Titre : Le Cinquième Sacré du Ciel.
Sous-titre : Partie 1 : Le Pantin Tueur.
Genre : une bonne dose d'Action, la même quantité d'Aventure, et une pincée de Romantisme. Préquelle (fanfiction se plaçant chronologiquement avant Samuraï Deeper Kyo).
Résumé : et si les Sacrés du Ciel avaient finalement été cinq ? Retour sur les événements qui ont fondé la légende d'Onimeno Kyo et des Cinq Sacrés du Ciel…
Rating : T (certains chapitres, notamment le premier, sont particulièrement violents et sombres).
Disclaimer : les personnages de Samuraï Deeper Kyo appartiennent à Akimine Kamijyō, et je ne tire aucun profit de cette fanfiction. Seuls les personnages de Tsunae et des Kami no Aishiteru sont de mon invention, et même avec eux je ne gagne pas un kopek.
Avertissement : même si ma fanfiction part à sa dérive dès le volume 22 de la série, je n'ai pas évité les spoilers afin de mieux cadrer au manga. Parfois, j'ai aussi carrément copié-collé quelques lignes de dialogues.
Note : le premier chapitre est uniquement basé sur un OC (Original Character), mais la suite, je l'espère, n'est pas trop… OOC ! ^_^


Chapitre 1 :

L'Esclave

- Tiens ton sabre un peu mieux que ça ! Tu n'assures pas ta garde !

- ...

La fille rectifia la position de son sabre sans cesser de parer et dévier les coups de son maître d'armes. Le cliquetis des armes résonnait dans les jardins, dans le palais même. Sous le regard de son père, le Seigneur du Vent, et de sa suite, maître et disciple volaient, attaquaient, paraient. Le maître d'armes abreuvait la fille d'insultes bien senties, auxquelles elle ne répondait pas. Son visage ne trahissait aucun sentiment, aucune expression. Il était fermé, impassible. Comme toujours. Le Seigneur du Vent soupira. Les entraînements de sa fille devenaient de plus en plus rébarbatifs... Il songeait de plus en plus souvent à remplacer l'actuel maître d'armes. Celui-ci devenait ennuyeux, et n'apprenait rien de nouveau. Il se faisait dépasser par sa « disciple ». Comme tous les autres avant lui. Au bout de quelques semaines à peine.

Le Seigneur du Vent sourit à cette idée.

Sa fille était décidément la plus douée. Elle était invincible.

- Le moment approche... murmura t-il pour lui-même.

- Seigneur, vous disiez quelque chose ? demanda l'un de ses courtisans à côté de lui.

- Je n'ai rien dit. Lavez-vous les oreilles plus souvent, répliqua t-il sèchement.

Le courtisan s'inclina avec respect et crainte.

Le Seigneur ne fit pas attention à cette marque de déférence. Il était tout entier à l'entraînement - le dernier de ce maître d'armes. Il fit claquer ses doigts.

L'éducateur fut soudain submergé par la rapidité et la puissance des coups de sa « disciple ». Il se rendit compte avec horreur qu'il avait de plus en plus de difficultés à parer les attaques de la fille, qui, toujours impassible, semblait l'assaillir de toutes parts.

- Ah !

Il y eut un bref instant de flottement, durant lequel le maître d'armes crut que le temps s'était arrêté. Une brise douce lui souleva les cheveux, lui apportant l'odeur amère du sang.

Il baissa les yeux.

Le sabre de la fille avait transpercé sa poitrine, jusqu'à la garde. Et ressortait entre ses omoplates, voilé de sang.

- Q... Quoi ? bégaya l'éducateur.

Sa bouche s'emplit de sang, et un filet vermeil coula le long de son menton, de ses narines. La fille raffermit sa prise sur le sabre et le fit chuinter d'un geste sec, le faisant tourner sur lui-même avant de le retirer. Le maître d'armes s'effondra dans un gargouillement sinistre.

Le Seigneur du Vent éclata de rire et applaudit bruyamment.

La fille restait plantée là, le sabre suintant de sang à la main. Ses yeux fixaient le néant, le vide devant elle.

- ...

