Notes/Mise à jour : Après avoir honteusement délaissé ce projet pendant deux ans, me revoilà de nouveau à l'œuvre ! J'ai décidé de reprendre et d'étoffer un peu le prologue de cette fic par une petite scène qui m'est venue à l'esprit il y a quelques temps, avant de me consacrer à la suite. J'espère en toute franchise pouvoir garder un rythme de parution régulier, aussi, et si je tarde trop, n'hésitez pas à me le faire savoir !

A propos de L'Adieu à la Reine : Le personnage d'Elrond est l'un de mes favoris, depuis mes premières lectures des livres. Aussi ai-je également une affection particulière pour ceux qui l'entourent : ses enfants, son épouse (dont on ne sait hélas que si peu de choses…). Pour ces raisons, l'histoire tragique qu'ils ont vécu m'a particulièrement émue, davantage même que certains des récits plus marquants de Tolkien. Et parce qu'il ne nous en a donné que si peu de détails vais-je raconter l'histoire du rapt de Celebrian, depuis le début de ce voyage qui lui fut fatal jusqu'à son départ définitif pour Valinor ainsi que toutes les conséquences qui s'ensuivirent, en essayant d'être la plus fidèle possible à l'univers de Tolkien et de retranscrire au mieux les tourments qui furent les leurs.

Disclaimer : les personnages, lieux et faits appartiennent tous à Tolkien. Je ne détiens rien d'autre que ces textes.


Prologue

oOo

Fondcombe, An 2816 du Troisième Âge

L'écho de ses pas résonnait sur les dalles de pierre, tandis qu'elle remontait le long couloir vide. L'aube était à peine levée sur la Dernière Maison Simple ; une belle matinée de printemps s'annonçait, fraîche mais sans nuage, pleine du chant des oiseaux qui déjà emplissait l'air. Cependant, à cette heure, la plupart des habitants de la demeure émergeait à peine de leur sommeil, tandis que la jeune demoiselle aux fleurs entamait déjà sa tâche journalière.

Elle raffermit sa prise sur son lourd panier d'osier. Les lys blancs qui le garnissaient, fraîchement cueillis dans la serre, encore emperlés de rosée, exhalaient leur parfum suave. Elle avait pris un soin tout particulier en les choisissant, aussi parfaits que possible.

Le claquement de ses talons s'évanouit. Elle s'était arrêtée devant sa destination : une imposante double-porte, dont les battants de bois étaient gracieusement sculptés d'arabesques. Elle leva une main hésitante. L'appréhension l'envahissait ; c'était son premier jour.

Elle inspira profondément et frappa trois fois. Quelques secondes s'écoulèrent, pendant lesquelles elle patienta, dans l'attente d'une invitation ou d'une réaction quelconque ; mais seul le silence lui répondit. Alors, sans un bruit, elle poussa la porte et pénétra dans la pièce.

Le jour naissant, qui perçait à travers les voilages, baignait la chambre d'une lumière feutrée. Celle-ci était décorée avec raffinement, sans ostentation toutefois ; elle était garnie de meubles de bois sombre et de tapisseries richement brodées. Les lieux étaient déserts et parfaitement en ordre, à l'exception des dizaines de livres qui fleurissaient çà et là. Son regard s'aventura furtivement sur le lit, orné de tentures de velours sombre. Il était déjà soigneusement fait ; elle se demanda si les draps en avaient seulement été dépliés cette nuit.

Mais la jeune femme ne s'attarda pas plus sur cette pensée et se remit bien vite à sa tâche. Avisant un guéridon placé au coin d'une fenêtre, elle s'en approcha et entreprit de remplir le vase qui le coiffait de quelques-unes de ses fleurs. Elle passa quelques instants à les arranger, avec des gestes délicats. Puis, lorsqu'elle en fut pleinement satisfaite, elle reprit le panier qu'elle avait posé à ses pieds, et disparut de la pièce aussi vite qu'elle était venue.

Avec un sourire enchanté, elle se remit en marche d'un pas guilleret dans l'imposant dédale de couloirs. Cette première étape lui avait redonné confiance. Son regard s'aventura par-delà la rangée de hautes fenêtres qu'elle longeait, et elle en profita pour admirer les couleurs chatoyantes qu'imprimaient les reflets du soleil sur la vallée. Elle traversa quelques vastes salles encore vides, salua une poignée de serviteurs qui croisèrent son chemin, puis dévala une volée de marches. Enfin parvenue à sa deuxième destination, elle saisit la poignée et poussa le battant d'un geste assuré.

L'occupant des lieux leva la tête, visiblement surpris.

