L'horloge venait de sonner huit heures.
A cette heure-ci encore, malgré le soleil déjà haut dans le ciel, la ville semblait comme endormie.
Aucun véhicule ne roulait.
Aucun oiseau ne survolait le ciel.
Les rares passants s'en allaient à leurs travail, la mine grise.
Les animaux eux-mêmes dormaient encore pour la plupart.
Oui, les habitants de la ville des Matsuno n'étaient pas vraiment matinaux.
Aucun son ne venait briser le silence de ce début de matinée.
Aucun son ? Vraiment ?
En tendant bien l'oreille, on pouvait entendre, au loin, une voix.
Les citadins vous auraient dit qu'elle appartenait à Jyushimatsu, le cinquième-né de sextuplés, qui, jour après jour, s'entrainait sans relâche.
- 1998... 1999... 2000... Allez ! Du muscle ! Du muscle ! Du nerf ! Du nerf !
Au bord de la plage, ce dernier agitait sa batte de base-ball dans un geste professionnel, tout en continuant de compter, la bouche grande ouverte en un sourire.
La mer montait peu à peu, mais il ne s'en inquiétait pas.
La beauté du paysage ne semblait pas lui faire plus d'effets non plus.
Pourtant, n'importe qui aurait été impressionné par les énormes falaises qui surplombaient la plage, ainsi que par cette dernière, propre et lisse. Le sable en était presque blanc.
Mais Jyushimatsu n'était concentré que sur une chose : sa batte de base-ball.
Enfin...
Il pensait bien à autre chose, au fond de lui, mais n'en aurait parlé pour rien au monde.
Cette chose occupait son esprit depuis quelque temps déjà, et prenait, peu à peu, de plus en plus de place, au point qu'il en avait du mal à s'endormir le soir ou encore à rester longtemps concentré sur son entrainement.
Déjà que réfléchir lui donnait le plus souvent mal au crâne...
- 2061... 2062...
Non. Il ne pouvait pas continuer.
Il devait se poser.
Il se laissa tomber en arrière.
Bon.
Il était peut-être amoureux d'un de ses frères.
Mais il n'y a rien de mal à ça, si ?
Jyushimatsu regarda le ciel bleu tout en agitant ses bras dans le sable.
Non, il ne devait pas en parler.
Mais ce n'est que de l'amour, après tout !
L'inceste est interdit.
...
Putain de merde, elles voulaient pas se taire, les voix dans sa tête ?
Il n'était même pas sûr de l'aimer.
Il avait toujours ressenti "ça" pour lui, mais ne s'était jamais demandé si il s'agissait d'amour.
Jyushimatsu se retourna, face contre le sable, avant de se rendre compte qu'il avait quelques difficultés à respirer.
Il se releva donc, attrapa sa batte de base-ball, puis continua à compter.
- 2063 ! 2064 ! 2065 !
A quoi pensait-il, déjà ?
La matinée fila aussi vite qu'e l'éclair pour le sextuplé.
Il avait oublié ses soucis aussi vite qu'ils étaient venus.
C'était une des caractéristiques de l'espèce Jyushimatsu, l'idiot venu d'une autre dimension.
Ses frères doutaient même de son humanité.
Puis, aux alentours de quatorze heures, il s'accorda une deuxième pause.
Son ventre se mit à grogner.
Il avait faim.
Très faim.
Sa vie pour un repas.
C'est alors que, tel un dieu sauvage, apparut Ichimatsu, cheveux en bataille et air blasé sur le visage, quatrième-né des sextuplés, tenant à la main un bento.
- Salut. Tiens. souffla t-il en lançant le déjeuner sur son frère.
Celui-ci le rattrapa au vol, la bouche toujours fendu en un grand sourire.
- Merci Ichi nii- san ! Pile à l'heure, comme d'haaaab' ! Home ruuuuun !
Jyushimatsu se mit à tourner autour de son frère, comme pour manifester sa joie, sous le regard indifférent de ce dernier.
Au fond, tout au fond de lui, le cinquième espérait une réaction de la part de son aîné.
Quelle réaction ? N'importe quoi, un sourire, une parole gentille...
Mais ce ne fût pas le cas. Comme à chaque fois.
Jyushimatsu avait mal.
Lui qui pensait tout les jours à Ichimatsu, qui lui obéissait au doigt et à l'œil...
Oui. Il devait sûrement l'aimer pour être affecté à ce point par l'impassibilité de son frère.
Mais il ne devait pas en parler. Il devait agir normalement.
- Je te laisse. On se revoit ce soir.
Le quatrième n'avait jamais été un grand bavard.
Il tourna les talons avant de repartir par là où il était venu, sans se douter un seul instant que son petit frère éprouvait des sentiments à son égard.
Lui était déjà assez occupé avec les siens.
Oui...
Sur le chemin du retour, il aperçu un chaton poursuivi par un chien.
Faisant d'abord mine de ne pas le voir, Ichimatsu ne pût s'empêcher de vouloir aider le petit animal en détresse.
Il se mit à courir dans les ruelles sombres qu'il savait emprunté par les chats.
Malheureusement, il les perdit vite de vue.
Il continua malgré tout à courir quelques minutes, avant de se rendre compte qu'il venait de se perdre.
Lui et sa maudite passion pour les félins, aussi !
Et puis déjà, comment avait-il pu se paumer dans sa propre ville ?
Il regarda autour de lui.
Il s'était retrouvé dans un dédale de rues, aussi noir les unes que les autres.
Quel chemin devait-il prendre ?
