Chapitre I

Le calme régnait sur la Frontière. Le domaine avait remis sa couverture de neige pour l'hiver, et seuls quelques oiseaux, qui faisaient tomber de la neige lorsqu'ils s'envolaient, perturbaient ce calme hivernal. Le soleil perçait les arbres nus, et se reflétait sur la neige immaculée.

Un groupe d'oiseaux, perchés sur un arbre, s'envola brusquement. Puis ceux de l'arbre voisin prirent la fuite également. C'était une petite silhouette, qui avançait avec difficulté dans cette haute neige, qui perturbait ainsi les volatiles. Une petite fille, vêtue d'habit mohawk, peinait dans la neige, sa peau, légèrement sombre, contrastait avec tout le blanc qui l'entourait.

Hélie avait huit ans, elle était fille d'une mohawk décédée quelques mois auparavant, et d'un père britannique, qu'elle n'avait jamais réellement vu, ni connu. Elle lui ressemblait, aux dires de sa mère. Pourtant, Hélie ne voyait pas ce qu'elle avait de « britannique », certes sa peau était plus claire que celles des autres enfants qu'elle avait connus et elle possédait des yeux bleu-vert, ce qui était assez rare chez les iroquois. Mais ses cheveux étaient bruns, foncés même, pas blond comme ceux des anglais.

Les anglais… ils lui faisaient peur. Avec leurs tuniques rouges et leurs baïonnettes qui crachaient du feu. Ils ne respectaient rien. Lorsqu'elle était petite, Hélie les avait vus, non loin de son village. Ils parlaient fort. Du haut de leurs montures, ils sous-estimaient son peuple, traitaient les mohawks de « stupides sauvage qui mangeaient leurs morts ». Hélie ne comprenait pas comment des gens, qui s'estimaient plus intellectuels qu'eux, pouvaient imaginer qu'un peuple mangea ses défunts…

Soudain, Hélie trébucha, se retrouvant avec de la neige jusqu'à la taille. Elle frissonna en se dégageant, le manteau neigeux lui glaçait les jambes. Elle aurait pu rejoindre une route dégagée et marcher sans encombre, mais l'idée de rencontrer des gens sur la route la ravisait. Les hommes ne sont pas honnêtes, lui avait appris sa mère, il faut se méfier d'eux.

Depuis la mort de sa mère, Hélie avait l'impression d'avoir peur de tout. L'idée de croiser une tunique rouge lui glaçait le sang, si bien qu'elle sursautait à chaque bruit d'oiseaux, chaque craquement de branche. Sa paranoïa lui gâchait la vie… Elle ne souhaitait qu'une chose : arriver au Domaine Davenport et se sentir de nouveau protégée…

Les mots de sa mère se répétaient dans sa tête : « Un jour tu devras y aller… Je ne sais encore quand, mais c'est eux qui te protégeront et qui t'apprendront à te protéger. Tu es importante pour eux. Ce sera difficile certes, mais tu es forte. Je ne peux te protéger indéfiniment… »

En effet, désormais, elle ne le pouvait plus. Hélie avait beaucoup pleuré, sa mère, son seul parent était partie en fumée… « Un jour, tu devras y aller » Ce jour était arrivé.

C'était à contrecœur qu'elle avait quitté son village, sans le dire à personne. Elle n'était jamais allée à Davenport, mais elle savait, à peu près, quelle voie prendre pour s'y rendre.

Hélie arriva devant un chemin, elle regarda des deux côtés, il n'y avait personne. A gauche, s'élevait un petit pont de bois. « C'est le chemin » pensa-t-elle, satisfaite de ne s'être trompée. Elle continua sa route.

Le Domaine Davenport, si elle ne s'était point trompée en chemin, était vraiment petit. Pas de maisons, pas de marchés, un simple pont qui enjambait une charmante rivière et un grand manoir qui s'élevait au loin. Hélie respira profondément, elle était arrivée jusque-là, seule. Finalement, malgré sa peur des gens, elle était une courageuse petite fille. Elle monta en direction du manoir, ses pas écrasant la couche de neige avec un craquement étouffé. Des voix, ou plutôt des cris, se faisaient entendre plus haut. Elle arriva finalement devant le manoir, dehors, deux hommes se battaient, épées à la main, dans une chorégraphie endiablée, sous l'œil attentif d'une jeune femme, appuyée contre une barrière. Les deux hommes avaient bien dix ans d'écart. Le plus vieux était vêtu d'un manteau raffiné, l'autre, d'une simple tunique et d'un gilet qui le protégeait du froid. Le maitre et l'élève, pensa Hélie en regardant les deux hommes entrechoquer leur épée. Elle n'osait montrer sa présence, à vrai dire, elle aurait préféré être invisible.

La jeune femme la remarqua alors. Elle était vêtue d'une robe violette à dentelles, agrémentée d'une capuche.

-Liam ! Mentor !

Tous deux s'arrêtèrent d'un coup, le dernier tintement d'épée résonna dans la vallée puis le silence s'installa. Hélie rougie, ces trois adultes la fixaient, étonnée qu'une petite fille vienne à eux, seule. Ils devaient penser qu'elle était perdue. Qu'est-ce qu'une petite fille viendrait faire ici ?

-Je m'appelle Hélie, dit-elle finalement, on m'a dit de venir ici… que vous pourriez m'aider.

Aucun d'entre eux ne répondit. Hélie s'approcha un peu de la femme qui lui inspirait plus confiance que les deux autres hommes.

-C'est vous que je devais trouver. dit Hélie avec conviction. Et vous me cherchiez n'est-ce pas ?

La jeune femme la regarda, puis porta son regard vers les deux hommes, comme pour demander de l'aide qu'elle ne reçut pas. Hélie regarda ses pieds, elle était inquiète. Et s'ils refusaient ? S'ils lui demandaient de repartir. Qu'allait-elle devenir?

La jeune femme reporta son attention sur Hélie.

-Que nous te cherchions ? demanda-t-elle. Mais qui es-tu ?

Hélie releva la tête, les yeux au bord des larmes.

-C'est moi, dit-elle simplement.

Il y eu un silence, puis le jeune homme prénommé Liam murmura :

-C'est l'élue…