Je ne possède pas Numb3rs. Cette histoire est une fiction.

Cette histoire, parallèle à "L'ombre d'un remords" a été écrite à quatre mains avec Juliabaku. J'indiquerai au début de chaque chapitre ceux qui sont son oeuvre.


CHAPITRE I

Maison des Eppes

- Attends Charlie, ça ne tient pas debout !

- Ah non ? Explique-moi pourquoi, vas-y, je t'écoute !

- Et bien d'abord…

Alan poussa un profond soupir et commença à débarrasser la table. Et c'était reparti pour un tour ! Ses deux fils se disputaient à nouveau à propos d'il ne savait trop quelle théorie, l'un étant d'un avis et l'autre, évidemment d'un avis contraire. Au passage, il leva des yeux résignés vers le portrait de Margaret : décidément, leurs deux garçons ne seraient jamais sur la même longueur d'onde ! Derrière lui, le ton montait.

- Oh oh oh ! Maintenant ça suffit les garçons ou je vous prive de dessert !

Interrompus net dans leur querelle, les deux frères échangèrent un regard d'abord interloqué à la remarque de leur père, puis l'amusement céda le pas à l'étonnement et ils rentrèrent dans le jeu d'Alan.

- Ah non ! Pas question que je sois privé de dessert à cause de lui ! attaqua Don, rieur.

- Comment ça à cause de moi ? protesta Charlie. C'est toi qui as commencé !

- Non, c'est toi !

- Non ! Papa ! Dis-lui toi que c'est lui qui est en faute !

- Ah non ! Moi je suis neutre ! rétorqua Alan en levant les mains en signe de défense.

- Ca, c'est trop facile ! lui reprocha Charlie, véhément.

- Peut-être, mais c'est comme ça mon petit !

- D'ailleurs, reprit Don, trouvant un nouveau moyen de contredire son frère, rien que pour le plaisir de le faire, qui a dit que la neutralité était une position facile à tenir ? En ce qui me concerne, je pense que c'est peut-être bien plus dur que de s'engager.

- Voyons, tu ne peux pas dire ça, s'emballa aussitôt Charlie.

Alan leva les yeux au ciel : décidément, rien n'arrêterait ses deux garçons déchaînés. Mais il n'était pas inquiet, il entendait le rire dans leurs voix : une dispute pour rire, juste pour le plaisir de s'opposer une fois de plus, d'aiguiser leurs esprits respectifs aux dépens de l'autre, et peut-être avoir le plaisir de triompher dans ces joutes verbales qui les opposaient quotidiennement. Mais la sonnerie du portable de Don retentit, coupant net Charlie dans la démonstration qu'il était en train d'élaborer.

- Eppes, j'écoute !

Le silence se fit aussitôt dans la salle à manger tandis que Don écoutait attentivement son correspondant. Il jeta un coup d'œil à sa montre et se leva en disant :

- D'accord, je serai là dans vingt minutes.

Puis il ferma son portable d'un coup sec et le raccrocha à sa serrure avec une moue de déception.

- Désolé, p'pa, garde-moi du dessert tu veux ?

- Dans tes rêves, attaqua aussitôt son cadet. Je vais tout manger oui ! Ca t'apprendra à quitter la table avant la fin du repas ! Non mais quelle éducation !

- Je te signale que nous avons eu la même, répondit son frère du tac au tac.

- Oui, mais chez moi elle a porté ses fruits au moins !

- Toi, tu ne perds rien pour attendre !

- Je suis mort de trouille !

Au moment de passer le seuil, Don se retourna une dernière fois vers eux.

- Tu veux m'accompagner Charlie ?

- J'aimerais bien, mais je dois finir de corriger une vingtaine de devoirs pour demain matin, alors…

- Dégonflé !

- Comment ça dégonflé ?

- Oui, tu ne viens pas de peur que je te démontre que tu avais tort.

- Ben voyons. Je ne viens pas pour ne pas t'écraser de honte, cher grand frère. C'est uniquement ma mansuétude naturelle qui parle.

Don partit d'un grand éclat de rire et referma la porte en disant.

- Bon, ben à tout à l'heure. Et gardez-moi du dessert !

Charlie et Alan rirent de bon cœur en le regardant s'en aller. Il paraissait tellement en forme, tellement gai, lui qui semblait si souvent préoccupé, en proie à de sombres pensées.

- Bon fiston : alors, on se le mange ce dessert ? interrogea Alan.

- Et comment !

- Et tu me feras le plaisir de laisser la part de ton frère ! avertit sévèrement le père.

