La quête de Lyra


Cette fanfiction fait suite à « Il existe d'autres voies pour voyager... ». J'espère que vous apprécierez, laissez-moi vos reviews.

Disclaimer : les personnages et noms de lieux sont l'entière propriété de Philip Pullman et de sa trilogie, A la Croisée des Mondes.


1. Le désert de glace

Lyra resserra encore un peu plus sa capuche. La fourrure qui la bordait présentait des cristaux de givre à cause de la condensation de son souffle. Pantalaimon, lové autour du cou de la jeune fille, frissonnait lui aussi, sous sa forme de martre. Ni lui ni Lyra n'avaient prononcé une seule parole depuis que le musher les avait déposés dans la steppe enneigée, comme figée par un charme, hors du temps et de l'intense activité des hommes. Le conducteur du traîneau avait été catégorique, il n'irait pas plus loin avec ses chiens. L'endroit était, avait-il dit, peuplé de créatures redoutables et d'esprits anciens qui hantaient les forêts avoisinantes à la recherche d'êtres vivants à tourmenter. Mais Lyra, malgré ses conseils nerveux, n'avait pas même voulu l'écouter.

La jeune fille était fermement décidée à revoir son ami Iorek Byrnison, le roi des ours en armure. Malheureusement, le chemin jusqu'à Svalbard s'avèrerait plus compliqué que la première fois où elle y était venue. En effet, suite à l'immense déchirure entre les mondes que son père, Lord Asriel, avait provoquée en sacrifiant les vies de Roger et son daemon, d'énormes bouleversements climatiques s'étaient ensuivis. Le Royaume de Svalbard avait été le premier touché. Les glaciers avaient fondu, de violentes tempêtes avaient ravagé les alentours et la mer s'était réchauffée, causant la mort de centaines d'espèces animales.

Lorsque les fenêtres entre les mondes avaient été refermées, les changements s'étaient atténués pour revenir à la normale. Cependant, le pays gardait les séquelles de la catastrophe. Devant Lyra, à perte de vue, s'étirait une étendue désertique faite de lacs gelés, d'arbustes torturés et de carcasses de grands mammifères. Tandis que Lyra dépassait le squelette d'un renne, elle sentit Pantalaimon trembler violemment dans sa capuche. Pour le rassurer, elle lui caressa le museau avec ses moufles. Les forêts de robustes sapins qui se dressaient encore quelques années auparavant n'étaient plus que des troncs morts et brisés.

- Pan, je crois que la route va être très longue, mais nous y arriverons, dit fermement Lyra.

- Tu es sûre de vouloir y aller ? lui demanda Pantalaimon en lui mordillant le lobe de l'oreille.

- Oh, Pan, lâcha la jeune fille en soupirant, tu sais bien que je souhaite plus que tout revoir Iorek ! Il faut qu'il sache, pour Will ! Qui sait, il connaît peut-être un moyen de nous réunir dans un monde réel...

- Lyra, tu...

- Oui, je sais, je sais, le coupa la jeune fille, agacée, je rêve trop ! Tu ne pourrais pas cesser de toujours me rappeler à l'ordre ? Regarde, Will a trouvé un moyen de me contacter sans l'aide des fenêtres, ne crois-tu pas après ça que j'ai le droit d'espérer une solution pour nous deux ?

Le daemon ne répondit pas et fit bouffer son pelage pour marquer son mécontentement. Lyra était toujours tellement bornée !

Un pâle soleil dorait les nuages à l'horizon. L'air glacé fouettait le visage de Lyra comme une multitude de petites aiguilles, mais elle n'en avait cure. D'un pas résolu, elle poursuivait sa marche vers le Nord. Les restes du jour s'accrochaient à la neige pour en extraire toute la lumière possible, tandis qu'une nuée de grands oiseaux noirs fendait le ciel en poussant des cris rauques, projetant des ombres démesurées sur la glace. Lyra les regarda filer vers le Nord, confiante.

