Une nouvelle journée commence, songea Grissom en regardant le soleil se lever, faisant rougeoyer l'horizon. L'air été glacial en dépit du printemps et le soleil ne parvenait pas à réchauffer l'atmosphère glacée qui entourait la ville. Tout comme les souvenirs n'arrivaient pas à le réchauffer lui… Elle lui manquait… Tant qu'il était occupé, son absence était supportable, mais lorsqu'il n'avait rien à faire le vide qu'elle avait créé par son départ venait le frapper en pleine face. Comme c'était le cas en ce moment, alors qu'il était appuyé au plan de travail de sa cuisine, une tasse de café entre les mains, après une nuit de travail et son jogging matinal. Ce manque lui était insupportable. Il aurait voulu lui dire, mais… elle avait besoin de temps et de solitude. Il respectait ce choix, même s'il en souffrait. Il l'avait accepté en dépit du manque et de la douleur qu'il ressentait. Il aurait voulu lui écrire, lui envoyer un mail, mais ne savait comment formuler ses pensées. Etrange… lui qui avait toujours été plus doué avec une plume qu'avec sa langue. Mais elle lui ôtait tous ses moyens. Sans elle, il se sentait perdu. Avec elle, il perdait ses mots et devenait aussi maladroit qu'un adolescent. Mais elle le comprenait sans un mot. Un geste, un regard, un sourire leur suffisait. Elle était la seule à le comprendre comme cela. La seule avec sa mère… Les deux femmes de sa vie.

« Oh Sara ! pensa-t-il, en posant sa tasse dans l'évier. Comme tu me manques !

Une main se posa sur son bras. Il se tourna et vit sa mère qui lui souriait doucement.

_ Ecris-lui, dit-elle d'une voix douce quoique rauque.

Il sourit et elle serra tendrement les mains de son fils dans les siennes. Il la serra contre lui.. Elizabeth sentit dans cette étreinte l'amour de son fils, sa détresse aussi, comme elle l'avait senti dès les premiers mots qu'il lui avait signés. Elle l'avait toujours deviné, lui son fils. Son fils unique. Entre eux, pas besoin de mots, signé ou non. Ils se comprenaient sans cela. Elle songea avec amertume que l'incapacité à exprimer ses sentiments et ses émotions lui venait d'elle, de leur vie de silence et de complicité muette.

_ Ecris-lui, répéta-t-elle en le poussant doucement vers son bureau.

Sans protester, il obtempéra et s'enferma dans son antre. Quelques minutes plus tard, la maison résonnait des notes de « Carmina Burana », l'opéra préféré de son fils, Elizabeth sourit toute seule dans la cuisine, indifférente à la musique ambiante, dans sa bulle de silence. Cette bulle qui l'emprisonnait depuis plus de trente ans, cette bulle qu'elle avait construite avec son fils. Elle était accourut dès qu'il l'avait appelé, sentant, devinant sans peine qu'il n'allait pas bien. Elle ne supportait pas de le voir malheureux. Elle le connaissait tellement bien, sachant ce qui le turlupinait avant qu'il ne lui en parle. Ils avaient toujours eux une relation quasi-fusionnelle en dépit de la distance. Et il ne se passait pas une semaine sans qu'ils ne se parlent, par ordinateurs interposés. Gil lui disait tout, n'omettant jamais rien… D'une main distraite, elle caressa la tête de Hank, le boxer de son fils, tout en contemplant les photos affichées sur le réfrigérateur. La quasi-totalité représentaient son fils et Sara. Sauf deux. L'une d'elle étant celle de leur dernier Noël entre mère et fils et l'autre son équipe au grand complet. Des visages qu'elle ne connaissait pas, mais qui formaient la seconde famille de son fils.

****

Installé devant son ordinateur portable, le fils en question soupira et contempla l'écran. Par où commencer ? Il commença à taper.

