Spoil sans conséquence sur les ch215-227

Palabres : Hello-o ! Chose promise, chose due. Je m'excuse d'avance pour la parution irrégulière ^^' Bonne lecture et n'hésitez pas à me reprendre, je débute sur le fandom !


Chapitre 1 : Teiko


Il avait l'impression de s'être fortuitement exposé aux larmes furieuses et changeantes d'une averse de printemps tant il avait transpiré. Une goutte glissa entre ses deux sourcils, lui chatouilla l'arête du nez et bifurqua sous son œil avant de dévaler sa joue. Kuroko essuya à l'aide de son bracelet-éponge la sueur agglutinée sur son menton. Son souffle était court, ses poumons calcinés et ses jambes flageolantes. Il ne vomissait plus aux entraînements de l'équipe principale de basketball du collège Teiko même si les menus avaient doublé d'intensité depuis l'année passée. Cependant il n'y avait pas de quoi s'enorgueillir non plus : une minute de plus et il tombait dans les pommes. Les autres n'avaient même pas l'air affecté : Midorima s'étirait consciencieusement, à peine essoufflé, Akashi cueillait les dernières informations utiles auprès de Momoi, Murasakibara était déjà dans les vestiaires, sûrement en plein dilemme alimentaire – salé ou sucré ? – devant son garde-manger et Aomine aurait même été d'humeur à remettre ça s'il n'avait pas encore séché l'entraînement pour arrêter de devenir plus fort. Kuroko tituba vers le banc et parvint à s'assoir dessus sans le manquer.

— Tiens, Kuroko-chi, bois, tu te sentiras mieux après ! lança Kise, tout sourire et poussière d'étoiles, en lui tendant la gourde dans laquelle il venait tout juste de boire.

Le joueur fantôme considéra la gourde et son propriétaire du regard avant de répondre :

— Tu me vois au regret de décliner ta proposition, je n'ai nullement l'intention de goûter ta salive.

Ce disant, il se leva et tenta de regagner dignement les vestiaires. Ses mouvements étaient maladroits à cause de la fatigue et de ses courbatures. Il se demandait comment il pouvait encore tenir debout après ces trois années passées dans l'équipe principale : il y avait eu les entraînements de la mort, la pression toujours plus accablante de la victoire, le départ précipité de Nijimura, le cas Haïzaki et le déploiement progressif des talents de ses coéquipiers qui avait commencé à les changer. En toute honnêteté, il commençait à entrevoir ses limites mais endurait vaillamment pour accomplir la promesse qui le liait à son vieil ami.

— T'es trop méchant, Kuroko-chi, chouina Kise dans une cascade de larmes de crocodile. J'ai pas la gale ! se récria-t-il en le suivant dans les vestiaires.

L'ignorant avec toute la froideur dont il était capable, Kuroko se réhydrata au goulot de la bouteille d'eau qu'il avait laissée dans son sac de sport sans faire grand cas de la nudité de Murasakibara, qui sortait de la douche une sucette à la bouche. Le géant lui tapota le dessus de la tête et lui tendit silencieusement un bonbon avant de commencer à s'habiller.

— Merci.

La fraise n'était pas son parfum préféré mais un peu de sucre dans son organisme ne lui ferait pas de mal.

— Hey, pourquoi tu acceptes les cadeaux de Mura-chi et pas les miens ? bouda Kise en retirant son tee-shirt.

— Parce qu'il me préfère, répliqua Murasakibara sur le ton de l'évidence.

Et parce qu'ils n'ont pas traîné dans ta bouche, se retint d'ajouter Kuroko. Il n'était pas sûr que Kise se remette d'une telle vanne.

— Quoi ! C'est pas possible ! Kuroko-chi, dis quelque chose ! implora Ryôta, torse nu, les yeux humides, en empoignant les épaules de Kuroko.

— « Quelque chose. »

Murasakibara gloussa. Kuroko eut beaucoup de peine à rester impassible face à l'expression de petit chiot malheureux de son vis-à-vis. Il voyait presque des oreilles canines et touffues s'affaisser de déception.

— Un milk-shake à la vanille...

— Quoi ?

— Si tu m'offres un milk-shake à la vanille de chez Maji-Burger, je le boirai, précisa Kuroko.

— D'accord, on y va tout de suite, juste après la douche ! s'enthousiasma le copieur de technique en se débarrassant du reste de ses vêtements.

