Chapitre 1 Prisonnier de son corps
Il errait. Il errait doucement à travers les méandres de son esprit. Déjà un an. Un an entre ces murs. Un an pour mieux se connaître. Il n'avait d'autre choix. Que faire d'autre quand on est confiné à un endroit aussi petit? Les premiers jours, il faisait les cent pas, incapable de rester en place. Puis, par la suite, il avait découvert un endroit où il pouvait courir sans jamais s'arrêter, où il pouvait escalader des parois abruptes sans jamais tomber. Il avait découvert son esprit. Un esprit vaste et sans frontière où la douleur n'existait que si on admettait son existence. Il l'a niait. Il niait cette douleur qui lui tenaillait les entrailles chaque fois qu'il se levait. Ses jambes ankylosées par le manque d'exercice refusaient obstinément de bouger, mais à quoi bon se lever quand notre esprit nous fournit l'imagination nécessaire pour faire tout ce dont on a besoin? À quoi bon s'entêter à croire qu'on va s'en sortir quand on sait qu'on restera à jamais captif?
Il errait donc dans son esprit. Sa tête était vaste. Il y avait là un monde à découvrir. Chaque jour, un nouvel espace, toujours plus grand, s'étendait devant lui. Un espace où son corps n'était plus une prison. Une prison sans barreau qui ralentit nos ardeurs par la douleur, mais son esprit ne connaissait pas la douleur. Cette douleur passée n'existait plus. Elle lui semblait tellement loin maintenant.
Il se leva et tourna en rond. Ses jambes lui disaient de s'asseoir mais sa tête ne l'écoutait pas. Sa tête n'écoutait que les images douces et rafraîchissantes transmises par un esprit enroué et las d'être confiné à cet espace clos. Son corps le retenait et l'empêchait d'aller plus loin. Il l'empêchait de voir ces endroits, enfin. Il murmurait des paroles incompréhensibles. Ses yeux clos ne bougeaient pas. Il tournait en rond dans sa cellule. Un an déjà. Et ses jambes le sentaient bien.
Il sentit alors une vague de désespoir le traverser. Il savait que c'était eux. Alors, il ouvrit les yeux brutalement et les défia. Pensant à toutes ces images, il les défia de lui faire croire qu'ils pouvaient lui enlever ça. Ce monde était à lui et aucun détraqueur ne pourrait jamais le lui enlever. C'était à lui. À lui seul. Il défia ses membres figés par le temps en les faisant travailler. Il fit les cent pas dans sa cellule tout en fixant les détraqueurs. Il était comme un animal sauvage qu'on aurait enfermé et qui rêve de sa savane natale. Il regarda les détraqueurs avec des yeux rempli de promesse. La promesse d'une vengeance. Les détraqueurs le regardèrent alors de leurs yeux aveugles et ne purent que sentir cette promesse. Les effluves de son esprit les découragèrent alors de toute tentative. Un autre jour peut-être. Un jour peut-être pourraient-ils goûter à cette âme souillée par le sang et le crime. Un sang innocent. Un crime audacieux.
Il ne tuait pas ses victimes. Ses véritables victimes n'étaient pas ceux qui mourraient. Ses victimes étaient ceux qui restaient. Ceux qui souffraient. Ceux qui se sentaient responsables de la mort d'un être cher. D'un être innocent. Parfois, cette souffrance est bien pire que la mort elle-même. Il l'avait appris pendant ses années de collège. Il avait vu son ennemi se détruire lentement. Sous ses yeux. C'était lui qui lui avait appris comment bien faire souffrir quelqu'un. Lui qui lui avait donné le goût de faire souffrir. Lui qui lui avait donné le goût du sang. Le seul rouge qu'il tolérait était celui du sang. Le seul rouge qui méritait une mention honorifique. Le seul rouge qui avait sa raison d'être était celui qui coulait dans ses veines et, surtout, dans les veines de tout être vivant.
