à assimiler.
Puis ses enseignants le déclarèrent finalement suffisamment formé. Ils s'en allèrent, et Thor ne vint plus à la bibliothèque.
Il ne manquait pas le moins du monde à Loki, se disait ce dernier dans le noir de la nuit; le silence était un soulagement bienvenu; et il ne passait bien évidemment pas des heures considérables, le regard fixé sur le fauteuil vide de Thor, à se demander ce que son frère était en train de faire en ce moment.
Loki n'invoquait que rarement, voire jamais, l'image de Thor pour savoir comment il occupait le temps autrefois passé aux côtés de Loki.
Cela n'aurait pas dû arriver une nouvelle fois. Thor réussit toutes les évaluations, surmonta tous les obstacles. Pas même un minuscule éclair n'échappa à son contrôle depuis ces terribles événements sur les terrains d'entraînement.
Toute la population d'Asgard, à part leur cercle d'amis et familial le plus proche, a oublié ce jour où Thor perdit le contrôle et manqua se perdre lui-même. Désormais, quand ce jour est mentionné au détour d'une conversation, c'est pour commenter, la voix remplie d'admiration muette, à quel point le prince est puissant. Comme Thor est merveilleux, vraiment, murmurent-ils, tandis que Loki lève les yeux au ciel devant tant d'ineptie.
La part de Loki dans ces événements a été effacée, sinon minimisée par les racontars : il avait seulement usé d'un tour de magie pour calmer son frère, et le Père de toute chose l'avait félicité, ce qui était suffisamment rare pour être souligné - tout du moins, après l'avoir copieusement grondé pour être intervenu malgré l'ordre d'Odin lui interdisant explicitement de s'en mêler.
Il sait que ses parents sont heureux de savoir Thor revenu à la raison. Il sait aussi qu'ils se demandent encore, comment Loki a réussi cet exploit. Loki lui-même ne connaît toujours pas la réponse.
Tout un armada de sorciers spécialistes en la matière, consultés pour l'occasion, leur ont proposé de nombreuses explications. La magie était intimement liée au sang, et peut-être que c'était la raison pour laquelle Loki avait été capable d'atteindre Thor, en dépit du danger qu'il représentait alors. Odin demeurait sceptique, leur rappelant à juste titre que ni lui ni Frigga n'avaient pu l'approcher.
La théorie qui avait la préférence de Loki, évoquée par un sorcier qu'il avait par la suite largement récompensé, exposait que même si jeune, Loki faisait la preuve d'une habileté dans les arts de la sorcellerie totalement remarquable. Il était doté d'une puissance magique telle que l'on ne l'avait pas connue à Asgard depuis des générations.
Peut-être ne fallait-il pas chercher plus loin. Peut-être que Loki était tout simplement bien plus puissant que ces sorciers de pacotille que Thor avait si aisément mis à terre. Peut-être que seul Loki disposait des capacités nécessaires pour se confronter d'égal à égal à Thor.
Cela n'aurait pas dû arriver une nouvelle fois. Tout avait été si calme.
Mais quand on frappe avec insistance à sa porte tard dans la nuit, alors que la majorité du palais est déjà endormie, Loki sait, avec une horrible certitude, que Thor est la cause de tant d'urgence.
Loki est loin d'être endormi, occupé comme il est à écrire une lettre à la lueur d'une bougie. Il lui reste à apprendre tant de choses sur l'univers, et il a déjà épuisé la majorité des ressources disponibles à Asgard. Il écrit à de nombreuses personnes dans les différents royaumes, qui partagent sa soif de connaissances et qui lui répondent avec une égale ferveur. Et d'ordinaire, Loki aurait été agacé d'être perturbé dans sa tâche, mais l'on toque à sa porte de manière si paniquée qu'il décide de faire une exception pour cette fois.
Il est vêtu d'habits légers, informels pour une nuit passée dans ses quartiers : une tunique en soie vert émeraude, sa couleur préférée, agrémentée de fils d'or. Ses cheveux noirs qu'il garde longs lui tombent sur les épaules comme c'est désormais son habitude. Mais quand il s'avance, c'est la dague à la main.
Il ouvre la porte et découvre Fandral sur le seuil, peinant à reprendre son souffle. Il a manifestement couru jusqu'ici, comme en témoignent ses cheveux blonds trempés de sueur, son visage écarlate.
"Dis-moi ce qu'il se passe," ordonne Loki. "Sois bref."
Depuis ce jour sur les terrains d'entraînement, Fandral le regarde avec un mélange de peur et de respect que ne partagent pas les autres compagnons de Thor. Malgré l'avis contraire de Loki, Thor avait raconté à Fandral comment son frère lui avait sauvé la vie; Thor était profondément fier de Loki pour cette action et refusait de se taire à ce sujet.
Loki était, quant à lui, profondément mal-à-l'aise devant cet étalage d'admiration. Après tout, ce n'est pas comme si cela lui importait que Fandral meure ou non. Il ne l'avait fait que parce que, si Fandral mourrait, Thor serait alors devenu qu'une ombre de lui-même, ce que Loki n'aurait jamais supporté.
Mais ce n'est pas pour autant qu'il ne ressent pas aujourd'hui un certain plaisir tandis que Fandral baisse la tête pour le saluer, s'inclinant presque, mais pas tout à fait.
"C'est - c'est la même chose qu'auparavant," parvient finalement à dire Fandral et Loki perçoit immédiatement le mensonge dans sa voix. Il plisse les yeux d'un air menaçant. Fandral rectifie d'une voix étranglée : "C'est pire. Nous étions de passage dans un lupanar, la soirée s'annonçait fort plaisante. Nous nous sommes chacun retirés pour la nuit en bonne compagnie. Quand soudain -" Il tressaille et peut-être que le regard brûlant de Loki fixé sur lui lui inflige une douleur bien réelle alors qu'il enjoint l'homme à raconter la suite. "Il y a eu une tentative d'assassinat."
Le souffle de Loki se bloque dans sa gorge.
Fandral poursuit, "Ils ont attendu que Thor soit autrement occupé au lit, vulnérable, ou du moins le pensaient-ils. Ils étaient nombreux, habiles et redoutables. Ils ont tué son partenaire pour la nuit; Hogun et moi sommes arrivés à temps pour les voir à l'oeuvre; et Thor a juste - il -"
Le torrent de mots se tarit en même temps que Loki retrouve sa respiration. Il lève la main. Range ses dagues. "J'ai parfaitement saisi la situation."
Il tourne les talons, retourne à son bureau avec ce qu'il espère une attitude soigneusement mesurée, démentant le chaos qui règne dans son esprit.
S'appuyant sur le chambranle de la porte, tentant toujours de retrouver sa respiration, Fandral le regarde d'un œil méfiant, avant que le désespoir ne le gagne peu à peu. "Ne vas-tu pas nous aider ?" s'écrie-t-il, tremblant.
"Imbécile," crache Loki. "Approche-toi." Et comme si contraint par ces simples mots - et peut-être l'est-il, la magie de Loki s'agite à l'intérieur de lui comme une mer déchaînée sous l'adrénaline qui envahit son corps - Fandral s'exécute. Loki déroule un parchemin sur son bureau, une carte incroyablement précise de la ville. "Montre-moi l'endroit où vous étiez," dit-il. "L'endroit exact."
Fandral acquiesce, déglutit, paraît enfin comprendre. Il se penche, trace du doigt les lignes d'encre de la ville qui s'étale sous lui, jusqu'à trouver le lieu qu'il cherche. Il le désigne du doigt. Loki étudie l'endroit, visualise les rues et les carrefours familiers, attrape Fandral par la manche, ferme les yeux -
- Et Fandral jure, une exclamation soudaine, choquée, qui résonne à ses côtés. Loki ouvre les yeux. C'est le chaos à l'état pur.
Des gens paniqués sortent en courant des bâtiments, comme si une ruche toute entière de guêpes meurtrières étaient à leurs trousses. Des hurlements se font entendre, au milieu de cris plus stridents, alors que la foudre s'abat sans cesse dans la rue, paraît être partout à la fois. Nulle échappatoire possible à son courroux.
Car les éclairs frappent sans prévenir ceux qui tentent de s'enfuir, terribles et implacables; le tonnerre gronde dans le ciel telle la charge de dix mille cavaliers partant en guerre.
Et le lupanar se trouve en être l'épicentre, établissement qui autrefois, Loki imagine, devait être un bâtiment spacieux et décoré avec goût. Désormais, la façade est noircie, certains murs carbonisés, d'autres encore en feu. Quelques clients sous le choc, à peine vêtus ou complètement nus, se sont effondrés dans le jardin derrière le portail, incapables de ramper au-dehors de peur de se faire surprendre par la foudre qui ne cesse de tomber devant l'entrée.
Fandral a raison. C'est pire, bien pire.
Loki s'accorde une seconde - rien qu'une seconde - pour s'abandonner à la profonde admiration qui le submerge devant tant de destruction de la main de son cher frère. Car la scène qui se déroule devant lui n'a que faire de l'ordre et de la raison, c'est une scène poignante, tourmentée, empreinte de désespoir et de souffrance. Loki ne peut s'empêcher d'apprécier le savoir-faire de celui à l'origine de tout ceci. Un chef d'oeuvre, vraiment, né d'une passion incommensurablement violente, irrépressible.
Et savoir Thor capable de ceci, savoir que son cœur contient tant de noirceur, cela procure des frissons à Loki, l'électrise comme l'éclair qui zèbre la nuit sans discontinuer. Son frère, si parfait, à l'âme si pure, son honorable très cher frère, n'est pas si parfait que ça tout compte fait.
Et cela veut dire que le jour où ils avaient quinze ans, que ce jour n'est pas un hasard. Que Thor, au fond de lui, désire ardemment lui aussi ce chaos, et que malgré tous les enseignements qu'il a suivis, tous les exercices qu'il a appris pour contenir cette part secrète dans son cœur, son pouvoir difficilement canalisé n'a fait que croître, telle une plaie suppurante, pour finir par exploser aujourd'hui avec une intensité qui semble doublée - non. Triplée. Non. Son intensité n'a rien à voir avec ce qu'elle était alors. Sa puissance est tellement décuplée que toute comparaison en deviendrait absurde.
Loki secoue la tête, surpris par une bouffée d'affection mêlée d'agacement à l'égard de son frère. Soupire. Retrousse ses manches. Il ne peut rien faire pour l'instant pour arrêter les éclairs et l'orage qui sévit dans le ciel, mais les feux sont aisément déjoués.
Et ce n'est que parce que Thor se sentirait atrocement coupable, et serait par voie de conséquence totalement insupportable, que Loki accorde une pensée aux corps étendus sur le sol, à ceux qui courent dans tous les sens autour de lui, en érigeant d'un geste négligent des boucliers magiques invisibles qui maintiendront la foudre à distance.
Puis il s'avance vers le lupanar sans un regard en arrière. Une colère froide le prend lorsque Fandral ose lui conseiller d'être prudent, comme si Loki avait peur de ce qu'il allait trouver à l'intérieur. Ridicule.
Une fois passé le seuil, il lui est difficile d'y voir clair à travers l'épaisse fumée noire qui empoisonne l'air. Loki, mécontent, jette un coup d'œil à sa paire de bottes favorite très vite maculée du sang qui rend le sol glissant. Il monte les escaliers, enjambant des cadavres vêtus de noir et au visage dissimulé par un masque. Les assassins en herbe de Thor ne sont pas allés bien loin.
Et une fureur aussi brutale que soudaine, aussi tranchante que la lame d'un couteau, aussi brûlante que la lave, submerge Loki à l'idée que quiconque tente de tuer son frère. Il cesse aussitôt de faire attention où il marche, et piétine au contraire allègrement les corps, enfonçant vicieusement ses talons dans la chair.
Il ne peut manquer la chambre de Thor pour la nuit, reconnaissable entre mille. L'encadrement de la porte a volé en éclats, totalement déformé, comme une statue d'argile que l'on aurait laissé imploser dans un four. La porte en elle-même n'est tout simplement nulle part en vue, juste des fragments de bois épars éparpillés un peu partout pour rappeler son souvenir. L'atmosphère est presque irrespirable, pleine de poussière et de cendres. Il fait sombre, mais la lumière qui règne dans la pièce en elle-même, dont Thor est sûrement la source, ajoutée aux éclairs incessants qui illuminent l'endroit à travers le toit effondré, suffisent amplement comme éclairage.
Loki entre dans la chambre, chambre de mort. D'autres cadavres vêtus de noir jonchent le sol dans des positions improbables, les membres tordus dans des angles impossibles. Au pied du lit calciné, une silhouette à l'apparence plus fragile, à moitié déshabillée, se trouve couchée face contre terre, méticuleusement poignardée par des mains expertes.