Elle ne répondit pas à l'étreinte factice de son père. Le Seigneur la serra dans ses bras, puis s'écarta d'elle et ordonna à ses courtisans de le suivre. Il fit appeler les deux gardes de sa fille, qui se laissa reconduire sans broncher dans sa « chambre ».

oOo

L'un des gardes referma la grille derrière elle. La fille lui tournait le dos, marionnette presque sans vie dans l'obscurité de sa cellule. Elle resta immobile un instant, puis s'assit sur la paillasse miteuse au coin d'un mur, repliant ses jambes sous son menton et se balançant obstinément d'avant en arrière. Un peu au-dessus d'elle, à sa gauche, un petit soupirail laissait pénétrer les rayons éclatants du soleil, qui imprimait sur le sol de terre un petit rectangle de lumière. Des éclats de voix lui parvenaient. Qui se rapprochaient.

- ...

Les deux gardes passèrent devant le soupirail sans y prêter la moindre attention. Elle entendait leurs bavardages mais ne les écouta pas. La fille contemplait silencieusement le mur qui lui faisait face. Des inscriptions diverses le recouvraient presque entièrement. Elle s'en abreuva, les lut et les relut, sans relâche.

« Jugeant mon crime, le roi des enfers... abaisse son sceptre de feu et me condamne... à l'enfer de la chair éternellement mutilée, l'enfer de la vermine, l'enfer de la torture, l'enfer des lamentations, l'enfer des hurlements...

Le tambour résonne inlassablement dans le chaos de la guerre.

Ayez pitié de mon âme ! »

- ...

oOo

Le Seigneur regarda la fille debout devant lui, les yeux dans le vague, semblant ignorer ce qu'il se passait autour d'elle.

- Tss...

Il ne put réprimer une grimace dédaigneuse. Un garde s'avança et, du plat de la lance, frappa les genoux de la fille, qui tomba aussitôt face contre terre, sans plus bouger. Le Seigneur du Vent crut encore une fois entendre un petit gémissement étouffé. Il n'y prêta pas plus attention et adressa alors la parole à la fille agenouillée à ses pieds.

- Fille, ton instructeur ayant rejoint le monde des morts, il est temps pour toi de prendre un nouvel instructeur. Dès demain, un avis circulera dans tout le royaume et d'ici la fin de cette semaine je veux que tu te remettes au travail. Tu as donc toute liberté.

Il eut un sourire à l'évocation de cette liberté : la grille de sa cellule serait ouverte, mais il savait qu'elle n'en sortait que très peu, et que de toute manière elle était incapable d'éprouver un sentiment quelconque de révolte, de besoin, d'indépendance. Elle était son pantin tueur, sa marionnette bien-aimée et fidèle.

Le Seigneur fit un geste sec de la main, signifiant que l'entretien était terminé, et les gardes reconduisirent la fille dans sa cellule.

oOo

Comme la brise légère qui soufflait sur la cité ce soir là, elle bondissait agilement de toit en toit, ne s'arrêtant qu'un très bref instant afin de reprendre appui et de s'élancer à nouveau. La fille se glissait dans l'obscurité naissante de la ville, entre deux ombres, entre deux souffles de vent. La brise ne lui apportait dans sa cellule que des effluves vagues, imprécises, et cela ne lui suffisait plus. Ces ondes de simplicité qu'elle ne connaissait pas l'intriguaient de plus en plus. Maintenant perchée sur la tour du beffroi, elle laissa venir à elle les sons et les odeurs que lui apportait son seul allié.

Éclats de voix dans le crépuscule.

Odeur du pain qui gonfle dans le four.

Bruits du marteau du forgeron sur l'enclume.

Rires d'un enfant.

Bribes de musique.

- ...

Elle leva la tête vers les étoiles naissantes sur la voûte céleste, tendit la main pour les attraper. Devant sa vaine tentative, elle bondit, le plus haut et le plus loin possible, allongeant le bras et dessinant du bout de ses doigts fins le croissant de lune.

Elle baissa la tête et contempla la cité, là en bas si petite, qu'elle tenait dans le creux de sa main. Puis le vent lui fit comprendre qu'il fallait qu'elle redescende.

