Heureux. Très heureux. J'ai peur de me tromper en disant qu'il avait les larmes aux yeux. Il était heureux. Deux regards croisés, vides, trompeurs, faussement sincères. Deux mains en contact froides et fuyantes comme la peste. Et il était heureux comme un enfant. J'ai essayé de l'être aussi. J'ai fait tout mon possible et, à mon désespoir, j'ai essayé de prétendre l'être, mais rien. Je n'ai pas pu partager son bonheur, son sourire. Je n'ai pas pu partager ses mots. Des mots invisibles, étourdis, cherchant leur chemin vers lui comme un fou cherche des bras pour s'y jeter, s'extasier. Des mots sourds dans un monde qui parle trop et n'écoute jamais. Des mots étouffés dans un monde qui a perdu le plaisir de respirer à pleins poumons. Des mots mourants dans un monde où on ne vit que pour tuer et où on tue pour vivre. J'ai attendu mon tour et tu es venu. J'ai passé chaque nuit depuis à prier pour que tu sois celui qui fera revivre la flemme qui essayait d'illuminer ma vie en vain. Elle avait besoin que tu sois le souffle qui la fasse flamber, besoin que tu sois les mains qui la maintiennent toujours brillante, les yeux qui se fascine de sa lumière, le cœur qui se réchauffe de sa chaleur. Je priais de toutes les forces que j'arrivais à atteindre, et celles qui restaient hors de ma portée se précipitaient comme une pluie torride à chaque fois que ton image se penchait sur mon âme assoiffée.
J'étais invisible, transparente, lucide, comme je l'ai toujours voulu. Je l'ai vu au loin, arriver, approcher, m'ignorer, passer, s'en aller, disparaître. J'étais encore plus intangible que dans mes rêves les plus fous. Cette fois, ce n'était plus un rêve, mais un cauchemar, une réalité. Pourtant, c'était une réalité que je ne voulais pas changer, un cauchemar que je ne cherchais pas à terminer. Peu m'importait que je sois visible à ses yeux. Je n'ai pas essayé de faire partie de son monde, de m'y faire une place. J'y ai tenté quelques clins d'œil discrets. J'y ai vu un monde qui m'a déçue, dégoûtée. Je le voyais autrement derrière ses grands sourires. Derrière ses pas précipités et ses regards amusés, je le voyais pour la première fois. Si bien entouré, si passionnément aimé, tant désiré. J'étouffais au moindre pas vers lui. L'air qui l'entourait m'était irrespirable, anémiant et empoisonné. J'étais un pion dans un jeu d'échec mal commencé. J'avais cette envie de briser toutes les règles et me retirer de la partie les bras grand ouverts aux quatre vents. La liberté n'a jamais été aussi douce, aussi sucrée, aussi fondante sur ma peau. Je me suis envolée, et je l'ai laissé tout en bas. Il me paraissait si petit, drôlement petit que j'avais du mal à le reconnaître parmi tous les autres. Son visage tourbillonnait, se perdait dans le tumulte de gens trop précipités, affolés, piteux. Pour la première fois, il faisait partie des gens, des autres. Un autre tout comme les autres.
Heureux, tu l'étais, j'ai appris à l'être. Tu n'as pas pu le rester, j'ai su le devenir. Et mon bonheur continuera. Et ma vie continuera, belle, plus belle que jamais.
Une folle en convalescence.
