Peter Benjamin Parker. C'est ainsi que l'on m'a appelé à ma naissance.
D'aussi loin que je me souvienne, j'ai toujours vécu aux côtés de toute ma famille : mes parents Richard et Mary, ma tante May et mon oncle Ben. À cette époque, j'étais un petit garçon sage et timide, qui ne demandait pas d'attention particulière. Jamais je n'ai hurlé aux larmes ni fait de caprices, respectant scrupuleusement les consignes et avertissements de mes liens de sang à mon égard.
Notre quotidien était sans histoire, simple et modeste, dans l'arrondissement du Queens.
J'aimais l'humour de mon père, particulier pour certains mais qui parvenait toujours à me faire rire. Même quand j'étais triste, il m'arracha à chaque fois un sourire à cause de ses maladresses comiques. Ma mère fut celle qui passa le plus de temps avec moi. Elle me berça avec tendresse et attention, n'hésitant pas à rester de longues heures à mes côtés après un horrible cauchemar. Ma tante, elle, me faisait parfois peur lorsqu'elle se mettait en colère, mais j'adorais son esprit fougueux. Quant à mon oncle, c'était la voix de la sagesse de la famille. Un homme humble et calme, toujours le mot juste et n'ayant jamais cédé à la moindre provocation ou menace.
Ils étaient mes anges gardiens. Être avec eux suffisait à me combler de bonheur.
Lorsque je sus lire, écrire et m'exprimer correctement à seulement trois ans dû à mon intellect plus développé que la moyenne, je me mis à dévorer tous les ouvrages à ma portée. Je passais des heures interminables confiné dans ma chambre, à contempler les illustrations des contes pour enfants et à lire des petits romans dont je pouvais facilement comprendre l'histoire. Certes, j'aimais bien jouer dehors, mais je préférais davantage la tranquillité de la maison familiale à la monotonie du jardin public situé trois rues plus loin.
Un jour, en prêtant par hasard attention à la télévision, je vis un reportage sur Stark Industries et son dirigeant excentrique répondant au nom de Tony Stark. Beaucoup d'informations m'ont échappés, sauf les éloges sur le patron de l'entreprise. Lui-même se considérait comme un « génie, playboy, philanthrope, milliardaire ». Et la surprise fut d'autant plus grande lorsqu'il avoua au grand public être le super héros Iron Man, dopant ainsi sa popularité déjà reconnue dans le monde entier. Instantanément, je me pris d'admiration pour cet homme. Mon cœur candide s'exalta en voyant les images de son armure rouge et jaune voler à travers les cieux et tirer des décharges avec ses gantelets. Ses actes héroïques remplirent plusieurs pages de magazines, que je ne me lassais pas de relire encore et encore jusqu'à les connaître par cœur. Je m'amusais également à imiter l'homme de fer dans le salon, et ma famille jouait le jeu avec moi, pour mon plus grand plaisir.
Lorsque la nuit tombait, la lune était visible depuis la fenêtre de ma chambre. Je pris alors aux creux de mes mains un petit objet scintillant avec l'astre lumineux : un fragment de cristal, taillé en forme de losange avec un sommet sphérique, attaché autour de mon cou comme un pendentif. Je l'ai toujours possédé depuis ma naissance, et je ne m'en suis jamais séparé. Ainsi, le petit garçon que j'étais pria chaque soir avant de dormir, le joyau chaleureusement couvert de mes doigts et le cœur rempli d'espoir.
Peu importe que je ne puisse jamais voir Iron Man autrement qu'à la télévision. Je me moque de la richesse ou la reconnaissance d'autrui… Tout ce que je souhaite, c'est être heureux auprès des personnes que j'aime.
Et puis le temps s'est arrêté lorsque j'eus huit ans.
J'étais malade, cloué au lit à cause d'un rhume. May et Ben prirent l'habitude de s'occuper de moi lorsque cela arrivait, car mes parents rentraient souvent très tard à la maison à cause de leur travail. Cette fois-ci, tous mes liens de sang furent réunis à la demeure pour me soigner, chacun à tour de rôle.