Loki ne daigne lui accorder un regard, à cette personne avec qui Thor a choisi de passer la nuit, que parce que le travail au couteau est si habilement réalisé. Et ne s'aperçoit qu'après s'être approché, surpris, que cette personne est de sexe masculin, bien que sa taille fine rivalise avec ces demoiselles. Et voilà qu'il fixe plus longtemps qu'il ne l'escomptait le corps, l'intérêt piqué à vif; manifestement Thor est plein de surprises ce soir.
Mais il n'a malheureusement guère le temps de s'appesantir sur cette réalisation. Thor, debout près de ce qui était autrefois une fenêtre, contemple le carnage dont il est la cause de ses yeux plein d'éclairs.
Et c'est comme la dernière fois, à peu de choses près; son frère se drape de la foudre tel un manteau, la tempête et le vent formant une couronne qui vient ceindre ses cheveux.
Il est torse nu également. Il semble que ses activités romantiques aient été interrompues à ce stade par l'embuscade, et les éclairs enserrent son torse puissant, l'enserrent, l'enserrent, l'enserrent.
"N'est-ce pas quelque peu excessif ?" s'enquiert Loki en guise de salut.
Thor se retourne, le regarde. Nulle trace cette fois de l'agonie confuse qui avait déformé son visage aux terrains d'entraînement, à l'instant où Thor l'avait reconnu. Non, à la place, une détermination lugubre assombrit ses traits alors qu'il surveille l'approche de Loki.
Il s'est passé cinq ans, cinq cents ans peut-être et Thor s'est endurci, physiquement comme sur le champ de bataille. Il n'est plus l'enfant d'alors. C'est un combattant redoutable, qui a tué beaucoup d'hommes et de monstres, et couché avec, semble-t-il, un éventail pour le moins varié de partenaires. Et il est si sublime réduit à sa plus pure quintessence, que Loki se demande soudain s'il ne ferait pas mieux de ne pas tenter de l'arrêter après tout.
Et il l'imagine sans pouvoir s'en empêcher : Thor, ce Thor-ci, porteur de chaos et de ruine, soumettant Asgard à genoux devant son pouvoir, un véritable dieu, conquérant tous les royaumes connus, grâce à cette fureur si glorieuse, si exquise.
Cette bataille qui fait rage à l'intérieur de Thor pourrait mener à leur perte des mondes entiers, Loki le sait, le sent avec un goût dans la bouche comme la promesse d'un dessert. Et Loki l'accompagnerait avec joie, et ensemble ils pourraient -
Thor le frappe d'un éclair de foudre si puissant que Loki valse dans les airs, avant de percuter durement le mur calciné et noirci derrière lui.
Et ça fait mal, ça fait horriblement mal, plus que ce qu'il ne peut supporter, et il l'a pris de plein fouet parce qu'il a été si stupidement pris au dépourvu. La première fois, il avait été naïf, si certain que Thor ne lui ferait jamais de mal, et cela s'était révélé vrai; il avait tendu la main, senti les éclairs venir lécher sa peau et ne s'était pas brûlé.
Stupide, si stupide de faire confiance à quelque chose d'aussi ténue que l'affection fraternelle, et voilà maintenant qu'il se trouvait sans défenses sur un champ de bataille -
"Loki." Thor prononce son nom d'une voix étranglée, et cela ressemble déjà plus au Thor que Loki connaît, tentant avec effort de lui faire entendre raison. "Va-t'en."
Ses muscles irradiant de douleur, Loki se relève avec difficulté. Il époussette les manches de sa tunique d'un air dédaigneux, comme si son vol plané n'était qu'une gêne mineure. "Définitivement excessif," ricane-t-il. "Même pour toi."
"Loki. Va-t'en -"
"Je ne vais pas m'en aller," l'interrompt Loki, distrayant Thor en abattant sur lui une pluie de dagues étincelantes. Thor les dévie aisément, mais il détourne son attention suffisamment longtemps pour permettre à Loki de disparaître de sa vue et de réapparaître bien plus près. "Donc tu as le choix. Soit tu m'aides à trouver comment arrêter cette folie, soit je vais trouver la solution par moi-même et je te le rappellerai pour le restant de tes jours."
La première fois, la simple vue de Loki avait semblé dissiper une partie de la colère qui assiégeait Thor, et quand Loki l'avait touché, la foudre s'en était allée telle l'eau d'une rivière. Alors il tente la même chose cette fois encore, referme ses doigts sur l'avant-bras de Thor, enfonce ses ongles dans sa peau.
Thor sursaute et recule, comme si cette fois, c'était lui qui était frappé par la foudre. Il détourne le regard, hésitant, incertain, et Loki s'imagine qu'il a gagné.
Mais Thor a toujours le visage fermé, ses lèvres serrées en une mince ligne fine, et il tente de se libérer de l'emprise de Loki. Ce dernier peut sentir, maintenant qu'il est devenu bien plus expérimenté dans les arts de la sorcellerie, qu'il draine une partie du pouvoir incontrôlable de Thor lorsqu'il le touche. La présence de Loki crée une brèche dans toute cette fureur, cette rage qui submerge Thor.
Réfléchissant à cent à l'heure, Loki analyse cette réaction, examine comment il peut la tourner à son avantage. Ses pouvoirs et ceux de Thor doivent se compenser d'une quelconque manière, l'un contrepoids de l'autre. Plus Loki s'approche, plus Thor redevient lui-même. Mais le simple fait de toucher brièvement sa main n'est plus suffisant. Il doit se rapprocher plus encore.
Au moins, Thor ne convoque plus la foudre pour l'éloigner. Parce que cela faisait mal, et Loki n'est pas prêt de lui pardonner. Mais maintenant que Loki refuse de partir et tient Thor par le bras, les éclairs ne sont plus une menace. Non : l'électricité crépite autour d'eux, illuminant la pièce d'une lumière surnaturelle, alors qu'ils ont chacun le regard rivé sur l'autre.
Loki, vif comme un serpent, pose sa main sur l'épaule nue de Thor, et ce dernier frémit. Le tonnerre rugit, un bruit assourdissant, mettant au défi Loki de baisser les mains, de les plaquer sur ses oreilles pour épargner son ouïe sensible. Pourtant il tient bon jusqu'à ce que l'orage s'apaise. Quand il relève la tête, grimaçant de douleur, les yeux de Thor sont de nouveau presque les siens.
Thor, dont la voix ressemble non plus à un ouragan, mais bien plus à celle que Loki connaît, l'enjoint. "Loki. Va-t'en, je t'en prie. Il le faut. Tu ne comprends pas."
Loki a un rictus moqueur. Ces mots font partie de ceux qu'il hait le plus et si Thor était vraiment lui-même, il n'aurait jamais osé être aussi condescendant à son égard. Peu de choses échappent à la compréhension de Loki et cela le rend furieux que Thor s'imagine qu'il ne serait pas capable de trouver la solution à cette énigme.
"Vraiment," rétorque Loki en grondant, la voix basse, menaçante. Plus proche, il a juste à s'approcher plus près, il va jeter ses bras autour de son imbécile de frère, et le mettre plus bas que terre si c'est ce dont Thor a besoin -
- ce dont il a besoin -
Et soudain, Loki comprend, et la réalisation le frappe plus durement que la foudre, fait plus mal. Il tremble, ses jambes manquent de se dérober sous lui. Son cœur bat trop vite. Il réfléchit à toute allure. Il se demande s'il ne ferait pas mieux de s'enfuir, de disparaître.
Et ce qu'il a manqué se rassemble sous ses yeux comme une tapisserie tissée à la va-vite. Loki est de nouveau dans la chambre, voit où ils se trouvent, qui les entoure, et comprend, comprend ce qu'il avait manqué, ce qu'il n'avait pas saisi.
Thor avait raison. Pour une fois, Loki n'avait pas compris.
Et c'est désormais si clair dans son esprit, la réalisation si brutale que Loki veut crier, reculer. Mais s'il lâche prise maintenant, il sait qu'il n'aura jamais deux fois la même chance. Il inspire profondément et l'oxygène semble geler dans ses poumons.
La cause de tout ceci, de cette destruction exubérante, la raison pour laquelle le contrôle durement acquis de Thor a cédé après toutes ces années, n'aurait pu se réduire à une simple tentative d'assassinat sur sa personne.
Thor vit pour les embuscades, déjoue en riant les offensives. Il a déjà été la cible d'attaques de ce genre, et s'en est toujours sorti sans une égratignure, toujours plein d'histoires à raconter avec lesquelles il régalait son auditoire au banquet royal. Non. Une simple tentative de meurtre n'aurait pu susciter une telle réaction chez Thor.
Mais ils ont commis une terrible erreur. Ils ont tué le partenaire de Thor pour la soirée, et Thor n'a pas été capable de l'en empêcher. Ils ont poignardé le jeune homme, encore et encore, et Thor les a regardés faire, impuissant.
Il les a regardés jeter son corps élancé sur le sol, sa peau pâle déjà rendue blafarde par la mort, ses longs cheveux noirs dissimulant ses yeux vides.
Thor en a été témoin, et a voulu détruire le monde.
Loki tremble, il tremble pour la première fois depuis qu'il est tout petit.
"Idiot," s'exclame-t-il. "Crétin. Imbécile."
Il se parle aussi à lui-même.
Avant que Thor ne puisse l'arrêter, Loki entoure sa nuque de ses bras, et il se penche, il se penche et presse ses lèvres contre celles de Thor.
La tempête s'évanouit.
Loki n'est que trop conscient du gouffre béant dans lequel il les a précipités et, son objectif accompli, il bat en retraite. Il rompt leur baiser, juste leurs bouches posées l'une contre l'autre, leur chaste baiser, une raison si puérile pour vouloir plonger dans le chaos un quartier entier. Il tente de s'éloigner.
Mais Thor l'entoure de ses bras, ses bras injustement musclés et puissants, et il serre Loki contre lui comme un homme en train de se noyer s'accroche à une bouée de sauvetage.
"Loki," dit Thor.
"Laisse-moi partir," exige Loki, mais l'hésitation transparaît dans sa voix. "Thor, laisse-moi partir."
Mais Thor ne le laisse pas partir. Il penche la tête sur le côté, et ses lèvres trouvent celles de Loki. Il l'embrasse, avec une faim stupéfiante, dévorante, qui les choque tous les deux. Chacun, les yeux grands ouverts, regarde l'autre, incrédules.
Et pendant un instant, Loki s'abandonne.
Ils s'embrassent et c'est mal, horriblement, terriblement mal, c'est une erreur, la pire chose qu'ils aient jamais accomplie ensemble.
Mais c'est aussi tout ce qu'a toujours voulu Loki, ce qu'il s'est refusé d'aussi loin qu'il se souvienne. Cette envie, omniprésente, inexplicable, terrifiante, terrible, ce besoin qu'il éprouve pour son frère, l'a déformé, l'a défiguré il y a de cela bien longtemps.
Et pourtant, même dans ses rêves les plus fous, jamais il n'aurait imaginé que Thor ressentait lui aussi ce désir effroyable et contre-nature.
Que Thor choisissait pour passer la nuit des prostituées qui ressemblaient trait pour trait à Loki, comme si une passion si perfide pouvait être si facilement vaincue. Que pourtant Loki n'avait jamais rien remarqué jusqu'à aujourd'hui. Que Thor était capable de ravages et de ruines, sublimement désespéré, sauvage, et que le seul remède à son mal était que son frère le touche, son frère, la source même de son affliction.
Loki pense, pense, pense. Loki ne s'arrête jamais de penser.
Loki sait qu'il n'est pas un homme bien; quelque chose de pourri le ronge de l'intérieur; et pourtant même un homme bien meilleur que lui laisserait Thor l'embrasser, parce que Thor, Thor a le goût de l'éclair qui brûle et ravage, il a le goût de la pluie qui martèle la terre, tel un puissant désir, si féroce, si vorace, si terrifiant que lorsque relâché, il mettra aisément Asgard à genoux.
Et pendant un instant, Loki rend à Thor son baiser.
Il entrouve les lèvres, et Thor investit sa bouche de sa langue avide, victorieuse; Loki caresse la nuque de Thor, agrippe ses cheveux; leurs corps pressés l'un contre l'autre d'une telle façon que Loki, le souffle coupé, a une conscience aiguë de l'indéniable nature de ce qu'éprouve Thor, de son désir. Il n'y a pas d'erreur possible, alors son corps répond, et Loki en a envie, il en a tellement envie. Ce ne serait l'affaire que de quelques minutes pour qu'ils atteignent tous deux la jouissance.
Après tout, personne n'a besoin de le savoir -
Thor s'arrache brutalement de leur étreinte, titubant comme un homme ivre mort. Loki arrache une poignée de ses cheveux sans le vouloir, tellement son geste est violent.
Et il fusille son frère du regard, enragé, bien plus furieux que Thor ne l'était lorsque son pouvoir était encore incontrôlable, d'être ainsi désiré puis dénié.
Thor a la tête baissée, comme s'il ne peut supporter l'idée de croiser son regard. Il respire lourdement, difficilement, son torse musclé se soulevant et s'abaissant et se soulevant et s'abaissant, et on dirait qu'il n'y a pas assez d'oxygène dans la pièce pour lui permettre de vivre.
