CHAPITRE 1

Ce qu'il redoutait le plus était arrivé. Cette phrase ne cessait de revenir à son esprit : « Capitaine Lincoln, votre mari est blessé. Il faudrait que vous veniez le plus rapidement possible ». L'officier qui l'avait eu au téléphone, ne lui en avait pas dit plus, préférant lui parler en personne. Saleté d'armée et ses secrets. C'est donc dans l'urgence qu'il s'était organisé tant professionnellement que personnellement. Finalement, avoir sa belle mère à domicile avait parfois du bon. Ne connaissant rien des circonstances de l'accident et de l'état de Drew, ils avaient décidé d'un commun accord avec Lily de ne rien dire à Brianna. Officiellement, Rick était parti remplacer un collègue à la dernière minute pour dispenser une formation.

Cela faisait déjà 5 mois que Drew était parti pour devenir Ranger et depuis, ils n'avaient eu que de brèves conversations au téléphone ou par mail. Rick essayait de se souvenir de la dernière fois où Drew avait pu les appeler, cherchant dans leur conversation des éléments de réponse. Certes, il l'avait senti très fatigué mais cela ne l'avait pas inquiété plus que ça. La fatigue faisait partie du package de la formation. Les instructeurs poussaient les stagiaires dans leurs derniers retranchements. Les organismes étaient poussés à l'extrême par notamment le manque de sommeil. Lui-même avait vécu cela pendant sa formation. Il avait vu nombre de ses camarades se blesser. Mais là, il avait le sentiment que c'était différent. Un nœud à l'estomac s'était formé depuis cet appel et c'est avec une grande angoisse qu'il parcourait les derniers kilomètres le séparant de Drew. Le fait que personne ne voulait lui parler ne le rassurait pas.

Ce ne fut que deux heures plus tard, qu'il pu se garer sur le parking de l'hôpital militaire où avait été transféré Drew. Il se présenta à l'accueil et là le parcours du combattant commença. Personne ne semblait savoir quelque chose et sa patience fut mise à rude épreuve. Ce ne fut qu'au bout d'un très long moment qu'un médecin vint lui parler.

« bonjour, je suis le docteur Smith, c'est moi qui est pris en charge votre mari »

« comment va t'il, personne ne semble décider à me dire quoique ce soit »

« votre mari s'est fracturé la clavicule »

« tout ce mystère pour une fracture ? »

« non, pas vraiment..il y'a autre chose »

« c'est à dire »

« votre mari souffre également d'une insuffisance respiratoire sévère »

« attendez là, je ne parle pas le médecin moi, ça veut dire quoi ? »

« votre mari aurait attrapé un rhume et une grippe qui auraient dégénérés en pneumonie. Ses analyses sanguines ont mis en évidence non seulement des carences importantes mais également un cocktail de médicament énergisant et d'autres produits qu'il a dû se procurer pour se soigner seul »

« attendez là, je ne comprends pas, vous êtes en train de me dire que mon mari était malade et que personne n'a rien fait ? »

« c'est plus compliqué que ça je pense »

« que voulez-vous dire ? »

« écoutez, je vais être franc avec vous et ce que je vais vous dire maintenant, je l'ai obtenu de manière officieuse. Votre mari est arrivé aux urgences dans un état très préoccupant. Un état qui ne se justifie pas seulement par une simple chute. J'ai donc essayé de me renseigner sur ce qui avait pu lui arriver et il semblerait d'après mes informations que votre mari est servi en quelque sorte de souffre douleur à deux instructeurs. Il l'aurait pris en grippe dès le départ. Visiblement son statut d'officier confirmé et son âge ont joué contre lui. Il était le plus âgé de sa promotion. »

« whao, whao...vous êtes en train de me dire que mon mari depuis 5 mois a servi de défouloir pour instructeur en mal de reconnaissance ? »

« je pense que ça va au delà de son âge et de son grade »

« j'ai peur de ne pas bien comprendre »

« un des deux instructeurs en question aurait trouvé dans les affaires du capitaine Alister, une photo de votre famille »

« oui, c'est celle que notre fille a encadré et offerte avant son départ... »

« à partir de cette photo, il en a déduit que le capitaine était homosexuel. A partir de ce moment, il aurait, avec un autre instructeur, multiplié les brimades et les humiliations »

« ce sont des accusations assez graves...vous en êtes sûre ? et pourquoi me dire tout ça ? »

« j'ai eu des consignes à votre égard, je devais vous en dire le moins possible. Mais vu l'état de votre mari, je ne peux me résoudre à me taire. Ils essayent volontairement de taire quelque chose. J'ai également eu le droit à la visite d'un instructeur qui m'a fait passer un message clair. J'aime l'armée et ce genre de comportement entache sa réputation. Pousser des stagiaires pour voir jusqu'où ils peuvent aller ok c'est le lot d'un ranger mais ce qu'à subit votre mari va au delà de ça. Vous devez être reçu par le commandant de la base et je pense qu'en haut lieu il ne doive pas tout savoir ou ne veule pas savoir. Ils vont certainement classer ça comme un banal accident, un mauvais concours de circonstances. Mais ce n'est pas la première fois depuis deux ans que nous recevons aux urgences des stagiaires dans un sale état. Votre mari est le pire cas que j'ai vu. Je crois sincèrement qu'il y'a eu mauvais traitement, et surtout absence de soins. Il est médecin et je pense qu'il a essayé de se soigner seul. Je pense également que pour tenir, il s'est fait des petits cocktails médicamenteux. Les produits que nous avons détecté dans son organisme le prouvent. »