Ma tête me faisait trop mal pour que je puisse dormir, alors je me suis contenté d'observer le ciel derrière ma fenêtre durant de longues heures. Tout à coup, un gros bruit de verre brisé éclata à l'étage en dessous, faisant bondir mon cœur sous l'effet de la surprise. Des voix masculines se sont ensuite mises à rugir des menaces dans une langue qui m'était inconnue. Pressentant un danger, j'ai retiré mes couvertures en un éclair et me suis réfugié le plus profondément possible à l'intérieur du placard. J'étais tétanisé d'effroi, complètement immobile…
La porte de ma chambre s'ouvrit dans un fracas infernal. Des pas lourds envahirent rapidement l'espace, et j'entendis à travers l'armoire étanche les meubles se renverser par terre, les tiroirs s'ouvrir avec frénésie et mes affaires être détruites. Ils retournaient et saccageaient chaque parcelle de la pièce, jusque dans les moindres recoins. Mon rythme cardiaque s'intensifia…
Ne vous approchez pas d'ici, ne vous approchez pas d'ici, ne vous approchez pas d'ici… Répétais-je en boucle dans mon esprit, les yeux clos, le souffle coupé et roulé en boule comme un chat.
Pendant ce qui m'a paru une éternité, les inconnus grommelèrent entre eux des phrases indistinctes, puis ils finirent par quitter la chambre au bout de plusieurs minutes. Le vacarme céda sa place au silence le plus complet. L'adrénaline qui m'avait auparavant enivré s'évapora aussitôt, et je soupirai de soulagement. En sortant de ma cachette, mes yeux s'écarquillèrent lorsque je découvris mon cocon de quiétude complètement sens dessus dessous, comme si une tempête s'y était brutalement abattue et avait tout ravagé sur son passage. Des gouttes de sueur trempèrent mon front, dû à la peur et à ma santé fragilisé par le rhume. J'ignorais l'identité de ces individus et quel était leur motif, mais une seule pensée demeurait claire dans mon esprit chamboulé : je devais fuir.
Je me relevai de manière chancelante, puis me mis à dévaler l'escalier tellement vite que je manquais de trébucher à plusieurs reprises. Ce n'est qu'une fois avoir passé la dernière marche que j'aperçus du sang s'écouler sur le parquet. Je fus pris de tremblements à la vue de cette mare rouge, et mon souffle saccadé s'affola… Après de longues minutes d'hésitation, je marchai à tâtons dans le couloir, perturbé par l'odeur de l'hémoglobine. En tournant mon regard vers le salon, mes jambes s'effondrèrent de tous leurs poids à terre et mon visage fut pétrifié par l'horreur… Je ne pouvais croire ce que je voyais.
Les corps sans vie de mes parents, de mon oncle et de ma tante, gisants au sol, ensanglantés et criblés de balles.
Non… Ce n'est pas vrai… Ça ne peut pas être vrai… C'est un cauchemar…
Aucun son ne sortit de ma bouche. Je n'eus même pas la force de crier.
J'ai rampé lentement près du cadavre de ma mère, en ignorant totalement que mes jambes et mes mains se baignèrent dans une flaque de sang. Ses cheveux désordonnés et le liquide vermillon qui la recouvrait ne m'empêchèrent aucunement d'apercevoir sa tête… Les yeux clos, la peau livide et une expression faciale terne, peinée. Les mêmes traits de douleur et d'inertie se retrouvaient sur le visage de mon père, May et Ben.
Alors, seulement, je compris qu'ils étaient morts. Une tristesse sans nom me submergea et coula en larmes aux coins de mes paupières.
- Maman… Papa… May… Ben… Ai-je murmuré entre mes lèvres, les poumons brûlants.
Je fus plongé dans une forme d'état second. Mon corps entier était froid. Une horrible sensation de nausée monta en moi à mesure que je respirai l'odeur répugnante qui imbibait le salon, mais je me retenais de tout mon être à ne pas vider mon estomac sur le parquet souillé. Subitement, Un frisson me parcourut l'échine, comme si ma conscience voulait m'alerter de quelque chose. J'ai alors lentement tourné la tête… Quatre hommes d'une quarantaine d'années se trouvaient derrière moi, armés de pistolets et vêtus d'une tenue noire avec un étrange insigne sur l'avant-bras gauche que je ne parvenais pas à discerner. L'un d'entre eux se tenait un peu plus en avant des trois autres. Ses yeux noirs et perçants étaient dépourvus d'humanité ou de remord.