« Sara »

_ Oui ! Bon début alors que tu as envie de l'appeler autrement, de lui murmurer des mots d'amour ! Crétin va ! Laisse parler tes émotions comme elle te l'a appris ! Laisses ton cœur diriger tes doigts !

Nouveau soupir. Il contempla, pensif la photo qui trônait sur son bureau, la même que celle qu'il avait sur sa table de travail au CSI. Elle les représentait tous les deux, lors d'une soirée de la police, qui avait eu lieu deux mois après l'enlèvement de Sara. Le couple ne s'était pas quitté de la soirée. La première où ils pouvaient être réellement ce qu'ils étaient réellement. Des amants, deux êtres s'aimant, s'adorant… L'inspiration arriva. Et il se mit à écrire, alors que l'opéra résonnait autour de lui. La musique se coula en lui, jaillissant par le bout de ses doigts virevoltant sur le clavier.

« Mon amour, ma chérie.

« J'aurais voulu garder cela pour moi, tu as besoin de temps et je le comprends, mais j'ai besoin de te dire les sentiments qui m'agitent. Tu me manques mon amour, j'ai besoin de toi. Je comprends ton besoin d'éloignement. Nous aurons tout le temps pour nous quand nous serons à nouveau réunis. Tu sais à quel point je t'aime. Tu m'as attendu neuf ans, je t'attendrai toute ma vie s'il le faut Prends ton temps. Dès notre premier rencontre, je t'ai aimé, même si j'ai mis longtemps, trop longtemps à me rendre compte que c'était toi celle qu'il me fallait… Je n'oublierai jamais ce séminaire… La première fois où je t'ai vue, où nos cœurs se sont retrouvés comme s'ils s'étaient toujours attendus, où nos yeux se sont croisés… Je me souviens de ces yeux là,
Mi-miel mi-chocolat,
Beaux comme un air d'opéra,
Je ne voyais plus que ça.

Ils m'hypnotisaient, m'attiraient, m'invitant à plonger dans cet univers de miel et de chocolat, de douceur et d'amour… Tes yeux sont la première chose que je vois quand j'ouvre les yeux le matin et la dernière que je vois avant de m'endormir… Tes yeux, ton sourire, ton visage. Ce visage que je chéris plus que tout autre, ces yeux que j'adore comme on adore un dieu… ces yeux qui me hantent sans cesse depuis notre première rencontre…

Tu es toute ma vie et c'est ce qui m'empêche de craquer. Je t'aime mon ange. Nos souvenirs sont partout. Je baigne dedans. Dans cette bulle que nous avons construit tous les deux. Tu es partout. Chaque geste routinier, tous les lieux où je vais, te rappellent à moi. Pas plus tard qu'avant hier, l'équipe et maman m'ont traîné à la fête foraine (Ecklie avait accepté de nous donner un congé après une enquête particulièrement ardue.). La dernière fois que j'y ai mis les pieds c'était avec toi, tu te souviens ? Nous avions eu une nuit de congé, grâce à un superviseur arrangeur… »

Griss s'arrêta alors d'écrire, un sourire tendre sur les lèvres. Cette soirée avait été magique. Il s'était arrangé pour que leur nuit de congé coïncide et personne n'avait trouvé à y redire. Bien sûr, il y avait eu des rumeurs, des interrogations, tous trouvant étrange que leur jour de congé tombent en même temps. Mais Sara avait esquivé les questions de leurs amis. Après tout ce n'était pas elle qui faisait le planning mais lui. Lui qui avait passé sa soirée à éviter les questions de Catherine qui trouvait cette coïncidence bien étrange. Personne ne savait pour eux à ce moment, personne sauf Greg bien sûr, que Sara avait prévenu… En même, temps, ils n'avaient pas eu trop le choix, vu la situation dans laquelle il les avait surpris. Sara dans ses bras, dans les vestiaires, après une dure nuit de travail et une enquête des plus difficiles pour la jeune femme… Mais l'ex-laborantin et meilleur ami de Sara avait promis de garder le secret. Et les deux amants avaient alors continué leur double vie, amis et collègues pendant le service, amants dans l'intimité de leur maison…

