Je me réveille doucement, garde les yeux fermés afin de prolonger cet instant de paix. Je sens, tout contre moi, Lily, sa tête penchée sur mon épaule, et ses longs cheveux reposant sur l'oreiller, me chatouillant la nuque. Sa respiration est lente, régulière son ventre, en se soulevant, me frôle et me fait frissonner.
J'ouvre les yeux, et la découvre, encore plus belle que je ne l'ai laissée hier au moment de dormir. Je ne peux m'empêcher de sourire devant ses paupières délicatement fermées et ses lèvres entrouvertes.
Je tends une main tremblante vers elle, vers ses pommettes rosées, vers ses jambes galbées repliées contre moi, vers son ventre rebondi. Je me rappelle encore ce jour-là, il y a quelque cinq mois, lorsqu'elle m'a soudainement annoncé, euphorique et terrifiée à la fois, sa voix chevrotant sous l'émotion, que nous n'étions plus seuls. Que tu étais là.
Je me rappelle avoir ressenti comme une onde de choc me parcourir le corps, tandis que je m'approchais, prudent, vers toi. Toi qui n'es encore qu'une petite bosse pas née qui prendra vie dans quatre mois. Tu m'as effrayé d'abord. Moi, père ? Je n'étais pas prêt, je ne pourrai jamais t'élever, moi, l'adolescent trop vite mûri, à peine sorti de Poudlard, toujours prêt à prendre des risques stupides. Mais quelques heures plus tard, je voyais plus clair et réalisais enfin quel miracle m'était offert.
Tu aurais dû voir la tête de Sirius quand je lui ai dit. D'abord, que tu viendrais bientôt au monde, ensuite, qu'il serait ton parrain, s'il le voulait bien. On aurait dit que je lui annonçais que Lily allait accoucher d'un bébé Norvégien à crête et qu'il devait accepter de se faire carboniser pour mon bon plaisir. Enfin, après quelques minutes de regard vitreux et de bouche bée, il a bredouillé qu'il acceptait.
Je réfléchis. A qui ressembleras-tu, à Lily ou à moi ? Tu pourrais garder mes cheveux, mais tu auras les yeux de ta mère.Ses yeux vert émeraude, malicieux ou angoissés, aimants ou furieux. Je t'imagine déjà, dans quelques mois, dormant dans un berceau que ta mère choisira, bien sûr. Et je murmurerai tranquillement, et ne te donnerai que la vérité. La vérité : que je vis comme dans un rêve, que j'ai la vie que je me suis toujours souhaité d'avoir. Qu'elle et toi, toi mon seul et unique, faites déjà mon bonheur.
Lily et moi savons déjà que tu seras un garçon. Chaque jour, elle change d'idée quant à ton prénom. Je t'ai déjà évité bien des souffrances, crois-moi. Tu n'aurais pas aimé été appelé Robert, comme son père, ou Orpheus, comme le mien. Désormais, nous n'hésitons – à vrai dire, ta mère n'hésite – qu'entre deux prénoms : Harry, mon préféré, ou Charles.
J'espère que tu auras un sourire comme le sien, et une fossette au-dessous du menton. J'espère que tu seras petit, et même minuscule, pour que je puisse te serrer tout contre moi, pour que tout mon amour passe dans mon étreinte et se déverse en toi. Et tu pourras t'allonger avec moi, avec tes petits pieds, sur le grand lit à baldaquin qui me rappelle tant Poudlard. Poudlard, où tu iras un jour. Mais tout cela reste encore bien loin.
Perdu dans mes pensées, je n'ai pas remarqué que la respiration de ta mère s'est faite moins profonde. Soudain, elle ouvre les yeux, et le vert de son regard me transperce, me chamboule toujours autant. Ses lèvres s'étirent en un sourire heureux quand elle remarque que je vous observe, elle et toi. Elle se redresse un peu, m'attire à elle et m'embrasse tendrement.
Puis, tout doucement, elle prend ma main et la pose sur son ventre. Je ne peux détacher mon regard et, brusquement, un choc me fait sursauter et enlever précipitamment ma main.
« Ce n'est rien, murmure Lily. Je crois qu'il a hâte de sortir. »
Une petite bosse, et dans quatre mois tu ouvriras tes yeux.
