Cela faisait des heures que Neville se cherchait une place dans le Poudlard Express. Il l'avait pratiquement traversé dans toute la longueur, traînant son énorme valise en ahanant. Et en prime, Trevor avait manqué de lui échapper lorsqu'il était passé devant une fenêtre ouverte. Il le maintenait à présent fermement mais la bestiole se débattait. Il le suppliait mentalement de se calmer mais comme ses supplications étaient accompagnées d'un renforcement de sa poigne sur la bête, ça ajoutait à sa panique. Le crapaud gesticulait comme un beau diable.

Il arriva au dernier wagon, à bout de souffle. Il se rappela alors les paroles de sa grand-mère à chaque fois qu'il lui disait au-revoir pour vite se trouver une place et ne pas être condamné à une errance à travers le Poudlard Express : « C'est un train magique Neville, il y aura toujours une place pour toi ! Il y a toujours juste assez de places dans le Poudlard Express. »

Magique peut-être, mais si la place en question se trouvait entre deux Serpentard…

Il jetait des coups d'œil furtifs aux compartiments tout en continuant d'avancer. Plein, plein à craquer, plein… Ah ! Jour de chance ! Ah… non. Il y avait une fille. Bizarre cette fille. Neville n'en avait jamais vu des comme ça. Elle tourna son visage vers lui. Repéré ! Neville se recula vite pour être hors de sa vue. Impossible d'avancer sans qu'elle ne le voit à présent, et ce n'était pas la peine de reculer, il n'y avait plus de place. Panique ! Voilà qu'il se mettait à s'angoisser pour rien. Et l'angoisse amenait la sueur ! Comme s'il n'avait pas déjà eu assez chaud en traînant cette fichue valise ! Panique ! Dans son poing, Trevor commençait à suffoquer.

« Salut ! »

Harry Potter ! Et Ginny Weasley ! Enfin des visages connus et bienveillants. Neville avait beau être à Poudlard depuis quatre ans, il avait toujours l'impression de n'y connaître personne.

« Bonjour Harry, dit-il, le souffle court, bonjour Ginny… Tout est plein… Je n'arrive pas à trouver de place…

- Qu'est-ce que tu racontes, répliqua Ginny qui s'était faufilée devant lui pour regarder dans le compartiment suivant, celui-là est libre, il n'y a que Luna Lovegood là-dedans. »

Luna Lovegood… Encore une auprès de qui il venait de passer pour le dernier des empotés.

« Ouibahj'voulaidérangerpersonne, marmonna-t-il en guise de justification. »

Devant son air paniqué, la rouquine éclata de rire :

« Ne sois pas stupide ! Elle est très gentille, Luna. »

Elle entra dans le compartiment, suivie par Harry, Neville n'eut d'autre choix que de les suivre, la mort dans l'âme. C'était un don, chez lui, d'apparaître toujours sous son plus mauvais jour quelles que soient les circonstances.

« Salut Luna. On peut s'installer ici ? »

Elle leva les yeux vers eux, avec une lenteur, une mesure étrangement déplacée pour un être humain. Neville n'y avait d'abord pas prêté attention, mais elle présentait tous les symptômes de la bizarrerie la plus extrême. Enfin, il n'avait pas eu besoin de la détailler pour le remarquer. Il suffisait de croiser son regard pour le comprendre. Elle avait vraiment de très gros yeux. Elle ne s'attarda pas sur Neville qui se sentit à la fois soulagé et vexé. Elle l'ignora pour fixer Harry avec curiosité. Ce dernier n'en était visiblement pas enchanté d'ailleurs.

« Tu as passé de bonnes vacances, Luna ? demanda Ginny.

- Oui, répondit la créature, ses prunelles grises toujours fixées sur Harry, oui, je me suis bien amusée. Toi, tu t'appelles Harry Potter.

- Je sais, répliqua Harry. »

Neville ne put retenir un rire grandement motivé par la nervosité, mais il s'étouffa dans sa gorge quand Luna tourna vers lui ses yeux pâles, presque accusateur.

