Braquage à la Coruscanti

La cellule était crasseuse. Ses yeux enflés et couverts d'ecchymoses l'empêchaient de le constater de visu, mais les narines de Boni'rynn'rov, dit Boni, ne le trompaient pas. Une odeur de chair, de fluides corporels, et de sang frais - le sien - empuantissait la pièce. Le bothan en avait l'estomac retourné, mais il était bien plus occupé à gémir de douleur qu'à penser à vomir. Ca n'aurait fait qu'ajouter à son mal-être d'ailleurs.

Boni se tortilla, serrant les dents quand par cette action, sa peau frotta contre les liens qui l'attachaient à sa chaise. Il releva la tête en direction de l'homme qui lui faisait face, et qui l'interrogeait depuis plusieurs heures. Ou bien était-ce jours ?

Boni avait perdu toute conception du temps depuis qu'on l'avait arrêté.

Son interlocuteur portait un uniforme blanc, et bien que Boni ignorait totalement la signification précise de ce costume, et le rang précis de l'homme dans le complexe organigramme impérial, ça n'empêchait pas le bothan d'avoir compris que l'officier était là pour lui faire mal, peut-être plus encore que pour avoir des réponses à ses questions.

De temps en temps, le militaire tirait une cigarette de la poche intérieure de sa veste d'uniforme, l'allumait, et tirait dessus jusqu'à ce qu'elle ne soit plus qu'un mégot. Puis, il écrasait le débris de cigarette à même la table, et l'envoyait rejoindre le sol d'un revers de main.

Boni avait appris à chérir ces moments, puisque pendant que l'officier fumait, il ne faisait pas ce geste de la main, ce terrible geste de la main si anodin, en joignant index et majeur, et en les lançant devant lui, comme s'il donnait la mesure d'une musique.

Et effectivement, quand il effectuait ce geste, une sinistre mélodie commencait : les bourreaux situés à droite et à gauche du bothan le rouaient de coups avec leurs matraques électriques ou leurs schlagues, ils lui brisaient les articulations avec des marteaux énergétiques, ils lui enfonçaient des aiguilles sous les ongles. Quand la douleur était trop insupportable, quand Boni était en train de perdre pied et de s'évanouir, ils lui injectaient du bacta pur, qui réparait ses blessures en un clin d'oeil. Le bothan remis d'aplomb, tout pouvait recommencer.

L'odeur du tabac vint chatouiller les narines de l'alien. Son interrogateur venait d'allumer une énième cigarette. La pensée absurde de le voir succomber à un cancer des poumons dans l'instant fit bêtement sourire le bothan. L'humain, lui, était toujours aussi impassible.

Il écrasa le mégot sur la table, l'envoya rejoindre le sol et parla :

_Nous sommes d'une patience rare avec vous monsieur Boni'rynn'rov, vous savez ? Même si je dois admettre que vous êtes remarquablement bien entraîné. J'ai vu des rebelles craquer bien avant.

_Je ne suis pas...un rebelle, marmonna Boni, le sang qui emplissait sa bouche l'empêchant de parler clairement.

_Oui, bien sûr, bien sûr. C'est ce que vous me répétez depuis le début de notre petite séance.

_C'est la vérité. Je vous jure que c'est la vérité.

_Je me demande vraiment comment vos officiers du renseignement arrivent à vous endoctriner comme ça, demanda honnêtement le militaire. Je veux dire, vous arrivez même à duper le détecteur de mensonge, c'est très impressionnant. Arriver à croire à ce point à quelque chose de faux, jusqu'à ce que ça devienne vrai pour vous...non vraiment.

Boni se tut. Ca durait depuis une éternité de toute façon. Ils l'accusaient d'être un espion à la solde de l'Alliance Rebelle, il le niait, ils le torturaient pour qu'il avoue. Mais qu'il avoue quoi ?

Boni n'était pas un rebelle. Il n'était même pas un sympathisant. Comme des trilliards d'êtres de l'univers, il se moquait éperdument de la guerre civile. Il n'était pas un idéaliste, juste un malfrat de bas-étage. Un malfrat qui avait eu les yeux plus gros que le ventre, semblait-il.

Un chuintement, et la porte de la cellule s'ouvrit. Par réflexe, Boni dirigea son regard vers l'ouverture mais ne vit que du noir. Pourtant, ce noir se mit à bouger et à pénétrer dans la pièce.

Le son d'une respiration caverneuse et mécanique vint résonner aux oreilles du bothan.

_Seigneur Vador ? demanda l'officier en s'adressant respectueusement à l'ombre.

_Prenez votre pause capitaine, je viens vous relever.

La voix...la voix de cet homme - mais en était-ce bien un ? - était la chose la plus terrifiante qu'aie jamais entendu Boni.
C'était un mélange entre la froideur mécanique, et la profondeur des ténèbres. Le genre de voix dont on aurait doté son pire cauchemar.

_A vos ordres monsieur, annonça le militaire en se levant pour laisser sa place.

Il fit un signe de la main et les deux bourreaux qui l'assistaient quittèrent la pièce avec lui, emportant leurs engins de torture. Etrangement, cela mit Boni encore plus mal à l'aise. Au moins, tant qu'il avait été torturé par les impériaux, le bothan avait su à quoi s'attendre. Son corps s'y était préparé.
Mais là seul, face à ce géant d'obscurité, face à ce Vador, Boni n'avait aucune idée sur la suite des évènements. Sinon que ça allait très mal se terminer pour lui.

Vador ne s'assit pas. Il croisa ses bras sur sa poitrine, et fixa le bothan du regard. Un regard impossible à analyser, dissimulé derrière un masque de métal noir comme la nuit. Les deux êtres présents dans la cellule se turent. Seul la respiration régulière de Vador troublait le silence.

_Vous savez qui je suis ?

Boni n'aurait pas pu dire sur quel ton Vador avait posé sa question, mais il lui semblait qu'elle était franche. Son interlocuteur ne cherchait pas à l'intimider, juste à savoir s'il le connaissait bel et bien.

_Vous êtes...Vador. C'est ce que vient de dire l'officier.

_Vous ne faites que répéter un nom. Je vous demande si vous savez qui je suis.

_Non, avoua franchement Boni.

Et c'était vrai. Vador avait l'air d'être haut placé dans l'Empire, mais Boni se fichait comme de son premier poil du who's who impérial.
Tout juste s'il savait que l'Empereur s'appelait Pal...Pal ?

_Je suis Commandant Suprême des Forces Impériales, et premier lieutenant de Sa Majesté l'Empereur Palpatine, annonça Vador.

Ah, oui, Palpatine, c'est ça.

_Si je suis ici, poursuivit le Seigneur Noir, c'est pour entendre de votre bouche ce qui s'est passé à la banque, ce matin.

Par la Voie...ca ne datait que depuis ce matin ? Boni avait eu l'impression que ça remontait au moins à deux ou trois vies.

_J'ai déjà tout expliqué à l'officier qui était là, marmonna Boni entre deux crachats de sang. Plusieurs fois.

_Alors vous allez recommencer. Pour moi.

_Je présume que je n'ai pas vraiment le choix, hein ?

Vador ne répondit pas. Boni étouffa un grognement de douleur et se prépara à conter une enième fois, les évènements de la journée.