- Tu vois, Pan, nous sommes sur la bonne voie, commenta-t-elle. Ces oiseaux vont sûrement à Svalbard. Car où pourraient-ils trouver de la viande en quantité suffisante si ce n'est chez les ours ?

La marche était monotone, si bien que Lyra avançait mécaniquement, ses membres engourdis par le froid, et bientôt, sans même qu'elle s'en aperçoive, la fatigue l'enveloppa. Elle se mit à trébucher de plus en plus fréquemment, et il ne fallut pas longtemps avant qu'elle tombe dans la neige. Avec un effort qui lui parut immense, elle se retourna sur le dos. La fatigue était si intense que Lyra ne parvenait même pas à rassembler ses pensées. La seule chose dont elle fut parfaitement consciente, c'était les nuages au-dessus d'elle, fines mousselines aux teintes fuchsia. Ils semblaient former un paysage. La jeune fille, sombrant dans l'inconscience, distingua des vaguelettes ourlées d'écume, un rivage de sable fin et derrière, une plaine aux herbes ondulant au vent. On aurait dit...

Lyra perdit connaissance, malgré les efforts de son daemon pour la maintenir éveillée.

2. Prisonnière

Le crâne bourdonnant, Lyra dut attendre un long moment pour chasser l'impression de vertige qui l'habitait. Elle frotta ses yeux avec énergie. Elle se trouvait dans une pièce lumineuse, aux murs de glace lisses et bleutés. Pantalaimon n'était pas en vue. La jeune fille fut saisie d'une bouffée de panique, car même si elle sentait sa présence non loin de là, elle aurait aimé que son daemon soit à ses côtés pour la réconforter. Prudemment, elle s'extirpa des lourdes peaux de renne qui composaient son lit de fortune. Les jambes légèrement tremblantes, Lyra fit quelques pas mal assurés pour rejoindre la porte de bois sculpté. Fermée.

La jeune fille sentit de la colère enfler dans sa poitrine. Elle était prisonnière ! Et on avait osé la séparer de son daemon ! Fébrilement, elle se mit à chercher une faille dans les murs de glace, une fissure qui puisse s'élargir assez pour qu'elle sorte. Mais les murs ne présentaient pas la moindre faille. Aussi solides que du métal, épais comme les murs d'une forteresse. Sans objets lourds pour ébrécher la glace, c'était peine perdue. Lyra ne pouvait que se résigner à attendre qu'on vienne lui ouvrir. La mine sombre, elle se recroquevilla sur les peaux de renne. Que faisait Pan ? Etait-il lui aussi enfermé, ou était-il parvenu à s'enfuir ? Lyra l'espérait.

Au bout d'une attente qui lui parut une éternité, le bruit de clefs tintant au bout d'un trousseau alerta Lyra. Aussitôt, elle arrangea les peaux de renne de façon à ce qu'elles donnent l'impression qu'elle soit dessous, puis s'empressa de se tapir contre la paroi près de la porte. On inséra une clef dans la serrure. La porte s'ouvrit doucement, sans un grincement de charnières. Lorsque Lyra jugea le moment propice, elle fonça tête baissée sur l'homme pour le faire tomber. Mais celui-ci , bien que surpris, ne se laissa pas déstabiliser et attrapa les poignets de la fuyarde d'un geste vif. Lyra s'apprêtait à ruer des jambes mais elle s'arrêta, pétrifiée.

- Maître ? s'exclama-t-elle, incrédule.

Le vieil homme lui libéra les poignets. Désormais, il semblait fragile et affaibli par l'âge. Lyra n'en croyait pas ses yeux : que faisait le Maître de Jordan College dans les Royaumes du Nord ? Et pourquoi la retenait-il captive ? Comme s'il lisait dans ses pensées, le vieil érudit lui sourit doucement.