« Et toi, je ne sais pas qui tu es. »

Un imbécile qu'une fille un peu bizarre suffit à intimider.

« Moi, je ne suis personne !

- Ce n'est pas vrai, dit Ginny d'un ton brusque, Neville Londubat - Luna Lovegood. »

Présentés comme ça, on aurait dit qu'ils faisaient un concours du nom le plus ridicule. Ils se jaugèrent un instant. Neville faisait des efforts désespérés pour ne pas détourner les yeux. Dans sa main, Trevor couina.

« Tout homme s'enrichit quand abonde l'esprit, lâcha-t-elle finalement »

Il respira de nouveau. Dix minutes plus tard, le wagon se trouvait enduit d'Empestine par sa faute. Quelques heures après, Luna se donnait en spectacle en riant trop fort à la plaisanterie de Ronald Weasley, provoquant sa perplexité et l'amusement de ses autres camarades.


Un an plus tard, Neville tombait nez-à-nez avec Luna en montant dans le train au dernier coup de sifflet. Elle s'était assise dans le couloir entre deux wagons et était plongée dans la lecture du Chicaneur. Il hésita à la déranger. Malgré l'année passée avec l'A.D. et surtout, leurs aventures au département des mystères, il se sentait toujours extrêmement gêné en sa présence. Luna l'avait sans doute « flairé » car elle n'eut pas à lever les yeux de son magazine pour le saluer.

« Bonjour Neville, dit-elle d'une voix aimable tout en continuant de lire, tu as passé de bonnes vacances ?

- Oui, et toi ? demanda-t-il en se maudissant de ne pas trouver réponse plus amusante. »

Il était incapable de la moindre répartie et croyait toujours spontanément ce qu'on lui disait. Une qualité rare, songea Luna. Les blagues de Ronald étaient souvent très amusantes, mais la plupart des garçons de leur âge se sentait toujours obligés de jouer les fiers à bras et il ne faisait pas exception à la règle. Neville n'était pas comme ça. Pas forcément parce qu'il ne voulait pas ceci-dit, surtout parce qu'il en était bien incapable.

« Tu as allé en Suède finalement ? poursuivit Neville, comme elle ne répondait pas, pour trouver le…

- Le Ronflak Cornu, oui, l'enquête progresse mais c'est confidentiel pour le moment. Le Chicaneur en dira plus au prochain numéro. »

Luna avait enfin levé les yeux vers lui. Il lui sourit brièvement.

« Tu ne cherches pas de place ? hésita-t-il en se dandinant.

- J'attends qu'elles se dispersent, expliqua-t-elle en désignant du doigt le couloir entre les compartiments qui était plein à craquer de filles, toutes maisons et âges confondus. »

Neville acquiesça. Pour lui, traverser un couloir entièrement rempli de filles relevait de l'attentat suicide. Il avait déjà du mal à savoir sur quel pied danser avec Ginny et Hermione, ses amies du « beau sexe » comme dirait sa grand-mère. Et elles se comportaient, la plus grande partie du temps, comme des êtres humains civilisés. Mais les spécimens du couloir étaient particulièrement terrifiants, on aurait dit une horde de bêtes affamées. Il s'apprêtait à s'asseoir en face de Luna en attendant qu'elles s'en aillent quand il identifia la proie de la meute de filles.

« Luna, regarde, dit-il en lui tapotant l'épaule. »

Elle se releva et se pencha derrière lui pour observer le couloir. Ses cheveux effleurèrent son bras. Le centre de l'attention, Luna ne l'avait pas remarqué tout de suite, était leur ami Harry Potter. Il se tenait de dos, mais sa silhouette lui était devenue si familière qu'elle n'eut aucun mal à le reconnaître. Il avait eu un subit regain de popularité l'année dernière. Les goûts des gens étaient si versatiles. Harry ne semblait pas très à l'aise au milieu des fauves. Seul dans l'arène, il semblait plus démuni que face à une dizaine de mangemorts.