Il n'avait que l'embarras du choix.
Ichimatsu se recroquevilla sur le sol.
Il devait réfléchir à une solution.
Appeler quelqu'un ? Il n'avait pas de portable.
Escalader les murs ? Il ne s'en sentait pas la force.
Bon...
Vu la distance qu'il venait de parcourir, il devait se trouver...
Oh, et puis merde !
Que quelqu'un vienne l'aider !
- Rah ! Putain ! hurla t-il pour lui-même.
Soudain, une voix lui répondit :
- Quelqu'un m'a appelé ?
- Monsieur Rah ? Monsieur Putain ? Demanda le quatrième frère.
- Huhuhu. Quel humour !
Cette voix.
Elle était grave et suave.
Comme celle de...
- Karamatsu ?! lâcha Ichimatsu.
- Lui-même, déclara son interlocuteur, avant d'apparaître devant le quatrième.
Le jeune homme qui venait d'arriver portait un blouson orné d'une tête de mort, ainsi qu'un marcel à son effigie.
Des lunettes de soleil dissimulait son regard.
Oui, il s'agissait bien du deuxième des six frères.
- T'es venu m'aider ? Grogna celui qui venait de se perdre. T'as une idée de l'endroit où nous sommes ?
- Je ne laisserais jamais un de mes brothers dans la mouise, enfin ! Quand à où nous sommes...
Karamatsu releva ses lunettes, laissant entrevoir ses yeux. Ces derniers d'ordinaire noirs, étaient marrons.
Son frère mettait des lentilles ? Il était pathétique.
- Je n'en ai aucune idée ! Continua t-il.
Oui. Pathétique en tout point.
Pourquoi avait-il fallu que ce soit sur ce clown que...
Non. Il ne devait pas y penser.
- Tu veux dire qu'on est paumé tous les deux ?! Tu fais grave chier !
A ce moment, Ichimatsu voulut se frapper. Pourquoi ne pouvait-il pas parler correctement à son frère ?
Karamatsu, interloqué, regardait son brother.
- C'est pas bien, grave. On va bien finir par atterrir quelque part, assura t-il. T'en veux pas.
Le quatrième leva les yeux vers son ainé.
- Tu as bien fait de vouloir aider ce chaton, continua t-il en sortant une boule de poile de sa veste.
Cette dernière se débattit des bras du jeune homme avant de s'enfuir.
Le petit chat !
Alors Karamatsu l'avait sauvé ?
Comment ce dernier pouvait-il être toujours aussi gentil ?
- ... Tu m'observais ?!
Ichimatsu s'arracha les cheveux intérieurement.
Oui, car c'est possible.
Pourquoi ne pouvait-il tout simplement pas remercier son frère, hein ?
C'était tellement dur pour lui ?
Il devait apprendre à s'exprimer gentiment.
Il n'arriverait jamais à se rapprocher de lui, sinon..
Mais qu'est ce qu'il racontait ?
Il n'était pas gay !
Il épousera Totoko, ou finira seul.
Il s'agissait de la seule fille avec qui il était capable de parler, après tout.
- Je te suivais, oui, s'exclama Karamatsu. C'est la mission qui m'a été...
Il ne put jamais terminer sa phrase, Ichimatsu s'étant relevé pour continuer sa route tout en se foutant de la réponse de son frère.
Mais ce dernier avait l'habitude.
Ses frères passaient leur temps à l'ignorer...
Il n'allait pas se démonter pour autant !
- Besoin d'aide, brother ? Je peux t'aider, tu sais. Tiens, ne bouge pas, je vais te soutenir, attends.
Le quatrième frère ne put décliner la proposition du deuxième.
Celui-ci avait déjà empoigné son pour le poser sur son épaule.
Ichimatsu aurait voulu crier à son frère de le lâcher.
Il aurait voulu lui hurler à la figure qu'il n'avait pas besoin d'aide, qu'il n'était pas handicapé.
Mais aucun son ne voulait sortir de sa bouche.
Il ne pouvait même pas grogner de mécontentement.
A la place, et à son grand étonnement, il en eut presque un soupir d'aise.
Il se trouvait trop bien, aux côtés de son frère.
Mais qu'est ce qui lui arrivait, bordel ?
Il devait se reprendre !
Et pourtant...
Le parfum de Karamatsu l'enivrait presque.
Ses bras lui procurait du réconfort.
Il ne devait pas...
- Ichimatsu ? Ca va ?
Le deuxième frère regardait le quatrième d'un air inquiet.
- Attends, je vais te poser, on va...
- Ne... me... lâche pas... s'il te plait, souffla Ichimatsu.
Karamatsu déglutit. Qu'est ce qui arrivait à son frère, merde ?
Il n'avait pas l'air d'aller bien du tout.
Bien. Il n'avait plus le choix.
Il attrapa son petit frère pour l'installer sur son dos.
Là, il espérait qu'il pourrait se reposer.
Peu lui importait qu'il pèse soixante-quinze kilos.
Les minutes filaient, tandis que le jeune homme cherchait désespérément la sortie.
Et enfin, au bout d'un temps infiniment long, il aperçu une raie de lumière. Mais à peine fut-il sortit des ruelles qu'Osomatsu lui tomba dessus.
- Kara', Ichi', bordel, ça fait une demi heure que je vous cherche ! hurla t-il.
Karamatsu regarda son grand frère d'un air interloqué.
- Qu'est-ce qu'il se passe ?
- Il se passe que...
Osomatsu fondit en larme.
- Choromatsu... il... il... il a fait... une crise cardiaque !