- Il me semble que je te dois des explications, Lyra, fit-il. Suis-moi.

L'homme sortit de la pièce, son corbeau voletant au-dessus de lui. La captive les suivit. Dans son esprit, une foule de questions se bousculait. Cependant, elle attendit d'être introduite dans une grande salle pour laisser libre cour à ses interrogations.

- Que faites-vous ici ? Pourquoi n'êtes-vous pas à Oxford ?

- J'ai dû m'absenter de Jordan College pour te retrouver, Lyra. Si je n'avais pas retrouvé ta trace dans la neige, je crois que tu ne te serais jamais réveillée. Décidément, on peut dire qu'avec toi, on peut s'attendre à toutes les surprises.

La jeune fille voulut l'interrompre, mais le Maître ne lui en laissa pas le temps.

- Lorsque j'ai appris que tu avais quitté ton pensionnat pour te rendre auprès du roi Iorek Byrnison, je suis immédiatement parti à ta recherche pour te prévenir.

- Prévenir de quoi ? s'enquit Lyra, une lueur de défi au fond des yeux.

- Tu as vu comme moi les nuages, Lyra, dit-il doucement. Personne n'a encore su expliquer ce que ce paysage venait faire dans le ciel du Nord... Cependant, des théories ont été émises. Il pourrait s'agir d'un écho des aurores boréales, un reflet d'un reflet, en quelque sorte. Le problème, c'est que les passages entre les mondes sont refermés, à l'exception de la fenêtre des morts, comme tu le sais. Pour l'instant, personne n'a été en mesure de localiser l'aurore boréale en question.

- Mais... protesta Lyra.

- Si je t'ai enfermée, Lyra, c'était pour t'empêcher de fuir et d'essayer de découvrir un moyen de traverser ce monde. Je devais te parler avant ça. Têtue comme tu es, je sais que tu te serais empressée de chercher un moyen de rejoindre William Parry.

Lyra baissa les yeux, l'air coupable. Elle se sentait redevenue enfant face au Maître.

- Me caches-tu quelque chose, Lyra ? demanda le vieil homme, son corbeau sondant l'expression de la jeune fille de ses yeux perçants.

- Non, mentit-elle.

- Sache que je ne te laisserai pas mettre ta vie en danger pour cette illusion, dit-il avec douceur. Les passages sont clos, il ne sert à rien de s'entêter avec des chimères.

Bien que les paroles du Maître fussent sensées, Lyra les recevait comme autant de coups de poignard en plein cœur. Pendant quelques secondes, elle fut sur le point de lui révéler son secret, mais elle se retint à temps. Comment réagirait le Maître ? Elle préférait ne pas le savoir.

- Où sommes-nous ?

- Tu ne reconnais donc pas Svalbard ? dit le vieil homme, un sourire malicieux aux coins des lèvres.

Le cœur de Lyra s'emplit de joie. Elle allait revoir Iorek ! Et celui- ci ne tarda pas à pénétrer dans la vaste salle. Immédiatement, Lyra courut vers lui. Les larmes aux yeux, elle plongea ses bras dans sa fourrure crème. Pendant un long moment, ils restèrent silencieux. Ensuite, quand Lyra se détacha de Iorek, elle se planta fermement devant lui, comme lorsqu'elle était plus jeune, la mine rembrunie.

- Tu m'as enfermée dans une cellule, lança-t-elle d'un ton accusateur.

Le regard de l'ours en armure pétilla. S'il avait été humain, la jeune fille aurait cru y avoir décelé un air moqueur.

- Lyra Parle-d'Or, tu as bien grandi depuis notre dernière rencontre, fit- il de sa voix profonde. Mais je vois que tu es toujours la Lyra que j'ai connu.

- Oh, Iorek, comme tu m'as manquée !

Le Maître de Jordan College se retira pour laisser les deux amis discuter, priant secrètement pour que Lyra suive ses conseils et retourne ensuite à Oxford.