Luna et Neville échangèrent un regard de pitié amusé. Neville s'élança ensuite héroïquement pour porter secours, ou du moins, compagnie, à Harry. Luna le suivait, quelques pas plus loin.

« Salut Harry !

- Neville !, s'exclama-t-il, un soulagement sincère se peignant sur son visage.

- Hello Harry.

- Luna, salut, comment vas-tu ? »

Harry Potter faisait partie de ceux qui l'appelaient par son vrai prénom, c'était très agréable. Elle répondit positivement et il embraya sur le Chicaneur qu'il semblait avoir appris à apprécier. Il avait quand même fallu une interview pour ça ! Son père avait d'ailleurs sérieusement songé à en faire un atout marketing : « pour tout abonnement du Chicaneur, une interview offerte ». Mais il n'y aurait plus eu assez de place pour le Ronflak Cornu. A la place, ce numéro du magazine offrait une paire de Lorgnospectres. Ce qui avait tout de même bien plus de valeur.

Ils allèrent se chercher un compartiment sous les regards persistants d'une foule d'élèves curieux qui se levaient parfois même sur leurs banquettes pour mieux les voir. Plein, plein, plein à craquer, plein… Vide ! Harry se jeta littéralement dedans.

« Même nous, ils nous regardent avec des yeux ronds, lui dit Neville, simplement parce qu'on est avec toi !

- Ils vous regardent parce que vous aussi, vous étiez au ministère, expliqua Harry qui peinait à hisser sa valise dans le filet à bagage, La Gazette du sorcier a beaucoup parlé de notre petite escapade là-bas, vous avez dû le voir. »

Neville sembla brusquement recouvrer l'usage de la parole et enchaîna sur sa grand-mère, sa baguette, Ollivander… C'était un phénomène habituel pour Luna, mais toujours intéressant à observer. Les gens se montraient beaucoup plus loquaces entre eux qu'avec elle. Soudain, Trevor s'échappa et se perdit sous la banquette. Neville plongea à sa suite. Seul son arrière-train dépassait. Luna se hâta de détacher les Lorgnospectres du Chicaneur.

« Est-ce qu'il y aura toujours des réunions de l'A.D. cette année ?, demanda innocemment Luna qui connaissait déjà la réponse mais n'en espérait pas moins qu'elle change.

- Ce n'est plus la peine, maintenant que nous sommes débarrassés d'Ombrage, répondit Harry en s'asseyant. »

Neville heurta violemment la banquette en entendant ça. Il tourna son visage déçu vers Harry :

« J'aimais beaucoup l'A.D, j'ai appris des quantités de choses avec toi !

- Moi aussi, j'étais contente d'aller aux réunions, ajouta Luna en chaussant ses Lorgnospectres qu'elle avait finis de détacher, j'avais l'impression d'avoir des amis. »

Il y eut un silence embarrassé. Neville ne le remarqua pas, il avait aussitôt replongé la tête sous la banquette pour continuer à chercher son crapaud. Vu l'expression qu'arborait Harry, trouver une réponse appropriée à ce qu'elle venait de déclarer était douloureux. Luna comprit presque aussitôt pourquoi, elle sentit près de ses oreilles le sifflement léger du Joncheruine qu'elle chassa d'un geste discret.

Un groupe de filles s'arrêta alors devant leur compartiment, emplissant l'espace sonore de leurs gloussements. Luna ouvrit le Chicaneur et relut pour la sixième fois l'article qu'avait consacré son père aux propriétés des prunes dirigeables. C'était un secret de famille mais Luna l'avait convaincue qu'il était essentiel que plus de gens bénéficient de leurs effets. Ça n'aurait pas fait de mal aux élèves qui minaudaient devant la porte, par exemple. L'une d'entre elle s'enhardit à entrer après d'interminables palabres riches en gloussements.