Rick blanchissait au fur et à mesure de la conversation. Il n'arrivait pas en croire ses oreilles. Il était au proie d'un mélange de sentiments, la colère, l'inquiétude, la révolte...tout se mélangeait et tournoyait autour de lui. Pourquoi ça arrivait à Drew...il ne méritait pas un tel traitement. C'était une personne avec un cœur gros comme ça. C'était une bonne personne qui n'hésitait pas à donner de sa personne pour aider. Il était d'ailleurs devenu médecin pour ça, aider. Il avait soigner sur le champ de bataille des soldats, il avait sauvé des vie, alors pourquoi la vie lui crachait au visage au moment où il pouvait réaliser son rêve. Parce qu'il est différent, parce qu'il aime un homme...la vie parfois n'a pas de sens...Rick, même s'il avait peur de la réponse, finit par poser une question qui le taraudait,

« et comment s'est-il fracturé la clavicule ? »

« d'après les ambulanciers, il serait tombé du pont de singe après avoir fait un malaise. Vu son état de faiblesse, qui ne date pas d'hier, je suis déjà très surpris qu'il est tenu aussi longtemps. Il manque énormément de sommeil et n'a pas dû faire un vrai repas depuis un certain temps. Sa tension est vraiment basse et ses analyses de sang sont catastrophiques »

« donc c'est réellement un accident »

« effectivement on peut le voir comme ça...mais pour moi, non ce n'est pas un accident. C'est la conséquence d'une multitude de faits. »

Rick était accablé par les propos du médecin. Comment des instructeurs peuvent ils se comporter de la sorte. La formation de ranger, aussi difficile soit elle, ne devrait pas engendrer des comportements déviants de la sorte, surtout venant d'officier. En étant un lui même, il n'a jamais traiter ses hommes de la sorte. Bien au contraire, pour les plus jeunes d'entre eux il était même un grand frère. Sur le champs de bataille, ils souffraient ensemble et risquaient leur vie ensemble quelque soit leur grade. Ils se serraient tous les coudes. Etre un ranger, c'est être capable de supporter physiquement la souffrance et de se dépasser mais c'est avant tout un état d'esprit, une philosophie, c'est une fierté. Et, ce que décrivait le médecin, ce n'était pas à l'image d'un ranger. Tout du moins celle qu'on lui avait inculquée lors de sa propre formation. Rick arrêta pour le moment de se triturer l'esprit, l'urgence était de voir son mari. Il en avait besoin, c'était comme une pulsion vitale. Il fallait qu'il voit Drew.

« et est-ce que je peux le voir ? »

« il est actuellement en soins intensifs, je vais vous accompagner et donner quelques instructions pour que vous puissiez le voir mais vous ne pourrez pas rester très longtemps tout du moins tant qu'il sera en soins intensifs »

« d'accord »

Rick avait l'impression d'être dans un cauchemar et qu'il allait se réveiller. Malheureusement, il prit vite conscience que ce n'était pas le cas. Il découvrit un Drew méconnaissable. Il avait les traits tirés, les joues creusées, visiblement il avait perdu beaucoup de poids. Tout son corps était crispé. Son visage exprimait tellement de souffrance. Ce qui lui fit le plus peur c'était sa pâleur extrême. Il n'avait jamais connu Drew si mal. Il l'avait déjà vu malade mais pas à ce point. Il semblait si fragile, si petit...ce n'était pas Drew. Il était tellement absorbé par son mari, qu'il entendit à peine ce que lui disait le médecin :

« nous avons dû l'intuber à son arrivé. Dès qu'il sera capable de respirer à nouveau seul, nous le placerons seulement sous oxygène. Ce qui sera beaucoup plus confortable. Nous lui avons administré des antibiotiques assez puissants pour enrayer la pneumonie. En parallèle, nous l'avons ré-hydrater et nous essayons de faire remonter sa glycémie qui était extrêmement basse. Nous lui donnons également des antidouleurs pour son épaule. Il ne faudra pas non plus vous étonner mais il est couvert d'ecchymose sur l'ensemble du corps. Et, il a une entaille sur le mollet gauche qui n'est pas très jolie. Nous lui avons également fait passer un scanner, car je craignais une commotion cérébrale. Visiblement lors de sa chute, sa tête aurait heurté violemment un poteau en bois. Mais, il n'a rien révélé. Il faudra tout de même attendre son réveil pour voir si ce choc n'a pas eu des conséquences au niveau neurologique. »

« quelles conséquences ? »

