Fini. C'était terminé. La grande bataille, la lutte pour laquelle on s'était préparé pendant si longtemps, s'était close par la mort de Tom Jedusor. Voldemort. L'homme, ou la créature, je ne saurais dire, qui avait régit nos vies pendant plus de six ans, depuis son retour, depuis que Harry avait compris qu'il allait devoir se battre pour sa vie, les nôtres, celles de tous.

Le regard perdu dans le vide, je tâchais de reprendre mon souffle. Ma poitrine se soulevait laborieusement, pendant que mes yeux balayaient le champ de bataille, examinant les blocs de pierre jonchant le sol, le maigre groupe de Mangemorts qui, désorientés par la perte de leur Maître, étaient finalement maîtrisés par les combattants de l'Ordre. Cette vision sembla me faire prendre conscience de la véracité de tout ce qui venait de se passer. Mais cette prise de conscience fut d'autant plus éprouvante lorsque mes yeux se posèrent sur les corps étendus au sol, sous lesquels fleurissaient toujours des flaques de sang, et mon cœur se serra. Un violent frisson me secoua, et malgré moi, un sanglot s'échappa de ma gorge.

N'étais-je pas censée être heureuse pourtant ? De savoir enfin que tout était fini, que nous allions enfin pouvoir vivre libre, nous reconstruire tant bien que mal, profiter d'une vie que tant de personne n'allaient pas pouvoir vivre, leur vie s'étant éteinte aujourd'hui. Ou bien avant, pendant toute la durée de cette guerre latente. Pourtant, le poids de tous ces sacrifices était toujours là, quelque part dans ma poitrine, comprimant mon cœur, faisant toujours jaillir mes larmes.

Fermant les yeux, je me coupais de ce qui m'entourait, du moins le temps de reprendre contenance. Harry était vivant. Ron aussi. Ginny. Luna. Neville. Mes parents, mes amis, étaient sains et saufs. Ma respiration se calma enfin, et je rouvris les yeux, prête à me rendre dans la Grande Salle de Poudlard, auparavant cette grande école prestigieuse qui n'était désormais qu'un champ de ruine.

Alors que j'allais me retourner pour me diriger vers l'entrée, je vis au loin Lucius Malefoy, le regard fou, perdu dans le vide, alors qu'il était entraîné de force. Un rictus satisfait déforma ma bouche à l'idée que ce monstre allait enfin payer. Cependant, je croisais ensuite le regard de la femme qui se trouvait à ses côtés, m'attendant à y lire du mépris, du dégoût, tout ce qu'une sang pur devrait ressentir face à l'une des sang-de bourbe qui avait vaincu leur guide, pourtant à la place de tout cela, je ne vis que la détresse, le désespoir, et quelque chose qui me déstabilisa : de l'amour. Mon rictus s'effaça aussitôt. Une petite voix dans ma tête me souffla de me détourner du regard de cette femme, qui était à présent vulnérable. D'aller voir mes proches qui avaient besoin de moi. Mes pensées s'entremêlaient désormais, alors que la confusion s'insinuait en moi.

Cette femme, aux traits si fins et délicats, au port de tête aristocratique, à la démarche assurée, n'était maintenant plus rien. Non. Elle était la sœur de celle qui l'avait torturée quelques mois auparavant. La femme de celui qui s'était appliqué à servir le Lord Noir avec conviction. Mais par-dessus tout, elle était la mère de Draco. Ce jeune homme méprisant et méprisable, qui avait fait partie intégrante de leur vie pendant leur scolarité à Poudlard, - certainement plus que quelques-uns de leur amis – à force de répliques cinglantes, de piques blessantes, de sorts jetés lors de confrontations avec Harry. Celui-là même qui avait toujours tout fait pour leur rendre la vie difficile. Le même qui n'avait pas prononcé un mot face à sa tante lorsque Harry, Ron et elle avaient été retenus captifs au Manoir Malefoy, qui ne les avaient pas vendus alors qu'elle s'était attendue à ce qu'il les dénonce avec son sourire narquois et triomphant, pour rendre son père fier de lui. Pour la première fois selon mes souvenirs, je l'avais vu hésiter, comme s'il était tout à coup incapable de prendre une décision qui paraissaient si évidente aux yeux de tous : il les dénonçait, recevait la fierté de sa famille, et aidait Voldemort à gagner la guerre, lui offrant sa victoire sur un plateau d'argent.