« Bonjour Harry, je m'appelle Romilda, Romilda Vane. Tu ne veux pas venir avec nous dans notre compartiment ? »

Elle ajouta, en un aparté supposé se vouloir discret mais qui restait parfaitement audible :

« Tu n'es pas obligé de rester avec eux. »

Elle désigna Neville et Luna de son menton prognathe. Luna l'ignora. Neville aussi… Enfin, ce qu'on en voyait semblait l'ignorer.

En réalité, de sous sa cachette, Neville avait viré au cramoisi et aurait voulu disparaître six pieds sous terre.

« Ce sont des amis à moi, répliqua Harry d'un ton froid. »

La fille écarquilla les yeux, sincèrement étonnée, puis battit rapidement en retraite et referma la porte du compartiment derrière elle. Luna leva le nez de son journal pour fixer Harry avec un étonnement caché par ses lorgnospectres :

« Les gens pensent que tu devrais avoir des amis plus « cool » que nous, dit-elle, ne faisant qu'expliquer une évidence qui sembla pourtant gêner Harry.

- Vous êtes très « cool » tous les deux, objecta-t-il rapidement, aucune d'elles ne se trouvait au ministère le jour où vous vous êtes battus à côté de moi. »

Luna sourit, rassérénée. C'était vraiment gentil.


L'année suivante, Harry n'était pas là. En montant dans le train, Neville songea avec amertume que le rétrécissement du Poudlard Express confirmait bien la théorie de sa grand-mère : « Il y a toujours juste assez de place. » Pas plus, pas moins...

Il n'eut aucun mal à retrouver Luna, Ginny, ainsi que Seamus Finnigan qui devait se sentir bien seul sans Dean Thomas, son ami né moldu à qui Poudlard était désormais interdit.

Neville s'était attendu à bien pire en arrivant à King's Cross, des patrouilles de mangemorts dans le train, un Poudlard Express repeint en noir et orné de crânes, mais non. Tout était désespérément familier. C'était comme d'habitude. Ce qui leur rappelait d'autant plus cruellement l'absence des autres. Ceux qui étaient là, d'habitude. En observant les visages familiers de ses amis, tous marqués par la tristesse, l'inquiétude, la lassitude, il ne put s'empêcher de penser à du bétail mené à l'abattoir. « Rends-toi digne de ton père, Neville. » Facile à dire.

« Vous pensez que ce sera comment ?, demanda Seamus d'une voix à peine audible.

- Pour l'instant, McGonagall est encore directrice par intérim, répondit Ginny avec un optimisme forcé, ça m'étonnerait qu'elle laisse les choses trop mal tourner. »

Personne ne répondit, mais ils partageaient tous la même pensée ; McGonagall serait vite remplacée. Et ils ne voulaient pas penser au mangemort qu'on allait nommer à sa place.

Ils gardaient le silence. N'osant pas se questionner les uns les autres sur leurs familles ou leurs vacances. Ils avaient, quelque part, déjà la désagréable sensation d'être écoutés. Le silence régnait et ce n'était pas un de ces silences gênés qui vient après la gaffe, c'était un silence lourd, chargé de tension et de peur.

« Tu connais les Gernumbli Jardinsi, Neville ?, demanda brusquement Luna, leur salive est extraordinairement bénéfique, d'après mon père. Je me suis fait mordre par un Gernumbli du jardin de Ginny cet été, et, depuis, je porte en moi la sagesse du Gernumbli ancestral. Ça pourrait m'avoir doté d'un don nouveau et particulier. Je me demande bien quoi. J'attends de voir. »

Elle avait dit ça sans reprendre sa respiration, tout d'un coup. Son visage pâle tourné vers Neville. Elle enchaîna des élucubrations au sujet de … De quoi ? Il ne le savait pas. Ce qu'il avait entendu c'était :

« Ginny n'est pas encore remise du départ de Harry et des autres. Sa famille a subi pas mal de coups durs, elle n'est pas encore en état de prendre la tête de notre groupe, Seamus n'a jamais été apte à ce genre de chose. Toi non plus ? Tu crois ? Et moi alors ? Si personne ne fais rien, qui le fera ? C'est à nous de parler, Neville. »

Neville se rappela du sentiment similaire qu'il avait connu, l'année dernière, quand il avait senti le gallion de l'A.D brûler dans sa poche, ce gallion que les autres avaient sans doute jeté. Il se rappela avoir hésité, vaguement, pas longtemps. C'était comme de se jeter, à reculons, dans un bac d'eau glacé.