Loki retrouve son équilibre. Il vaut mieux que cela se passe de cette façon après tout.
Cela lui permet de voir le grand Thor, l'honorable, le chevaleresque Thor acculé, apeuré. Et c'est merveilleux. Et dire qu'il a passé des jours et des mois entiers, des années même à se demander comment mettre Thor plus bas que terre, alors que la solution pour le rendre complètement vulnérable se trouvait juste là, à sa portée, depuis le tout début.
Et peut-être que Loki va l'embrasser encore une fois, juste pour sentir Thor trembler contre lui. Thor, qui ne tremble jamais.
"Mon frère," chuchote Thor, un mot déchirant, rempli d'agonie. Il lève enfin la tête, croise le regard de Loki, et ses yeux sont presque noirs sous le dégoût de lui-même qui l'assaille.
Et soudain Loki perd de nouveau l'équilibre. Il a bien trop peur que le soit-disant honneur de Thor, dont il est si fier, le pousse à faire quelque chose d'impertinent, d'irrespectueux, d'irrévocable. Non. Non. Il ne l'embrassera pas de nouveau tout compte fait, pas pour tout l'or du monde, pas même pour un trône ni des couronnes.
Loki pince les lèvres en une mince ligne fine. Se force à l'impassibilité. "Si tu oses me demander pardon," énonce-t-il lentement, détachant chaque syllabe pour s'assurer que Thor l'entende distinctement, "Je te tuerai."
Le repentir catastrophique de Thor, sa honte et sa répulsion à l'idée d'avoir touché Loki ainsi, Loki n'a pas besoin de l'entendre, n'a pas besoin que Thor le lui avoue.
Thor comprend vite que ce n'est pas une menace prononcée à la légère. Il connaît suffisamment Loki pour le savoir. Il connaît trop bien Loki; il le connaît trop bien et pas du tout. Il déglutit. "Que puis-je dire alors ?" Thor a les épaules voûtées, comme abattu par un lourd fardeau invisible. "Dis-moi comment faire pour que les choses redeviennent comme avant. Loki. Je ne peux le supporter."
Et une satisfaction intense, brûlante, s'épanouit dans le cœur de Loki, de voir Thor si complètement défait. Car Thor est entièrement à sa merci, il le sait, et cette pensée le grise. Thor ferait n'importe quoi, tout ce que Loki lui dira. Il lui suffit d'un mot pour que Thor s'exécute, si désespéré qu'il est de trouver une solution qui pourra les faire revenir en arrière, qui pourra lui permettre d'effacer sa culpabilité.
Mais même Loki n'est pas un assez puissant sorcier pour détenir ce pouvoir, pour savoir les mots qu'il faut qui pourraient réparer ce qu'ils ont irrémédiablement brisé.
"Nous n'évoquerons plus jamais ce moment," finit par déclarer Loki, ne sachant que trop bien que cette sentence n'est qu'un fardeau plus lourd encore à supporter, maintenant qu'ils sont tous les deux conscients de leurs désirs.
Il regarde Thor une dernière fois, Thor, avec ses lèvres gonflées de leurs baisers, écarlates de leur honte partagée; et puis il tourne les talons. Et s'en va.
La troisième fois que la foudre prend possession de Thor, cela fait des années que Loki ne l'a pas vu.
Après cette nuit au lupanar, Thor partit en quête, une quête transformée en de nombreuses, nombreuses autres quêtes.
Il représentait un danger pour Asgard pour le moment, avait-il déclaré; il partirait chercher la réponse à son mal dans l'univers. Il avait prétendu ne pas connaître d'autres moyens pour payer pour ses crimes.
Odin, le visage marqué par la tristesse, avait acquiescé, admettant à contrecœur que c'était la meilleure marche à suivre. Seule Frigga, avait entendu Loki, avait supplié son fils de rester, qu'ils puissent ensemble trouver une solution à son mal.
Loki n'en avait eu part que bien plus tard, puisqu'il n'était pas présent à ce conseil de famille. Il était resté enfermé dans sa chambre, le regard dans le vague, jusqu'à ce que les rumeurs annoncent le départ de Thor. Et même après, bien après, il était resté à l'écart.
Et quand il avait fini par émerger de ses quartiers, il n'était plus en sécurité nulle part.
Son sanctuaire, la bibliothèque où il avait vécu ses jours les plus heureux, était hantée. C'est comme s'il pouvait encore voir Thor, avachi dans son fauteuil préféré, pouvait encore l'entendre jacasser sur des choses sans intérêt, lui posant des questions sans queue ni tête sur la magie juste pour l'embêter.
Est-ce que Thor éprouvait déjà ce besoin si dangereux à l'époque ? Le savait-il ? Avait-il reconnu la nature de ce besoin ? Nommé son désir ?
Était-ce la raison pour laquelle il s'était donné tant de mal pour retrouver le contrôle, étudiant avec un acharnement dont il n'avait jamais fait preuve jusque-là ?
Avait-il désiré Loki tandis qu'ils étaient assis côte à côte dans la bibliothèque, aux heures les plus sombres de la nuit ? Avait-il songé à faire l'impensable, prendre Loki ici et maintenant, alors que n'importe qui aurait pu les surprendre ? S'était-il imaginé la sensation qu'il éprouverait s'il allongeait Loki sur le bureau et -
Pendant des mois, Loki évita la bibliothèque. Mais le palais tout entier portait l'empreinte de Thor, dans ses moindres recoins; à chaque nouveau couloir les souvenirs l'assaillaient; et pendant un moment Loki se demanda s'il n'était pas préférable de partir lui aussi. Ce n'est que quand il fit part à sa mère de sa volonté et qu'il la vit pâlir affreusement qu'il décida de rester finalement.
Perdre ses deux fils à l'inconnu lui serait insupportable, comprit-il alors, et pour Frigga et seulement pour elle, il resta.
Ici, le grenier à foin à proximité des écuries, où pour la première fois ils avaient connu l'ivresse grâce de l'hydromel subtilisé à un banquet, où ils avaient ri, encore plein d'innocence. Là, les terrains d'entraînement où ils avaient combattu ensemble, des centaines, des milliers de fois, se tournant autour, chacun cherchant à prendre l'avantage, curieusement forcés à l'égalité malgré leur différence de stature. Ces terrains d'entraînement où Thor avait perdu pour la première fois le contrôle de ses pouvoirs et déchaîné l'orage, le tonnerre et la foudre, ne redevenant lui-même que par l'intervention miraculeuse de Loki.
Loki reste à Asgard, mais craint chaque jour de sombrer un peu plus dans la folie. Plus il cherche à reléguer son frère dans les recoins les plus sombres de son esprit, plus il tente de l'oublier, de le mépriser, de le haïr, plus son désir se fait lancinant, vif, irrépressible.
Et maintenant qu'il sait que Thor partage leur secret honteux, le fardeau que Loki doit supporter le tourmente plus, bien plus que lorsque ce secret était profondément enfoui en lui et qu'il était le seul à y répondre.
Un jour passe, un autre. Les heures se ressemblent. Il sourit à sa mère mais ses yeux restent froids, il grimace, mécontent, dès que son père a le dos tourné. Il écrit des lettres, reçoit des lettres. Combat des adversaires dont il ne se rappelle ni le nom ni le visage. Il étudie, devient plus puissant, plus redoutable, mais à quoi bon ?
Il se résout à manigancer des plans, des machinations, ce qu'il compte faire lorsqu'il trouvera la solution pour s'échapper de cette existence dénuée de sens. Ses pensées sont plus chaotiques qu'elles ne l'ont jamais été, son esprit dérangé, tout pour éviter de succomber à l'envie d'hurler qui se fait chaque jour de plus en plus pressante.
Et puis parfois, il n'en peut plus, alors il s'enfonce dans la forêt, tombe à genoux, et crie, crie, crie.
Les jours deviennent semaines, mois, années. Thor ne revient pas.
Et même s'il revenait, Loki ne sait comment il réagira : se jettera-t-il aux pieds de son frère ou le tuera-t-il au premier regard ? Peut-être que si Thor meurt, Loki sera délivré de cette malédiction qui les accable, connaîtra enfin le repos.
Il passe une dizaine d'années à songer à cette possibilité.
La troisième fois que cela arrive, Loki est en train d'affronter Volstagg dans une joute amicale.
Les compagnons de son frère ne l'apprécieront jamais beaucoup, mais quand ils sont avec Loki, ils peuvent prétendre, d'une certaine façon, être un peu plus proches de leur précieux Thor aux abonnés absents. Quand Loki est avec eux, il leur rappelle également, remuant le couteau dans la plaie, que Thor les a aussi abandonnés.
Volstagg esquive habilement un coup qui aurait pu lui causer grand tort, puis lui fait signe d'interrompre le combat. Loki fronce les sourcils, mécontent. L'adrénaline court encore dans ses veines, sa soif d'en découdre presque irrépressible; mais Volstagg lui désigne quelqu'un d'un geste du menton. Après s'être incliné respectueusement, il recule, laissant Loki seul face à Heimdall.
Et bien sûr que c'est Heimdall. Loki a toujours su qu'un jour ce serait lui qui lui donnerait des nouvelles de Thor; c'est justement la raison pour laquelle Loki l'évite comme la peste. Heimdall ne paraît pas s'en vexer. Loki sait bien que Heimdall ne lui fait pas confiance, et c'est bien pourquoi Heimdall est le deuxième homme le plus intelligent de tout Asgard.
Loki a toujours eu peur de ce que Heimdall avait pu voir - de ce qu'il voit aujourd'hui. Mais il refuse d'accorder à Heimdall la satisfaction de le voir effrayé.
"Je m'en moque," déclare-t-il avant que Heimdall ne puisse prendre la parole. Il serre étroitement les lacets de son gant droit, jusqu'à lui faire mal. Et la douleur l'apaise, le recentre; cela permet à Loki de ne pas céder à ses pulsions, de ne pas se jeter sur Heimdall et le secouer comme une poupée de chiffon jusqu'à ce qu'il avoue tout ce qu'il sait sur Thor. "Règle cette affaire avec mon père."
"Ton père ne peut l'aider," réplique Heimdall.
Et Loki a mal, a le souffle coupé, comme si Heimdall l'avait à la place pourfendu avec son épée des légendes.
"Je m'en moque," répète Loki, mais cela sonne toujours comme un mensonge, et pas un des plus convaincants avec ça. Son timbre est faible, son ton monotone, sa voix trop contrôlée.
Heimdall le fixe de ses yeux fantastiques. Où règnent l'angoisse et la souffrance. "Thor mourra," l'avertit-il.
Une dague fait son apparition dans la main de Loki. Non, deux dagues, une pour chaque main; il ne se souvient pas les avoir dégainées. Et il lui faut toute sa maîtrise de lui-même pour s'empêcher de trancher la gorge de Heimdall pour oser proférer des paroles aussi blasphématoires.
"Parle alors," ordonne Loki.
"Il y a eu il y a quelques mois de ça, dans un endroit lointain, une échauffourée dans une taverne," débute Heimdall et Loki se souvient soudain de toutes ces fois où lui et Thor s'asseyaient sur les genoux de cet homme, pour l'écouter raconter des histoires toutes plus merveilleuses les unes que les autres, des contes évoquant des mondes qu'il était le seul à voir. Loki se détourne.
Heimdall poursuit, "Thor s'est défendu, comme l'on peut se l'imaginer; mais un des hommes impliqués est décédé des suites de ses blessures. Thor a été jugé lors d'un procès et a été condamné."
Quelque chose qui ressemble à s'y méprendre à un rire se coince dans la gorge de Loki. "Tu es en train de me dire que mon frère va être exécuté pour une simple bagarre dans une taverne ?" Et il rit soudain; le danger ne semble pas si imminent après tout; un dieu qui aurait pu gouverner des galaxies entières condamné à mort pour son tempérament impétueux et ridicule lorsque noyé dans la boisson. C'est tellement pathétique que cela en deviendrait presque poétique.
Loki se sent mieux qu'il ne l'a été depuis des années. "Père n'a qu'à envoyer un ambassadeur dans ce cas. Sûrement -"
"Cela va plus loin que ça," le coupe Heimdall. "Thor a choisi de se résoudre à leur justice et de purger sa peine, quelle qu'elle soit. Je n'ai pu le convaincre d'en faire autrement." Loki lui tourne le dos, une bouffée de jalousie manquant de l'étouffer à l'idée de savoir que Heimdall a parlé avec Thor. "Leur sentence consistait en l'envoyer en exil sur une planète austère qu'ils utilisent comme prison. La terre est y stérile, mais elle s'étend à perte de vue; beaucoup sont condamnés à errer sans fin, sans jamais croiser personne. La nourriture suffit à peine à assurer la subsistance d'un homme, pour un temps limité, jusqu'à ce qu'il ne souhaite plus vivre plus longtemps de cette façon."
