Depuis un an déjà, Lloyd Irving et Colette Brunel parcouraient le vaste monde réunifié pour récolter les exsphères et par-là même éradiquer l'épée de Damoclès qui pesaient sur les rescapés des fermes humaines désianes. Ils s'étaient déjà occupés de toute la moitié Nord du continent de Sylvarant mais ils ne comptaient pas s'arrêter en si bon chemin.
" Bon, maintenant il ne nous reste plus qu'à descendre ! La prochaine grande ville, c'est Asgard. Là-bas, on aura de quoi faire! Et puis, on pourra trouver des dragons pour aller beaucoup plus vite! Ca rétrécira les temps de voyage et ça nous fera gagner du temps. Une fois cette région nettoyée, direction Isélia ! "
Lloyd s'arrêta quelques instants et laissa errer son regard sur le merveilleux paysage qui s'étendait autour de lui. Colette et lui venaient d'arriver au bord du lac Umacy où ils comptaient se reposer un moment. La jeune fille s'avança vers lui et lui fit l'un de ces grands sourires dont elle avait le secret et qui le faisaient toujours fondre. Il leva les yeux au ciel pour que Colette ne puisse pas voir le rouge lui monter aux joues et son regard se porta bientôt sur la planète de Derris-Kharlan qui brillait de mille feux dans le doux ciel d'été. Sa gorge se serra quelque peu à la pensée que son père était là-haut et qu'il ne l'avait trouvé que pour le perdre aussitôt. Mais Kratos avait fait son choix et il était trop tard pour changer le passé. Ce qui était fait était fait et ce n'étaient pas des remords qui pourraient changer quoi que ce soit. Il sentit une main se poser sur son épaule, sursauta, se retourna et Colette lui demanda gentiment:
A quoi penses-tu, Lloyd ?
A rien de précis… Je me demandais quand nous pourrions revoir nos amis, mentit-il. Après tout, eux aussi errent de par le monde, alors je me disais qu'il y avait sûrement une chance pour qu'on se croise pendant nos voyages.
Je suis sûre qu'on les reverra plus tôt que tu ne le penses. Viens, on se repose un petit peu avant de reprendre la route…Tu ne vas tout de même pas passer ton temps à regarder le paysage!
Non, tu as raison! Autant se reposer, on pourra reprendre la route plus vite.
Il se sentait de moins en moins concerné. Bien sûr, il mènerait à son terme la mission qu'il s'était fixée mais en réalité, il n'avait pas du tout l'esprit à ce qu'il faisait.
Il se demandait surtout si tout allait bien pour les autres. Plus il y pensait, plus il se disait qu'aucun d'entre eux n'avait réalisé son rêve…Tous étaient partis vers des voies différentes mais plus par la force des choses que par réelle envie ou vocation. Génis n'était pas allé étudier à Palmacosta car lui et sa sœur faisaient de leur mieux pour effacer les terribles blessures de la discrimination entre humains et demi elfes, mais ce n'étaient deux volontés isolées qui allaient révolutionner le monde. Ils changeraient la façon de voir de beaucoup mais il y aurait toujours des imbéciles pour rejeter ce qui était différent. C'était pour effacer les stigmates du combat qu'ils avaient tous menés qu'ils avaient abandonné leurs exsphères. Elles étaient toutes en sécurité si le besoin de les avoir à nouveau se faisait ressentir mais Lloyd priait de toute son âme pour que ça n'arrive jamais…D'un commun accord, ils avaient tous décidés de les confier à la protection de l'esprit Martel. Ainsi le symbole de leur aventure était aussi devenu le gardien des traces de celle-ci. Et ils n'étaient plus que des êtres semblables à tellement d'autres, errant sur la terre, cherchant en vain leur raison d'être… Et s'ils étaient passés à côté, que leur vie n'avait de la valeur que lorsqu'ils étaient les porteurs des rêves et des espoirs des victimes qu'ils tentaient de sauver…