Il n'avait pas regretté.

Luna aussi avait répondu à l'appel. Pour lui, comme pour elle, l'A.D. avait représenté beaucoup. Trop, peut-être. C'était un peu pathétique de s'y raccrocher comme ça. C'était ce qu'il avait dit à Luna, un peu bêtement, alors qu'elle le soutenait pour se rendre à l'enterrement de Dumbledore.

« C'est ironique, non, si on n'avait pas tous les deux eu cet attachement un peu pathétique à l'A.D., on n'aurait pas pu répondre à l'appel et…

- Pathétique ? avait répété Luna, l'air plus ébahie encore que d'habitude, pathétique ? Mais Neville, qu'est-ce qu'ils t'ont donné à l'infirmerie ? »

Il n'avait pas su quoi dire. Comme d'habitude avec elle. Elle était tellement déstabilisante. Cette façon qu'elle avait de dire les vérités les plus embarrassantes avec simplicité... Et lui qui s'embrouillait tout temps et cherchait ses mots ! L'esprit supposé dérangé de Luna devait être bien mieux ordonné que le sien. Elle était tellement confiante aussi, comparée à lui. Elle semblait toujours certaine d'être dans le vrai, et souvent, elle l'était, même si Neville restait sceptique quant à l'existence de certaines créatures dont elle parlait.

« Excuse-moi, tu disais ? Les Gernum… quoi ?

- On les appelle aussi gnomes de jardin ! C'est fascinant comme créature… »

Ils poursuivirent leur discussion. Peu à peu, l'atmosphère se détendit et Ginny et Seamus délièrent également leurs langues. Le trajet fut long, ça aurait pu être pire. Surtout comparé à ce qui les attendait.

Dans le même train, quelques mois plus tard, Luna disparaissait pour ne plus revenir. Ils partageaient le même compartiment. Il s'était endormi, las. A son réveil, elle n'était plus là. Ginny se volatilisa à Pâques. Neville était seul.


Moonchild still lives in my heart

Can I ask you something?

Is your life better now?

Si Neville s'était attendu à revoir Luna Lovegood, ce n'était certainement pas à Ste Mangouste. Il l'aperçut le premier. Elle s'était installée, seule, à une petite table isolée du salon de thé de l'hôpital. C'était une salle aux couleurs froides, ternes, comme le reste de Ste Mangouste, il y flottait la même odeur de propreté malsaine. Neville ne s'y habituait pas.

Il était tard. Mis à part deux sorciers recouverts de bandages qui sirotaient leurs boissons à la paille à grands bruits, il n'y avait que Luna. Elle avait l'air perdu, les yeux dans le vague, elle mélangeait son thé avec une brusquerie machinale. La majeure partie de sa boisson était d'ailleurs répandue sur la table. Si elle n'avait pas eu l'air encore plus à côté de la plaque que d'ordinaire, il aurait sans doute hésité à venir vers elle. Elle l'intimidait toujours un peu.

« Bonsoir Luna, lui dit-il en s'installant face à elle.

- Neville… Tu es là, constata-t-elle.

- Je…Je rendais visite à mes parents, répondit-il, et toi ?

- Mon père est un peu distrait depuis sa sortie d'Azkaban, il y a eu une explosion…

- Ah... »

Ce fut tout ce que Neville trouva à répondre. Il savait que la mère de Luna était morte dans des circonstances similaires lorsqu'elle avait neuf ans. Il n'osait pas demander l'état dans lequel se trouvait son père. Elle gardait les yeux baissés. C'était bien la première fois.