3. Le reflet dans l'aurore

Le palais était désert. Les parois des murs luisaient d'un éclat froid sous la lumière de la lune montante. Quelques braseros crépitaient de chaque côté des lourdes et hautes portes. Lyra sortit de sa chambre à pas feutrés, Pantalaimon à sa suite, ses griffes cliquetant sur le sol.

- Par ici, lui souffla le daemon après avoir humé l'air.

Lyra acquiesça de la tête et courut le long d'un couloir sombre, ses bruits de pas étouffés par ses bottes en fourrure. Alors que les deux fugitifs atteignaient la porte principale, Lyra s'arrêta et déposa un morceau de papier sur lequel était griffonné un message : « N'essayez pas de me retrouver, je vous ai déjà causés assez de soucis. Nous nous reverrons bientôt, je l'espère. Au revoir, Iorek, et merci au Maître pour tout ce qu'il a fait pour moi. Ne vous inquiétez pas. »

Puis, sans un regard en arrière, Lyra franchit les portes de la forteresse et s'enfonça dans la nuit glaciale, Pantalaimon s'empressant de s'engouffrer dans son épais manteau. Quelques ours en armure montaient la garde à l'extérieur, mais ils ne tentèrent pas de barrer le chemin à la jeune fille, car ils savaient qu'elle était une hôte estimée de leur roi. Aussi Lyra quitta-t-elle sans la moindre difficulté Svalbard, munie seulement d'une sacoche pleine de viande séchée et de biscuits. Après plusieurs heures de marche à travers l'immensité neigeuse de la steppe, elle s'autorisa une pause.

- Et maintenant, Pan, qu'allons-nous devenir ? demanda-t-elle, minée par la destination hasardeuse qu'elle s'était fixée.

Plutôt que de la blâmer pour son comportement d'aventurière, son daemon-martre choisit de la réconforter.

- Suivons la Voie Lactée, Lyra, elle va nous guider, conseilla-t-il en lui léchant le cou.

La jeune fille esquissa un sourire avant de scruter le ciel. Des millions d'étoiles saupoudraient le velours du ciel comme autant de diamants scintillants, traçant une route majestueuse, suspendue dans le noir de la nuit, et qui semblait composée de gaz. Les deux compagnons poursuivirent leur chemin sans faillir, à la recherche d'un indice providentiel qui leur indiquerait l'emplacement des « reflets ». Ce fut Pantalaimon qui poussa un cri de joie pour signaler à Lyra l'explosion de couleurs d'une aurore boréale. Muette d'admiration, celle-ci contempla les rideaux de lumière exécuter leur danse céleste avec une grâce infinie. Diverses teintes se succédaient pour le plus grand plaisir des yeux, allant du pourpre éclatant au vert électrique. Lyra ne put retenir des larmes d'émerveillement qui se changèrent presque aussitôt en délicats cristaux de glace.

Après plusieurs minutes de ce ballet enchanteur, les contours d'un paysage se dessinèrent. Pantalaimon et Lyra distinguaient une plaine aux herbes hautes, des bosquets d'arbres touffus, ainsi que les pourtours d'un lac sur lequel ondulaient des rides.

- C'est magnifique, murmura le daemon.

- Pan, j'aimerais pouvoir voler, explorer ce monde inconnu qui s'offre à nous... Si seulement Lee Scoresby était en vie ! Je suis certaine qu'il nous y aurait emmenés avec son ballon. Quel est cet endroit, Pan ? En as-tu une idée ?

- Je ne sais pas, mais nous ne pourrons pas nous y rendre.

Soudain, dans l'air de la nuit, des sifflements et des claquements s'élevèrent, résonnant étrangement dans cette étendue désertique. Par réflexe, Lyra se jeta à terre, craignant une pluie de flèches. Mais ses peurs furent peu après dissipées par l'apparition de silhouettes furtives dans le ciel.

