Ce chapitre a été écrit sur le thème « Compartiment » dans le cadre de la 109ème nuit du Forum Francophone (FoF) : un texte par heure sur un thème donné. Pour en savoir plus, vous pouvez m'envoyer un MP.
J'ai écrit cet OS en plus d'une heure (oups). J'avais vraiment envie de développer quelque chose autour de ce que le thème m'avait inspiré au départ, à savoir le "séjour" de Simon dans le climatiseur sur le toit de la tour Stratford.
Contexte : le groupe de Jericho s'enfuit en abandonnant Simon dans « La tour Stratford » mais Connor ne le trouve pas dans « Ennemi public ».
Quelque chose d'inhabituel faisait vibrer la ferraille de Jericho. Simon reconnut sans peine les sonorités d'un piano. Une défaillance logicielle fut sa première hypothèse; une mémoire parasite qui l'assaillait, comme c'était régulièrement le cas depuis le jour où il était devenu déviant. Les vestiges d'une autre vie où il avait côtoyé les Hommes menaçaient encore de le happer dans une spirale de terreur. Les souvenirs furent repoussés en arrière-plan. La tâche était routinière. Il s'avéra que la musique était bel et bien réelle. Il se remit alors à claudiquer dans les couloirs sombres de Jericho. Il avait perdu une grande quantité de thirium et ses dernières ressources allaient être allouées à cette marche forcée. Qu'importe, il serait bientôt de retour parmi les siens.
Bien sûr, il connaissait l'existence de ce piano. Il connaissait chaque recoin de ce bateau, pour y vivre terré depuis près de deux ans. L'objet était déjà là à son arrivée et nul ne se rappelait sa provenance. Dans quel genre d'esprit germait l'idée d'amener un piano désaccordé sur une épave ?
Ce qu'il savait, en revanche, c'était que seule une poignée de machines était en mesure d'actionner l'instrument. Mais cette musique-là ne consistait pas simplement en une suite d'accords pré-programmés. Cette musique-là était vivante; elle suscitait en Simon quelque chose qu'il identifiait comme étant de la tristesse.
Rapportée à leur groupe de marginaux, cette prouesse ne pouvait être le fait que de l'un d'entre eux. Un fleuron de technologie, conçu par l'orfèvre de Cyberlife en personne. Le genre d'individu grâce auquel une bande d'androïdes abîmés et désabusés avaient entrevus la lumière, alors qu'ils étaient tapis dans le noir en attendant… En attendant quoi, déjà ?
Peut-être que, dès le début, ils l'avaient attendu lui.
A Jericho, ils étaient des êtres libres. Libres entre quatre murs. Sagement compartimentés dans le vieux cargo qui leur servait de refuge. A l'abri des regards et de la violence de leurs maîtres proclamés. Et puis il était arrivé, dans toute sa splendeur dépenaillée, terriblement naïf et terriblement lucide. Terriblement humain. Quelque chose en lui avait éveillé l'insurrection qui sommeillait en chacun d'entre eux.
Simon avait envié Markus, lui qui était unique. Lui pour qui se détacher de sa condition de machine sonnait comme une évidence. Il avait espéré que cela ne se vît pas sur son visage. Ce visage qui était le sien mais aussi de tant d'autres, produits en série et écoulés à des milliers d'exemplaires. Mis en avant dans toutes les publicités puis soldés avant d'être mis au rebut, comme on le ferait avec n'importe quel appareil devenu obsolète. Il était un assistant domestique – dépassé, qui plus est – et les PL600 n'étaient pas conçus pour les missions d'infiltration. Encore moins pour esquiver les balles. Pourtant, il avait accepté de suivre Markus dans son projet de s'introduire dans la tour Stratford. Leur nouveau leader exerçait un tel magnétisme sur lui que Simon l'aurait volontiers suivi en enfer – quelle que fût la forme que revêtît l'enfer pour les androïdes.
Tout en haut, Markus avait refusé de l'achever.
Alors il avait rampé sur le toit de cette maudite tour, dans la neige grise et son propre fluide vital. Et il s'était caché, à nouveau, dans l'espoir que personne ne le trouve à l'intérieur de cette minuscule unité de toit. Que personne n'accède à sa mémoire dans le but de localiser Jericho. Il se trouvait pris dans un piège qu'il avait lui-même refermé, à l'affût du moindre « Rien à signaler ! » qui l'aurait informé que les agents du SWAT avaient abandonné leurs recherches. Il s'était cramponné à l'arme que Markus lui avait confiée, de toutes ses forces, tandis que son logiciel refusait de se stabiliser.
Mais il était un survivant. La peur était imprimée dans ses circuits depuis bien trop longtemps. La liberté, elle, avait un nouveau sens quand, le lendemain, il avait osé ouvrir la porte du climatiseur pour s'en extraire. Il s'était emparé d'un tournevis plat, sans doute oublié par un technicien de maintenance, avant de s'approcher du bord. Si respirer avait fait partie de ses fonctions, le panorama lui aurait sans doute coupé le souffle, la neige recouvrant peu à peu Detroit. Avec un mouvement de levier quasi-chirurgical, il avait extrait sa LED de traitement et l'avait jetée dans le vide.
Le piano s'était tu depuis un moment déjà. Simon réalisa que ses jambes ne pourraient plus le porter d'une minute à l'autre. A tâtons dans l'obscurité, il trouva l'appui d'un mur. Ces murs dont ils avaient fait un sanctuaire et que la décrépitude guettait inexorablement. C'était sans doute le lot de toutes les créations humaines.
Des bruits de pas descendant un escalier résonnèrent tout près de lui. Quelqu'un allait pouvoir lui venir en aide. Un visage familier. Et il se trouva soudain face à celui qu'il avait le plus espéré.
Une paire d'yeux vairons le scrutait en silence, incrédules. Markus fut le premier à s'avancer et dans la lueur mourante qui l'éclairait désormais, Simon vit que son expression avait changé. Il n'exigea aucune explication. Il l'attira juste contre lui – et l'androïde blond ne put que lui rendre son étreinte.
La connexion avec ses membres inférieurs s'interrompit dans un grésillement à peine audible, mais le leader de Jericho le soutenait toujours. Markus portait les espoirs de leur peuple tout entier; il pourrait aisément gérer le poids d'un PL600 rescapé. Simon affichait un sourire serein. Il s'accorderait cette fois, cette fois seulement. Son niveau de stress redescendit en flèche et, alors qu'il s'apprêtait à passer en veille, la voix de son ami lui parvint juste à temps :
« Bienvenue à Jericho... »