Ses victimes étaient surtout des aurors. Il y avait aussi des membres de l'Ordre du Phénix. C'est ainsi qu'il tua plus de deux cent personnes. C'est ainsi qu'il tua plus de deux cent innocents. C'est ainsi qu'il tua plus de deux cent femmes et enfants. Il les tuait de manière indolore. Il les tuait proprement. Ensuite, il maquillait le meurtre propre en tuerie bestiale. Il fit disparaître des corps pour en envoyer ensuite les morceaux par hibou aux victimes. Ils les recevaient alors de manière régulière sur une base mensuelle. Ainsi, il prolongeait le supplice. Il ne procéda ainsi qu'à quelques reprises. Jugeant que ses victimes le méritaient. Des aurors très qualifié se suicidèrent suite à cette torture mentale. D'autres se retrouvèrent à l'hôpital Sainte-Mangouste pour folie.
C'est alors qu'il sentit une autre présence. Ce n'était pas un détraqueur. Il n'y avait rien de malsain dans cette présence. Elle était plutôt insignifiante. Du moins, elle l'aurait été si son esprit n'avait pas été si fatigué. Cette présence était là. Il ne pouvait l'ignorer. Il ne pouvait la supprimer. Il devait la confronter. Il prit place sur le lit de fortune qu'on lui avait alloué. Il s'installa de la même manière qu'il l'avait fait depuis son arrivée. Il s'assit en tailleur, face à l'entrée de la cellule et baissa la tête. Fermant les yeux, il alla confronter la présence. Elle était là. Il l'a trouverait bien assez tôt.
Devant lui se trouvait un homme. Un homme d'une quarantaine d'année se tenait dans l'ombre, observant le détenu pour le moins étrange. Il avança d'un pas, sortant de l'obscurité. Il regardait le manège du prisonnier.
Le détenu trouva l'inconnu à travers son esprit. Ce pas. Son erreur. Il connaissait ce pas. Cette manière de faire ce pas. Cette manière était cataloguée dans un recoin de son esprit. Un pas. Une erreur. Un homme a découvert. Un inconnu de moins. Parce qu'il y en avait un autre. Peut-être même deux. Oui, deux. Deux respirations en retrait. Deux respirations qu'on tente de camoufler. Deux respirations discrètes. Deux. Il y avait donc trois personnes. Un homme bien connu et deux inconnus. Un pas, deux respirations. Trois entités bien distinctes. Maintenant qu'il avait trouvé la présence, il fallait l'affronter.
Il releva lentement la tête, découvrant deux yeux morts. Deux yeux qui avait tellement vu la mort qu'ils avaient fini par en mourir. C'est du moins ce que racontaient les adolescents lors de leur soirée d'Halloween. Il était une histoire à faire peur. S'ils avaient su à quel point l'histoire était loin de la réalité, ils ne s'en seraient jamais amusés. Ces yeux avaient vu bien pire que la mort. Ils avaient vu la vie. La vie et tout ce qu'elle a à offrir de plus malsain.
Sa tête à moitié relevée laissait des mèches de cheveux encadrer son visage, accentuant l'atmosphère malsaine de l'endroit. Un frémissement. De la peur. Dans l'ombre. Un des deux inconnus avait frémis. Un frisson de peur avait parcouru sa colonne. Son âme de meurtrier l'avait sentit. Ou était-ce seulement cet endroit qui l'avait obligé à aiguiser ses sens? Il préférait penser que c'était dû à son âme de meurtrier. C'était plus honorable que de dire que cet endroit l'avait obligé à devenir quelque peu paranoïaque. C'était plus honorable que de dire qu'il avait peut-être quelque peu perdu la raison. Comme tous les autres. Non, pas lui. Il ne pouvait pas avoir perdu la raison. Il ne pouvait pas avoir eut peur de cette prison.
