C'était impossible.
La phrase tournait dans sa tête, indéfiniment.
C'était impossible.
Elle ne peut pas mourir. les héros ne meurent jamais. C'est comme ça, c'est une règle tacite mais pourtant toujours respectée. On ne tue pas l'héroïne. On n'a tout simplement pas le droit.
Figé d'horreur, il la regardait. Paralysé, il essayait en vain de se réveiller. C'était forcément un cauchemar. Ce sang sur ses lèvres, ce sang par terre. Des taches de rouge partout. Non, ça ne pouvait pas être réel.
Ce n'était qu'une blessure superficielle, une vilaine hémorragie dont elle se relèvera. Allison se relève toujours, de toute façon. L'héroïne se relève toujours. Il a déjà perdu son frère, un membre de sa meute est possédé. Pour peu, il se croirait dans une série noire. mais ça, ça n'arrive que dans les films. Ou bien ça arrive aux autres, à la rigueur.
Il l'imaginait se relever, le sourire aux lèvres, il l'imaginait achever son ennemi. Ensuite, elle l'embrasserait sur les lèvres. Et le cauchemar prendrait fin.
Mais c'était fini. D'un coup, comme ça, il avait percuté. C'était comme un grand seau d'eau dans la figure. Comme un poing dans les côtes. Comme si le poignard qui l'arrachait à lui se retrouvait soudain dans sa poitrine. Ce poignard-là et des centaines d'autres. Le silence s'était abattu, même le vent s'était tu. Tous les regards vers elle, surpris, horrifiés, la même expression douloureuse sur chaque visage. Puis Scott avait couru vers elle, et chacun avait pris conscience de la réalité. Allison n'allait pas se relever, ni achever ses ennemis. C'était ses ennemis qui l'avaient achevé.
Dans son ventre, le poignard luisait. Comme fier d'avoir abattu Allison Argent, de se dresser là dans son ventre. Épouvanté, hébété, Isaac regardait, sans oser approcher, comme si voir de plus près aurait rendu la chose plus horrifiante encore. Il ferma les yeux, les rouvrit. Le poignard était toujours là. Il aurait aimé hurler. Mais hurler, ça ne change rien. Hurler, c'est pour les lâches, pour les faibles. Et ça ne guérit même pas.
Allison, mourir ? C'était stupide ! Allison ne peut pas mourir, elle est tout ce qui lui reste dans sa misérable vie. Elle n'a pas le droit de partir. Elle n'a pas le droit de le laisser là, elle ne peut pas l'abandonner ! Ce n'est qu'une question de temps, bientôt elle se redressera. On l'emmènera à l'hôpital, comme on l'a fait pour lui, elle se rétablira et tout redeviendra comme avant.
Mais cela n'arriverait pas, il sentait la vie fuir le corps de son amie, tandis que dans son esprit, défilant à toute vitesse, il voyait tous les moments passés avec elle, comme pour leur dire adieu. il avait toujours cru que c'était une légende, la vie qui défilait. Ce qu'il aurait aimé, c'est ne jamais avoir à découvrir à quel point c'était vrai.
Il y eut des pleurs, sa voix faible qui s'élevait. Il ne voulait pas l'entendre dire adieu, il voulait disparaître. Il aurait aimé courir vers elle, arracher le poignard, la supplier de vivre et lui promettre que tout irait bien. Mais il ne pouvait pas. Il ne parvenait ni à parler, ni à bouger, il oubliait même de respirer. C'était comme s'il regardait dans les yeux d'un autre, tandis qu'il sombrait. Ses épaules s'affaissaient, ses jambes ne le soutenaient plus. Et alors s'éleva au milieu de l'obscurité, le cri de Lydia.
Des larmes sur ses joues. Il sent qu'il tombe. Ses genoux heurtent le sol et pourtant, il lui semble qu'il chute encore. Il regarde le ciel, parce qu'il se rappelle qu'on lui a dit un jour que c'est là que vont les morts. Il murmure
- Pourquoi tu m'as abandonné ?
Le silence est le seul à bien vouloir lui répondre.