Show me the path

I

Arm aber Sexy

Note de l'autre : Cette nouvelle idée de fic a germé dans mon esprit dès le premier épisode de The Path. J'ai longtemps réfléchi avec quel personnage, joué par Mads, Cal irait le mieux. Mon choix s'est finalement porté sur David, du film The Door (Die Tür en VO). Si vous ne l'avez pas vu, je vous le conseille, mais sinon ce n'est pas nécessaire pour comprendre l'histoire. Car cette fic commence au début du film et détourne David du chemin qu'il prend dans l'intrigue originale. En résumé, les événements de The Door qui se déroulent cinq ans après le début du film n'ont jamais lieu dans cette fic et le passé de David est raconté, donc vous ne serez pas perdus. Pour ceux qui ont vu le film, malgré des recherches approfondies, le lieu exact où se déroule l'intrigue n'est jamais précisé. Mais le film étant allemand et l'allemand étant également la langue parlée dans la VO, j'ai décidé de situer le début de cette fic à Berlin par commodité.

En ce qui concerne The Path, bien évidemment, suivre la série est indispensable, car sinon gros spoilers à la clé, vous êtes prévenus. Je vous livre ici ma vision toute personnelle du personnage de Cal Roberts. Il se peut tout à fait que vous ne soyez pas d'accord sur tout, cerner un personnage en quatre épisodes est périlleux et je ne suis pas à l'abri que la série me donne tort dans mes interprétations dans le futur. Mais j'ai décidé d'une ligne de conduite et d'un fil rouge, et je m'y tiendrai même si la série prend une direction différente.

Cette histoire a pour but de mêler les sujets abordés dans les deux œuvres et qui s'accordent parfaitement : le deuil et les secondes chances dans The Door. Les dessous et les dangers des cultes dans The Path. J'aimais également l'idée d'associer ces deux personnages qui sont si semblables, très humains, imparfaits, qui luttent contre leurs démons intérieurs et courent après la rédemption.

Je ne sais pas encore combien il y aura de chapitres. Cette histoire peut me mener très loin, comme elle tout aussi bien se terminer rapidement. Dans tous les cas, je prendrai le temps de développer la relation au rythme qui convient et ça ne fera pas en un jour. David est un homme brisé qui tente de s'en sortir et ne se remettra pas avec un coup de baguette magique et Cal semble s'interdire toute relation avec qui que ce soit dans la série. C'est donc un gros challenge que j'espère relever avec cohérence et réalisme.

En ce qui concerne ce chapitre, il faut considérer que Cal et David dialoguent en anglais et que Max et David dialoguent en allemand.

J'espère que cette histoire vous plaira et, comme toujours, n'hésitez pas à me donner vos avis.

Enjoy !


Quand Cal Roberts avait accepté de monter dans un avion pour l'Allemagne, dans le but de participer à une convention sur les cultes et les mouvements à travers le monde, il s'attendait à passer quelques jours aux frais de la princesse dans un hôtel pas trop miteux, à écouter des vieillards débattre durant des heures et croiser les regards perdus des âmes errantes qui se retrouvaient dans ce type d'événements, avant d'aller visiter la belle Berlin. Un mal pour un bien, donc, même si ce voyage ne l'enchantait pas vraiment.

Cal était loin, très loin d'être idiot. La nature l'avait doté d'un charme naturel et d'une capacité innée à manipuler les gens. Il pouvait faire croire ce qu'il voulait à n'importe qui. En cela, Bill et Felicia le voyaient comme une menace. Ce déplacement avait pour seul but de l'éloigner. Mais Cal savait voir des opportunités en chaque chose. C'était aussi ce qui faisait sa force. Il avait plus que tout besoin d'alliés et de médiatiser son image, pour que dans les consciences, le mouvement soit associé à son visage. Ainsi, il deviendrait le nouveau leader dans l'esprit des gens, avant même de l'être réellement, le successeur irrécusable. Et contre cela, les autres 10R ne pourraient rien. Il était persuadé que cette place lui revenait de droit, que si Steve était encore en état de s'exprimer, il le désignerait. Lui, et personne d'autre. Et Cal devait éloigner ces charognards de l'homme qu'il voyait comme un père spirituel.