Un châtiment pour le moins étonnamment cruel. Loki admire malgré lui les choix de cette race éloignée. Il ne comprend toujours pas, en revanche, où veut en venir Heimdall avec toute cette histoire. Il hausse les épaules. "Si tu es si inquiet pour Thor, tu n'as qu'à le rapatrier. Le Bifrost -"
"Je ne peux le ramener à Asgard dans son état actuel," l'interrompt presque gentiment Heimdall. "Il n'est plus lui-même."
Loki a chaud tout à coup avant de se glacer d'effroi. "Que dis-tu ?"
"Il est ce qu'il a été par déjà deux fois," explique Heimdall, et cette fois c'est lui qui détourne la tête du regard brûlant que lui lance Loki. "Mon cœur est avec Thor, et craint pour lui, mais j'ai juré ma loyauté à Asgard. Je ne peux le ramener dans son état actuel, au cœur du Bifrost, et risquer notre anéantissement."
Loki demande, "Cela fait combien de temps ?"
"Plusieurs semaines se sont écoulées depuis son arrivée sur cette planète," répond Heimdall, "et il semble s'être accommodé de la solitude. Ce matin, à son réveil, quelque chose a changé. La foudre et la rage ont pris possession de lui, et je crains que si cela continue, elles signeront sa perte."
Loki est déjà en train de s'éloigner lorsque les dernières paroles de Heimdall se figent dans son cœur telles des échardes de glace.
"Loki -" Cela n'a pas dû être facile pour Heimdall d'aller le voir, lui, de demander à Loki son aide. Heimdall l'a toujours bien mieux percé à jour que les autres, a toujours vu plus que quiconque. Mais son affection pour Thor surpasse tout cela. Et la voix de Heimdall trahit sa détresse alors qu'il l'interpelle.
Mais pour une fois, Heimdall ne voit pas ce qui se joue devant lui. Car Loki se dirige déjà vers le Bifrost. Il fronce les sourcils et jette un regard mécontent à Heimdall par-dessus son épaule. "Va chercher ta foutue épée alors. Nous n'avons pas toute la journée."
Une fois dans l'Observatoire de Heimdall, ce dernier pose une main sur l'épaule de Loki d'un air approbateur, et Loki oublie de grimacer à son contact. Puis Heimdall utilise son épée pour activer le Bifrost et la lumière envahit Loki.
Il atterrit dans un monde qui a été choisi comme prison pour une raison. Le ciel est noir, avec pour seul éclairage le mince croissant d'une lune lointaine; il fait si sombre qu'on ne peut distinguer aucune étoile, si tant qu'il y ait des étoiles près d'ici. Des montagnes gigantesques et taillées en dent de scie sont érigées à perte de vue, et le peu de vie qui subsiste en ces lieux s'enfuit rapidement, avalé par l'obscurité, quand Loki arrive.
Il fait froid, vraiment très froid, mais le froid n'a jamais dérangé Loki. Le vent glacial le réconforte presque. C'est plus facile de rester là, enveloppé de ténèbres et de givre, que de lever la tête vers Thor qui, irradiant de lumière, se tient la tête entre les mains.
L'apparence de son frère devrait le rebuter. Loqueteux, couvert d'une épaisse couche de crasse à cause, sûrement, de longues nuits s'étirant à l'infini à dormir sur le sol gelé; il a perdu du poids, lui d'habitude vigoureux et resplendissant de santé, suite à des semaines de famine. Sa barbe est mal taillée, ses cheveux d'ordinaire soyeux, graisseux.
Mais pourtant Loki se gorge de cette vision. Il pourrait très bien rester là à contempler Thor comme ça jusqu'à ce que le temps lui-même touche à sa fin et que les étoiles passent en supernova.
Thor est incandescent. Alors qu'auparavant, lorsqu'il était ainsi, les éclairs le drapaient tel un manteau, il paraît à présent fait de foudre pure. Les éclairs ne l'enveloppent plus, au contraire, ils irradient de tout son être, de ses yeux, de ses oreilles, de sa bouche.
Et c'est comme si, sans pouvoir extérioriser son pouvoir par la violence et le chaos sur cette planète déserte, la formidable énergie de Thor s'est brutalement retournée contre son propre créateur et le dévore de l'intérieur. Il ne semble plus altéré par l'orage, changé par la tempête, mais paraît l'avoir accepté comme partie intégrante de son corps, sous sa peau, en lui-même. Il ne s'en prend à rien ni personne, demeure admirablement calme; sans exutoire, son pouvoir se retourne contre lui.
Heimdall a raison; bientôt il sera consumé de l'intérieur, et il ne restera plus de Thor que des cendres.
Et c'est, Loki songe, s'accordant une seule seconde de satisfaction, la réalisation concrète de l'état dans lequel il s'est senti pendant des années et des années.
Puis il va vers Thor, s'assied près de lui, juste assez près pour pouvoir le toucher, bien qu'il ne le fasse pas. Tout est calme, pas un bruit excepté le grondement du tonnerre au-dessus de leurs têtes, le crépitement de l'électricité qui couve sous la peau de son frère.
Thor ne semble pas du tout surpris de le voir. Il tourne à peine la tête, si accablé dans sa misère, sa douleur. Loki se demande ce qui a pu défaire son frère à ce point. Thor, qui rit face au danger, provocant et arrogant, n'aurait jamais été brisé par quelques jours passés dans une contrée inhospitalière.
Quand Thor lui adresse la parole, il sursaute. Cela fait un moment qu'ils sont assis l'un à côté de l'autre, en silence, un silence presque confortable, autrefois partagé sur les collines luxurieuses d'Asgard.
"Laisse-moi, ombre, je t'en prie," gronde Thor, les dents serrées. "Ce tourment est plus que ce que je peux supporter."
Loki penche la tête d'un air interrogateur, regarde son frère du coin de l'œil. Et il se rend soudain compte que Thor croit qu'il n'est pas vraiment là. Cela le laisse pensif. "J'en conclus que tu me vois souvent ?"
Thor rit sans joie, d'un rire horrible, brisé. "Ah, Loki," dit-il. "Comme j'aimerais que ce ne soit pas le cas."
Loki se fige. Les mots se dérobent sous sa langue.
Thor poursuit, "Le rêve que j'ai fait ce matin était terriblement cruel. Tu t'es ri de moi, disant que je mourrai ici; pire, tu m'as dit que jamais nous ne nous reverrons." Le tonnerre gronde, un craquement furieux, agonisant, qui déchire le ciel. Les éclairs qui se tapissent dans les veines de Thor augmentent en intensité, la lumière qu'ils émettent en devenant presque aveuglante, comme s'ils se nourrissaient de sa détresse. "Puis, à mon réveil, tu n'étais plus là, alors que ton ombre m'a été d'un certain réconfort depuis que je suis ici. Et je dois avouer que je suis heureux de te revoir; mais je me dois de te demander de t'en aller. Laisse-moi mourir sans l'ombre de tout ce que j'ai perdu."
"Un peu excessif, mon frère, comme discours d'adieu," commente Loki. "Même pour toi."
Thor lève la tête.
Et peut-être que ses hallucinations de Loki n'ont pas la langue si acérée. Thor, ses réflexes encore impossiblement vifs malgré son état actuel, agrippe le poignet de Loki d'un geste brusque.
Et quand sa main se referme sur la chair de son frère, lorsqu'il sent le rythme régulier de son pouls, Thor gémit. Et le regarde, bouche bée.
"Loki," halète-t-il, le souffle pantelant.
"Oui," dit simplement Loki, et sa réponse est valable pour tout.
Thor se jette sur Loki au même instant où Loki se jette sur Thor, et ils tombent à la renverse dans un entremêlement indistinct de bras et de jambes. Puis Thor est au-dessus de lui, Thor est sur lui, brûlant entre ses cuisses, et alors que Loki est étendu sur le sol gelé, il n'a jamais eu aussi chaud. Le corps de Thor qui le recouvre surpasse de loin la fourrure la plus luxueuse. Les éclairs qui courent sous sa peau pourraient très bien aussi enflammer Loki, cependant ce dernier n'a pas encore dit son dernier mot.
Et même là, même lorsqu'il est en mis en face de sa fin misérable et inévitable s'il n'agit pas, Thor hésite. Thor sera toujours un imbécile, insolent, arrogant, insupportable, mais c'est l'imbécile de Loki; il est à lui, sa mort appartient à Loki. Et Loki refuse qu'elle survienne aujourd'hui.
"Thor," appelle-t-il. Il s'accorde un moment pour réaliser ce qu'il a toujours rêvé de faire, et tend la main, replace une mèche des cheveux emmêlés de Thor derrière son oreille. C'est, assurément, le geste le plus tendre que Loki ait jamais accompli. "Permets-moi de te libérer une nouvelle fois de ce qui t'accable. Je suis certain, qu'une fois cela terminé, ce mal ne te troublera plus à l'avenir."
A cette idée, Thor paraît anéanti. "Si tu m'embrasses comme la dernière fois, je crains, Loki, de ne point pouvoir m'arrêter."
"Crétin," rétorque Loki, la voix pantelante, remplie d'affection. "Tout ce que l'on a vécu nous conduisait à ce moment."
Thor cligne des yeux plusieurs fois, ébahi. Ses yeux, submergés par la foudre, crépitants d'électricité. "Je ne t'aurai jamais forcé, Loki," déclare-t-il avec ferveur. "Jamais."
"Je sais," répond Loki, la voix brisée, parce que son cœur battant est actuellement coincé dans sa gorge et qu'il lui est difficile de parler. "C'est pourquoi je t'en fais don."
Il lève la tête avant que le courage ne l'abandonne, et scelle ses lèvres sur celles de Thor.
Thor laisse échapper un gémissement inarticulé, étouffé par la bouche de Loki. Au tout dernier moment, ayant enfin reçu la permission d'assouvir le désir qui le ronge, Thor est le désespoir incarné.
Il embrasse Loki encore et encore, encore et encore et encore, agrippe d'une main avide ses cheveux. Il baise ses joues, ses paupières fermées, son front, l'intime à lever le menton pour déposer ses lèvres le long de sa pomme d'Adam, sa gorge, le haut de ses clavicules. C'est comme s'il comptait dévorer Loki tout entier, jusqu'à ce qu'il ne reste plus rien de lui.
Et pendant de longues minutes, Loki ne peut que s'accrocher à Thor et se laisser être consumé, ravagé. La foudre et les éclairs se propagent dans son corps, mais avec chaque baiser pressé avec ferveur et passion contre sa peau, Loki libère un peu plus Thor, drainant son pouvoir qui se répand dans la terre.
Avec chaque baiser, son frère redevient un peu plus lui-même. Déjà ses yeux sont en train de perdre leur lueur surnaturelle, dangereuse. Mais ce n'est pas assez.
Loki doit tout avoir.
Il fait courir sa langue sur sa lèvre inférieure, soulève son bassin; juste un peu, mais c'est amplement suffisant. Thor frissonne de tout son être, abaisse ses hanches, frotte son excitation impossiblement dure contre la sienne.
Son frère a les pupilles totalement dilatées. Il se penche, lèche l'arrondi de l'oreille de Loki, qui laisse échapper un soupir tremblant malgré lui. Puis Thor murmure, doucement, comme un secret, comme si quelqu'un sur cette foutue planète abandonnée aux quatre vents pouvait les entendre : "Si seulement tu savais à quel point j'ai rêvé de toi, de toutes les choses que j'aimerais te faire."
"De me faire, vraiment," répète Loki, tentant de masquer par du sarcasme sa faim dévorante. Loki est vorace. Il est affamé.
"Et toi," demande Thor tout en lui mordillant le lobe d'oreille, "Dis-moi, Loki, dis-moi que c'est vrai : nous as-tu imaginés comme ça ?"
Avant même qu'ils soient assez âgés pour connaître les mots pour décrire ce qu'il ressentait. Avant même qu'il y ait des mots tout court.
A partir du moment où il a respiré pour la première fois et qu'il n'eût qu'à tendre la main pour atteindre Thor près de lui.
Comme Loki a pleuré lorsqu'ils sont devenus trop grands pour partager un lit, et le soulagement débordant qui l'avait submergé quand Thor se faufilait malgré tout la nuit dans sa chambre pour dormir à ses côtés.
Comme Thor a quitté son lit et n'est plus jamais retourné dans sa chambre, une fois qu'ils furent assez âgés pour connaître les mots qui dépeignaient ce qu'il convoitait. Et tandis qu'ils grandissaient et que Loki apprenait dans les nombreux livres qu'il n'était pas supposé trouver dans la bibliothèque comment s'appelait ce qu'il voulait, il ne se souvient pas d'un jour passé sans le désirer.
Le désirer lui, Thor, toujours Thor. Une affliction qui l'accablait, détestable, vicieuse, mais la sienne. La malédiction de Loki.
