Aurore se lève telle l'étoile qu'elle est. Aurore flamboie dès le matin, autant que l'astre solaire lui-même. Elle brille autant que le levant. Son opulente chevelure blonde gît à coté d'elle tant elle est longue. Etait-elle si longue la veille ? Sa crinière est pleine d'araignées. Aurore se sent comme quelqu'un ayant somnolé trop longtemps, comme si elle avait été happée par une rêverie millénaire. L'éternité n'est pas si loin. Elle sort du lit et il fait froid. L'air est glacial. Aurore, dans sa blondeur à la fois candide et provocante frissonne. Elle laisse avec délice glisser un frisson le long de sa colonne vertébrale. Elle porte les mains à sa taille et se voit maigre. Elle pourrait presque enserrer ses hanches avec ses deux pauvres mains. Elle enfile une robe, vite, pour cacher sa nudité. Aurore marche et quitte sa chambre. La porte de chêne lourde hier et si légère aujourd'hui. Aurore la pousse du doigt et pénètre dans l'antichambre. Les gardes sont là, avachis sur des fauteuils, leur heaume recouvrant leur visage, le cachant aux yeux impudiques du monde. Elle ne veut pas les réveiller et descend dans un bruit de dentelle et mousseline. Les tableaux la regardent d'un air lubrique, enchâssés dans leurs cadres d'or et d'argent. La rampe glisse, l'escalier aussi, sous les pieds fins de sa majesté.
Bientôt la cuisine s'étend devant elle, dans sa splendeur poussiéreuse et ancienne, il y règne comme un parfum de pourri, dans celle chapelle de la nourriture, l'église des aliments, crypte des souvenirs sucrés. Aurore souffle une brise enfantine sur la table et des milliers d'étoiles déchues s'envolent pour une dernière pirouette. Aurore entre dans le garde-manger et tombe nez à nez avec des fruits, ou des restes de fruits, de la poussière. Elle hurle. Personne ne vient à son secours. Aurore hurle à se déchirer les cordes vocales et nul n'accourt. Alors elle court, aussi vite que ses jambes squelettiques l'emportent, elle court vers sa chambre à s'en briser les os. Elle choit, dans un tourbillon de soie, de dentelle mitée. Droit sur l'un des gardes. Le heaume tombe, le crane aussi, en superbe boite crânienne immaculée.
Un cri, celui d'Aurore, en hurlement à vous faire geler le sang, à vous faire tomber dents et cheveux retentit. Elle fuit vers un autre garde… Il lui sourit de ce même sourire sans vie, sans lèvres. Mort. Aurore, en fillette trop vite grandie et gâtée, en enfances guimauves, sucettes et gâteaux à la crème court, auréolée de soleil vers l'autorité suprême. Elle galope vers la suite parentale. Elle cavale, en jument d'hélios afin de briser la course de la nuit. La porte tombe sous ses doigts, abîmée par le temps.
Voici l'astre au pied du lit conjugal, comme il était la veille, les mêmes rideaux d'un rouge incarnat, le lit avec ses dorures multiples, ses teintures, ses tableaux, ses meubles de bois précieux. Maman et papa son là, aussi. Comme les autres, ils attendent pour l'éternité. Impassibles dans leur sommeil sans fin. Aurore hurle mais rien, personne ne vient. Le silence lui répond.
Peut être que le cauchemar est réel cette fois, Aurore.
