Chapitre 1
11 Mars 2011.
« Salut, les Geeks. »
Quelques prises, un peu de montage, deux-trois clics, la vidéo est en ligne.
Nous venons d'assister à la naissance d'un nouveau bébé sur la toile : Salut Les Geeks.
1 Mars 2012
« Salut bande de connaaards ! »
Une luminosité dégueulasse, un papier peint étrange, et des blagues un peu nulles, c'est What The Cut qui voit le jour à son tour.
Ces deux Youtubeurs ont aujourd'hui respectivement un et deux millions d'abonnés. Ils présentent un type d'émission plus ou moins semblable, mais ne semblent pas se connaître plus que ça.
Mais si c'était faux ?
Et si Mathieu Sommet et Antoine Daniel se connaissaient bien plus qu'ils n'osent le prétendre ?
Et si nous revenions à l'époque d'avant les émissions, avant leur popularité, avant le strass et les paillettes ? À l'époque où, comme nous, ils se regardaient dans un miroir avec une brosse à dent en guise de micro et chantaient leur chanson préférée en s'imaginant devant une salle de concert remplie de personnes venues juste pour eux.
Penchons nous un peu sur la vie de ces deux hommes, qui sont peut être plus proches qu'ils ne le laissent paraître.
23 Septembre 1988, 7h16.
Alicia Debane, 21 ans, est de mauvaise humeur.
Elle qui n'est pas du tout du matin, il a fallu que le bébé se décide à descendre en plein milieu de la nuit.
Enceinte de neuf mois tout pile, des chevilles aussi enflées que des ballons de baudruches, et des cernes pas possibles sous les yeux, c'est hurlante et rouge de douleur qu'elle débarque à l'hôpital.
Tout est allé très vite, les sages femmes autours d'elle, les médecins, la lumière blanche au plafond, la douleur dans son bas ventre de plus en plus pressante, et puis une déchirure, les hurlements des gens à côté d'elle, la sueur qui perle sur son front tandis qu'elle hurle, et puis enfin le calme, la plénitude, la sensation de se sentir libérée, comme vidée.
On lui pose une petite boule toute rouge sur le ventre, et elle réalise que ces neufs mois de souffrance intense et continus n'ont pas été vains. Elle avait fait un bon travail. Elle tenait sur son ventre le plus beau bébé qui puisse exister en ce monde.
« - Hum… Madame ? Excusez moi, mais il nous faut un prénom.
- Oh, bien sûr. Notez, c'est Lola.
-…. 'Lola' ? Il va y avoir un problème, madame.
- Et peut on savoir pourquoi ? En quoi cela vous regarde-t-il ? C'est encore à moi de choisir l'identité de mon enfant, vous ne pensez pas ?
- … Pardon madame, mais j'insiste, je ne peux pas vous laisser appeler votre petit garçon 'Lola '
- Mon petit ga… HEIN ? »
Alicia soulève son bébé.
Nom de Dieu. Petit con.
Même pas foutu de sortir sous la forme que les medecins lui avaient dit.
« -Voulez vous qu'on appelle le père du petit pour vous aider à choisir ?
-Non. Il n'a pas de père. On se débrouillera sans lui. Notez, ce sera… Mathieu. »
23 Septembre 1998, à Saint Étienne
« Joyeux anniversaaiire Mathieu, joyeux aaanniversaaaire ! »
Alicia, un gâteau au chocolat dans la main s'avance vers son fils qui se précipite pour souffler sa bougie.
Elle tend à son petit garçon un livre, unique cadeau qu'elle a pu se permettre pour ses 10 ans.
Elle ne pouvait pas lui offrir beaucoup plus: elle n'avait pas beaucoup d'argent et le peu qu'elle déboursait c'était pour lui. Son père ne s'était jamais manifesté, ne lui versait aucune pension. Elle n'a plus jamais entendu parler de lui.
Les huissiers sont déjà passés à deux reprises. Elle sait que la prochaine fois sera la dernière. Elle n'a plus de chance.
Elle fait tout son possible pour que son gosse soit heureux, mais il y a des jours où c'est vraiment compliqué. Si seulement elle avait une sorte de marraine la bonne fée, ou un ange gardien…
Drrriiiinnnnnng !
Alicia souffle, elle sent les larmes monter à ses yeux. Elle embrase du regard son modeste appartement, puis se lève pour ouvrir.
« Bonjour messieurs. Je vous en prie entrez… Oui, oui, je comprend.»
Quelques heures plus tard, Alicia se retrouve dans son appartement, vide. Un grand lit, deux chaises, une table.
Rien d'autre.
Le néant, tout simplement.
*.*.*.*
Mathieu rentre dans ce qu'était avant la cuisine. Il ne reconnaît rien. Tout est vide.
