NOTE : Voici une fic-catastrophe qui devrait compter 4 ou 5 chapitres.
En espérant que vous trouverez plaisir à la lire.
Si naviguer à bord du Black Pearl représentait la quintessence du bonheur pour Jack Sparrow, admirer son navire, si possible avec une vue d'ensemble, lui procurait un sentiment de fierté et de tendresse mêlé au doux orgueil du propriétaire.
Aussi, pendant que l'équipage s'occupait du ravitaillement, les uns remplissant les barils d'eau douce et les autres glanant dans la jungle fruits et menu gibier, Jack s'était éloigné et avait gravi une petite éminence, au bout de la plage, d'où il admirait sans réserve son bâtiment ancré à quelques encablures.
L'île, une de ces multiples îles non habitées des mers Caraïbes, était devenue son centre de ravitaillement, en tout cas en ce qui concernait l'eau. Le reste n'était qu'amuse-bouches qui rompraient l'ordinaire durant un jour ou deux si la cueillette et la chasse étaient fructueuses, mais le plus gros des réserves de nourriture du Pearl venait de Tortuga. Où il fallait l'acheter, bien entendu.
Jack jeta un coup d'œil distrait à ses hommes, à l'autre bout de la plage. Sous la direction de Gibbs, les chaloupes lourdement chargées retournaient vers le navire. On allait pouvoir appareiller, il était temps de rejoindre son bord.
Il ne comprit jamais comment il avait pu ne rien voir venir ! Un coup de feu déchira subitement l'air calme et le pirate, étonné, vit un homme se dresser debout dans l'une des chaloupes et agiter les bras dans sa direction. Gibbs ! Il avait tiré en l'air pour attirer son attention, que voulait-il donc ? Il semblait lui désigner quelque chose au large. Jack tourna la tête et éprouva la sensation de recevoir un coup dans l'estomac : deux navires de la Royale cinglaient vers l'île. Ils avaient forcément repéré le Black Pearl et devaient se préparer au combat.
L'œil de professionnel de Sparrow évalua immédiatement la situation. L'ennemi était proche, certes, mais si le Pearl déferlait ses voiles et levait l'ancre immédiatement, il avait une chance de s'échapper. Il était plus rapide, mais encore fallait-il qu'il puisse prendre le large (au sens propre du terme).
Nouveau coup d'œil, cette fois vers la plage : les derniers pirates à terre avaient vu le danger. Il reconnut Pintel, Ragetti, et une récente recrue dont il ne savait plus le nom. Le trio était en train de sauter dans la dernière chaloupe, celle dans laquelle le capitaine devait prendre place pour quitter l'île, et la poussait fébrilement à l'eau. Les trois compères se trouvaient bien à trois cent mètres de lui, impossible de les rejoindre ! Sur le moment, Jack ne pensa même pas à ce que cela impliquait. Il ne songeait plus qu'au Black Pearl ! Il vit Gibbs et les autres atteindre le navire et grimper agilement à bord. Quelques instants plus tard, les voiles commencèrent à descendre le long des mâts et les sabords s'ouvrirent largement. Il était temps ! Le roulement sourd d'un coup de canon retentit et une gerbe d'eau souleva la surface de la mer, à quelques mètres du navire pirate. L'ennemi avait ouvert le feu. Jack tourna la tête pour surveiller leur avance et grimaça : ils arrivaient vite ! Puis, le flibustier s'avisa que l'un des deux bâtiments ne lui était pas inconnu… il lui était même tout à fait familier.
- Norrington, murmura Sparrow.
C'était l'Intrépide, joyau de la flotte royale.
- Bravo, c'est complet ! bougonna le forban.
Là-bas, l'ancre du Black Pearl remontait à toute vitesse tandis que ses canons crachaient à leur tour leur message de mort.
- Pas le moment de jouer à se tirer dessus ! Dégagez ! fit Jack en trépignant sur place.
L'Intrépide tira à nouveau. Le plat-bord du Pearl vola en éclats et son capitaine poussa un gémissement navré. Chacune des blessures occasionnées à son précieux vaisseau lui fendait le cœur !
