Malgré les rideaux tirés, un rayon de lumière s'infiltra dans la chambre et se faufila jusqu'au lit. Amoureusement, il caressa le visage délicat de la jeune femme qui dormait. Dans la pénombre ambiante, il éclaira quelques mèches blondes qui reposaient sur l'oreiller, avant de devenir plus puissant. S'étant discrètement glissée dans la chambre, une jeune fille s'approcha de la fenêtre, obstruant la lumière. D'un geste agacé, l'intruse replaça derrière son oreille un de ses cheveux noirs qui s'était échappé de son chignon et ouvrit les lourds rideaux de velours. Le soleil qui inonda la chambre l'obligea à plisser ses yeux verts. Dans les draps de soie, la jeune femme endormie ne semblait pas vouloir s'éveiller. La jeune fille retint un soupir. De deux ans la cadette de sa maîtresse, elle se faisait parfois l'impression d'être la plus âgée. Sans attendre, elle se dirigea vers le lit.

- Votre Altesse, réveillez-vous, commença-t-elle doucement.

Dans le lit, la princesse remua sans ouvrir les yeux. La servante retint un nouveau soupir et toucha doucement l'épaule de la jeune femme.

- Lucy, votre parrain sera là sous peu. Nous devons vous préparer.

La-dite Lucy ouvrit les yeux avant de repousser les couvertures en gémissant. Elle aurait aimé dormir encore quelques heures.

- Mina…
- Je sais Madame, la prochaine fois que je vous réveille, vous me congédierez.

Elles échangèrent un sourire complice. Tous les matins, la princesse réitérait la même menace qui faisait rire sa servante. Les deux femmes se connaissaient depuis l'enfance. Elles évoluaient ensemble quand bien même leur rang différait. Lucy se leva, déposant ses pieds nus sur le sol avant de laisser sa servante s'occuper d'elle. Mina lui retira sa chemise de nuit avant de l'aider à enfiler ses ensembles. La princesse ne protesta pas lorsque la jeune fille serra le corset jusqu'à l'étouffer. Elle subissait ce supplice depuis son enfance pour être habillée en adéquation avec son rang prestigieux. Ce n'était pas aujourd'hui qu'elle allait faire la fine bouche en refusant de porter cet outil de torture qui l'amincissait. Tandis que la servante finissait de lacer sa robe, la jeune femme laissait ses pensées dériver vers d'autres contrées, plus étranges, plus romantiques. Elle se demandait à quoi pouvait bien ressembler Paris sous les rayons du soleil et si elle aurait l'occasion de visiter la belle ville. Mina, inconsciente des pensées de sa dame, parlait avec animation de la chance de la princesse qui allait faire de belles rencontres et peut-être même... Un époux. Le cœur de Lucy rata un battement lorsqu'elle entendit ce mot. Elle savait qu'elle était en âge de se marier, et ce depuis longtemps mais ses parents ne trouvaient pas le bon parti. La jeune femme craignait de ne pas savoir l'aimer mais s'obligerait à la vie commune et aux devoirs matrimoniaux comme une bonne épouse se devait d'obéir. Cependant, cela ne l'empêchait pas de rêver à un amour romantique.

- Crois-tu que je trouverai un mari aimant ici ? demanda-t-elle.

Mina prit un temps de réflexion tandis qu'elle coiffait sa maîtresse d'une perruque blanche avant de lui poudrer les joues.

- Je vous le souhaite de tout cœur, Madame.

- Penses-tu que les prédictions de ta mère soient vraies ?

- Je le pense. C'est une femme sage et avisée malgré ses rêves. Ses prédictions sont vraies.

- Alors mon époux sera un homme aimant et je serais une femme aimante pour lui. Nous aurons de nombreux enfants. Combien crois-tu que j'aurais d'enfants ?/

La servante se garda de répondre, préférant laisser la princesse continuer sur sa lancée. Elle ne semblait plus vouloir se taire, imaginant une vie rêvée pour les temps où elle se trouverait à Paris. Et lorsqu'elle rentrerait en Autriche, lorsqu'elle rentrerait chez-elle, ce serait avec un noble époux à son bras, un noble garçon dans le ventre et un sourire sur le visage.