La peur, c'était lui. C'était de lui dont les gens avaient peur. Il était la peur qui coulait dans les veines de tous les êtres vivants. Il était la peur elle-même. La peur ne peut avoir peur. Cela signifierait qu'elle aurait peur d'elle-même. Non, impossible. C'était obligatoirement son âme de meurtrier. Ses sens de meurtrier. Ses sens qui lui permettaient de trouver ces pauvres âmes que la bonne fortune n'avaient pas choyé. Il était un fauve. Un fauve en cage. Un fauve prêt à tout pour sa liberté. Cet endroit ne l'avait pas changé. Impossible. Pas lui. C'était lui qui avait changé cet endroit.
L'homme regarda ses yeux. Un iris bleu. Bleu comme l'acier. Une pupille. Une pupille semblable à une opale. Beaucoup d'histoire circulait à propos de ces yeux. Certains disaient qu'il les avait troqué contre son âme. D'autre disait qu'il se les était fait lui-même. Qu'ils pouvaient voir tout ce que les êtres humains de voit pas. Quant aux plus morbides, ils racontaient que ses yeux avaient tant vu la mort qu'ils avaient fini par en mourir. Peu importe l'histoire, elle était toujours accompagné d'une voix grave et était raconté en chuchotant, de peur qu'il l'entende de sa prison.
- Alors, Potter, on vient me rendre une petite visite? C'est gentil.
Sa voix. Celle d'un homme qui n'a pas parlé depuis longtemps.
- Mais je m'étonne de te voir si… vieilli. J'imagine que j'ai dû mal compter. Oui, c'est sans doute ça… Mal compter… Perdu… Temps… Notion…
Il s'était mit à murmurer des paroles incompréhensibles dont seul quelques bribes venaient à s'en échapper. Il se leva ensuite. L'homme recula imperceptiblement. Le détenu arrêta son mouvement et lui lança un sourire. Un sourire malsain. Un sourire qui lui disait qu'il avait vu son mouvement de recul. Qu'il savait. Qu'il savait qu'il avait peur. Il reprit ensuite son mouvement en se dirigeant vers un des murs de sa cellule. Des lignes. Une pour chaque jour. Il les effleura. Il crispa ses doigts. Referma son poing et alla poser son front lentement sur la pierre froide. Il réfléchissait. Quelle erreur avait-il pu commettre? Quelle erreur avait-il commis pour faire une erreur aussi monumentale? Combien d'année avait passées? Dix? Quinze? Vingt? Non, pas vingt. Potter n'était pas assez vieux pour que vingt ans soient passés. Pourtant, il ne s'était pas senti vieillir. Comment?
Soudain, une rage l'envahi. Une rage traversa son corps en un courant chaud qui réchauffa son sang et l'amena à bouillir. Ces années, il ne les avait pas vu passer. Il les avait perdu. Il avait perdu une partie de sa vie. Une partie de son existence. Son poing recula. Son front se décolla de la pierre. Son bras se recula. Prenant son élan. Son poing alla se fracasser sur les jours passés. Le mur se fissura et son poing y entra, formant un trou dans sa vie et dans le mur alors que les pierres et le mortier tombaient sur le sol. Il le retira et laissa son bras pendre le long de son corps.
- Tu as réussi à obtenir la mort, tu es venu me l'annoncer? Tu dois être heureux depuis le temps que tu contestes ma sentence.
- Tu saignes, ta main.
- D'ailleurs, quelle surprise y a-t-il à cela? Tu as toujours eut ce que tu voulais. Pourquoi est-ce que ça changerait maintenant?
- Malefoy, ta main.
- À moins que… La psychomage.
Il éclata d'un rire sonore. Puis, s'arrêta aussi rapidement qu'il avait commencer. Il porta sa main à sa tête et s'adossa au mur. Les souvenirs. Les souvenirs d'un temps passé. Les souvenirs d'un temps oublié. Pourtant, quelque chose n'allait pas. Ça ne concordait pas. Il se souvenait d'elle, mais ne se souvenait pas. Il ne se souvenait plus vraiment. Il se laissa choir sur le sol. Ses deux mains tenant son crâne prêt à exploser. Son crâne. Son esprit était entremêlé. Les fils de son imagination s'emmêlaient à la réalité. Il ne distinguait plus rien.