Il décida donc de tourner cette excursion à son avantage. Le Meyerisme devait s'étendre, être reconnu dans le monde entier, y compris en Europe. Même si le vieux continent était moins ouvert sur le sujet que les États-Unis. Sarah le soutiendrait toujours, mais elle était 8R. Il avait perdu la confiance d'Eddie, peu importe qu'il prétende le contraire. Il ne savait pas encore comment, ni pourquoi, mais il s'était passé quelque chose au Pérou, il en avait la certitude. Et cela n'avait rien à voir avec une histoire d'adultère. Il découvrirait ce que son ami lui cachait, mais pas aujourd'hui. Non, aujourd'hui il allait parcourir les allées et les stands pleins de nouveaux adeptes potentiels, de gens perdus et malheureux qui cherchaient le salut. Aujourd'hui, il allait parler au nom du mouvement, l'incarner, et ils le verraient comme leur sauveur.

La journée avait été éreintante et les personnes qu'il avait rencontrées très réceptives. Cal avait l'impression d'enfin endosser le rôle pour lequel il était né. Et c'est presque euphorique et oublieux de ses problèmes, qu'il quitta l'hôtel pour marcher dans la nuit noire. Il faisait froid comme en Enfer, la neige et le verglas rendaient sa démarche maladroite et prudente, et même s'il s'était équipé pour l'occasion, il frissonnait. La tentation était grande à Berlin pour quelqu'un comme lui. Les bars semblaient si accueillants et chauds. Mais Cal devait rester fort et prit donc le chemin d'un restaurant qu'on lui avait conseillé plus tôt dans l'après-midi.

C'est à cet instant qu'il vit David pour la première fois. L'homme était une épave imbibée d'alcool qui vacillait au milieu de la chaussée déserte de ce quartier résidentiel où ses pas l'avaient mené. Cal se trouvait encore à une distance respectueuse, sur le trottoir d'en face où l'autre ne l'avait même pas remarqué, et s'apprêtait à continuer sa route, quand l'inconnu dérapa et s'étala de tout son long sur la route. Cal s'arrêta un instant, inquiet qu'il se fasse renverser, et observa le corps étendu sur le ventre dans la neige. L'homme redressa la tête, mais ne tenta pas de se relever. Cal était sur le point de s'avancer vers lui, quand l'étranger tendit une main pour ramasser quelque chose qu'il ne pouvait pas distinguer d'aussi loin. Il scruta longuement l'objet dans sa paume ouverte, puis la chose s'envola et Cal se rendit alors compte que c'était un papillon. Il pensa vaguement que c'était étrange par ce temps, puis l'homme se leva et suivit l'insecte comme s'il s'agissait de Jésus revenu sur terre pour le sauver. Quelques secondes après, il courrait carrément, et Cal lui emboîta le pas, persuadé qu'il allait réellement se blesser s'il continuait comme ça. Il le rattrapa, alors qu'il s'apprêtait à disparaître entre des arbres, et le saisit par l'épaule. L'inconnu sursauta, fit violemment volte-face, perdit l'équilibre et se retrouva de nouveau au sol, le regard perdu comme s'il sortait d'une transe.

« Je suis désolé, je ne voulais pas vous effrayer. Mais, vous sembliez avoir besoin d'aide et je craignais que vous vous blessiez, » dit Cal, en espérant que l'autre comprenne l'anglais, comme la plupart des habitants de cette ville.

Puis, l'homme accepta la main qu'il lui tendit et il l'aida à se relever.

« Cal Roberts, » se présenta-t-il.

« David Andernach, » répondit l'étranger. « Danke, je pense que je vais rentrer chez moi maintenant. »

Son accent rendait son phrasé quelque peu haché, mais il le comprenait, déduit Cal. Tant mieux, pensa-t-il. David l'intriguait. Quand il toucha son lourd manteau, il constata que le tissu était si trempé que ça ne pouvait pas être dû qu'à la neige, et maintenant qu'il y regardait mieux, ses cheveux mal coupés qui tombaient comme des queues de rats devant ses yeux étaient aussi mouillés, comme s'il avait pris une douche tout habillé. Il n'avait pourtant pas plu ces dernières heures.

« Je vous raccompagne ? » Proposa-t-il.

« Non, je… »

« J'insiste. Nous avons tous de mauvaises passes, il n'y a aucune honte à accepter de l'aide de temps à autre. »

« Vous parlez d'expérience ? » Demanda David, en suivant Cal qui le soutenait par le bras.