La fille atterrit sur le toit du beffroi, puis repartit de plus belle, attrapant au passage une parole, un mot, qu'elle mémorisait, puis s'évertuerait à répéter inlassablement dans l'obscurité de sa cellule.

oOo

Le jour venait à peine de se lever. Elle se glissa hors des murs du palais et rejoignit les vents qui soufflaient un peu plus fort, porteurs de l'odeur âcre et moite des premières pluies.

La fille bondissait sur les murs du palais, explorant chaque recoin, chaque parcelle obscure. Elle tomba sur un nid où piaillaient quatre oisillons affamés. Elle les regarda un moment, s'essayant à leur langage, puis repartit de plus belle, souffle d'air invisible qui passait devant les fenêtres ouvertes.

Un air de musique.

La fille stoppa net, l'oreille aux aguets, en équilibre sur le rebord du toit.

- ... ?

Elle cligna des yeux, hypnotisée par la lente mélopée qui lui parvenait.

Cette mélodie lui rappelait quelque chose, de vague et de très lointain, qu'elle ne parvenait pas à saisir. Un sentiment fugace l'effleura, qui lui fit presque peur.

Elle se laissa guider par le vent qui la mena à une fenêtre ouverte, qui donnait sur une chambre vaste d'enfant. A gauche trônait un immense lit en bois d'acajou, aux draps fins. Une armoire occupait presque la totalité du mur opposé.

Au centre de la pièce, une table, sur laquelle on avait posé une petite boîte.

Magnifiquement ouvragée, elle était recouverte de feuilles d'or que l'on avait travaillées de manière à dessiner de fines feuillures et de délicates arabesques qui reflétaient de petits rayons dorés.

La boîte était ouverte, et une musique douce semblait en sortir.

Un petit garçon, peut-être un peu plus âgé que la fille, avait croisé les bras sur la table, et y laissait reposer sa tête, fixant la boîte à musique avec un air rêveur, triste et comblé à la fois.

Un mouvement à la fenêtre lui fit brutalement relever la tête, et la fille disparut aussitôt, s'évaporant avec la brise.

Le petit garçon bondit de sa table et se précipita à la fenêtre en criant :

- Attends ! Ne t'en va pas, reviens ! Eh !

Mais ses appels restèrent vains et il se retourna avec un soupir triste. Puis il alla refermer la boîte avant de la poser sur une petite table près de son lit.

oOo

Lorsqu'elle n'entendit plus la petite musique, elle retourna à sa cellule, un sentiment étrange et pourtant familier lui broyant douloureusement le cœur.

oOo

La fille revint tous les jours regarder par la fenêtre. Elle observait pendant des heures le petit garçon, ses évolutions à travers sa chambre, ses mouvements, comment il utilisait la boîte. Comment il la faisait marcher. Les rares fois où il sortait de sa chambre, elle pénétrait silencieusement dans la pièce, en entrouvrant la fenêtre, refaisait exactement les mêmes gestes, répétait inlassablement les mêmes mots, mes mêmes phrases, de sa voix hésitante, encore rauque. Mais elle n'osait pas toucher à la boîte.

Une nuit pourtant, après le passage du premier tour de garde, elle s'introduisit dans la chambre, aussi silencieusement que possible. Le petit garçon dormait profondément. Elle effleura du bout des doigts son visage aux traits réguliers, l'écouta respirer, puis tourna la tête vers la boîte, posée sur la table. La fille la pris très doucement, s'assit à même le sol, le genoux ramassés sous le menton, puis la fit tourner entre ses doigts, avant de tourner la clef, comme elle l'avait vu faire un nombre incalculable de fois, enclenchant le mécanisme.

La boîte s'ouvrit, la mélodie emplit l'air.

Le petit garçon soupira dans son sommeil, bougea sous sa couverture.

La fille éleva instantanément une barrière de vent autour d'elle, étouffant le moindre des sons. La petite musique jouait, doucement, très tendrement, juste pour elle.

Elle posa la boîte par terre, inclina la tête, l'observant durant des heures, longtemps même après que la mélodie se soit arrêtée. Rien ne semblait avoir plus d'importance à ses yeux que la petite boîte dorée.