- Lyra Parle-d'Or, lança une voix de femme, je te salue.

La jeune fille sentit son cœur faire un bond dans sa poitrine. Cette voix, c'était celle de son amie, la sorcière Serafina Pekkala... Celle-ci vint bientôt se poser à quelques pas de Lyra, un grand sourire illuminant son visage à la beauté sauvage. Ses bras d'une blancheur laiteuse offraient un contraste frappant avec le noir profond de sa robe de soie aux bouts effilés. La sorcière, sa branche de sapin à la main, s'inclina respectueusement devant Lyra. La jeune fille fit de même, puis sauta au cou de son amie en sanglotant, émue par ces retrouvailles inespérées. Tout autour d'elles, d'autres sorcières se posaient, formaient un cercle en attendant patiemment.

Les deux femmes échangèrent un long résumé de ces années écoulées sans qu'elles aient eu des nouvelles l'une de l'autre et, lorsque Lyra révéla à Serafina Pekkala que Will avait trouvé un moyen de la revoir, la sorcière ne put retenir un petit cri de surprise.

- C'est pourquoi, après avoir aperçu ce paysage dans les nuages, je suis partie à la recherche de sa source, conclut Lyra avec un grand sourire.

Serafina la contemplait avec un mélange d'admiration et de tristesse.

- Lyra, je ne sais pas si...commença-t-elle dans un murmure.

La jeune fille prit les devants et l'arrêta.

- Je sais bien que les fenêtres sont fermées, Serafina, mais l'aurore témoigne bien de l'existence d'un autre monde ! fit Lyra avec conviction, une expression presque douloureuse sur le visage, reflétant sa crainte. On peut y aller, je le sens. Cette aurore n'est pas comme celle qui montrait Cittagaze, elle a un reflet, son pouvoir est puissant, ce n'est pas n'importe quelle aurore !

- Lyra, dit doucement la sorcière, tu te fais du mal, le poignard subtil a été brisé, c'est impossible d'accéder à...

- Non ! cria la jeune fille avec force, les yeux brillants de larmes.

Dans sa capuche, Pantalaimon s'agitait nerveusement en gémissant.

- J'ai réfléchi à ce que ce paysage pouvait être, poursuivit-elle, maîtrisant les tremblements dans sa voix. Lord Asriel avait parlé de la République des Cieux, nous devions la bâtir, je crois que ce reflet dans l'aurore en est le début.

Serafina Pekkala et toutes ses sœurs regardaient Lyra avec intensité.

- Je suis persuadée que pour s'y rendre, il suffit d'y voler. Serafina, emmène-moi là-haut, je t'en prie. Si ce n'est qu'une illusion, alors je retournerai de suite à Oxford.

Il émanait de la jeune fille une telle conviction que la sorcière ne voulut pas la peiner et hocha lentement la tête.

4. Le monde suspendu

Le vent mordant fouettait le visage de Lyra, mais la sensation de vitesse et d'élévation vertigineuse était tellement grisante qu'elle l'oubliait pour apprécier le vol en balai. Accrochée à la taille de Serafina Pekkala, elle voyait l'aurore se rapprocher lentement, de plus en plus éclatante. Autour d'elles, les compagnes de la sorcière formaient une escorte respectueuse, silhouettes graciles dans la nuit. Les rideaux irisés de l'aurore chuintaient agréablement, déposant leurs lumières sur les visiteuses. Lyra n'avait jamais rien vu d'aussi beau. Elle évoluait à l'intérieur d'une aurore boréale ! Elle aurait tant aimé que Will soit avec elle pour contempler ce spectacle de toute beaut !