« On peut dire ça. »

« Vous m'offrez uniquement de me ramener chez moi, n'est-ce pas ? Parce que, vous avez l'air d'un type très sympathique, mais je ne vous connais pas. »

Cal l'avait peut-être mal jugé. L'homme dégageait une tristesse, un désespoir sans nom, et des effluves d'alcool, mais n'était certainement pas influençable et faible. Il pouvait voir dans son regard une flamme qui brûlait encore, malgré tout.

« Aider les gens, c'est mon métier, David. J'aimerais que l'on se revoie quand vous serez… mieux disposé et reposé. »

« Quel est votre travail exactement ? »

« Rejoignez-moi à mon hôtel demain, nous en discuterons, ainsi que de vos problèmes. Je pourrais vous montrer un bien meilleur chemin que celui que vous empruntez. »

David parut franchement sceptique et méfiant, mais hocha la tête et n'ajouta rien jusqu'à ce qu'ils arrivent chez lui. Cal lui donna simplement l'adresse de son motel, sans insister, et lui serra la main, avant de disparaître dans la nuit. David monta péniblement les marches, entra dans son appartement et s'effondra sur son lit sans prendre la peine de se déshabiller.

Quand Cal se rendit à la réception le lendemain, après une matinée fatigante, il eut du mal à en croire ses yeux. David semblait l'attendre, assis dans un des fauteuils du hall. Il prit le temps de l'étudier de loin. Il avait visiblement l'esprit plus clair, même s'il était toujours entouré de cette aura de désolation, et observait les allées et venues des excentriques qui participaient à la convention. Cal s'approcha et lui servit son sourire le plus franc quand l'homme croisa son regard et se leva. Ses yeux havane étaient encore plus saisissants que la veille, à la lumière du jour. Il n'avait clairement pas l'air ravi.

« Quand vous m'avez parlé de "chemin", je ne m'attendais pas à ça, » dit-il, en faisant un large geste du bras qui désigna à la fois la foule et l'immense affiche de la convention qui trônait en bonne place dans le hall.

« Je ne suis pas le gourou d'une secte sordide, si c'est ça qui vous inquiète. »

« Qu'êtes-vous, dans ce cas ? »

« Allons boire un verre, David, » décida Cal, en éludant la question. « Je suis libre jusqu'à 14 heures. »

Il devait l'éloigner d'ici, compris Cal. Il avait repéré une brasserie au coin de la rue et sortit de l'hôtel pour s'élancer dans le froid hivernal. David le suivit sans un mot, ses mains profondément enfoncées dans ses poches.

Ils s'attablèrent à l'intérieur de la salle chauffée, dans un box au fond de la pièce, et Cal ouvrit la carte pour laisser le temps à David de décider s'il désirait rester ou non. S'il voulait qu'il accepte de lui parler, il devait le laisser venir à lui.

L'établissement typique de Berlin servait une variété assez impressionnante de saucisses, ainsi que des burgers, accompagnés de frites grasses. Rien que Cal ne mettrait dans sa bouche, même si on le payait. Il parcourut donc les boissons, évitant la liste interminable de bières pour aller directement aux softs en bas de la page, et choisit un jus de raisin certifié bio. Le serveur vint prendre leur commande, et son nouvel ami demanda un soda, certainement trop sucré et chimique, mais Cal était déjà satisfait que l'homme concède à ne pas boire d'alcool.

Ils attendirent leurs verres en silence, en se jaugeant du regard. David avait des traits marqués, les contours de ses yeux étaient rougis et des cernes profonds faisaient ressortir ses pommettes saillantes. Ses cheveux étaient hirsutes, d'un blond terne qui tirait sur le gris. Il ressemblait à un ermite. Un ermite au milieu d'une grande ville, profondément seul et vide. Mais cela n'altérait pas totalement son charme particulier. Ses mains tremblaient légèrement et il les cacha sous la table en bois aggloméré dont les bords étaient usés. Puis, le serveur revint, posa des ronds en carton estampillés d'une marque de bière et mit les verres dessus, avant de repartir vers d'autres clients. Ils prirent le temps de boire une gorgée, puis Cal prit une inspiration.

« Souhaites-tu me raconter ce qui t'est arrivé ? »

Le passage au tutoiement était volontaire, mais David le releva à peine et l'imita naturellement.

« Parle-moi d'abord de ce que tu fais, je déciderai ensuite si je veux déballer ma vie devant un parfait étranger. »

C'était la troisième fois qu'il le recadrait, constata Cal. Cela le fit sourire intérieurement. Il avait l'habitude que les gens se confient à lui très facilement. Mais cet homme, même s'il portait son malheur comme un étendard, n'avait aucune confiance en Cal et ne s'ouvrirait pas docilement. Néanmoins, il avait réussi à éveiller sa curiosité, sinon il n'aurait pas pris la peine de venir une fois sobre. Cal choisit de prendre cette marque d'intérêt comme un compliment, car son intuition lui disait que peu de choses devaient susciter son attrait.