Cependant, à bord de l'Intrépide, un sous-officier se désintéressait du navire pirate et inspectait soigneusement, dans sa longue-vue, la plage et ses abords. Il ne pouvait donc manquer d'apercevoir la silhouette debout bien en évidence face à la lagune. Ne connaissant pas personnellement Jack Sparrow, l'observateur ne l'identifia pas ; il pensa en revanche que cet homme ne devait pas être seul à terre et il courut en avertir son supérieur. Le commodore Norrington était accaparé par la manoeuvre, mais il écouta ce qu'on lui disait et donna brièvement ses ordres en conséquences. Aussitôt, le sémaphore établit la communication avec le second navire.
Sur son rocher, Jack au même instant se mordait les lèvres d'anxiété : ses voiles noires largement déployées, le Black Pearl manoeuvrait à présent au plus serré pour quitter la baie. La canonnade reprit, un nuage de fumée s'éleva de part et d'autre et l'âcre odeur de la poudre parvint jusqu'aux narines du pirate. Enfin, au bout de ce qui lui parut une éternité, il poussa un long soupir de soulagement : le Pearl s'était dégagé et cinglait vers la haute mer. Ouf !
- Ce n'était pas encore pour cette fois, Norrington ! se moqua Jack à mi-voix.
Son sourire se figea sur ses lèvres quand il s'aperçut de ce qui était en train de se passer : le second navire avait obliqué vers la plage et mit ses chaloupes à la mer. Des chaloupes bondées de soldats dont les uniformes rouges se détachaient d'une manière presque agressive sur le bleu turquoise de l'eau.
Le pirate ne s'attendait pas du tout à cela : il pensait que ses ennemis allaient engager la poursuite avec le Pearl (en pure perte, d'ailleurs) et que ce dernier reviendrait le chercher dès qu'il les aurait semés.
En regardant mieux, le forban s'aperçut que les choses allaient encore plus mal qu'il ne le croyait : les chaloupes se dirigeaient droit vers lui. Il avait été repéré !
En relevant la tête, il vit que l'Intrépide lui-même virait de bord : Norrington savait parfaitement que son bâtiment ne pouvait rivaliser de vitesse avec le Black Pearl. Autrement dit, réalisa Sparrow, il aurait bientôt sur le dos le contingent en hommes de deux navires de guerre au grand complet ! Charmante situation s'il en était !
Là en bas, les chaloupes du premier bâtiment se rapprochaient dangereusement. Jack estima qu'il était plus que temps de se mettre à l'abri.
Il se détournait de la mer quand une première balle miaula à ses oreilles. La lisière de la jungle était distante de cent mètres environs, entièrement à découverts !
Le pirate ne demanda pas son reste et prit sa course. Plusieurs coups de feu claquèrent derrière lui. Mû par son sixième sens, il plongea vers le sol et la balle qui aurait dû le frapper à la tête passa au-dessus de lui. Malheureusement, au même instant une autre le toucha au côté.
Il eut l'impression de recevoir un terrible coup de poing dans les côtes et prit rudement contact avec le sol, le souffle coupé. Malgré la douleur, Jack se releva tant bien que mal et se précipita, courbé en deux, vers l'abri des arbres. Il avait perdu son tricorne dans sa chute mais, pour une fois, il ne s'en soucia pas ! Il atteignit enfin la jungle et l'épaisseur de la végétation détourna le tir de ses ennemis tout en le dissimulant à leur vue.
- Capturez cet homme ! brailla quelqu'un. Ne le laissez pas s'échapper !
Jack Sparrow s'éloignait le plus rapidement possible, mais il éprouvait la sensation qu'on lui enfonçait une barre de métal entre les côtes et il comprit qu'il ne distancerait pas les soldats aguerris qui lui donnaient la chasse. Il n'avait que quelques minutes d'avance, c'était peu ! Beaucoup trop peu. Heureusement, retrouver quelque chose dans la végétation tropicale n'est pas très aisé, surtout si aucun bruit ne vient le trahir. Le fugitif regarda donc autour de lui et rampa prudemment jusqu'au cœur d'un épais taillis de fougères arborescentes, dans lequel il se tapit en retenant son souffle. Bientôt, ses poursuivants furent sur ses traces, écrasant et froissant les branches dans leurs courses, leurs armes au poing. Ils passèrent sans le voir.
Toutefois, Jack avait suffisamment de bon sens pour savoir que le répit qui lui était momentanément offert serait de courte durée.
De son côté, le commodore Norrington n'avait pas perdu son temps. Pensant qu'une partie de l'équipage pirate était encore à terre, ainsi que l'avait supposé son subordonné, il se fit conduire sur l'île et, sitôt informé de ce qui se passait, se dirigea vers la jungle à l'endroit où le fugitif s'y était enfoncé.
