Normalement, c'est corrigé.


Par un bel après-midi ensoleillé, Alejandro de la Vega s'était décidé bien malgré lui de rentrer à l'hacienda. Il aurait aimé passer un peu de temps dehors à flâner, à galoper dans ses champs, mais il n'avait plus l'âge. Sa jeunesse était loin derrière et son devoir de notable était désormais son présent.

Arrivé à son hacienda, il chargea ses domestiques du soin de son cheval et leur demanda de lui apporter de quoi se rafraîchir dans son salon. En apercevant Bernardo parmi les domestiques qui l'accueillaient, il en déduit que son fils était sans doute resté à la maison toute la journée car il savait très bien que Diego n'était pas un lève-tôt et ne se levait que très rarement avant onze heures. À croire que son unique enfant ne dormait pas la moitié de la nuit. En tant que père, il savait que Diego veillait tard. Il ignorait ce qu'il faisait, mais il se doutait bien que son fils s'adonnait à sa passion pour les arts, les lettres ou bien la musique.

"La nuit me permet de rêver donc de prendre mes inspirations." Avait déclaré Diego lorsque son père lui avait reproché ses heures nocturnes prolongées.

Marchant jusqu'à l'entrée de son fameux salon, lieu de repos et d'accueil, il soupira en se demandant comment son petit garçon qui cherchait tant de problèmes avec ses mains autrefois, était devenu un érudit qui répugnait la violence. Normalement, cela aurait du le soulager de savoir que Diego préférait l'intellect que la brutalité violente ; savoir qu'il pourrait sans doute devenir avocat, ou bien médecin, ou encore professeur, des fonctions qui allaient lui assurer un bon avenir tout en se mettant au service des autres, devrait sans aucun doute être une source de fierté.

. Mais qui pourrait poursuivre ce que Alejandro de la Vega et ses ancêtres avaient bâti ? Il en avait souvent parlé à Diego mais ce dernier s'était toujours contenté de lui lancer un de ses sourires rassurants et charmants agrémenté d'une réplique du genre : "Père, pour l'instant je me contente de vous observer. Je réfléchirai après, pour agir ensuite". Alejandro était certain qu'il avait appris ce savoir de penser dans un de ses livres philosophiques.

Alors qu'il s'apprêtait à s'installer dans un de ses fauteuils, il sursauta en voyant que le canapé en face de la fenêtre ouverte était pris : son fils, Diego, dormait paisiblement, un livre, maintenu par sa main gauche reposait sur son torse, tandis que l'autre main pendait gentiment vers le sol. À en croire sa position, il avait sans le moindre doute voulu profiter de lire face à la fenêtre afin de prendre un peu d'air. Le vieil homme s'approcha doucement de lui, ne pouvant s'empêcher d'observer son unique enfant. Son coeur pleurait discrètement devant le visage de Diego qui avait hérité des traits de sa défunte mère, l'ayant rendu séduisant et particulièrement charismatique. Au moins, son dandy de fils avait un physique que beaucoup d'hommes lui enviaient et c'était un avantage s'il voulait un jour conquérir une charmante demoiselle digne de lui.

Dans un soupir, il retira avec précaution le livre, intitulé "Fables", d'un certain "Jean de La Fontaine". Curieux, il regarda la page marquée : "Le Corbeau et le Renard". Il lut la fable et une curieuse question lui vint à l'esprit : "Pourquoi cet auteur avait-il choisi le corbeau ? Il aurait pu prendre un aigle... Probablement parce que le corbeau est attiré par le gain." Il secoua sa tête pour oublier rapidement cette analyse littéraire. Décidément la littérature était contagieuse !

Il saisit un marque-page et l'inséra à ladite page. Puis il remit doucement le bras qui pendouillait sur le torse de son fils, toujours endormi. Ce geste permit à son regard perçant de remarquer quelque chose qui l'horrifia. L'élégante chemise mi-ouverte au niveau du bas du col de son fils était ouverte, probablement à cause de la chaleur, mais Alejandro pouvait apercevoir des hématomes inquiétants. Il se pencha un peu plus vers l'ouverture et doucement, écarta un peu plus le pan de la chemise dévoilant ce qu'il craignait le plus depuis les secondes précédentes.

Le vieux père déglutit avec difficulté. Pourquoi ? Comment ? Ces hématomes, ces bleus étaient récents, cela se voyait, mais quand son fils avait-il pu se les faire ? Si on l'avait tabassé, provoqué en duel, ou autre il aurait été averti. Il essaya très vite de percevoir quand son fils avait-il bien pu attraper ça. À un aucun moment Diego n'avait paru mal-en-point, surtout qu'il était toujours accompagné, soit de Bernardo, soit du sergent Garcia quand il était en ville, ou bien d'une jeune fille... Mais quand alors, aurait-il bien pu se faire ça ?

Diego s'agita tout à coup : le père tressaillit, s'attendant à ce qu'il ouvre les yeux, mais l'épuisement était trop fort. Diego tourna légèrement la tête vers la fenêtre. Un soupir doux s'échappa de ses lèvres.