La jeune Elfe se figea sur le pas de la porte. Assis à son bureau, le Seigneur Elrond lui faisait face. Le rouge lui monta bien vite aux joues lorsqu'elle réalisa qu'elle avait fait irruption dans la pièce de la plus impolie des façons.

Elle s'inclina maladroitement.

« Je… Je vous prie de pardonner mon intrusion, mon Seigneur, balbutia-t-elle. Je repasserai plus tard… »

Mais il l'arrêta avant qu'elle n'ait pu revenir sur ses pas.

« Vous ne me dérangez pas, lui assura-t-il d'un ton calme. Faites votre œuvre, je vous en prie. »

Indécise, elle acquiesça silencieusement. N'osant croiser plus longtemps son regard, elle s'avança dans la pièce, les yeux obstinément baissés sur son panier de fleurs, tâchant de faire oublier sa présence. Les mains tremblantes, elle couronna de quelques lys une coupe d'argent ciselé qui trônait sur un secrétaire en ébène. Dans son dos, elle entendait seulement le crissement d'une plume sur une feuille de vélin.

Une fois son ouvrage accompli, elle se hâta discrètement vers l'entrée. Avant qu'elle n'en franchisse le seuil, la voix du Semi-Elfe s'éleva de nouveau, étrangement mélancolique :

« Hannon Le. »

Sans mot dire, elle s'inclina une dernière fois, avant de disparaître.

o

Elle n'avait pas fait dix pas qu'elle tomba nez à nez avec le majordome d'Imladris, qui l'accueillit avec une mine sévère.

« Que faisiez-vous dans l'office de Maître Elrond ? l'admonesta-t-il d'un ton sec. Vous n'êtes pas sensée effectuer vos tâches lorsque les lieux sont occupés !

- Je vous prie d'excuser ma maladresse. Je pensais la pièce déserte… Le Seigneur Elrond m'a prié de rester. »

Son supérieur poussa un soupir d'agacement ; pour autant, devant l'air désolé de la jeune servante, il ne poursuivit pas la remontrance.

« Soit. Que cela ne se reproduise plus. »

Ils se remirent en route en silence, cheminant côte à côte, accompagnés par l'unique écho de leurs pas. Toutefois, poussée par la curiosité, celle-ci sortit bien vite de sa réserve et reprit la parole.

« Me permettrez-vous de vous poser une question ? osa-t-elle.

- De quoi s'agit-il ?

- Lorsque j'ai pris mes fonctions - vous ne l'ignorez sans doute pas, l'on m'a bien précisé de veiller à ne placer que des lys blancs dans les appartements seigneuriaux. Mais… Y a-t-il une raison à cela ? »

Haussant les sourcils, le majordome lui jeta une œillade interloquée.

« Quel âge avez-vous ?

- Quatre-vingt-sept ans.

- Vous êtes bien jeune, en effet… Vous n'êtes pas originaire de Fondcombe, je présume ? »

Elle secoua la tête. Le carillon d'une cloche résonna au loin.

« Il s'agissait des fleurs favorites de notre Dame. »

La demoiselle leva vers lui un regard confus.

« Elle s'en est allée à l'Ouest, voilà maintenant plus de trois cents ans. »

oOo

Fondcombe, trois siècles plus tôt

Au-dehors, la Cité était pleine d'une effervescente estivale, le soleil brillait, éclatant ; mais les larges fenêtres restaient closes, et ses rayons ne perçaient pas leurs voilages sombres. Rien n'avait changé, dans cette pièce ; mais nulle âme, nulle vie ne l'habitait encore. Elle était froide, désormais, froide et vide. Les meubles étaient restés en place, recouverts d'une fine couche de poussière, vestiges d'un temps révolu. La silhouette harmonieuse d'une harpe, à jamais muette, drapée de velours sombre, se détachait dans un faible halo lumineux.

Entre les murs ombragés, fraîcheur et silence régnaient.

Des pleurs résonnèrent sous l'écho des couloirs de pierre.

o

L'aube était voilée, les embruns marins fouettaient leurs visages. Haut dans le ciel, les mouettes dansaient, virevoltaient pourtant même leurs cris, d'habitude si rieurs, semblaient ce jour déchirants de chagrin. A l'horizon, la silhouette gracieuse d'un navire, toutes voiles dehors, s'évanouissait dans la brume.

Ils se tenaient immobiles, sur la grève, ombres malheureuses. Avec peine, ils observaient cette route sans retour tracée dans les flots. Ils restèrent ainsi longtemps après que le bateau eût disparu de leur vue.

Une seule pensée, absurde et idiote, les rongeait, les tourmentait, insistante.

Comment, par la grâce des Valar, en étaient-ils arrivés là ?...