« Je suis ici pour promouvoir le Meyerisme. »

« C'est un culte ? »

« Nous ne sommes pas un culte, mais un mouvement. »

« Quelle est la différence ? » Demanda David, avec une légère ironie dans la voix.

« Il ne s'agit pas de religion. Nous croyons que l'humanité court à sa perte, si notre mode de vie ne change pas radicalement. Nous sommes une communauté qui s'étend, qui grandit… »

Cal parla longuement du mouvement, avec tant de passion dans son regard et dans sa voix qui vibrait dans l'air surchauffé du pub, que David l'écouta en ravalant son cynisme et ses remarques. Cal était comme entouré d'une aura lumineuse quand il prêchait, ses iris d'un bleu céruléen le fixaient sans ciller, brillants d'émotion, ses mains voletaient atour de lui, légères, larges et masculines, appuyant ses propos. Il croyait vraiment en ce qu'il disait, comprit David qui ne put néanmoins s'empêcher d'exprimer son scepticisme.

« La lumière, l'échelle, toujours dire la vérité… C'est bien beau tout ça, mais j'ai du mal à croire par quel miracle cela peut-il anéantir toute souffrance. »

« J'ai l'impression que tu ne crois plus en rien, David. »

« Plus depuis cinq ans. »

Cal se tut un instant, pris de court par la révélation soudaine. Que c'était-il passé il y a cinq ans ?

« Raconte-moi, » l'invita-t-il simplement, dans un murmure.

« Je ne saurais pas par où commencer. »

« Par le début. Le reste suivra. »

David regarda la rue par la fenêtre du bar, perdu dans ses souvenirs durant un moment où le temps sembla se suspendre. Cal attendit patiemment, ses yeux fixés sur le profil de l'homme en face de lui, ses lèvres mutines, son menton proéminent qui lui donnait un port de tête princier, son nez fin. Cal voulait le voir sourire.

« J'étais marié, » débuta-t-il.

Adultère ou décès ? Se demanda Cal. Aucune alliance à son doigt, remarqua-t-il. Adultère, sinon il l'aurait gardée par nostalgie.

« Maja et moi avions une merveilleuse petite fille, Leonie, mais notre couple s'était essoufflé depuis longtemps. »

Il s'interrompit, but une gorgée de soda, puis plongea son regard dans le sien.

« Je ne suis pas un homme bien, Cal. »

« Ce n'est pas à toi d'en juger. »

« J'ai tué ma fille, » dit-il, comme si les mots l'écorchaient vif.

Cal prit l'aveu comme un coup de poing au ventre, ses poumons se vidèrent brusquement. Il planta ses ongles dans sa cuisse à travers son pantalon, pour ne rien montrer de son trouble.

« Je te regarde, je te vois, tu n'es pas un assassin. »

« Tu ne me connais même pas… » Chuchota-t-il, ses yeux brillants de larmes contenues.

Dans une action calculée, Cal saisit la main de David sur la table et la serra. L'homme se tendit, comme s'il allait rejeter le geste intrusif, il contracta sa mâchoire, Cal put voir les muscles jouer sous sa barbe de trois jours, puis il pivota lentement son avant-bras et enroula ses longues phalanges autour du poignet du brun. La peau était douce et chaude, il sentit le pouls rapide et fort sous la pulpe de ses doigts.

« Comment est-elle morte ? » Demanda Cal.

« Elle s'est cogné la tête en tombant dans la piscine. Le temps que je m'en rende compte, elle s'était noyée. »

« Tous les êtres humains sont faillibles, David, et tous les parents relâchent leur attention de temps à autre. Personne ne peut être vigilant en permanence. Malheureusement, cela arrive parfois au plus mauvais moment. Ça ne fait pas de toi un meurtrier. »

« Tu ne comprends pas. Elle est morte parce que j'étais trop occupé à sauter la voisine au lieu de m'occuper d'elle. »

Il vomit littéralement les mots comme s'ils le rendaient malade et fut alors incapable de retenir ses larmes plus longtemps. Les perles salées coulèrent librement sur ses joues creusées sans qu'il cherche à les essuyer, puis s'écrasèrent sur les motifs du bois de la table qu'il fixait comme si toutes les réponses y étaient gravées. Sa prise sur le poignet de Cal se raffermit au point de lui faire mal, mais le leader ne fit rien pour se dégager, partageant sa souffrance.