Le chef m'a longuement fixé du regard avec un air impassible et terriblement calme, puis il prononça un ordre à un de ses larbins. Ce dernier s'exécuta, le canon de son arme en direction de mon front.
Soudain, je pris pleinement conscience de la situation dans laquelle je me trouvais… Ces types-là n'étaient pas des voleurs mais des assassins. Quelqu'un les avait envoyés pour tuer mes parents, May et Ben. Et maintenant que c'était chose faite, ils allaient éliminer tout témoin de leur crime… Je compris que j'allais être le prochain à mourir.
Tous mes sens s'estompèrent, comme si mon esprit s'était séparé de la réalité et avait abandonné mon corps… Ma vision se flouta, embuée par les larmes, et j'ai attendu ma fin en formulant mentalement une prière désespérée :
Au secours…
En l'espace d'une seule seconde, le mur à ma gauche éclata en mille morceaux. J'eus très vite le réflexe de me couvrir le visage avant que la poussière ne m'aveugle, ce qui ne fut malheureusement pas le cas des quatre hommes, qui se mirent à tousser et à grogner tels des bêtes sauvages. La peur me défendit de regarder ce qui était en train de se passer, alors j'ai continué à dissimuler mon regard, tandis que des détonations assourdissantes résonnèrent aux creux de mes tympans, mélangées avec les cris étranglés des meurtriers. Cette cacophonie a duré seulement quelques instants avant de se taire.
Une fois m'être repris du choc de cette intervention, j'ai retiré mes bras tremblants de la figure et ait instinctivement levé les yeux vers celui ou celle qui m'avait sauvé… Et ce que je vis resta à jamais gravé dans ma mémoire.
Un masque aux yeux brillants. Une armure en métal écarlate et dorée, craint par les criminels mais acclamé par le public, et qui n'appartenait qu'à une seule personne en ce monde.
Iron Man.
Mon idole était là, juste devant moi. Je fus incapable de détourner mes iris de l'imposante armure, trop secoué pour esquisser le moindre mouvement… Dans n'importe quelle autre circonstance, j'aurais sauté de joie, lui aurait posé des centaines de questions et hurler que c'était le plus beau jour de ma vie. Seulement, la présence des cadavres tout près de moi me rappelèrent avec brutalité que j'étais le seul rescapé d'un massacre sanglant.
Le super héros, après avoir constaté que les assassins étaient inconscients, se tourna alors vers moi.
- Tu n'es pas blessé, petit ? Me demanda-t-il avec une voix légèrement modifié à cause de son casque.
Cette phrase fit revenir mon esprit sur la terre ferme. Je fis non de la tête d'un geste rapide. Une minute silencieuse s'ensuivit, durant laquelle nos regards se soutenaient mutuellement. Soudain, un son éloigné et régulier se fraya un chemin vers mes oreilles… Je n'y avais pas prêté attention à cause des évènements survenus un peu plus tôt. On aurait dit un cliquetis d'horloge, ce qui me parut étrange étant donné que la demeure ne possédait pas d'horloger. En me concentrant attentivement sur la nature du bruit, ce dernier ressemblait davantage à un décompte. Ce fut alors que je compris, et je jetai un regard paniqué à Iron Man… L'homme de fer n'eus pas besoin de plus pour déduire de quoi il s'agissait, et me pressa fortement contre lui avant d'évacuer très vite les lieux à l'aide de ses propulseurs.
Une déflagration flamboyante retentit tout à coup.
Le souffle de l'explosion fut tellement puissant que l'armure perdit l'équilibre et s'écrasa violemment au sol. Je me suis retrouvé étendu sur l'herbe, à moitié sonné. Je rassemblai le peu de forces qu'il me restait pour me relever. L'air autour de moi était grésillant, brûlant et suffocant. Des flammes et une colonne de fumée s'élevèrent dans le ciel noir, où j'aperçus au cœur du brasier les vestiges charbonneux des murs et des fondations de la maison où j'avais grandi. Les visages souriants de ma famille me réapparurent à l'esprit pendant un très court instant, puis leurs portraits se détériorèrent à travers les crépitements du feu.
À ce moment-là, les battements de mon cœur se sont tus.
Je me suis laissé écrouler à même le sol. Je perdis totalement pied avec la réalité, et la dernière chose que j'entendis avant de perdre connaissance fut l'alarme des pompiers et une voix mécanique lointaine.
