Happy Ending
Raphaël avait été conçu pour aimer sa famille. Oh, c'était une caractéristique commune à tous les anges, mais son Créateur l'avait rendue particulièrement proéminente chez lui.
Le troisième Archange existait pour aimer sa famille. Le problème, c'était que sa famille ne l'aimait pas en retour – ou l'en récompensait très mal.
Michel l'aimait, oui, mais plus comme quelque chose de pratique que comme un petit frère. Raphaël savait guérir, il suivait les ordres, il était fidèle au Paradis, et Michel l'appréciait pour cela, mais c'était tout. Aux yeux du Prince des Archanges, son second cadet était un outil, certes apprécié, mais pas une personne.
C'était affreux à dire, mais Raphaël n'avait ressenti qu'un léger pincement au cœur en apprenant que Michel avait terminé dans la fosse. Oui, il était supposé être son frère, mais… Michel ne l'avait jamais traité ainsi. Encore moins considéré ainsi.
Au contraire de Lucifer, qui avait vu au-delà du médecin et trouvé la personne réservée et sensible qu'était son cadet immédiat. L'Etoile du Matin l'avait toujours encouragé à s'exprimer, à s'affirmer, à faire ce qu'il avait envie de faire, et Raphaël l'avait adoré pour cela. Pour son soutien inébranlable et constant.
Mais Lucifer n'avait pas écouté Raphaël quand celui-ci l'avait supplié de revenir sur sa décision et de se prosterner devant les humains. Il avait préféré plonger tête la première dans la Cage, et avait brisé le cœur de son cadet dans le processus.
Gabriel… ça faisait si mal de penser à Gabriel, car le guérisseur avait chéri le dernier-né des Archanges comme l'enfant qu'il n'aurait jamais, et même s'il se retrouvait souvent la cible des farces plus que douteuses du Messager, il n'y avait aucun doute sur le fait que ce dernier lui vouait une admiration et une affection sans réserves.
Mais Gabriel s'était enfui, il s'était fait passer pour mort sans se soucier de l'impact de cette nouvelle sur sa famille, et n'avait pas donné de nouvelles jusqu'à sa mort des mains de Lucifer. Il était juste parti sans un regard en arrière.
En comparaison, Béatrice avait été la seule à ne pas avoir déçu l'amour du troisième Archange. Elle l'avait aimé pour lui, malgré lui, avec toute la passion d'un incendie, la lucidité impitoyable du réalisme et la profondeur de l'océan. Elle était restée là où ses frères l'avaient laissé tomber.
Mais Béatrice était morte. Morte dans les bras de Raphaël, incapable de la sauver alors qu'il était supposé être le plus grand médecin de tous les Sept Cieux. Elle avait été la seule à rester auprès de lui et elle était morte.
Qu'est-ce qui ne va pas chez moi ?
Pourquoi tous ceux qu'il aimait finissaient-ils par rencontrer un destin tragique ? Pourquoi finissait-il toujours par les perdre ? Où était son happy end ?
Il voulait simplement être en compagnie de ceux qui comptaient par-dessus tout pour lui. C'était tout ce qu'il demandait.
Michel dans la Cage. Lucifer dans la Cage. Gabriel mort. Béatrice morte. Pour ce qui était de Dieu… n'en parlons même pas.
Pourquoi ne pouvait-il pas vivre heureux avec sa famille ?
Pourquoi les humains en avaient-ils le droit ?
J'ai tout donné, tout sacrifié au Paradis et à mon Père, et je n'aurais jamais rien en retour ?
Il avait été privé de sa famille, obligé de regarder ses deux frères aînés s'entretuer, avait perdu son frère cadet et sa bien-aimée sans pouvoir leur venir en aide, et ces dégoûtants singes pelés n'avaient pas à traverser cela ? N'avaient pas à voir leur existence voler en éclats ?
C'était intolérable. C'était injuste.
L'Apocalypse réglerait tout cela une fois remise sur les rails. Des millions, peut-être des milliards d'humains périraient à cause de cela ? Parfait.
Si Raphaël n'avait pas le droit de vivre heureux avec ceux qu'il aimait, pourquoi donc les humains l'auraient-ils ?
