Ne meurs pas pour me sauver.
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« Pas toi. »
Un battement de paupières, le temps qui s'écoule.
Qui meurt.
« Si. Moi. »
Le bleu des néons lui emplit les yeux, bleu intense et océanique de son enfance et des grands yeux inoffensifs de Matteo, bleu de vie et de mort, qui noyait tout, sa peur, les sanglots de rage pure qui serraient à présent sa gorge, et son amour – ça lui broyait la poitrine, elle aimait trop pour en vivre davantage –, noyait les murs étroits et les cadavres qui l'entouraient, parce que oui, elle avait certes rendu les armes mais non sans batailler –, noyait son regret d'abandonner cette existence aventurière qui lui était si chère, eux, ses amis qui étaient devenus sa famille, son univers, de ne plus jamais pouvoir - jamais, jamais – les protéger, son impuissance aussi, maudite impuissance d'être ainsi clouée au sol à ne plus rien pouvoir faire d'autre qu'attendre l'inexorable, noyait la sensation effroyablement triste de se savoir observée par lui, ses yeux intenses et savoir qu'elle allait lui manquer.
Judith ne lâcha pas du regard Dario lorsqu'il lui explosa la cervelle – bien qu'elle se trouvait déjà ailleurs.
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Le Visiteur observa trois à quatre secondes ses mains trembler convulsivement. Ses pensées tournoyaient, aussi rapides que brutales et sans logique – et de toute façon, où fouinait la moindre logique dans l'effroyable bordel que formaient leurs missions ? –, ayant perdu tout repère. Il ne réfléchissait plus, il n'était plus que nerfs à vif, rage silencieuse et tristesse, une pesante, voire irrespirable tristesse qui chargeait sans prévenir ses yeux de larmes amères, le poussait à un accès de violence contre un meuble ou bien le rendait amorphe, pas plus expressif qu'un légume.
Il s'était montré naïf, et c'était cette même naïveté qui avait tué Judith.
Lui qui avait tant douté d'elle ces derniers temps, – et à raison – avait placé toute sa foi dans les prouesses physiques de la jeune femme. Qu'importe qu'une pluie de balles gicle son dos ou bien qu'elle saute d'un immeuble en flammes, cette infernale rouquine s'en tirait toujours. A croire que Dieu en personne la protégeait.
Et pourtant, elle le lui avait dit – qu'elle n'allait pas s'en tirer cette fois-ci. Pas seulement avec sa bouche, mais aussi avec l'intensité féroce de ses yeux qui le dévoraient littéralement et ses doigts qui pressaient au plus fort sa nuque lorsqu'elle l'avait enlacé une toute dernière fois.
Qu'elle avait chuchoté au creux de son oreille Ne meurs pas pour me sauver.
Stupidement, il l'avait laissée faire – persuadé de la serrer encore dans ses bras d'ici moins d'une heure, lorsqu'elle pisserait le sang et l'insulterait avec un sourire en coin, mais vivante, putain de vivante.
Matérielle.
Aujourd'hui, il ne lui restait que des souvenirs. Matteo avait emporté son corps il ne savait où et puis… Ç'avait été terminé.
Plus de Raph, plus d'Henry, plus de Matteo, plus de Judith.
Il avait été seul, avec uniquement les zombies, les remords plombant l'intérieur de sa bouche et l'accent belge de Castafolte pour lui tenir compagnie.
Elle n'avait pas trente ans. Elle était pleine de vie et aimait emmerder le monde entier. Elle était fascinante, lunatique, agressive, un peu folle, farfelue, sarcastique, fouineuse, bagarreuse…
C'était terminé.
Tout ce qu'il restait au Visiteur, c'étaient les bribes d'un fantôme qui, lentement, atrocement, lui glissaient entre les doigts à mesure que le temps filait.
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