« On m'a dit qu'il allait bien, expliqua-t-elle finalement, mais je ne pourrai le voir que demain. Tu vas bien, toi ? Tu es Auror, c'est ça ?

- Oui et oui, Luna, tu … Tu comptais passer la nuit ici ?

- C'est étrange qu'on ne se voie plus alors qu'on a été si proches... C'est comme ça pendant les guerres. On est très proches, un temps. Après, chacun refait sa vie de son côté. »

Moonchild still lives in my heart

Can I ask you something?

Is your life better now?

Neville soupira. Effectivement, oui, c'était comme ça. Nul besoin de la préciser. Mis à part Harry, Ron et Hermione qu'il croisait régulièrement au ministère, il avait bien du mal à revoir ses anciens camarades. Et il s'en voulait assez comme ça !

Luna le dévisagea avec intérêt. Il n'avait vraiment plus rien de l'empoté timide qu'elle avait rencontré huit ans plus tôt. Ses traits étaient marqués par des cicatrices. Son menton restait un peu fuyant et son visage était toujours d'une forme arrondie, mais une impression générale de dureté en ressortait. Aguerri, c'était le mot. Malgré tout, ses sentiments successifs bousculaient ses traits comme de légères vagues. On lisait encore en ce garçon comme dans un livre. Il culpabilisait, manifestement. Elle s'en voulut de lui avoir dit ça. C'était l'impulsion du moment. Elle n'était pas du genre à se retenir quand elle avait quelque chose à dire.

« Oui, reprit-elle, je comptais passer la nuit ici, enfin, pas dans le salon de thé, il va bientôt fermer, mais à Ste Mangouste.

- Tu veux qu'on aille faire un tour ? »

Elle le regarda avec surprise. Elle savait qu'il lui proposerait, Neville avait toujours été un gentil garçon, mais ça lui faisait quand même plaisir. Elle accepta, bien sûr. Il tombait à point nommé, Neville, elle n'en pouvait plus d'attendre avec anxiété qu'on lui laisse découvrir l'ampleur des dégâts. Ils sortirent donc de l'hôpital, arrivant dans le centre-ville de Londres. Il était encore très animé, à cette heure-ci. Ils marchèrent au hasard, en silence, pendant un long moment. C'était une de ces nuits étranges dont un garde la trace ancrée en soi, au plus profond, mais dont on a du mal à parler, plus tard. Dont seuls quelques détails reviennent, nettement. Leurs ombres, projetées, juste devant. Un cheveu égaré tombé sur sa veste. Un coup de klaxon, quelque part. Le bruit de leurs pas qui résonnaient à un rythme étrange. Il boitait.

Sometimes I feel you're sitting next to me and listening to my stories

Time always shows me it's hard to understand how to be myself

Ce fut lui qui parla le premier, pour dire des banalités :

« Et toi, toujours sur ton étude des Eruptifs ?

- Oui, mais je pense arrêter bientôt. Les explosions ne me portent pas chance, manifestement. »

Luna s'en voulut pour le silence qui suivit. Elle essaya d'embrayer sur un sujet plus léger :

« Il paraît que tu vois Hanna Abbott, commença-t-elle. »

Elle ne s'attendait pas à ce que ça provoque en lui tant de confusion. Malgré l'obscurité croissante, son rougissement était bien visible.

« Pas vraiment… C'est Hermione qui nous a poussé à nous revoir, elle voudrait que je sois un peu plus, enfin que je voie plus de … Que je…

- Les gens en couple ont tendance à vouloir caser tout le monde, commenta sobrement Luna, Ronald et elle vont bien ? »

Neville avait toujours eu l'impression qu'elle ressentait un petit quelque chose pour Ron. Mais elle s'était effacée dès qu'elle avait compris que lui et Hermione se tournaient autour. De toute façon, il imaginait difficilement Luna « séduire », elle semblait bien au-delà de ce genre de trivialités, de ce genre de besoins. Il soupira.