- J'aurais quatre garçons, je le sais, qui grandiront autour de moi. Ils apprendront les arts de la guerre, la stratégie militaire et toutes ces choses qui feront d'eux de grands hommes. J'aurais deux filles, deux charmantes enfants qui sauront faire chavirer les cœurs d'un simple sourire. Les hommes se prosterneront devant...

Des coups à la porte interrompirent la jeune femme qui regarda sa servante ouvrir. Le ventre du Comte de Provence devança son visage souriant dans la pièce. La princesse s'inclina gracieusement, reprenant son souffle d'avoir trop parlé.

- Lucy ma chère enfant. C'est un honneur de vous recevoir dans notre magnifique capitale.

- Mon parrain, s'inclina la jeune femme. Votre invitation m'a fait grand plaisir et je me suis empressée d'accepter. Allons-nous voir ma tante et mes ravissants cousins ?

- Nous y allons immédiatement si tel est votre désir.

- Il l'est, en effet. Mina, veux-tu bien m'apporter mon éventail s'il te plaît ?

La servante obéit sans un mot, donnant l'objet convoité à sa maîtresse. Celle-ci s'en saisit avant de prendre le bras du Comte. Radieux, l'homme engagea une conversation légère sur les grands hommes à connaître de la Cour du Roi et les grandes dames dont il fallait s'entourer. Quelques pas en arrière, Mina les écoutait. Elle n'enviait pas la place de sa maîtresse, préférant de loin son propre statut, plus humble mais plus libre. Le Comte ouvrit les doubles portes menant aux appartements de la Reine et s'inclina :

- Que ma chère enfant ne m'en veuille pas, mais j'ai à faire auprès de Sa Majesté.

- Ce fut un plaisir que de vous retrouver mon parrain. J'espère que nous aurons l'occasion de dîner ensemble.

- Ce serait un honneur.

L'homme laissa les deux femmes sur ces paroles. Mina s'effaça pour permettre à sa maîtresse d'entrer en première avant de la suivre. Les appartements royaux devaient être les plus beaux de tout le palais. Assise à une table, la reine dessinait tandis que ses enfants jouaient avec des petites poupées. Quand ils aperçurent Lucy, ils se précipitèrent vers elle en piaillant qu'ils voulaient s'amuser avec elle. Marie-Antoinette finit son trait avant de se lever pour enlacer la jeune femme qui lui rendit son étreinte en souriant

- Ma nièce, je suis heureuse que vous ayez accepté mon invitation.

- Elle m'a fait plaisir et je me suis empressé de venir. La vie en Autriche est forte ennuyeuse depuis que Père est parti en campagne

- Avez-vous fait bon voyage ?

- Excellent, et quel accueil une fois arrivé ici : un régal malgré l'heur tardive ! Ma chambre était prête pour m'accueillir, et c'était un véritable luxe quand je songe à la fatigue qui m'assaillait. Que dessiniez-vous ?

D'un geste, la reine l'invita à s'installer à la table où reposait son dessin. Lucy s'en saisit, émerveillée. La reine avait un talent indéniable pour cet art. Mina annonça à sa maîtresse qu'elle retournait dans leurs appartements pour assurer son service.

- Bien, bien, fais donc Mina. Dites-moi ma tante, comment se porte la France depuis le retour du Général Lafayette ?

- Nous allons mal. Le peuple a vu notre implication dans la guerre d'indépendance des Amériques comme une chance d'obtenir plus de droits. La misère règne dans les rues, l'argent manque à nos caisses et partout, quelques hommes prônent liberté et égalité et appellent à la révolte pour ne plus souffrir de la famine ou la misère. Mon mari doit faire face à cette situation mais heureusement que son frère est là pour l'aider.

- Comment le peuple ose-t-il se révolter ? Le peuple doit la soumission au roi ! Vous lui offrez la protection ! s'insurgea Lucy

La reine esquissa un sourire. Sa nièce avait le sens des responsabilités et savait où était sa place. Marie-Antoinette ne craignait pas pour autant l'avenir. Les grondements sourds du peuple seraient rapidement étouffés par les gardes, aucune révolte ne verrait le jour sous le règne de Louis-Auguste.