Soudain, Lyra ressentit des picotements dans tous ses membres, et avant qu'elle réalise que son corps se fondait dans les particules de l'aurore, elle disparut. Serafina ne s'en aperçut que quand ses sœurs poussèrent des cris d'alarme. La jeune fille s'était volatilisée ! Elle n'était pas tombée de la branche de sapin, elle s'était purement et simplement dématérialisée. Paniquée, Serafina Pekkala tournoya longuement à travers les rideaux de l'aurore, mais Lyra n'était nulle part. Puis, brusquement, les envoûtantes lumières du Nord cessèrent, plongeant le ciel dans l'obscurité la plus complète. Les sorcières, dépitées, n'eurent d'autre choix que de regagner la terre.

« Serafina ! appelait Lyra, désorientée. Serafina, où es-tu ? »

Pantalaimon poussait des cris aigus, apeuré. Ni lui ni Lyra ne savaient ce qu'il s'était produit lors du vol. Ils volaient en compagnie des sorcières, et l'instant d'après ils se retrouvaient dans cet endroit...

- Crois-tu que nous ayons pénétré l'aurore ? demanda Pan avec appréhension.

- Oui, c'est la seule explication, fit Lyra, les sourcils froncés. Mais pourquoi les sorcières ne sont pas là elles aussi ? Qu'allons-nous faire, Pan ?

Le daemon sauta des épaules de Lyra et courut témérairement au devant pour lui redonner courage. L'air était doux, Lyra abandonna son lourd manteau de fourrure et suivit son daemon-martre. Tous deux se trouvaient dans un monde paisible, vierge de toute présence humaine ou animale. La végétation foisonnait où que le regard se posât. Le ciel nocturne était d'un bleu profond. Une brise fraîche soufflait sur les herbes hautes. Au détour d'un bosquet, Pan découvrit un lac à la surface légèrement ridée par le souffle du vent. - Il existe, Pan, ce n'est plus notre imagination ! s'écria Lyra en pointant l'étendue d'eau.

Le daemon avait reconnu le lac lui aussi, celui où il était venu jouer avec Kirjava, le daemon de Will. Ce monde suspendu n'était autre que celui où Will et Lyra se retrouvaient lorsqu'ils pensaient très fort l'un à l'autre. Lyra n'en revenait pas, elle croyait que cet endroit était un pur produit de leur imagination, où certes ils évoluaient librement, ressentaient les mêmes sensations, mais qu'ils ne pouvaient pas quitter pour se rendre dans l'Oxford de Will ou celui de Lyra.

- Il faut que Will voie ça...

- Lyra... fit son daemon, comment allons-nous revenir ? Et à quoi sert ce monde si personne d'autre ne peut y venir ?

Lyra n'eut pas le temps d'envisager une réponse qu'une brume scintillante apparut dans le lointain. En quelques minutes, elle devint un rayonnement d'une blancheur éblouissante, et la jeune fille dut mettre sa main en visière pour regarder.

- Des anges ! s'exclama Pan, fébrile. Des tas d'anges !

- Devons-nous rester ici ? fit Lyra, douteuse. Peut-être est-ce leur territoire, nous ne devrions pas y être...

Mais avant qu'elle se décide, une cinquantaine d'anges se posa dans un battement puissant d'ailes. Lyra baissa les yeux plus parce qu'elle était impressionnée qu'à cause de son éblouissement.

- Lyra Parle-d'Or, fit une voix qui paraissait familière à la jeune fille. Tu nous a ouverts la voie.

- Xaphania ? s'exclama Lyra. C'est bien vous ?

- Oui, répondit l'ange dont la lumière émanait du corps invisible. Au nom de tous, je te remercie. En te rendant physiquement ici, tu nous as montrés le chemin jusqu'à la République des Cieux.

Lyra en resta bouche bée. C'était bien cela, ce monde dans l'aurore était bien la République des Cieux.

- Votre travail, à toi et à Will, était de l'inventer, vous l'avez créé grâce à votre imagination, rendu réel par la force de votre volonté. Sans le savoir, vous avez bâti ce que Lord Asriel souhaitait. Une République des Cieux, où aucune autorité ne dominera les créatures existantes. Mais pour l'heure, il reste la plus grande partie à accomplir.