Elle la fit rejouer des dizaines de fois, prenant garde au mécanisme fragile, le consolidant quelques fois en lui insufflant une brise douce et éternelle.

Lorsque les premiers rayons de l'aube pénétrèrent dans la chambre, elle reposa la petite boîte sur la table, puis se glissa à l'extérieur, sans bruit.

Le petit garçon ferma les yeux quand elle eut à nouveau disparu. Un sourire éclaira son visage. Il se rendormit.

oOo

La fille fit à nouveau coulisser la fenêtre et se glissa à l'intérieur de la chambre. C'était jour de marché, le petit garçon était parti avec une servante, il n'y avait quasiment personne à cette heure de l'après-midi au palais.

Elle s'approcha de la table qui trônait au milieu de la pièce. La petite boîte était posée là, à côté d'une assiette remplie de gâteaux, et une pomme. La fille n'y prêta pas attention, et allait saisir la boîte à musique lorsqu'un papier dépassant du couvercle attira son attention.

Elle le prit délicatement et le fit glisser, avant de le déplier.

Une écriture fine et maladroite s'étalait sur la feuille. Elle déchiffra les idéogrammes un par un, laborieusement.

« Mademoiselle l'inconnue,

Je t'ai vue l'autre nuit jouer avec ma boîte à musique. Elle a l'air de te plaire, alors je te la prête si tu veux. C'est mon père qui me l'a achetée. Il dit que c'était la chanson préférée de maman, avant qu'elle ne meure.

J'aimerais bien être ton ami.

Je t'ai laissé des gâteaux et une pomme, j'espère que tu aimes les pommes.

Au revoir »

Elle replia le papier et contempla sans rien dire l'assiette au milieu de la table. Elle saisit doucement la pomme, la porta à ses yeux, la tourna entre ses doigts avec curiosité.

- ...po...mme... ? articula t-elle finalement.

Elle donna quelques petits coups de langue sur la peau verte, ne sentit aucun goût. La fille pinça la tige du fruit entre ses dents, voulut la croquer, mais recracha aussitôt. C'était tellement amer... Au bout d'un moment, elle porta timidement le fruit à ses lèvres, mordit la peau, la chair, et détacha un petit bout, qu'elle goûta. Puis elle s'assit au sol et, lisant et relisant la lettre du petit prince, elle mangea sa pomme, petit bout par petit bout, ne laissant qu'à la fin que des pépins et la tige. Elle fit de même avec les biscuits, essuyant soigneusement les miettes tombées sur son kimono, au sol, sur ses doigts, et celles restées dans l'assiette.

Elle replia la lettre et la posa sur la table, avant de saisir la petite boîte et de l'écouter chanter, rien que pour elle.

Lorsque le petit garçon revint de sa promenade, il contempla avec un large sourire l'assiette vide. La petite boîte était toujours là, ouverte, et terminait sa douce mélodie. Sur la table, sa lettre dépliée attira son attention. Il la prit, la tourna. Au dos de la feuille de papier de riz étaient tracés quelques signes maladroits à l'encre noire : « aligatô ». Le petit garçon serra la lettre contre son cœur et laissa échapper un soupir ravi.

Au dehors, le dos plaqué contre le mur, la fille inclina la tête. Des sentiments nouveaux et étranges l'envahissaient, rongeant douloureusement son âme et son cœur d'amertume, et peut-être même de peur. Elle regagna sa cellule.

oOo

Le lendemain, elle trouva la grille de sa cellule fermée à clef. Son père avait trouvé un nouvel instructeur.

oOo

Une nuit d'automne, que la pâle lueur des étoiles ne parvenait pas à éclairer.

Une nuit sans lune, percée des cris et hennissements des chevaux du clan du Feu.

Le vent apportait à la fille des effluves mauvaises, présages de mort.

Dans l'obscurité de sa cellule, elle attendait que l'on vienne lui ordonner de tuer.

oOo

Le Seigneur du Feu intima l'ordre à son armée de s'arrêter. Les chevaux piaffaient, s'ébrouaient nerveusement. Les soldats gardaient le silence, mais ne pouvaient s'empêcher de sourire. La victoire contre le clan du Vent était enfin assurée, après des siècles de guerres incessantes.