« notamment amnésie, maux de tête, perte de sensibilité, perte d'équilibre….mais avant d'en arriver là, attendons qu'il reprenne conscience. La priorité est de faire remonter sa tension, son taux de sucre et de soigner cette pneumonie qui a causé sa déficience respiratoire »

« vous pensez qu'il se réveillera bientôt ? »

« je ne peux pas vous le dire. La fièvre a déjà beaucoup baissé mais il faut encore attendre que les antibiotiques continuent de faire effet. Je reste cependant optimiste. Son taux d'oxygène s'est grandement amélioré depuis son arrivée et certains signes montrent qu'il essaye de respirer seul, ce qui est très encourageant. Demain, nous pourrons peut-être l'ex-tuber et ne lui laisser qu'un dispositif plus léger et plus confortable. Tout dépend de lui. »

« ok, je peux rester un peu avec lui ? »

« oui, bien sûre, j'ai donné des instructions. Vous pouvez rester mais pas plus d'une heure. Après, il faudrait que vous preniez contact avec le responsable de la formation à la base. Je vous donnerai ses coordonnées. »

« merci »

« si vous avez besoin de quoique ce soit n'hésitez à me faire appeler »

« merci »

Une fois le docteur sorti, Rick s'installa au chevet de son mari. Il lui caressa tendrement la joue avant de lui prendre la main :

« chéri c'est moi, tu n'as plus rien à craindre, je suis là. Je vais veiller sur toi. C'est bon de te revoir. Tu nous a manqué à la maison. Tu as loupé certaines choses. Ceci dit une chose n'a pas changé, ta maman squatte toujours notre bureau mais elle a été d'une grande aide pour Brianna surtout lorsque j'étais de permanence. Et, au final la cohabitation se passe plutôt bien. Sinon, Bri a fait sa première soirée pyjama avec deux copines le WE dernier, tu aurais du voir ça….la maison fut très animée même le chien a fini par se planquer. Mais son sourire valait tout l'or du monde. Elle a vraiment progressé à l'école et à fait beaucoup d'efforts donc ça valait bien quelques heures de supplice pour moi...je peux t'assurer que l'Irak ou l'Afghanistan c'est une partie de plaisir face à trois adolescentes en puissance. Ho et ta maman a réorganisé toute notre cuisine...tu verrais ça, tu ne la reconnaîtrais pas, je ne retrouve rien….elle voulait s'attaquer à notre dressing et nos uniformes, mais j'ai réussi à l'en tenir éloignée...Et, j'allais oublier, Max s'est fait une copine, c'est la chienne de nos nouveaux voisins. Ce qui m'a permis de discuter avec eux. Ils sont très gentils. Mais je ne serais pas étonné si Max nous faisait grand-père….Tu vois, il faut que tu te réveilles pour pouvoir rentrer et voir tout ça. Mais la chose la plus importante c'est que tu m'as vraiment manqué, j'ai vraiment besoin de toi...»

Rick continua à lui raconter de nombreuses anecdotes survenues pendant son absence et passa le reste du temps plongé dans ses pensées. Pendant tout ce temps, il n'avait pas lâché la main brûlante de Drew, lui caressant du pouce le dos de la main. Il voulait lui faire ressentir sa présence. Il se souvenait lui-même, lorsqu'il fut amputé, que la première chose dont il se souvenait, alors que l'anesthésie s'estompait, c'était le contact de la main de Drew. Ce contact lui avait paru alors très rassurant.

Il fut sorti de ses pensées par la main d'une infirmière sur son épaule :

« Capitaine, je suis désolée mais les visites sont terminées. »

« ho pardon, je n'ai pas vu le temps passé »

« ce n'est rien, vous étiez calme, on vous a laissé un peu plus de temps mais là je ne peux pas faire plus »

« c'est déjà gentil »

« vous pourrez venir le revoir demain en début d'après midi. En attendant, si vous le souhaitez, laissez-moi vos coordonnées, nous vous appellerons s'il y'a une évolution»

« merci »

« je vous laisse le numéro des soins intensifs également, vous pourrez appeler demain matin pour avoir des nouvelles de votre mari et savoir comment s'est passée la nuit »

« d'accord merci »

Rick n'avait aucune envie de quitter son mari, mais il n'avait pas le choix. Le personnel était très gentil, mais les règles étaient les règles. Ils étaient tous des militaires habitués à obéir aux ordres. Il prit tout de même le temps de dire au revoir à Drew en lui déposant un léger baisé sur le front en sueur...

« bonne nuit mon cœur...je reviens demain sans faute. Je t'aime capitaine Alister »

Moralement, il était vidé de toute cette journée. C'est comme un automate qu'il se dirigea vers la sortie. Il devait se trouver un hôtel et passer quelques coups fils...En parlant de coup de fil, Lily, comment lui expliquer l'inexplicable...là, il n'était pas en état. Il reporta son appel. Il était encore sous le choc et devait d'abord digérer toute cette histoire. Il se sentait prêt à craquer émotionnellement et ce n'était pas une bonne chose de le faire au téléphone. Une fois dehors, il prit une grande inspiration. Il devait retrouver le contrôle de ses émotions.