****

Sans bruit, discrètement, Elizabeth ouvrit la porte du bureau. Le spectacle qu'elle y vit la ravit. Gil, son petit Gilbert, son amour, tapait fébrilement sur son clavier. Elle voyait les mots s'alignaient un à un sur l'écran, reflet, transcription de l'amour de celui qu'elle considérait toujours comme son bébé en dépit de ses cinquante et un ans.

« Ecris mon fils, pensa-t-elle tendrement, heureuse. Ecris, dis-lui à quel point tu l'adores… »

Tout aussi discrètement, elle referma la porte.

****

« Nous avions passé une bonne soirée… Rien que toi et moi, seuls. Notre première vraie sortie de couple… Tu t'étais mise à chanter ensuite, reprenant doucement la chanson du marin sur le port du lac Mead, où nous avons fini cette soirée magique, après que nous ayons quitté la fête. J'ai presque été jaloux du bonhomme, quand j'ai vu les yeux avec lesquels il te regardait… Tu l'as transporté dans un autre monde, comme tu m'as envoyé planer avec toi dans une autre galaxie… Tu as une voix magnifique mon amour… Sara, les manèges de Vegas tournaient dans tes bras,
Sara, la chanson des marins pleurait dans ta voix

Le soleil se lève, comme en ce moment, mais il va bientôt être recouvert pas les nuages… Mais pour l'heur il brille et, comme toujours, c'est ta place qu'il illumine… comme tous les matins. Comme ce matin-là… après ta première nuit chez nous, quand nous avons emménagé ensemble. La vision était idyllique, tu es si belle quand le soleil joue avec tes cheveux. Je crois qu'une vision pareille ne se représentera plus… J'ai cru qu'un ange était descendu sur terre rien que pour moi, tant tu étais belle. Ton corps magnifique sublimé par les éclats dorés du soleil sur ta peau, ses rayons jouant avec les reflets cuivrés de tes cheveux bruns. Ce jour-là, tu as donné au soleil toute sa clarté, lui qui semblait bien pâle avant de tomber sur toi. Tout comme moi. J'étais bien fade, bien uniforme, dans l'obscurité de laquelle tu m'as tiré. Et depuis ton départ, le printemps se fait attendre. Les bourgeons ont beau s'ouvrir doucement, rien ne peut me tirer de la grisaille dans laquelle je suis depuis ton départ Sara, le soleil du matin s'allumait sur toi
Sara, le printemps qui revient ne me guérit pas.