L'homme s'approcha un peu plus de la cellule. Les deux inconnus se mirent de chaque côté de lui.
- Alors, c'est ça? La terreur qui s'est abattu sur notre monde, c'était ça? Un cingléqui détruit des murs?
- Non, Alek, non. Ce n'était pas lui, c'était un autre, murmura le dénommé Potter.
- Alors, qu'est-ce qu'on fait ici? On devait aller voir...
- Alek? interrompit l'autre homme.
- Oui?
- Ferme-la deux minutes, ok?
- Mais…
- Ferme-la!
Malefoy releva la tête doucement. Il avait délaissé son crâne douloureux pour reporter son attention sur les trois visiteurs.
- Alek, murmura-t-il. Aleksandar Potter. Oui, c'est vrai. À l'époque tu n'étais qu'un bébé. Tu ne peux pas te souvenir.
Il se leva.
- Mais toi, par contre. Laisse-moi me souvenir… James. Oui, James. On s'est déjà rencontré, n'est-ce pas? Tu étais encore jeune, mais j'imagine qu'une rencontre avec moi, ça marque assez longtemps.
Il s'approcha lentement de la frontière de la cellule. Il ne semblait plus fou. Son air vulnérable avait disparu. Le fauve était de retour et Alek regretta ses paroles à la seconde où il revit ces yeux. Il comprit ce qu'avait voulu dire son père et s'en voulait d'avoir dit de telles stupidités devant ce meurtrier.
Alors, dit-moi, tu as suivit mon conseil?
Oui.
Très bien.
Potter assistait, muet, à la scène. Il ne savait pas de quoi parlaient les deux hommes.
- Quel conseil?
- C'est… Je… On en reparlera à la maison, papa.
- Pourquoi? s'amusa Malefoy. Je crois qu'une prison est tout indiquée pour parler de ce genre de chose, surtout quand je m'y trouve et que je peux assister à la scène.
- James, insista-t-il.
- Tu te souviens, quand je me suis perdu sur le Chemin de Traverse? J'étais allé dans l'Allée des Embrumes. Il y a ensuite eut une attaque. Des dragons attaquaient. J'avais peur et des types à l'allure bizarre m'avaient encerclé. J'avais seulement neuf ans. Et là, il est arrivé. Il avait une cape et était encapuchonné. Il les a balayé d'un geste. Il m'a ramené sur le Chemin de Traverse et m'a dit que je ne devrais pas fréquenter ce genre d'endroit. Je ne savais pas qui il était jusqu'à ce qu'il enlève son capuchon et aille tuer une fillette. Je l'ai vu lui envoyer le sortilège de la mort, lui passer une corde au cou et la pendre à l'enseigne d'une boutique. Je l'ai vu brandir un couteau et lui ouvrir le ventre. Il m'a regardé, m'a sourit et est repartit. Ensuite, maman est arrivée et m'a emmené en sécurité.
- Tu vois, ce n'était rien. Je lui ai juste montré le droit chemin.
- Ce n'est pas ça qui m'inquiète, Malefoy. C'est plutôt ce que tu avais derrière la tête. Quel chemin tu voulais lui montrer, hein? Lequel? Celui vers la maison en le ramenant sur le Chemin de Traverse ou le chemin vers toi en tuant cette fillette devant lui?
Un sourire mesquin se dessina sur son visage. Harry en avait déjà trop entendu. Il avait sa réponse, ce pourquoi il était venu. Il ne voulait pas en entendre plus. Il quitta l'endroit sordide en entraînant ses fils à sa suite.
- Peut-être qu'un jour, tu seras prêt à lui dire l'entière vérité, murmura Malefoy à l'intention de James.
Celui-ci le fixa quelques secondes et reprit sa marche, s'assurant que son père n'avait rien entendu. Personne ne devait savoir. Personne.