Il était ce qu'il n'aurait pas dû être, il le savait bien. C'était une erreur, c'était impossible que Thor soit son frère, que Thor soit la seule personne qu'il ait jamais envie de toucher, qu'il n'ait jamais eu envie d'être touché par un autre que lui, et que, pourtant, Thor soit la seule personne que Loki ne pourrait jamais avoir. Loki, pourtant adepte de magie noire et de malédictions, n'aurait jamais souhaité cette condition à personne.
Oh, comme Loki a imaginé. Ses fantasmes ont évolué, de la sensation des lèvres de Thor sur les siennes, à des visions brûlantes qui le laissaient immanquablement trempé de sueur, les draps défaits. Qui ont damné Loki.
Thor mettrait de côté l'hydromel subtilisé au banquet, alors qu'ils était en train de boire côte à côte dans le grenier à foin, roulerait Loki sur le sol, et le prendrait avec la même férocité que les animaux dans les écuries en-dessous d'eux. Thor le surpasserait lors d'une joute amicale et posséderait Loki devant tous ceux rassemblés sur les terrains d'entraînement, revendiquerait Loki comme récompense de sa victoire, arracherait leurs amures et le pénétrerait sauvagement alors que n'importe qui pourrait les voir. Thor l'allongerait gentiment, tendrement sur le bureau qu'ils partageaient à la bibliothèque, l'aguicherait, l'exciterait, le titillerait méticuleusement jusqu'à ce que Loki, n'en pouvant plus, le supplie de ne plus les laisser séparés une seconde de plus. Thor -
Thor, toujours Thor, toujours, toujours Thor.
"Une ou deux fois," répond Loki avec un sourire en coin, pour que Thor comprenne que ce n'est qu'un doux euphémisme.
Thor se penche, envahit joyeusement la bouche de Loki de sa langue, caresse son palais. La frénésie orageuse qui avait pris possession de son être s'est quelque peu apaisée, maintenant que Loki est près de lui, maintenant que Loki a accepté une fois pour toutes ce qu'ils sont et ce qu'ils doivent être. Thor a de nouveau les yeux presque bleus, le vent ne hurle plus dans ses cheveux. Mais ce n'est pas encore assez.
"Si tu me fais l'honneur de te posséder," déclare Thor, "Je resterai enfoui en toi et nous ne formerons plus qu'un pendant des jours entiers."
Loki s'embrase, enflammé par la perspective que son désir aux profondeurs insondables va enfin être rassasié, par le besoin irrépressible que manifeste Thor à son égard. Il n'arrive pas à croire qu'ils se sont refusé cet acte; qui leur vient de manière si naturelle maintenant qu'ils se sont mis d'accord. Ils n'ont jamais été aussi sereins, ne se sont jamais sentis autant en paix.
"Présompteux," le réprimande Loki, tentant de se distraire de son incertitude sur comment aborder la chose et entrer au plus vite dans le vif du sujet. Thor sourit et lèche avidement sa nuque, ses épaules, ses clavicules.
"Toujours avec toi," dit Thor, et cela sonne comme une promesse. Loki frissonne.
Loki a peur que son inexpérience - de corps, pas de pensée - fasse hésiter Thor. Si son frère essaie encore une fois d'interrompre ce qu'ils ont commencé, Loki n'y survivra pas. Thor n'y survivrait définitivement pas, Loki y veillerait. Il vaut mieux ne pas lui dire, décide finalement Loki.
Il s'assoit donc, repousse Thor d'un air autoritaire. Il agit avec une sorte de grâce hautaine, comme s'il s'était déjà déshabillé maintes et maintes fois devant de nombreux amants, amants fictifs dont il s'était amusé à conter les vertus devant Thor. Loki enlève sa tunique lascivement, se passe la main dans les cheveux. Réprime un sourire en voyant la manière dont Thor le regarde, dans un silence révérencieux, les yeux remplis d'émerveillement. C'est une affaire sérieuse, songe Loki, mais il sourit sans pouvoir s'en empêcher.
Il se retourne, jette la tunique sur le sol pour éviter que sa peau nue entre en contact avec le sol glacé, bien que le froid ne le dérange toujours pas. Puis il s'allonge, prend une inspiration pour se donner du courage, se gorge de la vision de Thor. Thor, qui a les yeux rivés sur sa peau dévoilée, le regard rempli d'adoration et de désir anticipé, comme si Loki était en train de lui révéler quelque chose d'infiniment précieux, au lieu du corps que son frère a vu nu d'innombrables fois pendant leur enfance.
Il soulève les hanches, libère ses jambes de ses chausses en cuir, et soudain Thor est là, à parsemer passionnément ses cuisses des baisers. Sa peau fine en portera la marque, il en est certain et Loki laisse échapper une exclamation de surprise tout en frissonnant de plaisir. Des nuages d'orage grondent dans les veines de Thor, et des décharges d'électricité se propagent là où il embrasse Loki. Quant à là où il le touche -
Thor prend le sexe de Loki en main et ce dernier se cambre comme un arc bandé. Il a tout à coup du mal à respirer alors qu'il tente d'étouffer des cris qui ressemblent fort à des suppliques. La main de Thor est large, sa poigne ferme, et elle lui semble familière, comme s'il avait déjà fait ça à Loki un millier de fois et plus encore; mais comment peut-il déjà savoir, exactement, comment Loki aime être caressé, cajolé ?
"Tu es tellement sublime," chuchote Thor contre sa peau. "Tellement puissant. Je t'ai tant de fois admiré, sous toutes les formes dont tu aimes te revêtir. Si beau dans chacune d'entre elles."
Loki se sent rougir, une traînée d'écarlate qui se répand de ses joues jusqu'à sa poitrine. Impatient, il enfonce un pied dans les côtes de Thor. "Cesse tes flatteries," dit-il. "J'ai vu ton charme à l'oeuvre tant de fois que tes piètres tentatives ne me font absolument rien. Et puis," et soudain Loki déglutit, la bouche sèche, "Je te l'ai déjà dit, tu peux -"
"Puis-je en effet." Thor s'assied sur ses talons et se débarrasse de ses guenilles avec une hâte telle que Loki se retrouve à respirer bien trop rapidement. Loki a toujours été fasciné par le corps de Thor, si vigoureux, si différent du sien; et même maintenant, recouvert de terre, de poussière et de crasse, sa peau imprégnée d'une puissante odeur de musc, même maintenant, avec la foudre qui bouillonne dans son sang et ses yeux qui irradient de lumière, rien n'est plus beau aux yeux de Loki que la vue de son frère qui le surplombe et attend son aval. "Puis-je, Loki."
"Je t'ai dit que -"
"Dis-le moi sans détour." Et soudain Thor se penche, emporté par l'urgence de les sentir enfin peau contre peau. Et Loki, éprouvant la sensation du sexe de Thor contre lui pour la première fois, son sexe si brûlant, épais, si dur contre sa cuisse que cela doit être douloureux, commence à s'inquiéter car Thor est ridiculement bien monté.
Quand Thor, le regard lourd de désir, se déplace, Loki pense pendant un instant totalement délirant qu'il va sans autre préambule écarter les jambes de Loki et le pénétrer violemment. Que Thor le prendra durement, sans préparation, sans prévenir, qu'ils ne formeront plus qu'un dans la saleté, sur ce sol gelé, et que cela fera mal, sûrement horriblement mal, Loki se sentira déchiré de l'intérieur, une douleur terrible transpercera ses entrailles. Loki n'a jamais désiré quelque chose aussi intensément de sa vie entière.
Mais Thor est en train de parler. Thor parle toujours aux moments inopportuns. "J'aimerais te l'entendre dire de vive voix."
Loki penche la tête, l'expression ombrageuse. "Va te faire foutre."
Et bien qu'il se retienne avec peine d'agir sous l'empire de son désir, ses bras puissants tremblants sous l'effort de rester immobile, Thor sourit. "Tu y étais presque," dit-il.
Thor ne retient pas la joie qui colore sa voix. Et de l'entendre fait vibrer une corde dans la poitrine de Loki dont il ne connaissait pas l'existence, qui l'empêche de faire ce qu'il aurait fait autrement, ce que son instinct le pousse à faire, à savoir frapper Thor au visage pour tant d'impertinence.
A la place, Loki ronronne, la voix délicieusement rauque, "Mon frère -" et oh, oui, c'est exactement ça.
Thor a les yeux qui s'assombrissent plus encore à ces mots, alors même que les éclairs ont presque déjà entièrement disparu de ces iris. Il crache dans sa main, l'enduit de salive et Loki le regarde attentivement faire, le regarde attentivement poser cette même main en bas, là où -
"Oh." Ils grognent ensemble l'exclamation de plaisir qui leur échappe simultanément, en si parfaite synchronisation que soudain les voilà qui rient tous les deux; mais aussitôt leurs rires se tarissent. Thor est en train de pénétrer Loki d'un doigt, et ce dernier ne peut s'empêcher de gémir d'inconfort, d'écarter plus largement les jambes pour faciliter l'intrusion. Rien que ce doigt énorme est déjà trop.
Loki a le cœur qui bat sourdement dans sa poitrine à chaque fois qu'il prend une nouvelle inspiration tremblante, et il sait, tout d'un coup, que même lui, spécialiste de la tromperie et expert en mensonges, ne saurait dissimuler la vérité à Thor en ces circonstances.
Thor a le regard fixé sur lui, le regarde bien trop intensément. L'incertitude empreigne ses traits lorsqu'il enfonce plus profondément son doigt et rencontre une forte résistance. Loki tente désespérément de ne pas s'effondrer, mais quand Thor ajoute un deuxième doigt au premier, il ne peut ravaler le sanglot qui le trahit.
"Loki," chuchote Thor, la voix terriblement basse, choqué. Sa voix se brise sur son nom comme les vagues écumantes se fracassent contre la digue. "T'es-tu préservé pour moi ?"
"Je - n-non," parvient à panteler Loki et soudain Thor bouge ses doigts, ses doigts en lui et la bouffée de plaisir qui le prend, inattendue, invincible, illumine jusqu'aux recoins les plus sombres de son esprit. "Ce n'était pas pour toi," reprend-il et il ment terriblement mal, alors il préfère fermer les yeux pour ne pas avoir à voir le visage de Thor. "Cela ne l'était pas, je - je -"
Thor l'embrasse avec une stupéfiante possessivité, si féroce, si indéfectible, qui incendie Loki jusqu'au plus profond de son être, que rien que ce baiser, songe-t-il, serait peut-être suffisant pour dissiper l'orage.
Et Loki a le souffle coupé. Thor plonge sa langue dans sa bouche, encore et encore, comme si s'embrasser consistait à conquérir l'ennemi, redoublant d'efforts pour le faire céder, le pénétrant de ses doigts avec une détermination terrifiante, une passion avide.
Et c'est trop, c'est beaucoup trop. Loki brise leur baiser, gémit, "Thor. Thor, je t'en prie," et à peine les mots se sont-ils échappés de ses lèvres que Thor enlève sa main, enduit son sexe de salive et soulève les hanches de Loki d'une poigne puissante. Il regarde Loki, une dernière fois, comme pour s'assurer que ce qu'ils sont en train de vivre est réel; Loki croise son regard, hoche la tête. Et Thor donne un coup de rein.
Le monde s'arrête de tourner. La vie elle-même s'éteint comme une bougie soufflée.
Loki, soudain perdu dans les ténèbres, plus que déstabilisé, croit en deviner un instant la raison. C'est parce qu'ils sont allés trop loin cette fois, qu'ils ont violé les lois de la nature les plus élémentaires et que celle-ci vient les punir de leurs péchés. Mais que Thor soit enfin en lui, que leurs corps soient enfin mêlés pour ne former plus qu'un, ce n'est pas mal, ce n'est pas mauvais, c'est impensable, non, c'est au contraire tout simplement parfait.
Puis Loki revient à lui, reprend conscience, conscience de son corps, du sol gelé contre lequel il est allongé, de Thor au-dessus de lui et en lui. Thor le pénètre plus profondément encore, et l'expression sur son visage, c'est comme s'il avait été brisé en morceaux, fragments recollés d'une telle manière qu'il porterait la marque de cet acte pour toujours.
Et soudain Loki comprit que, pendant quelques secondes, son cœur, qui tambourinait dans sa poitrine, s'est arrêté de battre, puis est reparti, électrocuté par les éclairs qui se déversent de Thor, par la foudre qui crépite sur sa peau et se répand sur tout ce qu'il touche. Puis le monde renaît, et la lumière fut.
Mais Thor, les lèvres entrouvertes, son souffle brûlant sur la nuque de Loki, n'en a pas eu conscience, aussi Loki décide-t-il de garder le secret pour lui.
Thor n'a pas besoin de savoir qu'au moment où il a fait Loki sien, ce dernier est mort et ressuscité. Son frère est déjà bien assez arrogant et insupportable comme ça. Loki n'en finirait jamais d'en entendre parler.