« Maja ne m'a jamais pardonné, elle est partie et refuse de me parler depuis. Elle a refait sa vie. »

Cal allait dire quelque chose, mais David le relâcha alors brusquement et se leva en faisant racler sa chaise sur le sol.

« Je ne sais pas pourquoi je te raconte tout ça. Je suis désolé. »

« Je peux t'aider, David. Laisse-moi alléger ton fardeau. »

« Personne ne peut m'aider. Je ne le mérite pas, » conclut-il, avant de jeter un billet sur la table et de quitter le bar.

Cal passa l'après-midi dans le brouillard. Incapable de se concentrer, il préféra regagner sa chambre et méditer sur son lit pour se recentrer et rééquilibrer son corps et son esprit. Il ne devait pas se laisser atteindre par la souffrance de David. Mais, le matelas était trop mou, une musique assourdissante venait d'une chambre voisine, il faisait trop chaud, puis trop froid. Exaspéré, il se leva et fit les cent pas dans la pièce.

Il connaissait le nom et l'adresse de l'homme, mais savait qu'il ne pouvait pas simplement se pointer devant sa porte. Il prendrait ce geste comme une intrusion, ou pire, du harcèlement. Cependant, il rentrait aux États-Unis le lendemain et craignait que David ne revienne pas. Il y avait quelque chose chez cet homme… Il était intelligent et fort. Il pouvait l'intégrer au programme pour le guérir de son alcoolisme, puis lui faire prononcer ses vœux pour qu'il gravisse les barreaux de l'échelle. Il deviendrait une réussite personnelle et lui serait redevable, un allié de taille pour témoigner de ses capacités. Bien sûr, Cal aurait pu choisir n'importe qui d'autre à New York. Les gens sur la mauvaise route ne manquaient pas. Puis il y avait Mary qu'il désirait ardemment malgré tous ses efforts. Mais le destin avait mis David sur son chemin et Cal ne croyait pas au hasard. Et son instinct allait lui donner raison.

David s'assit devant une bière, à côté de son meilleur ami, au comptoir du bar où ils avaient leurs habitudes. Max était inquiet, surtout depuis qu'il l'avait sauvé in extrémiste de sa tentative de suicide la veille, quand David s'était laissé coulé dans son ancienne piscine, et son appel l'avait intrigué.

« Also, was wolltest du mir erzählen? »(1)

« J'ai rencontré quelqu'un. »

Max ne cacha pas son étonnement.

« Comment s'appelle-t-elle ? »

Mais, David le détrompa immédiatement.

« Ce n'est pas ce genre de rencontre et c'est un homme. Il s'appelle Cal et il prétend vouloir m'aider. »

« Il prétend ? » L'interrogea Max. « D'où sort ce type, David ? »

« Il m'a raccompagné hier soir et m'a proposé de le rencontrer aujourd'hui. J'imaginais qu'il était peut-être un assistant social ou un psy, que sais-je. Il m'a dit qu'aider les gens était son métier et je pensais que parler me ferait du bien. »

« Tu peux me parler à moi, David. Ça fait cinq ans, maintenant. Il faut que tu arrives à surmonter ça. »

« Je ne peux pas y arriver seul. »

Cet aveu était un progrès en soi. Max avait regardé son ami sombrer, impuissant, durant toutes ces années. David refusait de renoncer à Maja, de se pardonner lui-même, et courrait après une absolution qu'aucun ici ne lui donnerait. Pas même Max. Il le soutenait, car il n'avait personne d'autre et qu'il l'aimait, mais il ne pouvait s'empêcher de lui en vouloir dans le fond. David n'était pas tout blanc dans cette histoire, même si c'était un terrible accident. Alors, si un homme étranger à tout ça pouvait l'aider, ce serait sûrement pour le mieux. Son ami avait besoin de se confier à quelqu'un qui ne le jugerait pas.