Ne prends pas ces mots pour des reproches ! Il n'en est rien. Mais j'écris cela pour mettre à plat tous ces sentiments, toutes ces émotions qui m'habitent, et me dévorent. Je sais que tu m'aimes et je n'ai pas de raison d'en douter, bien au contraire. Et je sais que cette séparation n'est faite que pour mieux nous retrouver. Je t'attendrais toute ma vie, je t'aime, je te l'ai déjà dit. Mais je suis prêt à le répéter un nombre incalculable de fois s'il le faut. J'ai pris l'habitude d'aller courir le matin en rentrant du labo. Je fais le même trajet que toi. Les premières fois, je le faisais pour éviter de rester seul à la maison, je ne voulais pas me morfondre et rester au milieu des souvenirs de notre vie commune suspendue, m'était trop insupportable. Mais maintenant, je le fais, parce que je ne veux pas que tu retrouves un vieillard quand tu reviendras. Je ne supporterais pas de sentir ton regard déçu sur moi. Même si je sais que notre différence d'âge n'est rien. Au début, Hank venait avec moi, mais il a fini par renoncer et se couche à ta place dans le lit, pour que je le traîne pas dehors pour aller courir. Je voulais me vider la tête les premières fois où j'allais courir. En mettant mon mp3 (le cadeau que tu m'as offert lorsque je suis parti en séminaire, il ne me quitte plus…) à fond (mais uniquement de l'opéra et mon préféré… celui que tu aimes…), je pensais naïvement que me couper des bruits du monde extérieur pourrait me permettre de t'oublier le temps de retrouver une certaine sérénité… J'ai bien vite déchanté. J'avais oublié les souvenirs attachés à cet opéra. Cette soirée que nous avons passé ensemble, à l'opéra où il était joué. Puis ensuite, nous avons joué les prolongations à la maison. Tant de souvenirs sont attachés à ma mémoire et même si je voulais les oublier, les ranger dans un tiroir, fermé avec un cadenas et en jeter la clef, je ne le pourrais pas. Et ce parce qu'ils représentent l'amour que nous avons l'un pour l'autre, alors j'espère que toi non plus tu ne les oublies, là où tu te trouves. Un souvenir en particulier reste présent en permanence, et plus encore à l'aube… Celui de cette matinée magique où je me suis réveillée avec un ange à mes côtés ne me quitte jamais. Quand tu as ouvert les yeux, et que tu m'as dit que tu m'aimais… Je ne peux l'oublier. Sara, dans mes longues promenades quand je pense à toi..

Le temps me paraît bien long sans toi. Et cette soirée à la fête foraine a été bien fade sans toi, sans ton sourire, sans ton regard brillant de joie, sans ton rire… J'ai donné le change, mais Maman a très bien deviné la tristesse que j'éprouvais. Elle est comme toi, Maman. Elle me comprend à demi-mots, d'un regard elle sait ce que je ressens, tout comme toi. Et cette soirée, bien que les garçons aient fait les pitres, m'a paru triste. Sara, les manèges de Vegas tournent dans le froid.

J'ai revu notre marin hier, en allant promener Hank avec Maman. Il chantait toujours cette chanson que vous aviez partagée, il a souri en me voyant. Nous nous sommes arrêtés un peu plus loin pour l'écouter. Mais ce n'était plus pareil. Il n'y avait plus ta voix pour l'accompagner, pou adoucir la sienne trop rocailleuse, comme elle a adouci ma nature solitaire… Elle ne ressemblait plus au chant que tu fredonnais de temps à autre… Sara, la chanson des marins n'a plus rien de toi

Le temps est gris. Le soleil a fui caché derrière les nuages gris, présages d'une journée de pluie… Il est parti comme la vision de cet ange endormi à mes côtés. Mais je sais qu'il reviendra. Quand mon ange sera de retour, elle le ramènera avec elle… Tu me manque ma Sara, mon amour, ma vie… Et le soleil le sent, j'en suis sûr. Il a décidé de ne pas luire aujourd'hui… Sara, le soleil ce matin ne brille pas pour moi
Sara, le printemps qui revient ne me guérit pas.

Je ne peux te reprocher ton absence mon amour. J'en suis incapable. Ne crois pas que cette lettre soit un blâme. Non, je sais que cette absence t'est nécessaire, elle l'est pour nous deux. Il faut que tu enterres ton passé pour mieux vivre notre futur. Prends le temps qu'il te faut ma chérie. J'ai écrit ces mots parce que si je les taisais plus longtemps, j'aurais fini plus fou que je ne le suis déjà. Car oui je suis fou. Plus fou que l'ancien Grissom, celui qui avait peur de l'amour, celui qui t'a déçu par ses peurs et ses réticences. Je suis fou de toi, mon ange, mon amour. Je sais que la fin de ma folie viendra par le même avion que toi et j'attendrai… Je t'attendrai. Parce que je t'aime et que faire ma vie sans toi n'a pas de sens.

Je t'aime, et je t'aimerai toujours, tant que je vivrais et après, je suis fou de toi mon amour,

Gil »