Non, à la place, Loki fait descendre sa main, plus bas, encore plus bas (il ne tremble pas, c'est faux), là où Thor et lui se rejoignent pour ne former plus qu'un. Il entoure de ses doigts le sexe de Thor - le sexe de Thor, à moitié enfoui en lui, et le guide jusqu'à ce qu'il soit enfoncé jusqu'à la garde. Il ne laissera certainement pas Thor retirer toute la gloire de leur étreinte. Il va recueillir lui aussi les fruits de ses efforts.
Et cela fait mal. Mal, comme tomber amoureux fait mal, comme une obsession qui vous ne lâche plus et vous étouffe à petit feu, comme apprendre que celui que vous aimez et que vous désirez vous aime et vous désire en retour et que pourtant la concrétisation de cette affection restera à jamais hors de portée. Cela fait mal parce que cela doit faire mal, et Loki accueille la douleur comme un amant sa maîtresse, il la savoure, la vénère, l'adore comme un trésor, car cette épreuve signifie qu'aucun retour en arrière n'est possible désormais.
Thor est en train de s'approprier son corps, Thor le prend comme aucun autre ne l'a pris, Thor le désire, Thor est son premier, et peu importe ce qui se passe dans le futur. Rien ne pourra défaire cet acte qu'ils accomplissent aujourd'hui.
Car ce qu'ils sont en train de faire - l'amour mêlé de haine, la guerre mêlée de désir, tout cela à la fois - ces secrets qu'eux seuls partagent, qui n'ont pas de noms sauf ceux qu'ils leur donnent, un langage de leur invention qu'ils sont les seuls à parler - ce qu'ils sont en train de faire, rien ne pourra jamais le remettre en cause. Ce qu'ils sont en train de faire est irrévocable. Et rien que ce moment les liera plus étroitement que le sang, les titres, les devoirs, les honneurs ne le feront jamais.
Loki gémit, sous le choc de se rendre compte des profondeurs de son propre désir qui l'embrase, désir qui n'est toujours pas satisfait en cet instant : le rythme de Thor est bien trop lent à son goût. Loki se cambre sur le sol, essaie d'inciter Thor à accélérer la cadence de ses va-et-vient. Il fait courir ses ongles sur le dos de Thor, griffe vicieusement sa peau et sent le sang s'écouler sur ses doigts; il enserre de ses jambes la taille de son frère, ses jambes dont les tremblements ne sont plus visibles, et le pousse à aller plus fort, plus vite. Il veut rappeler à Thor ce qu'ils sont tous les deux capables d'accomplir.
Mais Thor, l'expression dévastée, les yeux brillants, l'air subjugué, semble chérir chaque étape de sa progression. Thor, cet imbécile, s'enorgueille stupidement de sa retenue qu'il trouve sans aucun doute admirable.
Thor le regarde avec vénération, avec tendresse, comme si Loki était une jeune demoiselle fraîchement mariée s'apprêtant à être déflorée sur leur lit de noces. Comme si Loki était fragile, délicat, un trésor à manier avec précaution.
Loki rugit.
Il retire ses doigts du sexe de Thor, lève le bras, et fait ce que son instinct le poussait à accomplir quelques instants plus tôt : il frappe violemment Thor au visage, la tête de son frère pivotant sur le côté sous la puissance du coup. Et alors que ce dernier cligne des yeux, plus surpris que réellement blessé, Loki le frappe encore, cette fois avec son autre main, cette fois en serrant le poing.
Thor frémit, s'interrompt en plein mouvement, avortant son coup de rein, les muscles de ses bras bandés sous l'effort de ne pas s'enfoncer dans la chaleur brûlante qui l'enserre. "Loki," halète-t-il, la voix remplie de confusion, "qu'ai-je -"
Loki le frappe encore une fois, encore plus fort. "Tu n'as rien fait, justement," crache-t-il, outré au-delà des mots. "Tu agis comme si j'étais une petite chose fragile dont on doit prendre soin, après tout ce que nous avons vécu ensemble. Comme si je t'étais inférieur. Comme si tu pouvais me rendre tien sans effort, mais qu'à l'inverse moi, je ne serais jamais capable de te rendre mien." Et il lève la main pour lui asséner un nouveau coup. Il veut éclater la lèvre de Thor, qu'il saigne pour l'insulte qu'il profère par ses gestes.
Aussi vif que - aussi vif que l'éclair qui parcourt encore ses veines, Thor agrippe les poignets de Loki avant qu'il ne s'exécute. Ses doigts tels des menottes lui enserrant les poignets, il plaque les mains de Loki au-dessus de sa tête. Thor a le souffle court sous l'effort d'immobiliser Loki, et ne peut s'empêcher de gémir lorsque, pris par l'élan, il pénètre Loki plus profondément encore dans cette nouvelle position.
"Non," réfute Thor. Ses yeux sont de nouveau entièrement les siens : ils ne cillent pas et brillent avec ferveur, le regard assuré et sûr de lui. "Non, ce n'était pas mon intention. Je sais pertinemment que tu es mon égal, mon frère. Je sais que toi seul l'es."
Un frisson embrase le corps de Loki à ces mots, de victoire mêlé de besoin enfin exprimé au grand jour. Il teste la solidité de l'emprise de Thor sur ses poignets, sait qu'il peut se libérer s'il le souhaite véritablement, mais n'en fait rien.
"Prouve-le," ordonne-t-il à la place en montrant les dents.
Puisque son regard est rivé sur son frère, il voit l'exact moment où Thor se décide à accéder à sa demande. L'expression déterminée, résolue. Puis Thor le surplombe de toute sa hauteur, le domine de toute sa force, et transperce Loki d'un puissant coup de rein. Loki refuse de gémir, aussi c'est finalement sa lèvre qui se met à saigner alors qu'il la mord violemment pour empêcher sa voix de le trahir.
Et c'est au tour de Thor de savourer son triomphe. Il se retire, avant de s'enfoncer à nouveau brutalement en lui, avec toute la férocité que Loki sait dissimulée dans ses muscles, cette bestialité qu'il tentait stupidement de refréner. Mais maintenant, il cède, il donne à Loki tout ce qu'il est, tout ce qu'il a.
Et enfin, voilà le moment arrivé : Thor succombe de nouveau à la rage, déverse sa fureur dans le corps de Loki, toute cette colère et ce désir et ce besoin vicieux et virulent, ce besoin pressant qui ne demandait qu'à être relâché dès qu'ils furent assez âgés pour en comprendre l'origine.
Il baise Loki non pas avec abandon mais avec une détermination sauvage, terrifiante. Et Loki enserre la taille de Thor de ses jambes, resserre son étreinte, les poignets toujours emprisonnés par Thor. Loki rejette la tête en arrière, se cambre et s'en délecte.
Car c'est bon. C'est tellement, tellement bon. Non. Non, ce n'est pas le bon mot. Bon est un terme trop faible, trop insignifiant, qui ne peut suffire pour englober l'avalanche de sensations qui l'assaillent. Bon, c'est un mot réservé aux copulations médiocres de pauvres mortels. Bon ne peut les atteindre.
Alors Loki pense à d'autres mots.
C'est brutal, la façon qu'a Thor de le l'étreindre et de le baiser, encore et encore et encore, comme s'il avait l'intention de continuer pour l'éternité, de ne plus jamais s'arrêter. Peut-être que c'est le cas. Peut-être ne peut-il tout simplement plus s'arrêter désormais.
C'est violent, les traînées de sang qui s'écoulent du dos de Thor là où les ongles de Loki ont griffé cruellement sa peau, comment, malgré ses mains emprisonnées, ses lèvres et ses dents marquent Thor comme sien alors que Thor fait de même avec lui.
C'est exceptionnel, et Loki ne peut s'empêcher de se cambrer de pur plaisir, son corps plus qu'un amas de nerfs à vif, ses muscles se contractant par spasmes. Les courants électriques qui se propagent le long de sa colonne vertébrale n'ont comme unique source que le sexe de Thor en lui, nul besoin de magie ici.
C'est dangereux, car Loki vacille entre douleur et plaisir, et c'est presque trop, son être tout entier possédé par Thor, rien que Thor. Et cela dépasse toutes les épreuves qu'il a un jour traversées, cela dépasse l'entendement. Et parfois, il se demande si Thor ne va pas le déchirer en deux avec certains coups de reins, mais cela lui suffit amplement de savoir que, si cela advient, il lacérera Thor de l'intérieur et Thor en gardera à jamais les cicatrices.
C'est tendre, car même au milieu de leur étreinte animale et impitoyable, Thor prend le temps de poser avec douceur ses lèvres sur le front trempé de sueur de Loki, de le regarder dans les yeux, pour que Loki sache où ils sont, qui ils sont, que ce n'est pas une erreur, et les yeux de Thor, remplis d'émerveillement, en témoignent comme aucun mot ne pourrait le faire. C'est tendre car Loki, levant le menton, cherche la bouche de Thor et l'embrasse avec délicatesse. Oh, comment il a imaginé mouvoir leurs lèvres l'une contre l'autre, son premier fantasme ouvrant la voie à beaucoup d'autres, sa première fantaisie qui impliquait son frère, quand ils étaient jeunes et naïfs, les yeux pleins de rêves et le monde regorgeant de possibilités.
Mais plus que tout, c'est un rituel sacré, le creuset de toutes leurs passions. C'est le défi le plus dur qu'ils aient jamais relevé, une épreuve où ils dépassent toutes les limites, où ils transcendent leurs formes, leurs esprits. Une forge incandescente où ils se fondent l'un l'autre et mélangent leurs essences pour se métamorphoser en quelque chose d'entièrement nouveau, une véritable naissance. Un instant (ou des heures ou bien, songe Loki, peut-être que cela fait déjà des jours, qu'il s'est déjà passé des siècles entiers tandis que Thor s'acharne en lui et que Loki accueille sa férocité et prend tout ce qu'il lui donne) - c'est un instant qui marque le début d'une autre vie, car rien ne sera plus jamais pareil et tout sera impossiblement différent.
Loki le savait bien, qu'il n'y aurait aucun moyen de remettre en cause ce qu'ils sont en train d'accomplir, si d'aventure ils souhaitaient une telle chose.
Non, jamais ils ne pourraient nier ou même oublier la sensation de leurs corps qui fusionnent avec facilité et agonie, combien ils vont bien ensemble : leurs moitiés mutilées finalement réunies. Jamais ils ne pourront oublier la souffrance de savoir qu'ils ne peuvent rester ainsi, qu'ils seront dans l'obligation d'être à nouveau séparés après avoir connu cette absolution bénie.
Ils ne peuvent ignorer en aucune façon la preuve qu'ils sont faits l'un pour l'autre, dans leurs cœurs, leurs corps, leurs âmes. Personne d'autre dans les Neuf Royaumes ne peut les remplacer, personne ne pourrait jouer leur rôle dans cet acte sacré.
Le rythme bestial de Thor, ses va-et-vient incessants, profonds, implacables, son sexe qui l'envahit encore et encore, ses mains qui enchaînent au sol celles de Loki : n'importe qui d'autre aurait cédé depuis longtemps, se serait brisé sous cet assaut, n'importe qui sauf Loki, qui au contraire jubile.
La volonté féroce de Loki de rendre à Thor coup de rein sur coup de rein, sa soif inextinguible de plus, encore plus, toujours plus, plus, plus, ses jambes qui enserrent Thor pour le garder le plus longtemps possible avec lui, en lui, son ancre, l'ancre dont il a toujours eu besoin : n'importe qui d'autre aurait été dévoré depuis longtemps, aurait été consumé par son désir insatiable, n'importe qui sauf Thor, qui au contraire s'en réjouit.
Non, aucun retour en arrière n'est permis. Ils n'ont d'autre choix que d'avancer. Depuis un moment, seuls des soupirs, des grognements, des gémissements, des jurons à moitié inarticulés se font entendre, car la tâche qui les occupe ne leur permet guère l'expression de pensées intelligibles; mais leurs yeux, rivés l'un à l'autre, communiquent et Loki sait qu'ils se comprennent sans besoin de mots. C'est, il le sait à présent, l'unique instant de leurs vies où ils seront ainsi en complète harmonie, en fusion totale, car même s'ils s'adonnaient une nouvelle fois à ce genre de plaisir à l'avenir - quand ils s'y adonneront - rien ne saurait être comparable à ce moment.
Jamais plus Loki ne sera vierge et son corps inexploré, jamais plus Thor n'aura besoin de lui pour drainer la foudre qui s'est emparée de ses sens. Ce qui a un jour été une envie fiévreuse, un désir honteux, soigneusement dissimulé, caché avec précaution, est maintenant gravé dans leur chair, et c'est mieux pour eux deux, Loki s'en rend bien compte, mieux que tout ce qu'ils auraient pu imaginer; mieux et infiniment pire. Car s'ils souhaitaient exorciser ce mal pour ne plus y succomber, tirer un trait sur cette tentation, ils ont foncièrement échoué. Et les voilà qui doivent à présent vivre séparés, alors qu'ils savent ce que c'est d'être entier, qu'ils ont goûté à cette sensation d'être complet, et qu'ils doivent pourtant y renoncer.