« Je suis content de te l'entendre dire enfin. Et finalement, il fait quoi dans la vie ce Cal ? »

« Il dirige un groupe. »

« Genre groupe de soutien ? »

« Non, genre hippie sur le retour. Vie en communauté, partage, végétarisme, nourriture biologique, voitures électriques, ce genre de chose. »

« Ça sonne comme une secte. »

« Il dit que ce n'est pas le cas. »

« Évidemment ! Il ne va pas l'avouer ouvertement, enfin, David ! Serais-tu devenu soudainement stupide ? »

« Je sais parfaitement de quoi ça a l'air. Mais, j'ai besoin de repartir à zéro, Max, loin de toute cette merde, je ne peux plus continuer comme ça. Et Cal m'en offre l'opportunité. »

« Loin d'ici ? À quel point exactement ? »

« New York. »

« Les États-Unis ?! Et pourquoi pas la Chine, tant qu'on y est ?! Si tu veux commencer une nouvelle vie, tu peux très bien déménager dans une autre ville, ou même en France ou en Suède, inutile de t'exiler à l'autre bout du monde. Qu'est-ce qu'il se passera quand tu te retrouveras bloqué là-bas, sans ressource et sans personne pour te soutenir ? »

« Je suis tout à fait capable de m'en sortir, » persista David. « J'espérais avoir ton appui, mais si tu ne crois pas en moi… »

« Tu es injuste, David. Ce type veut se servir de toi ! C'est ce que font les cultes, ils repèrent les gens dans le besoin et profitent de leur faiblesse ! » S'emporta Max, en secouant l'épaule de son ami. « Pour l'instant, il choisit minutieusement ses mots, te fait croire qu'il est totalement inoffensif, et quand tu seras sous leur coupe, viendront les demandes financières et l'isolement. »

« C'est moi qui vais profiter de lui, Max. Je vais saisir l'occasion et une fois installé là-bas, je trouverai un travail et je partirai le plus tôt possible. Cal m'a dit qu'on pouvait très bien choisir de pratiquer leur mode de vie à l'extérieur, il n'y a aucune obligation à vivre dans la communauté. Tout ce que j'ai à faire, c'est lire un bouquin, participer à quelques séances de yoga et assister à des réunions hebdomadaires. Ce n'est pas cher payé pour entrer légalement aux États-Unis. J'aurai de nouvelles possibilités, je pourrai même reprendre la peinture. »

« Mon Dieu… Il t'a lavé le cerveau en l'espace d'une heure ! »

« De quoi tu parles ?! » S'énerva David en se levant. Il n'avait même pas touché à sa bière. « Regarde-moi, Max ! Je ne suis plus rien ! J'ai tout perdu ! C'est la première fois depuis cinq ans que je n'ai pas juste envie de me foutre en l'air ! J'en ai rien à carrer de leurs croyances, je vais juste utiliser leur générosité pour recommencer là où personne ne saura quel monstre je suis ! »

« Tu dis n'importe quoi, David ! Tu n'es pas un monstre et tu n'as pas besoin d'aller si loin pour être anonyme si c'est vraiment ce que tu veux. »

« J'étais un peintre célèbre, mon nom finira toujours par me rattraper. Je dois quitter le pays pour espérer disparaître. Et quitte à le faire, autant que ce ne soit pas sans rien ni personne. Ils me logeront et me donneront tout ce dont j'aurai besoin, le temps que je puisse me retourner. »

« Mais à quel prix ? Tu t'imagines réellement qu'ils te laisseront simplement profiter de leur générosité sans rien demander en retour ? Qu'ils te laisseront partir sans broncher ? »

David le regarda, un pied déjà vers la porte.

« Tu n'as pas envie que je m'en sorte, » conclut-il, sinistrement.

« Quoi ? »

« Tu préfères que je reste ainsi, comme ça tu peux exister. Tu as toujours été jaloux, Max. De ma femme, de Leonie, de mon succès. C'est tellement valorisant, n'est-ce pas, d'être tout ce qui me reste ? Mais c'est terminé. Cal s'envole demain et je pars avec lui. »

Sur ces mots, il quitta le bar sans un regard en arrière pour Max qui resta bouche bée et incapable de réagir.

La nuit était tombée, quand David arriva devant l'hôtel. Il espérait que le brun n'était pas quelque part en ville. Il inspira l'air glacial du soir, leva les yeux vers l'entrée et posa un pied sur la première marche à la seconde où Cal poussait la porte pour sortir. Il se figea en haut du petit escalier et ils se fixèrent un instant d'éternité. Il se mit alors à neiger et Cal sourit.


(1) « Alors, qu'est-ce que tu voulais me dire ? »
Le titre du chapitre signifie : "Pauvre mais sexy", l'un des surnoms de Berlin qui, je trouve, correspond assez bien à David.