Il voit sa maman pleurer. Il a peur.
Des messieurs sont venus dans sa chambre, ils lui ont parlé comme à un gamin de 6 ans.
Il ne les a pas aimé.
Ils ont pris ses affaires, le peu d'affaires qu'il avait, lui laissant uniquement quelques vêtements et son livre.
Il se loge dans les bras de sa mère, et tout deux restent longtemps ainsi, lovés l'un contre l'autre.
Le lendemain, à 7 heures, Mathieu est réveillé par la voix de sa mère. Elle est au téléphone. Il tend l'oreille pour tenter d'entendre à qui elle peut parler de si bonne heure.
« Allô, Rosa ? Oui bonjour, c'est Al. Alicia. Alicia ta cousine. … Oui, moi aussi ça me fait plaisir de t'entendre. Tu vas bien ? … Moi ? Ben... Pas vraiment. En fait, c'est pour ça que je t'appelle.
Voilà, ça fait 10 ans que j'élève seule mon enfant, et je n'ai pas beaucoup d'argent. En fait, non, je n'ai plus du tout d'argent. Je me suis faite licenciée il y a quelques mois. Non, non je ne l'ai pas encore dit à Mathieu. … Oui, il s'appelle Mathieu. Les huissiers sont venus hier, ils me donnent jusqu'à Lundi pour partir. Ils ont tout pris, absolument tout. On est Vendredi et je ne sais pas où aller, je n'ai ni amis proches, ni famille sauf toi. … Le père ? Il nous a abandonné après avoir su qu'il m'avait mise enceinte. Non, plus aucune nouvelle depuis. Il a déménagé, changé de numero, d'adresse mail, et a coupé tout liens possibles avec moi. Est ce que ça te dérangerais de nous loger quelques temps ? … Non bien sûr on ne restera pas une éternité, juste le temps qu'il faudra pour trouver un boulot et un appart. Ok, merci beaucoup, tu peux me passer ton adresse ? … Ok pas de problèmes. Demain ça te va ? … C'est parfait, merci beaucoup, tu me sauves la vie. … Ouais, à demain, bisous. »
Mathieu sort doucement de son lit.
« -Maman… Maman, ça veut dire quoi licencier ?
-C'est rien mon chéri, retourne te coucher. Demain on part d'ici, d'accord mon petit ange ? Tout va bien. »
Mathieu retourne donc dans son lit, sans arriver pour autant à se rendormir.
Lundi 27 Septembre 1998
Mathieu est tout seul au milieu de la cour, perdu au milieu de ces enfants qu'il ne connaît pas. Tout ici lui fait peur, l'immense bâtiment, les plus grands qui jouent au basket, les profs aux yeux de hiboux.
Il se fait bousculer, il tombe, on lui marche sur la main, personne ne s'excuse, personne ne semble le voir. Il est invisible aux yeux des autres. Et il se sent vulnérable, si vulnérable…
Par terre, seul, petit, il baisse les yeux.
De chaudes larmes coulent sur ses joues.
Quelques gamins se regroupent en cercle autours de lui comme si c'était une bête furieuse. Ils commencent à lui lancer des boules de papiers, à l'insulter de fillette, et autres vacheries plus bêtes que méchantes que se lancent les enfants à cet âge.
Un éclair fend le groupe et s'interpose entre Mathieu et les autres élèves.
Un môme d'à peu près son âge, plutôt grand et maigre, style « asperge » et avec une touffe de cheveux hallucinante.
Les hurlements des élèves redoublent : on se moque, on s'insulte, on crie.
Le directeur est obligé d'intervenir pour stopper l'émeute autours des deux enfants.
La cloche sonne, on rentre en cours.
Mathieu rentre dans sa classe. Il sent le regard pesant des autres élèves sur lui, et entend quelques ricanements fusant derrière lui au fur et à mesure qu'il s'avance.
Il n'y a plus qu'une chaise de libre dans toute la classe.
Coïncidence ou non, cette chaise est justement celle voisinant avec l'asperge touffue qui l'avait défendu tout à l'heure.
Il s'installe à côté de lui, dépose ses affaires.
Il sent le regard de son nouveau voisin posé sur lui.
Il rougit, et lui adresse un presque inaudible « Merci. »
Il reçoit pour toute réponse un éclatant sourire, suivit d'un « C'était rien. »
Le cours passe, il tente comme il peut de rattraper son retard. Mais arriver au milieu du mois de septembre, c'est difficile.
Ça sonne, les élèves rangent leurs cahiers et sortent en courant et en criant.
Calme dans la classe.
Il ne reste plus que Mathieu et son voisin.
« Je m'appelle Antoine. Tu veux que je vienne chez toi pour t'aider à rattraper les cours que tu as manqués ? »
Mathieu lève les yeux, surpris. Et accepte.