Il n'y avait en effet aucune incertitude à avoir à propos de l'identité du jeune homme au visage déformé qui faisait face à Malefoy ce jour-là. Car malgré difformité de son visage, sa présence ainsi que celle de Ron auraient dû effacer tous les doutes subsistants. Mais il ne l'avait pas fait. Je n'avais plus pensé à ça depuis des mois, et maintenant, face au regard de sa génitrice, je me sentis à nouveau mal. Mais différemment de quelques minutes plus tôt, même si le poids de toutes les pertes persistait. Pourtant ce n'était pas la culpabilité d'être vivante tandis que tant d'autres n'étaient plus qui m'assaillait.

C'était une autre sorte de culpabilité, une de celle qui vous ronge, qui vous fait dire « Et si ? ».

Et si Draco Malefoy n'était pas celui qu'elle pensait ? Qu'ils pensaient tous.

Et s'il était différent de ce qu'il voulait faire croire ?

Et si ce n'était qu'une illusion, qu'il devait maintenir devant la cour du Lord ?

Et s'il n'avait pas choisi cette voie, si elle lui avait été imposée ?

Et s'ils avaient pu changer quelque chose, n'importe quoi, en ne n'omettant pas le fait que Draco avait leur vie à tous au creux de ses mains, et qu'il avait fait le choix de les laisser saufs ?

Et si cela n'avait été qu'un appel à l'aide ?

Mes réflexions n'avaient pris que quelques longues secondes, le temps de quelques respirations, et lorsque j'émergeais enfin d'entre elles, je m'aperçus que le regard de Narcissa Malefoy était toujours rivé au mien, dans cet appel silencieux, où s'entrechoquait tant d'émotions.

Alors, je me dirigeais vers elle, boitant légèrement à cause d'un sortilège reçu à ma hanche. Pourtant malgré la douleur, l'envie pressante de voir mes proches, de faire face aux pertes que nos rangs avaient subi pour se soutenir les uns les autres, de serrer certaines personnes dans mes bras et de pleurer, je m'avançais résolument vers elle. Elle qui avait ses yeux d'un bleu profond, à l'opposé du gris froid des iris de son fils, qui me détaillait pendant que je claudiquais vers elle. Mais c'était là la seule différence notable entre la mère et son rejeton. Même si Draco était connu pour être le portrait de son père, je trouvais à cet instant qu'il tenait plus de sa mère. Par une certaine vulnérabilité dans leur trait. Le nez droit, le léger pli entre leurs sourcils qui ne semblait jamais disparaître, les pommettes saillantes, la mâchoire fine et pourtant anguleuse. La bouche à la fois fine et pourtant aux lèvres assez charnues.

Soudain, je réalisais quelque chose. Où était-il d'ailleurs ? Où était Draco ? Se pourrait-il que… ?

Mais mon cerveau bloqua tout ce suite cette pensée. Si Narcissa était aussi humaine que son regard le laissait voir, elle serait désormais en pleure, prostrée sur le sol face à la mort de son enfant unique. Non, il n'était pas mort. Mais il n'était pas dans le groupe de Mangemorts pour autant. S'était-il enfui afin d'échapper à la Justice ? Cette solution lui semblait tout à fait probable, mais une part d'elle savait que, bien que lâche, Draco ne se serait pas enfui maintenant. S'il avait voulu le faire, il l'aurait fait avant. Non ? Non, bien sûr, pensais-je, il n'aurait pas entaché l'honneur de sa famille en quittant les rangs de Voldemort, il n'aurait pas quitté sa mère. Je ne savais pas pourquoi, mais j'en étais persuadée.

J'étais maintenant à moins de cinq mètres de Narcissa Malefoy. Cinq malheureux mètres que je ne pus franchir. J'en était tout bonnement incapable, sans savoir pourquoi. Comme si inconsciemment, j'avais toujours peur de ces Mangemorts qui se trouvaient alignés, et parmi lesquels une d'entre elle me dévisageait toujours, son regard perçant semblant me supplier d'approcher encore, que c'était urgent, qu'il n'y avait plus une minute à perdre. Et c'était une réaction tout à fait logique de la part de mon corps, ne pas vouloir s'approcher plus des êtres abjects qui avaient tué tant de personnes innocentes ou non -mais là n'était pas la question- qui avait toujours voué une haine viscérale aux personnes de mon statut, aux né-moldus, et aux moldus tout simplement.

« - S'il-vous-plaît…

Je relevais immédiatement la tête vers la source du murmure, presque une supplique.

