On aurait pu croire être sur un autre monde. Un monde recouvert par des neiges éternelles et constamment balayé par des tempêtes glaciales, si dangereuses qu'elles vous prenaient dans un étau et que vous ne pouviez pas y échapper.

Mais il n'en était rien.

Aujourd'hui encore, une tempête soufflait sur le sommet d'une montagne. Alors qu'il était impossible de voir quelque chose à moins de trois mètres de distance, un petit point sombre se détacha brusquement du blanc en un étrange halo bleuté. La silhouette fut immédiatement submergée par la froideur du temps et très vite, elle se figea, incapable d'avancer plus de quelques mètres. Elle n'était pas préparée à ce genre d'intempérie, cela se voyait, comme si elle n'avait pas prévu d'apparaître ici.

Tandis qu'elle s'efforçait tout de même de ne pas se laisser engloutir, une lueur vacilla un peu plus bas, une lueur suivit d'un bruit si familier, si reconnaissable, que celui ou celle qui l'a déjà entendu une fois le reconnaîtrait forcément, c'était évident. Un son qui allait et venait, de plus en plus fort, de plus en plus distinct malgré le hurlement de la tempête.

Enfin, une sorte de boîte bleue se figea complètement dans la neige, et la silhouette la regarda fixement, abasourdie. Une bonne partie de son visage était cachée sous une couche de flocon de neige et ses traits, malgré tout, ne pouvaient qu'être tirés par l'étonnement. Elle tenta de se relever mais retomba aussitôt, alors elle entreprit de ramper bien péniblement vers cette étrange cabine où était avait été inscrit apparemment le mot POLICE sur une plaque de métal. Au bout d'une longue minute de lutte dans le froid polaire, elle s'arrêta brusquement et ne réussit qu'à lever une main vers la boîte en un unique geste d'appel à l'aide.

Dans la cabine, appelée le TARDIS (Time And Relative Dimension(s) In Space), deux personnes s'affairaient. L'une frappait le centre de contrôle de la machine avec des maillets en criant des ordres à l'autre qui tentait tant bien que mal de suivre en allant d'un point à un autre.

C'était la panique. Le TARDIS les avait encore entraînés vers un endroit qu'ils n'avaient pas demandé à visiter.

Dans ces cas-là, le Docteur perdait patience et n'avait plus d'autre envie que de hurler des choses incompréhensibles pour manifester sa colère. Martha Jones, elle, essayait bien de le calmer mais c'était peine perdue avec un homme aussi têtu que lui.

« Cette satanée boîte s'emballe de plus en plus souvent, mais il faut dire qu'elle ne vient pas de sortir du concessionnaire. » raisonna-t-il au bout d'une minute d'arrêt pour réfléchir à une solution.

Martha se rapprocha de lui en se frottant un bras.

« Vous ne trouvez pas qu'il fait froid ? »

« Hum ! Si, un peu. Chère Martha, pouvez-vous jeter un coup d'œil dehors pour voir où nous avons atterri ? » lui demanda-t-il en la regardant derrière ses lunettes noires légèrement baissées sur son nez.

« D'accord… » soupira t-elle en se dirigeant vers la porte d'entrée du TARDIS.

Une tête se dégagea subitement de dessous une épaisse croûte de neige quand elle vit une lumière plus vive émaner de la boîte bleue. Elle aperçut alors Martha sortir avec réticence le bout de son nez pour constater qu'ils avaient effectivement atterri dans un endroit loin d'être les tropiques. La prisonnière des glaces leva sa main vers la jeune femme, mais celle-ci rentra rapidement sans la remarquer. Un grognement de déception s'échappa des lèvres de la silhouette qui avait tout du bonhomme de neige désormais.

« Alors ? »

« Euh, il y a une tempête de neige qui souffle dehors, c'est tout ce que j'ai pu voir. »

Le Docteur siffla son mécontentement et recommença aussi sec à taper sur la machine du centre. Il s'immobilisa après avoir fait un tour de l'appareil, se rendant compte qu'il avait oublié quelque chose. Un écran l'invitait à venir lui bidouiller les touches et il ne tarda pas à mener son enquête sur l'ordinateur de bord.

« AH ! cria-t-il au bout de quelques minutes de recherche, nous sommes tombés au sommet de l'Himalaya ! »

« Pardon ? » s'étonna Martha en le regardant bizarrement.

« L'Himalaya ! Dites donc, vous savez ce que c'est quand même ? »

Elle hocha la tête.

« Oui, oui. Ce qui me surprend, c'est comment on a pu se retrouver ici, très exactement. »

« Très bonne question ! Mais je crois que j'ai ma petite idée… »

Il retapa quelque chose sur le clavier et bien vite il fut de nouveau tout excité.