Dans la cité, les vigiles commençaient à donner l'alerte. Les cloches du beffroi résonnèrent soudain, crevant le silence de la nuit du glas cruel de la guerre.

oOo

La porte de sa cellule s'ouvrit. Son père, revêtu de l'armure de samouraï du Vent, lui lança un regard froid, presque mauvais.

- Fille, tu iras te battre. Tue tous les guerriers du Feu, tue leur Seigneur et rapporte-moi sa tête avant l'aube. J'ai dit !

Il tourna les talons et remonta quatre à quatre les marches du donjon, suivit par son escorte.

La fille sortit à son tour de sa cellule, et se glissa entre deux brises sinistres au dehors.

oOo

Le Seigneur du Feu effectua un rapide revers et tua encore deux soldats du Vent. Son cheval, trempé de sueur, sautait d'un coin à l'autre du carnage, hennissant furieusement.

Les portes de la cité avaient été pulvérisées. Les maisons de la ville basse, réduites en cendres. Les murs de torchis s'effondraient, les habitations s'écroulaient les unes après les autres sous l'effet de l'intense chaleur qui régnait. Le feu dévorait tout, n'épargnait rien. Les toits de tuiles commençaient à s'effondrer sur eux-même.

Au milieu du brasier, femmes et enfants, vieillards couraient, hurlaient, mouraient. De la main des soldats du Feu, ou immolés dans les flammes impitoyables de l'enfer terrestre.

Les soldats du Vent, débordés, se repliaient progressivement sur le Palais. La cité était presque totalement tombée aux mains du clan du Feu.

Un de ses hommes se fraya un chemin parmi les derniers combats de la ville basse et s'approcha du Seigneur du Feu, qui commençait à rassembler ses hommes.

- Seigneur ! Seigneur !

- Qu'y a t-il, Shoji ?

- Nous avons un problème dans le quartier Est ! Les hommes ne parviennent plus à avancer !

- Comment cela ?

- Cette fille... on dirait qu'elle est intouchable ! Elle a tué à elle seule toute la troupe du capitaine Sugisaki !

- Quoi ?

Le Seigneur du Feu tira brutalement sur les rênes de son cheval et le lança dans la direction du quartier Est.

Et lorsque la rue étroite dans laquelle il se faufilait s'ouvrit sur la place du quartier Est, il entrevit, au milieu des flammes hautes et vives, la fille. Couverte de sang, son sabre à la lame sanglante à la main, elle avait le visage tourné vers les étoiles.

Une poutre s'effondra sous les pieds de son cheval qui, apeuré, hennit. Il se cabra, manquant de désarçonner son cavalier. Le Seigneur du Feu le calma avec peine, et lorsqu'il porta à nouveau son regard sur la créature au milieu de la montagne de cadavres, il ne put réprimer un gargouillis horrifié.

La fille le regardait, un rictus sarcastique sur les lèvres.

Puis elle disparut.

Un sabre chuinta derrière son oreille

- ... !

et la tête du Seigneur du Feu roula au sol, tandis que le reste de son corps s'effondrait de côté dans une gerbe de sang.

oOo

Le capitaine Sugisaki observa la tête de son maître que la fille tenait par les cheveux. Le cou proprement sectionné dégoûtait de sang, sur le tapis de la salle du trône. La fille était elle-même couverte d'un sang poisseux qui commençait à sécher, par croûtes épaisses, sur son visage, ses mains, dans ses cheveux, sur ses vêtements. Son sabre était voilé d'une fine soie vermeille qui suintait encore.

Le capitaine tenait le Seigneur du Vent à la merci de sa lame, et la fille derrière lui ne bougeait pas d'un pouce, sur l'ordre de son père.

- Rendez-vous ou ce sera la mort, articula Sugisaki.

- Comment osez-vous vous adresser à moi, soldat ?

- Je suis le capitaine Sugisaki. A la mort de mon maître et tuteur, le Seigneur du Feu, le pouvoir de mon clan me revient de droit. Je réitère ma question : préférez-vous vous rendre ou mourir ?

- ...