Il en arrivait toujours à cette conclusion lorsqu'il se comparait à elle ; il n'avait pas accès à certaines choses parce qu'il en était incapable, et elle, parce que ça ne l'intéressait pas.

C'était ce qu'il croyait.

Moonlight dries your tears, moonlight hides your fears

« On va vers Charing Cross Road, fit remarquer Luna. »

C'était vrai, il avait repris, par automatisme, le chemin qui menait au Chaudron Baveur. Neville lui proposa d'aller y prendre un verre. Il faisait un peu froid, la perspective d'un endroit chaud ou s'asseoir rassura Luna. Elle était partie en catastrophe de chez elle pour emmener son père à l'hôpital et ne portait sur elle qu'une robe d'été légère et une veste jaune moutarde appartenant à Xenophilius.

Ils poursuivirent leur marche. Toujours sans un mot.

« Quelque fois, murmura soudain Luna, je pense à la guerre avec nostalgie. Comme si ça avait été le bon temps. »

Moonlight dries your tears, moonlight hides your fears

Neville la regarda avec étonnement. Comme d'habitude, elle avait asséné une de ses étranges vérités sans prévenir. Il fut presque surpris de constater qu'il ressentait la même chose. C'était une période sombre, oui, mais la joie n'est jamais si grande que quand on ne l'attend plus. Et puis, c'était dans la guerre qu'il était vraiment né. C'était les combats, la nécessité du combat, qui l'avait rendu vivant. Il avait l'impression de ne vivre qu'à moitié depuis. Comme si rien d'aussi intense ne lui arriverait plus jamais. Lui qui se croyait casanier, il s'était remarquablement habitué à l'angoisse, à la menace permanente. Et se réadapter à un monde plus calme lui était ardu.

« Toi aussi, devina Luna, c'est vrai pour toi aussi. »

Moonchild still lives in my heart

Can I ask you something?

Is your life better now?

« Oui, reconnut-il. Pendant, je réfléchissais toujours à ce que je ferai après. Je me disais comme ce serait … extraordinaire. Juste de vivre encore après, de respirer après.

- C'est plus dur qu'on ne le pensait, hein ?

- Je me demande si les autres le vivent comme ça. On n'en parle pas.

- Pourtant, le silence est quelque chose de tellement dangereux. »

Moonchild still lives in my heart

Can I ask you something?

Is your life better now?

Ils étaient arrivés devant le Chaudron Baveur. Neville ouvrit la porte écaillée de l'auberge miteuse pour laisser Luna entrer. Le vieux Tom les salua, la salle était, comme le salon de thé de Ste Mangouste, presque déserte. Ils se choisirent un coin tranquille et s'assirent l'un en face de l'autre, sans se regarder vraiment. Ils discutaient à présent, c'était moins décousu que durant leur marche. Ils parlaient d'avant, comme deux combattants ayant lutté en coude à coude, sans se regarder vraiment. Jamais. Ils parlaient d'avant et se disaient comment c'était, comment ça s'était passé, avant, dans leurs peaux, dans leurs corps respectifs. C'était familier et nouveau à la fois. C'était étrange, surtout. Les lanternes du plafond éclairaient chichement la salle. Ça creusait leurs traits, leurs rides pourtant rares. Ça les vieillissait.

Sometimes I feel you're smiling at me and telling me your memories

Tide always moves fast

Can you tell me how to find words inside a shell?

Sa peau diaphane, avec la lumière jaunâtre des lanternes, prenait une teinte dorée étrange et ses cheveux pâles semblaient s'embraser. C'était un peu inquiétant. Mais sa voix de jeune fille venait contredire son aspect. Si elle avait arrêté de parler, elle aurait été effrayante. Elle n'arrêtait pas. Ou alors, c'était pour l'écouter.

