Titre : Le messager de Dieu

Auteure : Rieval

Disclaimer : s'ils étaient à moi, la saison 3 aurait été bien différente et il y aurait eu une saison 4, las, c'est la BBC qui possède les droits et la saison 3 est donc ce qu'elle est : moyenne et la dernière de la série.

AN1 : j'ai beaucoup apprécié cette série servie par d'excellents acteurs, les sites superbes de la république Tchèque et l'incroyable savoir-faire de la BBC pour les adaptations inattendues. Une seule "ombre" au tableau : LA SAVOIE NE PARTAGE AUCUNE FRONTIERE AVEC L'ESPAGNE, PUTAINDEBORDELDEDIEU !

AN2 : j'aime beaucoup (trop …) les notes de bas de page mais vous pouvez ne pas les lire, elles n'ajoutent généralement rien à la compréhension de l'histoire, juste des informations et des explications (histoire, vocabulaire, etc.).

AN3 : dernier point, et non des moindres, le point de vue des personnages sur Dieu, son existence ou ses mérites ou sur l'IVG leur appartient (n'oublions pas que nos sommes au 17ème siècle).

Genre : GEN. Amitié.

Spoiler : cette fic' se situe juste "après" l'épisode Le Père Prodigue mais je joue un chouïa avec le timeline de l'épisode. Spoilers pour toute la saison 1 et 2, plus spécifiquement pour l'épisode La prophétesse (saison 2). Minuscule « bébé spoiler » pour l'épisode The Queen's Diamonds (épisode 4 de la saison 3).


Paris, 5 mai 1600

Splash !

En habituée des rues parisiennes, Louise Bourgeois (1) évita sans grand mal l'infâme contenu du seau d'aisance jeté de la fenêtre de l'auberge qu'elle venait de passer. Relevant le pan de son épaisse robe de coton pour éviter le nauséabond dépôt, elle leva les yeux vers le ciel. Même faiblarde, la lumière du soleil lui révéla ce qu'elle voulait savoir : Il serait bientôt midi. Elle devait hâter le pas. Elle avait une mission. Une mission sacrée. Et peu importait vers quelle maison cette mission la portait, riche hôtel bourgeois ou bordel mal famé, seule importait ce « pourquoi » elle était appelée.

Et en cette froide journée de mai, ses pas la menaient vers un bordel. La maison de Madame Angèle (2).

Louise s'y rendait souvent. Elle poussa un petit grognement de dégout. Oh, pas en pensant aux locataires de Madame Angèle, non, c'était à toutes ces autres « madames » et à leurs infortunées locataires. Les grossesses n'y étaient pas les bienvenues un manque à gagner inacceptable. Un peu de rue fétide ou de sabine (3), et le tour était joué. Il y avait bien des moyens d'interrompre la main de Dieu. Sa plus belle mission !

Car c'était cela qui importait à Louise, aider la main de Dieu. Louise poussa un autre grognement en pensant à ces messieurs de la faculté qui parlaient (en hommes et donc, en ignorant des choses touchant à la femme grosse) d'accouchement « contre nature » (4). Car ce que faisait Louise était le propre même de cet ordre naturel voulu par Dieu : veiller à ce que la Vie trouve son chemin vers la lumière.

Et donc, elle fulminait contre ceux et celles qui aidaient ces femmes à stopper leur grossesse.

Madame Angèle se démarquait des autres maquerelles parisiennes. Non pas qu'elle soit une sainte patronne, oh non ! Ces filles devaient « gagner » le toit au-dessus de leur tête et le brouet qui réchauffait leur ventre mais elle leur reconnaissait certains … droits. Elles choisissaient leur client, pouvaient décider de la quitter sans contrepartie. Et si elles tombaient grosses, Madame Angèle les laissait libres de garder l'enfant. Certaines restaient même à son service avec le petit. La « Maison de Madame Angèle » était parfois nommée la « Maison des Anges » : on pouvait y entendre, au milieu des gémissements du stupre, le rire cristallin des enfants.

Et c'était là, la mission de Louise Bourgeois : délivrer sur la terre ces anges innocents.

Et … fichtre, elle devait cesser de rêvasser si elle voulait remplir ladite mission ! Midi déjà. A en croire le message de Madame Angèle, sa future patiente avait ressenti les premières douleurs juste après Tierce (la maison des Anges se trouvait non loin du couvent des Carmélites, rue Saint Jacques … autant de signes de Dieu, selon Louise … pratique aussi pour suivre l'évolution d'un accouchement). Elle devait se hâter.

Bien sûr, la délivrance était bien différente d'une femme à l'autre. Tantôt, lente, durant plusieurs heures, tantôt, si rapide, que l'on avait à peine le temps de cligner des yeux que l'enfant se trouvait déjà là. Dans tous les cas, il était préférable d'être présente le plus tôt possible.

Ah, elle y était.

Louise tapa quelques coups à la porte. Une adolescente lui ouvrit. Toute en bras et en jambes, des longues mèches d'un roux vif comme le feu s'échappaient de sa petite gonelle blanche et Louise réprima, non sans mal, l'envie de se signer. Etrange idée ! Elle devrait en toucher deux mots à Madame Angèle. Cette dernière ne savait-elle donc pas que le nombril d'un nourrisson qui nait en présence d'une femme rousse (5), ne peut jamais cicatriser et que la transpiration de ces créatures fait tourner le lait au sein même des nourrices ?!