Leurs destins les avaient conduits à se rencontrer, à s'aimer, à combattre ensemble puis à se séparer…tel une rode implacable, une danse sans fin…Cette ronde avait-elle un but ? Où les mènerait-elle maintenant ? Quels horizons pouvaient-ils bien exister pour des héros à la retraite ? Ils n'étaient pas sortis indemnes de leur périple, ils y avaient laissé une part d'eux-mêmes ce qui les empêchaient maintenant de vivre une vie normale et de goûter à la quiétude qu'ils avaient amenée au monde… Ils ne seraient jamais en paix, ils ne seraient jamais intégrés ! On leur avait collé l'étiquette " héros "et tant que cette image leur perdurerait, la tranquillité leur serait refusée…
De toute manière, Lloyd doutait fort que son âme qui était passée au travers de tant d'épreuves puisse un jour retrouver la paix. Le destin ! Divinité capricieuse qui joue avec nos vies. Tous flottent au gré de ses envies et nul n'y échappe. Et aujourd'hui, ce même destin le faisait retourner à Isélia, là où avait commencé le long processus qui l'avait peu à peu détaché de la réalité commune pour le faire tomber dans les affres de la solitude la plus complète… Qu'est-ce que le destin lui réservait pour son retour ? Oh, le destin avait sûrement prévu depuis longtemps ce moment de recommencement et de renouveau… Mais si la ronde devait repartir pour un nouveau cycle, si périple il devait y avoir, ce serait périple de reconstruction et de continuité et non plus de régénération. Il ne referait pas les mêmes erreurs !
Lloyd n'avait aucune nostalgie accompagnant son retour dans le village où il avait grandi, c'était sa mission de délivrer les victimes des Désians de l'épée de Damoclès que représentaient les exsphères plantées en eux, même si elles étaient contrôlées par un serti clé. Mieux valait pour eux vivre débarrassés des exsphères que de vivre avec un serti clé. L'exsphère était un vestige de leurs souffrances et il fallait les ôter pour que leurs victimes puissent recommencer à mener une vie normale. Et c'était un véritable sacerdoce pour Lloyd de les délivrer de ce fléau.
Malheureusement, plus le temps passait et plus il lui semblait impossible de mener à terme cet immense projet. Il n'y avait que son sentiment d'impuissance et de culpabilité qui le faisaient continuer, il voulait se monter à lui-même qu'il était largement capable d'aider quelqu'un et que plus jamais il ne referait les erreurs d'autrefois. .. Il lui fallait désormais vivre avec le poids de ses succès comme de ses erreurs.
Au fil de ses interrogations silencieuses et de ses pérégrinations, il n'avait jamais vraiment été seul : il y avait toujours eu Colette… C'était ça son destin, non pas la solitude, il s'y était emmuré tout seul, mais la difficulté de vivre avec quelqu'un, la difficulté d'être honnête et d'ouvrir son cœur…Oui, pour elle, plus que pour lui, il n'abandonnerait pas, il continuerait jusqu'à ce qu'il n'en puisse plus…
Ses pensées l'avaient accompagnées tout le long du voyage, avaient fait passer Asgard au second plan et le temps qu'il en émerge définitivement pour se concentrer sur la situation présente, lui et Colette s'étaient arrêtés dans la désormais paisible forêt d'Isélia, où seuls régnaient en maîtres les arbres à l'ombre bienfaisante et les oiseaux aux chants apaisants. Mais même les plus beaux chants du monde ne pouvait faire taire sa peine. Elle était bien trop forte pour ça…
" Dis Colette, ça ne te fait pas bizarre à toi de revenir ici ?
Si, un petit peu, mais il le fallait bien, non ?
Oui, tu as raison…
Tu as l'air pensif ces temps-ci…Si tu veux parler, n'hésite pas, je suis là !
Je le sais bien mais vraiment je t'assure, je vais bien, il n'y a rien ! Tant qu'on est à Isélia, je suppose que tu vas aller rendre visite à Frank et Phaidra…
Tout comme je suis sûre que tu vas aller voir Dirk !
Ce serait stupide de ne pas y aller, non ?
C'est sûr ! Bon, il n'y a plus qu'à se remettre en route…
Ouais ! "
Et c'est ainsi que sous les doux rayons d'un soleil d'été, ils entrèrent tous deux dans le village de leur enfance : la paisible Isélia.