Moonlight dries your tears, moonlight hides your fears

« Quand je parle à des gens qui l'ont vécu de loin ou qui ne l'ont pas vécu, j'ai l'impression que ça ne va pas, que ça n'ira plus. C'est idiot, j'ai l'impression de me refermer. Je devrai passer outre. Je devrai oublier, peut-être. C'est plus sain. »

Moonlight dries your tears, moonlight hides your fears

« Il faut aller de l'avant, dit Grand-Mère, mais c'est tellement plat. Quand on est habitué à lutter pour faire un pas, on a l'impression de piétiner une fois que ça redevient plus facile. »

- Alors la facilité te complique la vie, observa Luna, j'aime bien cette idée. »

Il lui sourit. Et dire qu'il avait cru que c'était lui qui venait chevaleresquement la soutenir, c'était elle qui le consolait. Elle était d'une douceur…

Can't you get that ?

Ils se turent un instant. Cela faisait longtemps. Reprenant conscience de leur situation, du lieu où ils se trouvaient et du regard amusé de Tom, à son comptoir.

Qu'est-ce qui leur arrivait ?

Do you know what you're doing baby?

« Il se fait tard…

- Il était déjà tard quand on a quitté Ste Mangouste.

- Tu veux que je te raccompagne là-bas ?

- C'est gentil, mais je ne voudrai pas t'embêter, tu dois avoir du travail. »

Salamalecs superflus.

Do you know what you're doing baby?

« J'ai encore un peu de temps, ça va aller. »

Neville avait toujours été gentil. Trop gentil peut-être. Il oubliait quantité de choses, mais la plus importante, c'était sans doute lui-même. Elle l'avait su dès qu'elle avait croisé son regard anxieux à travers la vitre du compartiment, alors qu'il se reculait vite hors de sa vue pour ne pas avoir à l'affronter. « Moi, je ne suis personne ! »

« Tu n'es pas obligé de te forcer, Neville. »

Elle avait dit ça un peu brusquement. Ça le surprit et suffit à éveiller son attention. Il l'entrevit alors ; la faille, la fêlure que ses grands yeux ne cachaient pas si bien. Il l'avait deviné, sans y réfléchir plus, des années plus tôt. « « Les gens pensent que tu devrais avoir des amis plus « cool » que nous. »

Can't you get that ?

Ils avaient commencé à se relever. Ils se regardaient, hésitants. Il se sentit comme face au gallion brûlant de l'A.D.

Do you know what you're doing baby?

Elle savait ce qui allait se passer. Peut-être. Il aurait suffi d'un battement de cils pour tout briser, mais ils étaient comme figés.

Do you know what you're doing baby?

« Luna, est-ce que…

- Je veux bien. »

Moonchild

Elle lui prit la main. Ils s'étaient devinés.

Do you know what you're doing baby?

Le creux de son poignet contre sa hanche.

Do you know what you're doing baby?

Les stries violacées, sur son genou.

Moonchild


Note aux lecteurs : Alors alors... cette fic c'est un extrait d'une longue fic Nextgen que j'ai écrite entre 2011 et 2012. Je l'ai un peu relue mais globalement vous avez la bête telle quelle donc mon style a un peu évolué depuis l'écriture de ce truc ^^' C'était mon premier et dernier essai à la songfic, c'est un peu bizarre mais je l'ai gardé. La chanson c'est Moonchild de Cibo Matto... Heu... que dire d'autre... J'adore Neville et Luna et je tenais à être canon au maximum en écrivant ce texte qui est un peu une compil de headcanons. J'avais commencé à le sortir avec le dernier film où Luna et Neville étaient mis ensemble même si dans le bouquin cette andouille de JK R préfère les caser avec de parfaits inconnus (ce qui est plus réaliste mais bon... quitte à faire plein de couples avec des personnages connus, mettez Neville et Luna ensemble que diable !

Du coup je vais publier aussi sec la deuxième partie de ce Two shots et on sera boons. Hop hop !