Un expression apeurée déforma le visage du Seigneur du Vent. Ses vertus de courage et de dignité disparurent, un sanglot lui secoua la poitrine.

Sugisaki fit un geste, et trois de ses hommes s'approchèrent, emmenant le Seigneur du Vent et sa fille, ainsi que tous les survivants, dans les cachots.

La nuit suivante, seule dans une cellule qui n'était pas la sienne et isolée des autres, la fille entendit des murmures et des gémissements étouffés, des grognements sourds, des supplications.

Le capitaine Sugisaki s'arrêta devant sa cellule, sa lame encore luisante de sang à la main. Il l'essuya sur un pan de chemise, puis regarda plus attentivement la fille assise dans un recoin obscur. Elle ne bougeait pas, ses yeux fixant le néant. Le capitaine sourit. Tout ce que lui avait dit le Seigneur du Vent s'avèrerait très utile... Il fit tourner une clef dans la serrure, ouvrit la grille.

La fille leva la tête, et à son approche se leva souplement, prête à bondir.

Sugisaki tendit alors la main. Le médaillon glissa de sa paume et, arrêté par la chaîne en argent, il se balança au bout, brillant d'une lueur sauvage à la lumière des torches.

La fille reprit son air impassible, se rassit dans son coin.

- Le symbole du Vent me donne donc tout pouvoir sur toi... ton père avait raison. Tout ce qu'il m'a raconté sur toi était très intéressant. Et je crois que tu pourras garder la vie. A condition que tu travailles pour moi.

Il s'approcha d'elle, s'agenouilla à ses côtés. La fille ne broncha pas. Ne bougea pas. Reprit simplement ce mouvement de balancier, les genoux repliés sous le menton.

- Cesse cela.

Elle obéit aussitôt, ne cessant de fixer le néant en face d'elle.

- Bien. Non seulement tu es invincible, mais tu m'obéis.

Sugisaki glissa deux doigts sous son menton et lui fit relever la tête, l'obligeant à la regarder

- Sous ton maquillage de sang, tu es même assez jolie.

avant de passer une main avide dans le bas de son dos et de l'attirer brutalement à lui, plaquant ses lèvres sur les siennes. Elle ne comprit pas ce qu'il se passait, paralysée par le désir violent de cet homme qui l'écrasait de tout son poids contre le mur humide. Elle voulut se dégager, se protéger le visage et le corps, croyant à une nouvelle peine. Qu'avait-elle fait de mal ? Avait-elle désobéit à un ordre ? Sugisaki immobilisa les poignets de la fille d'une main, l'autre glissant sous son kimono et, en cherchant à l'en débarrasser, il le déchira en deux et jeta rageusement les morceaux de tissu. Ses lèvres lâchèrent celles de la fille, caressèrent la ligne de son cou, la naissance de ses seins. Sugisaki, envahit par son désir brutal, immobilisant la fille sous son corps, étouffant ses protestations en collant à nouveau ses lèvres sur les siennes, déchira l'étoffe qui lui comprimait la poitrine. Ses petits seins apparurent, attisant encore plus son impatience, et de sa main libre Sugisaki imprima sur le corps de la fille ses caresses violentes, ses baisers brûlants. Lorsque ses lèvres revinrent bientôt sur les siennes, il força le passage et sa langue pénétra en elle, avide, mêlant son souffle saccadé à celui de la fille. Celle-ci, sous le pouvoir d'annulation du médaillon du Vent, était sans défense. Sugisaki la débarrassa rapidement de ses derniers vêtements, et, une main plaquée sur la bouche de la fille, l'empêchant de crier, promena ses lèvres sur tout son corps palpitant d'incompréhension.

Mais ce que Sugisaki ne comprit pas, c'est qu'un sentiment nouveau naissait en elle.

De la haine, pure, simple, mêlée à une sensation puissante de révolte.

La fille hurla intérieurement lorsque Sugisaki pénétra en elle, violemment, et déchira ainsi les derniers voiles qui recouvraient un esprit, des émotions auxquels on ne l'avait pas préparée.

Souffrance.

Haine.

Peur.

Rancœur.

Terreur.

Vengeance.

oOo