Ce n'est pas leur procès qui se déroule, car cette sentence est déjà bien trop lourde à supporter, songe Loki.
"Reviens-moi," murmure Thor, semblant deviner le tumulte de ses pensées qui s'agitent. "Je ne peux supporter l'idée que tu sois loin de moi."
Loki se retrouve sans voix. Alors, au lieu de parler, il embrasse Thor, le distrayant suffisamment longtemps pour libérer une de ses mains. L'autre reste fermement immobilisée par la poigne de Thor, son bras étiré au-dessus de sa tête, mais cela ne fait rien, car sa main libre en profite pour agripper farouchement les cheveux d'or de son frère.
Loki frissonne lorsque ce geste fait accélérer Thor dans un grognement sauvage; puis il empoigne violemment ses cheveux et Thor, forcé de rompre leur baiser, rejette la tête en arrière et gémit sourdement dans la bouche de Loki.
Thor a également une main inoccupée désormais, et touche avec délectation le corps de son frère - traçant du bout des doigts ses tétons, griffant légèrement son ventre, effleurant la peau sensible de ses hanches jusqu'à, finalement, se refermer sur le sexe en érection de Loki d'une main sûre, complice. Thor le caresse une fois, deux fois, encore, et puis la quatrième fois, il pénètre Loki profondément, embrasant ses nerfs. Son timing est exceptionnel et Loki soupire : "Oui."
Et ce mot est peut-être le seul que Loki puisse prononcer dans son état. Aussi, tandis que Thor redouble d'efforts, Loki répète. "Oui." La main de Thor emprisonnant son érection douloureuse ; le sexe de Thor brûlant qui s'insinue en lui encore et encore; Loki ravagé par un incendie dévastateur qui exalte ses sens. "Oui. Oui."
La chaleur qui émane de Thor, les derniers vestiges de la foudre qui l'assaille, voilà qu'elle s'engouffre aussi dans Loki et il tente avec peine de la dissiper, étourdi par leurs ébats passionnés. Et pendant une seconde, une minute peut-être ou bien une heure, des éclairs crépitent sous la peau de Loki, ces éclairs qu'il sent parcourir son être tout entier; et il penserait que cela serait douloureux, mais il n'en est rien. Cela ne fait pas mal, non. Au contraire. C'est un pouvoir magnifique, sublime, que détient Loki en ce bref instant, qui envahit son corps, un pouvoir qui pourrait mener à leur perte des empires millénaires, qui pourrait mettre n'importe qui, même Odin, à genoux.
Loki se souvient alors de cette admiration abjecte qu'il a déjà ressentie par deux fois, lorsqu'il s'est rendu compte du chaos et de la dévastation que pouvait causer Thor sans efforts. Et il se demande vaguement s'il devrait vraiment drainer l'orage de Thor après tout. Ne serait-il pas mieux de laisser une petite graine de cette puissance capable de tout dans son corps, prête à grandir en temps voulu - lorsque les circonstances le justifieront cette fois, lorsque Loki le décidera.
Thor avait été l'esclave de la tempête à cause de lui : n'était-ce pas naturel que Loki en soit le maître et choisisse où frappe la foudre ?
Avant qu'il ne puisse approfondir cette pensée, Thor accélère encore le rythme de ses va-et-vient, impitoyable. Il n'y a bientôt plus de place dans l'esprit de Loki pour se concentrer sur autre chose : que les coups de reins de Thor, sa main caressant son sexe avec un savoir-faire inégalable, en haut-en bas-en haut, son autre main enserrant d'une poigne de fer les poignets de Loki et lui faisant délicieusement mal. C'est comme si Thor a deviné ce à quoi Loki songeait et qu'il souhaite bannir toute possibilité d'y réfléchir plus longuement.
"Mon frère," halète Thor. "Je veux te voir atteindre l'extase."
Et maintenant Loki ne peut plus détourner les yeux, ne peut penser à autre chose qui n'est pas Thor en lui, autour de lui, le poids de son corps à la peau dorée par le soleil sur le sien, son regard qui le tient sous son joug, sublime et insondable tels les océans.
Loki ouvre la bouche, pour acquiescer ou s'insurger, il ne le sait pas lui-même; les mots sont trop difficiles à prononcer présentement, requièrent trop de concentration; Loki n'a conscience de ce qu'il dit qu'au moment où les mots s'échappent de ses lèvres, "Ensemble."
Il ne donnera pas à Thor la satisfaction de le voir ainsi défait, sans défense, réduit à son état le plus vulnérable, sans qu'on lui retourne la faveur. Cette conquête, cette gloire, cette victoire, c'est la leur, elle leur appartient à tous les deux. Le butin se doit donc d'être partagé équitablement.
Loki ne doute pas un seul instant que Thor, s'il avait l'opportunité de plaider sa cause, suggérerait une absurdité telle que vouloir que Loki trouve son plaisir avant de prendre le sien, mais Loki refuse d'en entendre parler. Il ne veut pas de cette galanterie de bas étage.
"Ensemble," renchérit-il, "ou pas du tout."
A ces mots, Thor parvient à commettre l'exploit de paraître à la fois bouleversé et déterminé. Son rythme ne décélère pas, que ce soient ses coups de reins ou les caresses de sa main sur le sexe de Loki. Non, au contraire, il va encore plus vite, un sentiment d'urgence se dégageant de chacun de ses gestes. Thor les emmène jusqu'au bord de la jouissance et Loki ne peut rien faire d'autre que d'étreindre son frère férocement, leurs membres étroitement liés, leurs respirations entremêlées. Contractant sciemment tous ses muscles, Loki cherche à leur faire connaître l'extase.
"Tes désirs sont des ordres," promet Thor, leurs fronts pressés l'un contre l'autre, son regard plongé dans celui de Loki. La vue de ces yeux bleus qui ne quittent pas les siens fait frissonner Loki si intensément qu'il cède et s'abandonne : il se cambre contre Thor et crie si fort que tous les prisonniers exilés sur cette foutue planète sont obligés de l'entendre, de regarder autour d'eux avec envie et terreur; puis il se répand dans la main de Thor, sur leurs peaux collées l'une à l'autre, le liquide brûlant et visqueux se mêlant à la sueur de leurs ébats, il se répand, répand.
La jouissance lui vient si soudainement, son orgasme si puissant, que Loki en oublie presque de garder les yeux ouverts, de regarder Thor jouir avec lui comme il lui a ordonné; mais à la dernière minute, il s'en souvient. Il ne peut pas oublier, pas quand le hurlement de Thor fait trembler la terre tout autour d'eux, que les nuages noirs passent à toute vitesse dans le ciel et que le tonnerre gronde. Il jouit, délivre à Loki sa semence et les derniers vestiges de sa foudre.
Foudre qui étend sa toile d'électricité statique dans le corps de Loki, stimulant ses nerfs déjà à vif et Loki, submergé, en a le souffle coupé, avant d'éjaculer une nouvelle fois, chose qu'il ne croyait pas possible. Et c'est bien pratique, songe Loki, hébété par l'extase qui enflamme ses sens, alors qu'il s'agrippe à Thor encore en lui, le griffant tandis qu'il subit les assauts de ce contrecoup inattendu.
Puis Loki libère la foudre et les éclairs, aussitôt avalés par le sol. Il réalise avec un temps de retard que Thor est en train de l'appeler au milieu de baisers suppliants, comme s'il tentait de ramener Loki auprès de lui.
Et Loki se rend compte qu'en effet, son esprit était à des milliers de kilomètres d'ici, son regard dans le vague. Il lève les yeux, fixe le visage de Thor, qui semble avoir été témoin des secrets de l'univers, secrets arrachés à lui avant qu'il ne puisse en profiter pleinement. Loki sait exactement ce qu'il ressent.
"Pas mal pour un premier essai," commente Thor avec optimisme, la voix un peu tremblante, tentant d'alléger l'atmosphère mais n'y parvenant pas vraiment. Quand il commence à rire nerveusement Loki rit à son tour, et ils rient ensemble, leurs corps toujours mêlés l'un à l'autre, au bord de l'hystérie.
"Bouge," dit Loki au bout d'un moment en poussant Thor d'une main lasse, peu convaincante. "Tu m'écrases."
"Accorde-moi encore rien qu'un instant." Et Thor finit comme il a commencé, embrassant les cheveux de Loki, ses joues, les vallées de sa gorge, faisant courir sa langue sur la peau sensible juste derrière l'oreille.
Puis il réclame la bouche de Loki et ce dernier, les mains de nouveau libres, oublie de prétendre être irrité. Il noue ses bras autour de la nuque de Thor pour qu'il s'approche encore plus près, et ils s'embrassent pendant longtemps ; des saisons entières peut-être sont passées dans un autre monde depuis que leurs lèvres se sont trouvées, mais Loki s'en moque éperdument.
Pourtant, malgré tout, même des corps aussi puissants que les leurs sont en proie à la fatigue. Thor doit le quitter, bien que leurs expressions, reflet l'une de l'autre comme dans un miroir, en disent long sur la souffrance de leur séparation. Loki, perdu soudain, reste allongé sur le sol, immobile, jusqu'à ce qu'il coupe d'une main sèche son frère, qui s'était mis en tête de couvrir galamment sa nudité avec les restes de leurs vêtements en lambeaux.
"Le froid vivifie l'esprit," lui indique Loki, honnête pour une fois, et même si son frère ne semble pas le croire, il hausse les épaules et lâche l'affaire. Finalement, c'est Thor qui commence à frissonner et à claquer des dents. Avec un soupir impatient, Loki le force à se rallonger, le serre contre lui et lui permet de se nourrir de sa chaleur corporelle.
Thor lève timidement la main et dégage gentiment le front de Loki de ses cheveux noirs trempés de sueur. Mais il agit avec hésitation, comme s'il ne savait pas si son contact serait le bienvenu, comme s'il n'avait pas fait l'amour à Loki jusqu'à l'emmener jusqu'aux portes du Valhalla avant de le ramener près de lui.
Thor demande doucement, "Est-ce parti désormais ? Je ne le sens plus."
"Tu parles de l'orage ?" Loki réfléchit. Plus de trace de la moindre étincelle d'électricité, du moindre petit éclair. Thor paraît complètement guéri. Il est entièrement de nouveau lui-même, son cher frère, avec son insupportable entêtement à n'en faire qu'à sa tête, sa bonne volonté inutile et cette adoration agaçante dans ses yeux quand il regarde Loki, que Loki ne trouve pas si agaçante que ça tout compte fait, du moins pour l'instant. "Je pense que oui. Tu me désirais, et puisque tu ne pouvais m'obtenir, tu as perdu le contrôle; maintenant que tu m'as possédé, je ne vois pas pourquoi cela devrait revenir."
Thor se relève légèrement sur un coude pour mieux observer le visage de Loki. "Et si l'on me refuse de nouveau tes faveurs, mon frère ?"
Loki déglutit. Il aimerait tourner la tête, mais ne le fait pas. "Je ne puis imaginer une raison qui le justifierait."
Le sourire de Thor est doux, chaud, lumineux de leur secret partagé. "Je te ferai l'amour chaque nuit, Loki," assure-t-il. "Et deux fois l'aube venue. Je n'aime que toi."
Loki ferme les yeux. Le froid dans l'air lui permet de garder l'esprit clair, de ne pas perdre la raison comme Thor.
Il sait qu'il devrait répondre par le sarcasme ou l'ironie; il sait que sa répartie suffirait à couper l'élan de Thor à la racine; oui, voilà ce qu'il devrait dire, sans attendre une minute de plus, "Nous sommes fous, et nous avons cédé à la folie par nécessité. Mais tu es l'héritier du royaume d'Asgard, tu vas être couronné roi, ce que tu veux, tu ne pourras jamais l'avoir; il faut que tu oublies nos actes, que tu oublies ce que nous avons découvert sur nous."
Et pendant un instant atroce, Loki, la gorge serrée, envisage effacer ce qu'il vient de se passer de la mémoire de Thor. Qu'il n'en ait aucun souvenir. C'est la marche à suivre la plus raisonnable, la plus censée, la meilleure.
Loki ouvre les yeux. "Nous ferons ce que nous pourrons," dit-il.
Thor l'embrasse comme si cela suffisait à le rassurer, serre Loki contre lui. Pendant un moment, ils regardent en silence le ciel d'un noir impénétrable, tentant d'y discerner les étoiles.
Loki pense, pense, pense.
Dans une vie où il n'a jamais obtenu ce qu'il désirait, où il a toujours été relégué second en tout, celui de rechange, celui bizarre, étrange, il refuse d'abandonner ce qu'il veut depuis toujours. Il n'est pas assez fort pour ça, pas assez altruiste.