« Ouiii ! C'est ça ! Une éruption solaire a eu lieu tandis que je vous ramenais chez vous, et du coup ça a perturbé les systèmes du TARDIS qui n'a plus su où se poser ! »

« Alors… Il s'est arrêté en chemin ? C'est une sorte de bug quoi. »

« Tout à fait. Désorienté à cause de l'éruption, il a été obligé de stopper sa course vers sa destination première pour attendre que ça passe. Ah, il a la même intelligence que moi, ce petit. » dit-il dans un grand sourire ému.

« Mais, qu'allons-nous faire maintenant ? »

« Bah attendre que ça passe, comme je l'ai dit. Ça ne devrait pas être long, de toute manière. »

Un grand BOUM qui provenait de la porte principale les fit soudain sursauter. En plus du vacillement incessant du TARDIS sous la force de la tempête, Martha sembla tout à coup assez inquiète.

« Qu'est-ce que c'était ? »

« Oh, sûrement le Yéti qui cherche à savoir ce que cette grosse boîte bleue fait sur son territoire. » déclara le Docteur sur un ton particulièrement sérieux.

La jeune femme l'observa d'un air interloqué.

« Vous rigolez, j'espère ? Le Yéti existe vraiment ? »

« Je vous en pose des questions ! Aidez-moi plutôt à remettre en route tout ce fatras, l'éruption est bientôt terminée et on a tout à fait le temps d'ici-là de retrouver les coordonnées de notre destination première. »

Un autre bruit sourd s'éleva. Le Docteur fit comme s'il n'avait rien entendu et il continua sa manœuvre de remise en route, au contraire de Martha qui n'arrivait pas à détacher son regard de la porte. C'était dans sa direction que le bruit provenait.

« Mais… »

« Ne vous occupez pas de ça ! OH ! Que diriez-vous d'aller d'abord faire un tour au XIX° siècle pour rencontrer Liszt ? C'est un merveilleux compositeur, je suis vraiment fan de ses morceaux de piano ! »

« Si vous voulez, mais moi je vais aller voir ce qui se passe… »

« Non, Martha. Ne bougez pas d'ici. »

Bien qu'ayant prononcé ces mots, le Docteur continuait de s'affairer autour de sa machine, visiblement très pressé.

« C'est juste pour jeter un autre coup d'œil. »

« Liszt bon sang ! C'est comme si vous alliez voir Chopin, mais en moins connu… Bon, d'accord, on va voir Chopin alors ! J'ai très envie d'écouter de la musique classique. »

« Oui, oui. » murmurait Martha en s'avançant pourtant vers la porte.

Elle leva une main, tourna la poignée, et une violente rafale de vent s'engouffra dans le TARDIS.

« NON ! » hurla le Docteur, dés à présent parfaitement immobile et particulièrement remonté.

Trop tard, Martha se recula subitement pour éviter qu'une silhouette congelée par le froid ne tomba sur elle. Au lieu de ça, elle s'écrasa sur le sol dans un grand fracas, envoyant par la même quelques morceaux de glace valdinguer à travers la salle. Le Docteur se passa une main dans les cheveux, une moue dépitée sur le visage.

« Pourquoi faut-il toujours que la curiosité des humains m'empêche de m'amuser ? »

[Générique ~

David Tennant

Freema Agyeman

~ No Time on this land ]

La chaleur qui régnait à l'intérieur du TARDIS avait fini par faire fondre toute la neige collée aux vêtements de l'inconnue. Le Docteur et Martha avaient alors pu constater qu'il s'agissait d'une jeune femme d'environ une vingtaine d'année, le visage plutôt banal mais tout de même mignon, et sa petite taille leur avait permis de l'allonger sur l'unique divan du « vaisseau ». Elle resta inconsciente durant une bonne dizaine de minutes, et ce nouvel arrivant n'en finissait pas de faire rouspéter le Docteur qui n'avait aucune envie de se la trimballer durant tout le reste du voyage.

À un moment, impatient, il se pencha vers la jeune femme endormie. Il la détailla longuement, renifla un peu, fit une moue incertaine, renifla encore, puis elle ouvrit subitement les yeux.

Il ne sursauta pas mais ses yeux s'écarquillèrent, tout comme ceux de l'inconnue qui n'affichait pourtant aucune expression particulière. Ils se dévisagèrent un instant et finalement le Docteur perdit le peu de patience qui lui restait encore.

« Qui êtes-vous ? » demanda-t-il, un sourcil perplexe relevé.