Kuroko fit mine de rechercher activement son téléphone dans son sac tout le temps que Kise ôtait ses habits de sport afin de conserver le mannequin dans son angle mort. Il maîtrisait la méthode à force de l'appliquer tous les jours. Comme une mécanique bien huilée, il mit la main sur l'appareil au moment exact où Kise passa dans les douches. Kuroko voulait lui aussi sentir les bienfaits de l'eau chaude sur sa peau, seulement pouvait-il conserver sa poker face avec Kise nu juste à côté ? Déjà qu'avec des vêtements, il salivait inconsciemment sur sa peau de pêche, sa carrure athlétique, ses yeux en amande pleins de charme, ses sourires mutins et manquait de se liquéfier devant ses larmes, même lorsqu'elles étaient feintes, il était certain qu'à un moment ou à un autre son corps le trahirait. Comment rester de marbre quand les gouttelettes d'eau faisaient luire chaque renflement musculeux de son corps, se fondaient dans sa chevelure, baisaient ses cils et se pâmaient à ses pieds ? Kuroko tenta d'imaginer la sensation qu'il éprouverait en étant enfermé dans une vierge de fer pour apaiser ses ardeurs. Il dit au revoir de la main à Murasakibara alors qu'il quittait le vestiaire avec une pile de tuiles salées impressionnante dans la bouche.

— Pourquoi tu ne me rejoints pas, Kuroko-chi ? Je sais que tu es pudique mais tu ne faisais pas autant de manières avant !

Avant, avec les pitreries d'Aomine, tout ce qui pouvait s'apparenter à de la tension était invariablement éteint.

— Si tu continues d'insister autant je vais croire que tu as envie de me voir nu... rétorqua sans la moindre émotion le joueur fantôme.

— Hahahaha ! Oups, démasqué ! plaisanta Kise.

Tetsuya enfouit les rougeurs de son visage dans les paumes de ses mains.


Kuroko aimait les milk-shakes à la vanille. Il pouvait en boire tous les jours sans éprouver dégoût ou lassitude. Le goût frais et agréable, toujours semblable et toujours un peu différent ne le décevait jamais. Pourtant, ce soir là restait dans sa bouche un arrière-goût amer. La salle du Maji-Burger était pleine de jeunes et de moins jeunes. Se bousculaient les lycéens branchés, les salarymen pressés, les étudiants fauchés et les familles avec de jeunes enfants encore sensibles à la magie de l'endroit. Par miracle, Kuroko était parvenu à trouver une table pour deux sans que son manque de présence ne lui cause de désagréments fâcheux, comme la fois où il savourait tranquillement son milk-shake préféré et que, ne l'ayant pas vu, une dame avait failli s'assoir sur lui.

— Voilà, princesse, ton milk-shake, lança Kise avec bonne humeur en déposant le plateau sur la table.

En guise de remerciement, Kuroko lui envoya discrètement un coup de pied dans le tibia. Kise étouffa une plainte.

— Okay, plus de « princesse », j'ai compris, adressa-t-il aux yeux furieux de son équipier.

Kuroko saisit sa boisson et coinça la paille entre ses lèvres tandis que Kise grignotait ses frites, absorbé par quelque contemplation lointaine. Il semblait regarder le défilé des passants dans la rue de l'autre côté des immenses baies vitrées du restaurant, mais Kuroko savait qu'il ne les voyait pas, tout comme il ne percevait pas la rumeur sourde des clients alentour. Il avait ce regard aiguisé qu'il ne revêtait que rarement et qui laissait entrevoir sa seconde personnalité, profonde, affirmée et magnétique. Si jamais Kise venait à user de ces yeux-ci sur lui, il pourrait lire, inscrite en lettres capitales sous sa peau, l'intégralité de ses secrets inavouables. Le frisson qui sinuait le long de la colonne vertébrale de Kuroko se calma lorsque les iris d'or de Kise retrouvèrent leur légèreté insouciante.

— Je dois te dire quelque chose, Kuroko-chi...

Le susnommé haussa un sourcil interrogatif témoignant de son intérêt.

— Je suis amoureux...

L'aveu fut prononcé dans un sourire béat, candide et adorable. Les pommettes rosées de bonheur de Kise tranchaient avec la pâleur soudaine de son vis-à-vis. L'angoisse de Kuroko était perceptible dans le poing tremblant qu'il dissimulait sous la table. Inévitable, il savait que ce moment l'était. Kise n'était jamais resté célibataire plus de huit heures. Il ne refusait jamais les avances d'une fille pour peu qu'elle possède un minimum de charme et il fallait bien qu'il succombe un jour aux traits de l'amour.

— Et donc ? demanda Kuroko avec le plus de détachement possible.

— Ne sois pas si froid, rit doucement Kise.

Et le chatoiement cristallin de son rire sonnait à ses oreilles comme le grésillement fumeux de la chair cuite au fer rouge.

— Je suis sérieux cette fois, alors, forcément, je suis un peu lâche... J'ai l'intention d'avouer mes sentiments après le tournoi national. Je compte sur l'euphorie de la victoire pour avoir un peu de courage...

Quelle blague ! Kise ne se montrait jamais aussi humble et surtout pas en amour. Il obtenait sans peine toutes les filles qu'il pouvait convoiter son statut de génie du basketball couplé à celui de mannequin le rendait pratiquement irrésistible. La poitrine de Kuroko se serra comme si son organe cherchait à se réduire lui-même en miette pour mettre fin à ses souffrances. Si même Kise doutait, alors impossible de prendre ses sentiments à la légère. Kuroko ne voulait pas en entendre davantage.