Brûlante d'impatience, Lyra posa la question :

- Laquelle ?

Lyra déchiffra un sourire sur le visage diffus de Xaphania.

- A quoi sert un monde sans créatures pour le peupler ?

Un autre ange s'avança et posa une main d'une incroyable fraîcheur sur l'épaule de la jeune fille.

- Bien des espèces animales ont été massacrées au cours de l'Histoire humaine, fit-il d'une voix grave. Dans de nombreux mondes, ces massacres se perpétuent, les Hommes saccagent leurs territoires, les tuent pour en extraire des produits qu'ils revendent. Le plus triste, c'est que beaucoup de ces animaux périssent du fait de leurs cornes, leurs huiles, leurs peaux, et non pas pour leur viande. Ces espèces ont besoin d'un endroit où évoluer en paix, la République des Cieux est l'endroit idéal.

Lyra écoutait sans rien dire, Pantalaimon agrippé sur son épaule.

- Lyra, dit Xaphania, la mission qui te revient est la suivante : tu dois ramener ces animaux dans ce monde, pour qu'ils se perpétuent.

- Mais... suffoqua-t-elle sous le coup de la surprise.

Xaphania eut un rire amusé.

- Tu ne seras pas seule. Les anges seront là pour les ramener. Mais toi, tu devras parcourir ton propre monde, aller à la rencontre des peuples pour leur exposer le bien-fondé de cette tâche. Les humains ne font pas que s'en prendre aux animaux, ils se mènent aussi des guerres terribles, se détruisent eux-mêmes. Les hommes et les femmes de toutes ces cultures peuvent habiter la République des Cieux, s'ils acceptent. Ce nouvel Eden ne rejettera aucune créature, elle accueillera tous ceux qui le désirent, sans domination ni discrimination.

- Mais je ne reverrai jamais Will ! s'exclama Lyra. Cela me prendra des années !

Xaphania fit une pause avant de répondre.

- Will aussi, s'il est d'accord, œuvrera dans ce sens, ainsi que d'autres êtres de tous les mondes. La République des Cieux ne peut se faire qu'avec une volonté commune. Quant à Will et toi, vous pourrez toujours vous voir au solstice d'été. Où que vous soyez dans vos mondes respectifs, ce jour vous rapprochera, et pour une journée vous vous retrouverez ici.

Lyra réfléchit un long moment. Devait-elle se montrer égoïste et laisser à quelqu'un d'autre cette tâche d'envergure ? Ou devait-elle poursuivre l'œuvre de son père, Lord Asriel ? Après tout, être avec Will un jour dans l'année était mieux que rien...

- J'accepte, dit-elle fermement.

- Merci, Lyra, fit Xaphania en lui déposant un baiser frais sur le front. Maintenant il est temps de te ramener dans ton monde. Monte sur mon dos.

Lyra s'emmitoufla dans son gros manteau, laissa Pantalaimon grimper dans sa capuche et s'accrocha aux épaules de Xaphania, entre ses puissantes ailes. Puis, dans des battements d'ailes rapides, tous les anges prirent leur envol, en direction de l'aurore boréale qui s'était remise à luire. La traversée des deux mondes se fit sans changement majeur, Lyra sut simplement qu'elle était retournée dans les Royaumes du Nord à l'air glacial qui la faisait frissonner. En douceur, Xaphania déposa la jeune fille sur le sol, parmi les sorcières qui tournèrent des visages soulagés vers leur protégée. Lyra regarda les anges partir avec un visage rayonnant. Puis elle se tourna vers Serafina Pekkala et la serra dans ses bras.

- Lyra, je sens que tu n'auras pas fini de m'étonner.

Lyra lui fit un grand sourire.

- J'aurai peut-être besoin de votre aide à toutes.

Et elle raconta aux sorcières ce que lui avaient confiée les anges.