Narcissa me fixait maintenant avec davantage d'intensité, et mes dernières craintes s'évanouirent. La guerre était terminée, les forces du mal ne pouvaient plus rien contre moi.

Je franchis les derniers mètres me séparant de la mère de Draco.

« - Oui ? demandais-je fébrilement.

Un léger sourire éclaira son visage, et je fus désormais certaine que c'était de sa mère que Draco avait hérité sa beauté légendaire. Puis soudain, aussi rapidement qu'il était apparu, son sourire se fana en voyant un des Aurors se rapprocher du groupe.

- Sauvez-le… Gémit-elle.

- Pardon ?

Elle se ressaisit immédiatement, se redressant et plantant ses yeux encore une fois dans les miens.

- Je ne suis pas en train de perdre l'esprit jeune fille, je vous demande de sauver mon fils. Comme j'ai sauvé votre ami. Je vous le demande comme un… Le dernier vœu d'une condamnée, d'accord ?

- Je… Vous n'allez pas mourir. Balbutiais-je tant bien que mal, ne comprenant pas où elle voulait en venir. Comment ça comme elle avait sauvé mon ami ?

Il est blessé ? Repris-je.

- Oui, mais il va s'en sortir… Ce n'est pas de cela dont je vous parle, vous le savez très bien.

J'avais l'impression de savoir où elle voulait en venir, et pourtant, mon cerveau semblait ne pas vouloir me donner la réponse que j'attendais, me laissant dans le brouillard le plus total.

- Je crains de ne pas comprendre.

Elle fronça ses sourcils.

- Par Merlin, vous êtes la sorcière la plus intelligente de votre génération… Se lamenta-t-elle avec un nouveau sourire. Cependant, lorsqu'elle continua, sa voix se fit plus pressante.

Il aura besoin de bien plus que de soins physiques. Je ne serais plus là pour lui, même si je ne l'ai jamais vraiment été. Il va se retrouver seul, avec ses parents morts ou en prison dans le meilleur des cas. Je le connais, il a une horripilante manie à vouloir tout gérer seul, mais comme je viens de vous le dire, je le connais. Il n'y arrivera pas, pas cette fois en tout cas, avec tout ce qu'il aura subi. La perte de ses amis, de sa famille, ces derniers mois ont été éprouvants pour lui… Ne me regardez pas comme ça Mademoiselle Granger, vous plus que quiconque savez ce qu'il va ressentir, à la différence que lui sera complètement seul.

- Et que voulez-vous que j'y fasse ? Répliquais-je, légèrement agressive.

La conviction dans son regard se renforça suite à ma réaction, comme si je venais de confirmer une idée qui la taraudait.

- Ne le laissez pas devenir fou, ne le laisser pas se perdre, je vous en prie. Je ne vous demande pas de l'accueillir chez vous et de devenir son amie, simplement, faites qu'il se remette de cette guerre, et qu'il puisse devenir qui il est. Je vous demande de vous assurer qu'il soit heureux un jour, qu'il ne rende pas son dernier souffle en regrettant amèrement sa vie comme son père va sûrement le faire.

Elle pâlit brusquement, comme si elle venait de réaliser quelque chose.

- Dans l'éventualité où nous nous en sortirions pas, dites-lui que nous l'aimions malgré tout ce qui a pu se passer. Que je l'aimais.

Mon cœur s'était mis à tambouriner douloureusement alors qu'elle me suppliait de… de quoi ? De prendre soin de son fils… Son fils qui avait toujours fait en sorte de me faire souffrir, et à qui je devais pourtant la vie. Je lui devais bien ça.

- Je ferais de mon mieux, lui promis-je. Je ne peux vous assurer qu'il sera heureux toute sa vie ou qu'il s'en sortira, mais je vous promets de faire mon possible, même si c'est contre sa volonté, pour qu'il ne sombre pas. Je vous le promets, répétais-je, et j'eus l'impression qu'un poids s'envolait de mes épaules, alors que ç'aurait dû être le contraire après m'être engagée à prêter un serment aussi insensé.

Soudain, ce fut comme si Narcissa Malefoy rajeunissait de dix ans, une fois que l'inquiétude et l'anxiété marquant ses traits eurent disparut, suite à ma promesse. Elle sourit une fois de plus, d'un sourire franc et sincère, et me murmura un « Merci » à peine audible lorsqu'un Auror vint l'attraper un peu trop brutalement pour l'emmener avec les autres. Je l'observais jusqu'à ce qu'elle disparaisse de mon champ de vision, songeuse.

Par Merlin, que venais-je donc de faire ?