Si Thor était à sa place, s'il avait les pouvoirs de Loki à sa disposition, nul doute qu'il ferait la chose à faire sans se poser de questions : pour leur salut à tous les deux, pour le bien du royaume, il libérerait Loki de ce fardeau, le libérerait du souvenir de leur disgrâce et de leur extase passagère.
Thor voudrait porter ce poids seul, épargner Loki, et c'est précisément parce que Thor le ferait que Loki ne le fait pas.
Si peu de choses appartiennent à Loki et à lui seul, murmure une voix dans son esprit, mais Thor en fait partie.
Loki sait qu'il n'est pas un homme bien; et il faudrait un esprit de sacrifice si important, il faudrait être un saint et martyre pour renoncer à Thor maintenant qu'il lui appartient. Un saint ou bien quelqu'un sans sentiments ni passion; et si Loki sait qu'il n'est pas un homme bien, il n'est toutefois certainement pas insensible.
Tous les recoins de son âme sont guidés par ses émotions versatiles, et pourtant, pour la majeure partie de sa vie, il n'a désiré que Thor aussi intensément. Existe-t-il une personne dans l'univers, homme, femme, dieu ou déesse, à part Thor, qui préférerait abandonner ce que souhaite son cœur alors que ce qu'elle veut est enfin à portée ? Abandonner son vœu le plus cher pour quelque chose d'aussi futile que l'honneur ?
Loki, lui, sait quel est son choix en de telles circonstances. Aussi se permet-il de passer tendrement ses doigts dans la chevelure emmêlée de Thor, défaisant les nœuds. Thor ronronne presque sous l'attention et se calme peu à peu, la tension quittant son corps; après quelques minutes, il se met à rire.
"Hmm ?" demande Loki d'un air distrait.
"J'étais en train de penser que cela faisait bien longtemps que je n'avais pas pris un bain, et que j'étais désolé de t'avoir sali, bien que je ne le sois pas tant que ça," explique Thor.
Loki plisse le nez. "J'essayais avec plus ou moins de succès de ne pas y penser."
Thor penche la tête. "Je nettoierai chaque recoin de ton corps avec ma langue si tu me laissais faire, mon frère," déclare-t-il.
Loki ravale sa réaction instinctive à une telle proposition, un frisson qui fait trembler tout son corps, et s'occupe d'un nœud particulièrement récalcitrant pour reprendre contenance. "Je pense qu'un bain suffira, merci."
"Comme tu veux," répond Thor. Il a l'air déçu. Puis il se remet à rire.
"Je ne vois vraiment pas ce qu'il y a de drôle," réplique Loki d'un ton sec, même si cela fait du bien de savoir que Thor ne paraît pas écrasé sous le poids de leur péché. Bien qu'il ne se l'avouera jamais, Loki a peur, peur qu'à tout moment Thor réalise la gravité de leur transgression et rampe à ses pieds d'une manière outrageusement pathétique en le suppliant de lui pardonner. Loki ne veut pas de ses excuses, Loki le frappera sans hésiter au visage s'il tente quoi que ce soit de ce genre.
Mais Thor est en train de dire, "Il me vient à l'esprit tout à coup que Heimdall a dû être témoin d'un bien étrange spectacle."
Loki fronce les sourcils. "Ravi que tu trouves le sujet si amusant. Il pourrait nous mener à notre perte d'un seul mot à Père et Mère."
"Il n'en fera rien," rétorque nonchalamment Thor d'un air désinvolte. "Je le connais bien, et il n'en fera rien, j'en suis certain. Et puis, n'est-ce pas lui qui t'a envoyé ici en premier lieu ?"
"Je suis venu ici parce que j'en ai décidé ainsi," le coupe sèchement Loki.
"Oh, de cela je n'en ai jamais douté," poursuit Thor, toujours aussi calme et cela commence sérieusement à irriter Loki. "Personne n'a jamais réussi à te convaincre de faire quelque chose dont tu n'avais pas envie, mon très cher Loki. Pas même moi."
Loki se retient de justesse d'arracher les cheveux emmêlés restants et d'en finir une fois pour toutes. "Je ne suis pas à toi," proteste-t-il, mais sa voix reste douce malgré ses efforts, dénuée de son piquant habituel.
Thor le regarde. Il ne fait rien d'autre que juste le regarder. Il ne s'énerve pas, ne se plaint pas, n'essaie pas de le câliner, de le persuader du contraire. Il fixe simplement Loki et Loki lui rend son regard. Chacun attend que l'autre détourne les yeux en premier, mais les deux refusent de céder.
"Vraiment ?" demande Thor, lentement, prudemment, défiant Loki de le nier une nouvelle fois.
Loki veut marteler ce stupide visage magnifique de ses poings, le lacérer de ses griffes qu'il créera spécialement pour l'occasion. Il veut invoquer un maelström de magie si intense que Thor se retrouvera projeté loin d'ici, valsera dans les airs comme Loki dans cette chambre aux murs calcinés il y a de ça bien longtemps.
Il veut se fondre dans l'étreinte de Thor, l'embrasser, que la langue de Thor soit plongée si profondément dans sa bouche que Thor ne pourrait jamais goûter à rien d'autre que Loki.
"Cela," parvient finalement à bredouiller Loki, lui qui ne cherche jamais ses mots, "cela reste à voir."
"Ah," s'exclame Thor, se penchant en avant comme s'il n'était parvenu à ses oreilles que les dernières pensées de Loki. L'air content de lui, il sourit. "Alors je me dois de relever de nouveaux défis si je veux conserver tes faveurs. Cela me sied à merveille et je suis transporté de joie de l'apprendre. Je suis prêt à remporter toutes les épreuves que tu placeras sur mon chemin, mon frère. Je me montrerai digne de toi."
"Je te déteste tellement," chuchote Loki, et il le pense tout en pensant son contraire. Mais Thor avale les mots qui s'échappent de ses lèvres tandis qu'il pose sa bouche sur la sienne, et soudain Loki n'est plus certain de les avoir un jour déjà prononcés.
Si Heimdall sait quelque chose, il ne dit jamais rien.
Il les accueille une fois arrivés au Bifrost, étreigne chaleureusement Thor, et Loki aussi, au plus grand étonnement de ce dernier, peu habitué à ce que Heimdall le serre dans ses bras d'un air reconnaissant. Il leur conseille ensuite de se rendre présentable pour une audience avec leurs parents, qui attendent anxieusement leur retour.
Loki permet à Thor d'entourer sa taille d'un bras avant de faire tournoyer Mjöllnir et de les emmener haut dans le ciel, les splendeurs d'Asgard en contrebas. Loki prétend être insensible à la vue des tours étincelantes qui s'élèvent fièrement à la lumière du soleil, mais il sait que Thor n'est pas dupe lorsque son souffle se bloque dans sa gorge face à tant de beauté.
Les bains attenants à la chambre de Thor n'attendent qu'eux à leur retour, et puisque cela n'a jamais surpris personne qu'ils partagent cet espace après une quête de plusieurs jours, ils ne s'en privent pas. Déjà les voilà imprudents, mais il leur est difficile de refréner leurs ardeurs après ce qu'ils ont traversé.
Ils occupent le même bassin taillé à même la pierre, spacieux et rempli d'une eau brûlante et parfumée. S'éclaboussent comme des enfants. Puis Loki fait apparaître de nulle part un peigne fin et se met en tête de coiffer son frère, malgré les tentatives de ce dernier d'y échapper en grognant, jusqu'à ce que sa chevelure soit de nouveau dorée et soyeuse. Une fois sa tâche terminée, Thor est si satisfait qu'il laisse même Loki tailler sa précieuse barbe.
Et c'est pour le mieux que Thor ait congédié les serviteurs, car leurs corps sont constellés de morsures et d'ecchymoses impossibles à expliquer sans les trahir. Avant la fin de leurs ablutions, d'autres parsèmeront leur peau, bien qu'il semble à Loki qu'il ait vaguement marmonné à Thor entre deux baisers de faire attention, que n'importe qui pourrait les surprendre.
Mais ils ne font pas attention. Et ils n'en ont cure.
Et, même si l'appréhension le gagne à l'idée de faire face à leurs parents, Loki ne s'est jamais senti aussi heureux, aussi léger. Ils se mettent d'accord sur quoi dire non pas par honte mais par calcul. Loki convainc Thor de le laisser parler - son frère a toujours été un piètre menteur. Thor acquiesce sans discuter : il est trop occupé à masser délicatement, les mains pleines de savon, le cuir chevelu de Loki. Il trace ensuite des arabesques sur sa nuque, le long de son dos, son torse, plus bas.
Loki avait peur que rentrer à Asgard les replonge dans la réalité, la culpabilité, le doute, mais il s'aperçoit avec soulagement qu'il n'en est rien. Au contraire; chaque moment passé ensemble est volé, délicieux, grisant, chaque caresse furtive si dépravée qu'elle en devient jouissive. C'est quelque chose partagé d'eux seuls. Une citadelle aux remparts acérés : eux seuls peuvent y accéder mais personne ne peut les atteindre.
Ils finissent par s'habiller : Thor de son armure étincelante, Loki des vêtements en cuir sombre qu'il affectionne. Loki se charge ensuite de dissimuler les marques de leurs lèvres par les arts qu'il connaît bien - d'abord grâce à du maquillage, puis aidé de la magie si leurs morsures passionnées restent malgré tout encore visibles.
Et enfin, ils sont suffisamment décents pour sortir. Mais, avant de quitter la chambre, Thor serre Loki contre lui. Prend son visage entre ses mains.
"Arrête," commence Loki, mais Thor a toujours été un imbécile.
"Mon frère," déclare-t-il solennellement, les yeux brillants de sincérité, "Sache que si tu n'étais pas lié à moi par le sang, cette audience débuterait avec ma demande en mariage pour obtenir ta main auprès du Père de toute chose."
"J'ai dit, arrête," crache Loki, torturé par cette sensation de perte horrible qui lui contracte la cage thoracique, par une douleur vive, brûlante, aussi acérée qu'un couteau qui s'enfonce dans son cœur. Il voit déjà leurs plans si soigneusement préparés échouer avant même d'être mis à exécution.
Thor n'arrête pas, lève au contraire le menton, obstiné. "Peut-être devrais-je lui demander malgré tout. Ce genre de choses s'est déjà vu au sein des familles royales." Une lueur d'amusement étincelle dans son regard. "Je crois me rappeler d'ailleurs que c'était toi qui m'avait suggéré de lire cette histoire qui l'évoquait, lorsque nous étudions ensemble à la bibliothèque."
"Je te tuerai avant que tu n'aies fait un pas," promet Loki, tout aussi sincère que l'homme qui lui fait face. "Thor, mon frère, écoute la voix de la raison : sur ce chemin que tu veux emprunter ne nous attend que la ruine d'Asgard ainsi que notre séparation. Ne dis rien - ne leur dis rien - ne les laisse pas nourrir ne serait-ce que le moindre soupçon - et nous resterons libres de gérer nos vies comme bon nous semble."
Et Loki sait que pour le convaincre, des mots raisonnables ne suffisent pas. Aussi, le cœur battant, s'avance-t-il et embrasse Thor avec toute la passion dont il est capable, cette passion sans limites qu'il tente de réprimer depuis qu'ils sont rentrés. Il embrasse Thor langoureusement, longuement, afin que même un crétin aussi insupportablement romantique que Thor soit persuadé que la meilleure chose à faire soit de suivre son frère.
Il s'éloigne ensuite, voit avec satisfaction que Thor s'est calmé. Qu'il s'est rendu face à la preuve irréfutable de leur désir mutuel d'être ensemble. Loki sait qu'il a gagné.
Seulement -
"Réponds seulement à la question que je m'apprête à te poser, et je ne t'en parlerai plus," dit Thor. "Si tu n'étais pas mon frère, dirais-tu oui si je m'agenouillais devant toi et demandais ta main ? M'épouserais-tu, régnerais-tu à mes côtés, serais-tu mien de nom comme de corps, comme je l'ai toujours rêvé ?"
"Thor -" Loki frémit soudain et oublie de feindre l'indifférence. Il ne peut stopper le tremblement de ses mains, sinon il les utiliserait pour maudire Thor sur-le-champ, geler sa foutue langue à son palais, en finir avec cette absurdité sans nom.
Loki prend une inspiration tremblante, détourne le regard. S'ordonne de rester impassible. "Thor," répète-t-il, "cela n'a guère d'importance ce que je ferais ou ce que tu voudrais de moi, si nous n'étions pas ce que nous sommes. Ce que tu évoques est impossible, et ce n'est qu'un caprice d'enfance que de prétendre le contraire. Je refuse de jouer avec toi."
Et Loki se lève, les bras croisés, l'air fermé, jusqu'à ce que Thor cède et ne lui repose pas la question. Mais avant qu'ils aillent voir leurs parents, Thor prend le visage de Loki dans ses mains une dernière fois, le force à le regarder dans les yeux ; et même un menteur aussi doué que Loki ne peut cacher la réponse qui se niche dans ses prunelles, cette lueur qui étincelle et qui veut dire oui.