Ignorant la diablesse, Louise monta promptement les escaliers qui menaient aux chambrées des « damoiselles » de Madame Angèle. Elle aurait tapé à toutes les portes si un cri familier qu'elle associait désormais avec les douleurs de l'accouchement n'avait retenti.

La pièce était sombre, de lourds draps avaient été posés sur les fenêtres. Bien, pensa Louise, nul mauvais esprit ne pourrait s'introduire ici et posséder l'enfant ou la mère (6).

« Allons, allons, laissez-moi passer ! Grogna -t-elle, écartant la troupe de femelles assemblées autour du lit. Alors, ma toute belle, ou en es-tu ? Son ton s'était adouci à la vue de sa patiente. C'est ton premier ? »

Assise sur le bord du lit, trempée de sueur et haletante, se trouvait une femme d'une vingtaine d'années. Elle serrait si fort la main d'une de ses congénères agenouillée près d'elle, que Louise pouvait voir la jointure de ses doigts blanchir sous l'effort. Une paire d'yeux noirs se fixa sur Louise.

Espagnole, pensa Louise. Et bien, elle allait savoir si les femmes espagnoles étaient aussi courageuses que les bonnes catholiques françaises. La douleur de la délivrance était pour Louise, le vrai révélateur de l'âme des femmes.

Louise eut sa réponse quelques heures plus tard : l'âme ibère était à la hauteur de sa réputation.

« Et bien ma fille, dit Louise tout en se lavant les mains avec de l'huile à base de lavande, comment vas-tu l'appeler ? Ne tarde pas trop pour son baptême, il doit être confié à la sauvegarde de Dieu.

Après s'être séchée les mains, elle se tourna vers la jeune mère.

- René, comme notre sauveur Jésus (7) murmura l'espagnole avec l'accent chantant de sa contrée.

Louise hocha la tête.

- Excellent choix. Ton fils a déjà reçu la bénédiction du tout puissant. Un enfant coiffé (8) ! Dans la maison du pêché ! Elle secoua la tête, encore sous le choc de la découverte de la raison pour laquelle elle avait été appelée.

Lorsqu'elle s'était installée devant la parturiente et qu'elle avait plongé ses mains sous son jupon, elle avait immédiatement sentit sur la tête du bébé, cette membrane qui d'habitude se déchire aux premières douleurs. Il n'y avait pas de danger particulier mais Madame Angèle avait préféré la faire appeler, au cas où …

- Qui sommes nous pour discuter des voies du seigneur, murmura Louise puis elle s'adressa à nouveau à la jeune accouchée. Ton René, ma fille, est promis à de grandes choses.

- Bien sûr qu'il fera de grandes choses, murmura l'espagnole, nez sur le duvet noir recouvrant la tête de son fils. René, mon René. René d'Herblay (9)».

A suivre …

(1) Louise Bourgeois est une sage-femme du 17ème siècle. Elle a rédigé un ouvrage qui a fait longtemps référence : « Observations diverses sur la stérilité, perte du fruit, fécondité, maladies des femmes et des enfants nouveaux nay », Paris, chez A. Saugrain, 1609.

(2) Episode 8, Duel pour l'honneur (saison 1).

(3) Plantes toxiques connues depuis l'antiquité pour leur propriété abortive.

(4) On désignait ainsi les accouchements difficiles (gémellité, enfant se présentant par le siège).

(5) Les femmes ayant eu le malheur de naître avec des cheveux roux ont bien longtemps souffert. On leur prêtait des relations avec le Diable et ce depuis l'Antiquité.

(6) Selon Marie-France Morel, historienne et présidente de la société d'histoire de la naissance, jusqu'au XVIIIème siècle, la pièce où a lieu l'accouchement est « calfeutrée, comme un véritable huis clos, à la fois pour se prémunir du froid et pour empêcher les mauvais esprits d'entrer ».

(7) Re-né, vient du latin renaître, ou naître une seconde fois, comme Jésus.

(8) Dans de très rares cas, la femme ne « perd pas les eaux » et on assiste à la naissance d'un bébé encore enfermé dans sa poche de liquide amniotique. On dit alors qu'il est né « coiffé ». La « coiffe » est considérée comme un signe de bonne fortune pour le bébé depuis l'antiquité, d'ailleurs en allemand elle s'appelle « Glückshaube » ou « bonnet de la chance ». En Espagne, on y voyait une protection contre la noyade ou la mort par balle. En Asie du Sud-Est, un bébé né coiffé aurait la faculté de percevoir les choses cachées à l'œil commun. En Afrique du Sud on croit également que l'enfant qui naît coiffé reçoit une seconde vision, qui lui permet de voir les esprits de ses ancêtres et de les reconnaître et, de plus, chose très importante, la coiffe lui permet voir au-delà des personnes, de voir leurs intentions ou leur « deuxième visage », de voir ce qui se cache derrière le masque de apparences. Jusque dans les années 40, en Europe, la coiffe était serrée dans du papier et conservée comme héritage pour l'enfant. Et donc, vous l'aurez deviné, cette fanfiction s'inspire de tous ces mythes autour de l'enfant né coiffé.

(9) René d'Herblay est le nom complet d'Aramis dans le roman d'Alexandre Dumas. Dans l'épisode 4, The Queen's diamonds, saison 3 nous apprenons que la mère d'Aramis était une prostituée et qu'il a grandi dans un « bordel ».