Un objet attira son regard et il se pencha pour ramasser sur le sol le tricorne que le pirate avait perdu dans sa chute. A peine l'eut-il entre les mains qu'un fluide électrique parcourut tout son corps.
- Sparrow ! murmura t-il.
- Dépêchez-vous ! cria t-il à l'adresse des soldats. Ramenez-moi cet homme ! Et dans la mesure du possible, ramenez-le vivant !
Dans sa précaire cachette, Jack Sparrow n'entendit pas ces paroles. Il avait d'ailleurs d'autres soucis en tête. Prudemment, il porta la main à son flanc douloureux et la ramena tachée de sang. Inquiet, il s'efforça de respirer à fond, lentement. C'était douloureux, mais l'air semblait circuler sans difficulté. Les poumons ne devaient pas être touchés. Par acquit de conscience, Jack prit une nouvelle inspiration -bon sang, ça faisait un mal de chien- expira lentement et s'essuya les lèvres du dos de la main. Il fut soulagé de constater qu'aucune goutte de sang ne semblait être montée à sa bouche, ce qui aurait immanquablement été le cas si la balle lui avait perforé les poumons. Le projectile avait du entrer en séton, labourer la chair et lui briser une côte, mais du moins, il ne semblait pas y avoir de dégât interne. Rassuré sur ce point, le pirate s'accorda quelques instants de réflexion et jugea froidement sa situation. Elle n'était guère brillante ! Norrington allait faire fouiller chaque mètre carré du secteur pour le retrouver. Il avait deux navires, ça faisait du monde ! Donc, pour lui échapper il n'y avait qu'une seule solution : s'éloigner au plus vite de la côte et s'enfoncer dans la jungle, s'y enfoncer suffisamment pour que les soldats renoncent à l'y poursuivre. S'il parvenait à se faufiler entre les patrouilles, il avait une chance de leur échapper. Oui, mais ensuite ? Sans eau ni nourriture, il ne tiendrait pas longtemps.
Le commodore savait parfaitement que sa seule chance de survivre était de revenir au plus vite vers la mer, donc, il allait surveiller la côte avec une attention soutenue. Il n'abandonnerait pas tant qu'il penserait avoir une chance de mettre la main sur son insaisissable ennemi, ça, Jack le savait parfaitement.
Il pensa au Black Pearl. Il s'était échappé et se trouvait maintenant en sûreté. Reviendrait-il ? Sparrow se posa carrément la question, mettant en balance le code des pirates et l'affection bien réelle que lui portait son second. Gibbs était revenu le chercher jusqu'à Port Royal après avoir fui l'île de la Muerta ! Oui, il ferait au moins une tentative. Seulement, Norrington n'était pas un sot et tiendrait le même raisonnement que lui. Avec ses deux bâtiments, il aurait la partie belle : tandis que l'un d'entre eux surveillerait les côtes tout autour de l'île afin d'empêcher le navire pirate de revenir, les hommes de l'autre vaisseau continueraient à le chercher et à tenir la lagune. Ah !
Bien entendu, un navire aussi maniable et léger que le Black Pearl, manœuvré par un équipage qui connaissait parfaitement l'endroit, pouvait tenter pas mal de choses. Une approche de nuit, par exemple. Seulement voilà, à quel endroit ? Arrivé là de son raisonnement, Jack Sparrow eut un demi sourire et sa main descendit machinalement vers sa ceinture. Oui, oui, oui ! Il avait toujours en réserve un maître atout : son compas ensorcelé ! Sans le moindre doute possible, ce qu'il désirait le plus au monde à cette heure était de s'échapper de ce traquenard. Et justement, c'était à sa portée : le compas le guiderait vers l'endroit voulu, le point précis de la côte où son équipage tenterait d'aborder. Pourvu qu'il puisse arriver jusque là, le tour était joué. Eh bien, il ne fallait pas perdre de temps ! En priorité, échapper aux soldats lancés à ses trousses. Mais pour cela… le pirate défit son ceinturon, puis dénoua la longue ceinture de toile qu'il portait dessous. Il la coupa en deux et se servit de l'un des morceaux pour se bander étroitement le thorax.
Après quoi, s'efforçant d'oublier la douleur qui malgré le bandage lui taraudait toujours le côté, le pirate se faufila, aussi silencieusement que possible et tous ses sens aux aguets, à travers la végétation touffue.