Alejandro serra des poings. Qui que ce fût, ceux qui avaient fait ça à son fils le paieraient très cher. Déjà que Diego ne savait pas se battre, profiter de cette faiblesse pour lui passer un tabac, rendait le grand de la Vega très en colère. Même si son fils n'était pas l'homme qu'il aurait aimé qu'il soit, c'était son unique garçon et son dernier souvenir avec sa femme bien-aimée.

Si seulement Zorro était là, il l'aurait payé n'importe quoi pour qu'il aille à la poursuite de ces truands. À cette pensée, Alejandro frémit. Zorro était l'homme qui lui avait autrefois sauvé la vie... Il aurait aimé que ce soit son fils.

Ses pensées perturbées le conduisirent à un cheminement complexe de logique et d'évidence comme lorsqu'il jouait aux échecs avec Diego. Non, ce n'était pas possible...Seulement pas possible.

Il balaya d'un geste de la main ses réflexions trop poussées et laissa enfin seul son fils dans un repos tranquille.


« Permettez-moi, père, de me retirer. »

Encore cette fameuse phrase, devenue une des habitudes polies de son fils quand il souhaitait aller dans sa chambre. Alejandro se demandait parfois si Diego pensait qu'à la vue de son âge, des paroles répétées n'allaient pas éveiller un quelconque soupçon sur ces réelles attentions.

« Es-tu fatigué ou vas-tu encore sacrifier ta nuit pour un livre, une musique ou une poésie ? » marmonna son père.

Le jeune homme éclata de rire.

« Je compte terminer un livre. J'ai emprunté un ouvrage au père Felipe et je dois le terminer pour le lui rendre demain, assura-t-il amusé.

- J'ai l'impression surtout que tu veux m'éviter, mon fils. Parfois, tu passes tes nuits sans même que je te voie pour le dîner ou lorsque je compte te souhaiter bonne nuit.

- Oh, pardonnez moi, père, je ne penserai pas que cela vous gênerait », s'excusa sincèrement Diego avec un pointe de tristesse que le père détecta sans lui montrer.

« Dis moi, une chose, Diego, et sois sincère avec moi.

- Oui, père ?

- Si tu avais le moindre problème, qu'importe le problème, qu'importe le niveau de gravité, viendrais-tu me voir ? »

Alejandro vit de la surprise sur le visage de son fils, puis de l'hésitation et enfin du regret.

« Bien sur, père, je viendrais vous voir, répondit-il, je... je vous souhaite une bonne nuit.

- A toi aussi, mon fils."

Sans un regard, Diego le quitta.

Le père savait que quelque chose n'allait pas pour lui, mais si Diego voulait garder ce secret, alors en tant que père, il devait le respecter.


Il avait vu le regard de Zorro quand le soi-disant aveugle était prêt à le poignarder : panique, inquiétude et peur. Normalement, il n'aurait jamais pu l'apercevoir, mais il ne savait pourquoi il l'avait remarqué cette fois-là ; il savait dorénavant pourquoi le regard de Zorro lui était si familier. Il n'avait jamais voulu le voir, car c'était tellement inconcevable...


Aujourd'hui, il a failli douter de l'honneur, de la loyauté et de l'amour de son propre fils. Il avait cru pendant de nombreuses minutes que son fils était devenu un traître, un peureux, un lâche véritable, mais il s'était trompé. Et à cette simple pensée, il se dégoutait. Il espérait que Diego ne sache jamais les sombres réflexions qui avaient suivies son départ pour l'hacienda afin de donner la liste à Vargas. Cela avait du être dur pour lui de se faire passer pour un lâche et un traître aux yeux de tout le monde. Et Alejandro s'en voulait.

« Père, vous venez de vous répéter », avait remarqué Diego quand ils purent enfin se retrouver après la chute de l'Aigle.

« Oh, pardonne moi, mon fils... mais toi aussi, tu as joué un rôle dans cette histoire. »

À ce moment là, il aurait presque regretté ces précédentes paroles. Les yeux de son fils lui disaient clairement : me vois-tu où vois-tu quelqu'un d'autre à travers moi ?

Il aurait du lui dire qu'il était fier de l'avoir comme fils mais ô combien de fois avait-il lancé des horreurs qui avaient du briser le coeur du jeune homme ? Combien de fois Alejandro avait-il envoyé balader son fils quand il s'agissait d'une affaire qui ne requérait pas un érudit de son genre ? Combien de fois avait-il reproché à son fils son manque d'audace et de courage ? Aujourd'hui, c'était aussi clair que de l'eau de roche : il savait désormais que le Diego qui était revenu d'Espagne n'avait pas changé, mais qu'il était devenu un homme responsable qui pensait d'abord aux autres avant de penser à lui-même. Le petit garçon qui agissait par pulsion s'était transformé en un homme qui agissait avec réflexion et ruse.

À partir du moment où le drapeau d'Espagne flotta de nouveau sur Los Angeles, Alejandro de La Vega était certain d'une chose : Diego et Zorro ne faisaient qu'un. Malgré cela, des regrets, des remords et des doutes persistaient dans le coeur du père qu'il était.