— C'est bien pour toi. Bonne chance, répondit-il en sirotant son milk-shake fadasse.


Le regard que Shigehiro lui avait lancé après le tournoi national avait brisé l'enveloppe minérale qui ceignait son cœur, comme si le tourment et le désespoir qu'il y avait lus s'y étaient condensés en une solide pointe brise-glace. Si la victoire procurait ce genre de sensations, alors Kuroko aurait préféré rester sur son lit de convalescent et ne se réveiller qu'à la fin de l'année scolaire. Ses coéquipiers avaient commis un outrage terrible et il ne se sentait pas la force de le leur pardonner. La troisième victoire consécutive de Teiko au championnat national semblait emplir de joie tout le monde excepté les sportifs qui l'avaient emportée. Le retour au collège s'était fait dans un silence lourd de déception et d'accusations muettes. Midorima avait la décence de se sentir honteux quand tous les autres jugeaient être dans leur bon droit. Même Kise n'avait pas compris, comme si son humanité s'était fait broyer par les rebonds du ballon de basketball. Kuroko mit à profit son don pour la disparition pour s'éclipser du repas de la victoire que leur offrait le club. À l'instar de l'ombre qu'il était, il n'aspirait qu'à se fondre dans l'oubli et le néant. Alors qu'il tournait dans une ruelle pour rejoindre la gare, il sentit néanmoins la traction brusque d'une poigne puissante sur son épaule.

— Kuroko-chi, attends...

Ses yeux bleus sévères et intransigeants se posèrent froidement sur Kise.

— Je suis désolé pour ton ami, s'excusa-t-il, penaud.

— Qu'est-ce que ça peut faire ? répliqua Kuroko, tremblant.

Le mal était fait de toute façon.

— Pas grand-chose, j'en ai conscience, concéda Kise. Je veux juste pas... que tu me détestes.

Est-ce que Kuroko détestait Kise ? Il n'avait jamais éprouvé d'émotion extrême. Ce qu'il avait ressenti à son contact s'était-il dissipé à cause d'une seule action mauvaise ? Kuroko était perdu. Le sens s'était enfui quelque part. Il ne saisissait pas la signification de cette main posée sur son épaule, du regard à la fois doux et affolé que Kise lui adressait et des battements anormalement rapides de son cœur. Non, il ne le détestait pas, pire, il avait envie que ses bras se referment sur lui et l'aident à chasser la douleur qui transitait à circuit ouvert dans son organisme.

— Pardon, mais si tu me montres ce genre d'expression, je...

Ce que les yeux de Kise découvraient le retournait à l'intérieur et excitait ses instincts de mâle protecteur. Comment pouvait-il résister à son regard humide et aux messages de détresse que lui renvoyait tout son corps. Il s'agissait de Kuroko, bon sang ! Le Kuroko indéchiffrable, inexpressif, froid, maître de lui-même, digne même quand la situation ne le mettait pas en valeur. Et ce même Kuroko, devenu infiniment vulnérable, le réclamait sans même s'en rendre compte.

— Merde !

Kise serra Kuroko de toutes ses forces contre sa poitrine et lui caressa le dos de haut en bas avec lenteur pour le tranquilliser. Son corps se réchauffa insidieusement. À chaque fois qu'il inspirait l'odeur de Kuroko, sa température interne montait d'un degré. Lorsque sa respiration frôlait son cou, son rythme cardiaque s'accélérait. Et quand, s'abandonnant à la faiblesse, Kuroko empoigna fermement sa veste de survêtement au niveau des hanches, il crut mourir d'hypertension. N'étant plus en mesure de réfléchir, Kise laissa ses instincts mener ses actions. Dans un mouvement qui tenait du réflexe, il s'écarta de Kuroko, s'inclina vers lui tout en lui remontant le menton. La seconde d'après, ses lèvres étaient sur celles du joueur fantôme. La seconde suivante, le poing de Kuroko était sur sa joue.

— Qu'est-ce que tu crois faire ? gronda-t-il, hors de lui, dans la limite de son expressivité.

De l'avant-bras, il s'essuya frénétiquement la bouche tandis que Kise se frottait la joue pour faire passer la douleur.

— Excuse-moi, mon corps a bougé tout seul. Tu avais l'air tellement...

— Tellement quoi ?

Kise recula d'un pas, apeuré.

— Je sais pas ! J'ai cru que tu allais pleurer, j'ai pas pu m'en empêcher, d'accord ?

Kuroko expira longuement pour se calmer.

— Pour quelqu'un qui a peur que je me mette à le détester, tu sais y faire, lança-t-il avant de ramasser son sac de sport et de filer.

Il ne se retourna pas une seule fois en dépit des appels de Kise dans son dos. Que cette journée s'arrête enfin ! Il n'aspirait qu'à son lit et deux litres de milk-shake à la vanille... Du bout des doigts, Kuroko effleura ses propres lèvres. Kise avait eu son premier baiser.