La jeune femme se leva lentement du minuscule canapé, le fixant toujours de ses yeux bleus. Elle jeta ensuite un coup d'œil tout autour d'elle, puis son regard passa du Docteur à Martha, de Martha au Docteur. La compagne de celui-ci fit un sourire chaleureux à l'inconnue, comme pour la rassurer.

« Eh oh. Je suis là ! Mais quelle impolitesse font preuve les jeunes de nos jours ! » s'insurgea vivement le Docteur en mettant ses mains sur ses hanches.

« Vous n'êtes pas si vieux. Du moins, en apparence. » répondit finalement la jeune inconnue.

Ses cheveux bruns mi-longs tombaient sur ses épaules, une mèche plus épaisse cachant légèrement le côté droit de son visage. Sa tenue était un étrange mélange de vêtements provenant certainement d'époques différentes : elle portait un gilet rayé noir sur une chemise blanche à manches longues, un pantalon court noir sur des chaussettes longues aux bandes rouges et noires et des bottines tout aussi sombres à lacets. Un collier en argent pendait autour de son cou.

« Comparé à moi, vous avez l'air d'une… enfant. »

« Cette assertion ne me plaît pas. »

« Que faisiez-vous toute seule au sommet de l'Himalaya ? »

« Quelle impatience ! Vous n'attendez même pas que je réponde à la première question. »

« Oh ! C'est vrai. J'attends alors. »

Elle sourit mais resta silencieuse. Martha en profita pour se rapprocher du Docteur afin de lui chuchoter :

« Docteur, je trouve qu'elle vous ressemble. »

« Pardon ? Et en quoi d'abord ? »

« Non, pas physiquement je veux dire, mais plutôt dans sa manière de parler… »

« Doc…teur ? »

La jeune fille dévisagea attentivement celui-ci, mais il croisa les bras sans remarquer son trouble soudain. Il semblait sur le point d'exploser mais gardait bien de le montrer parce que ce n'était pas vraiment convenable de sa part de faire preuve d'une telle impatience.

« Je déteste qu'on ne me réponde pas ! Ça nous fait perdre un temps considérable et moi j'aimerais bien continuer de voyager. C'est comme si on me demandait de ne plus respirer, inimaginable ! »

Il ajouta des gestes à ces dernières paroles en mimant quelqu'un en train d'étouffer. Pendant ce temps, la jeune inconnue avait récupéré son long manteau noir et l'avait ensuite enfilé sans un mot. Le Docteur le remarqua enfin quand elle commença à s'agiter, tournant autour de la machine centrale comme un lion qui observe sa proie.

« Je peux savoir ce qui vous arrive ? »

« Je dois vous laisser, j'ai une affaire à régler ! » répliqua-t-elle vivement en prenant son pendentif entre ses doigts.

« Quoi ? Pourquoi ? Où ça ? » s'enquit le Docteur.

« Parce que… je vous fuis. »

Ses mots étaient étranges. Le Docteur s'avança vers elle, mais à peine sa main allait-elle toucher le visage de celle-ci qu'elle disparut dans un halo bleuté. Après une longue minute de silence, Martha se décida à parler la première :

« Eh bah voilà, vous qui ne vouliez pas d'un voyageur supplémentaire, vous êtes désormais débarrassé. Content ? »

« … Non, pas vraiment en fait. »

« Hein ? »

Elle se rapprocha de lui et vit qu'il était à son tour véritablement troublé par ce qui venait de se passer.

« C'est vrai que moi j'aurais bien aimé en savoir un peu plus sur elle… C'est votre cas également, n'est-ce pas ? » dit Martha dans un sourire.

« Ça m'énerve aussi de rester sur ma faim. » répondit-il en mordillant le bout de son pouce.

« J'imagine qu'il est impossible de la retrouver… »

Dans un bond, le Docteur fut à ses côtés, un très grand sourire aux lèvres. Il la prit par les épaules et entreprit de lui dire avec enthousiasme :

« Quelle intelligence, Martha ! Je ne regrette pas un seul instant de vous avoir prise avec moi ! »

Il se détourna aussi sec pour recommencer à bidouiller les différentes manettes de sa machine.

« Alors, comment comptez-vous faire… ? »

« J'ai malheureusement compris ce qu'était le pourquoi du comment de son arrivée ici. En disparaissant, elle a laissé une infime énergie résiduelle derrière elle, du coup je peux retracer sa destination grâce au TARDIS ! »

« Wow… Des fois quand vous parlez, je ne vous comprends vraiment pas. »

Il se retourna pour la regarder d'un air très surpris.

« Pourtant ça ne peut pas être plus clair. »

« Ah… »

« Bon ! Accrochez-vous bien ! »

Le Docteur tapa une dernière fois sur un bouton.

« C'est parti ! »