- Oh papa ! Ca, ça n'est pas juste ! gémit comiquement le mathématicien.

Ils se sourirent, amusés, sachant l'un comme l'autre que Charlie ne priverait jamais son frère de la part qui lui revenait : il serait plutôt du style à lui laisser la sienne en plus. Alors qu'ils s'apprêtaient à déguster leur dessert, un bruit formidable les cloua sur place, suspendant leurs gestes, tandis que la maison se mettait à trembler. Une vitre vola en éclats.

- Qu'est-ce que c'est ? cria Charlie inquiet. Un tremblement de terre ?

- Non, on aurait plutôt dit une explosion, objecta son père.

Il avait à peine fini sa phrase qu'ils se regardèrent, affolés, transpercés en même temps par la même idée atroce et chacun d'eux lut dans le regard de l'autre le doute monstrueux qui l'habitait soudain. D'un même élan, ils se levèrent et se ruèrent sur la porte.

Le cœur de Charlie battait la chamade et son esprit en ébullition n'arrivait qu'à émettre en boucle une sorte de prière : « Non, non. Ce n'est pas possible. Quelles sont les probabilités pour que… Non, non… »

Et puis la vérité leur explosa soudain à la figure. Au bout de la rue, à à peine cinquante mètres de là, un véhicule était en train de brûler, soufflé par une monumentale explosion. Autour, les gens se redressaient, hébétés et un homme appelait au secours auprès d'un corps à terre. Il leur sembla que le monde se figeait tandis que leur sang se glaçait dans leurs veine : ce véhicule, ou plutôt ce qu'il en restait, c'était celui de Don.

« Don, Donnie ! Non ! Non ! » Charlie commença par murmurer ces mots, en se dirigeant à pas lent, tel un somnambule, vers la carcasse calcinée. Et puis, au fur et à mesure qu'il approchait, son pas s'accélérait jusqu'à la course, et, dans le même temps, son murmure se faisait plus fort, jusqu'à devenir cri, jusqu'à devenir un hurlement jailli du plus profond de lui. Non ! Pas ça ! Pas son frère ! Pas sous ce magnifique soleil de fin du jour, alors que tout leur souriait.

La chaleur dégagée par le brasier était insupportable et pourtant, il essaya de se jeter en avant : il devait faire quelque chose, il devait arracher son frère à cet enfer. Peut-être qu'il était encore temps ! Trois hommes se jetèrent sur lui, l'empêchant d'aller plus loin. Il se débattait farouchement en criant

- Laissez-moi passer, c'est mon frère ! C'est mon frère ! Je dois le sortir de là !

- C'est trop tard monsieur, il est mort ! Il est mort ! lui rétorqua l'un des trois hommes qui le maintenaient à grand peine.

- Non ! Non ! Il n'est pas mort, il n'est pas mort ! Laissez moi passer !

Le désespoir lui donnait une force surhumaine et il réussit à se libérer de l'étreinte qui le retenait au sol. Il s'élança à nouveau. Mais soudain une autre silhouette se dressa devant lui et il s'arrêta net.

- Non Charlie. Non, ça ne sert à rien, ça ne sert à rien.

D'un seul coup, toute sa colère tomba pour laisser la place à un désespoir infini. C'était son père cet homme qui se tenait devant lui, le visage ravagé par les larmes, les mains tremblantes, le dos courbé déjà sous un poids qui ne le quitterait plus jamais : c'était son père qu'il avait presque de la peine à reconnaître tant il était transfiguré par le chagrin. Et il l'évidence s'imposa alors à lui comme un coup de poignard.

Il s'effondra en sanglotant dans les bras de son père.

- Non papa ! Non ! Pas Donnie ! Pas Donnie !

Alan le serrait désespérément contre lui. Il se sentait tomber dans un puits sans fond fait de douleur, de révolte, d'incompréhension. Son fils, son petit garçon à lui, son rayon de soleil, ne passerait plus jamais le seuil de la porte, plus jamais il ne verrait son sourire, plus jamais il n'entendrait ce rire qui résonnait encore à ses oreilles quelques minutes plus tôt.

« Noonn ! » Son hurlement de douleur monta vers le ciel clair et il étreignit plus étroitement encore Charlie, le seul enfant qui lui restait maintenant, sa seule famille. Crucifiés, les deux hommes regardaient ce qui avait été la voiture de Don finir de brûler. Ils n'entendaient pas les personnes qui les entouraient leur parler, tenter de les éloigner de l'atroce spectacle ils n'entendaient pas les policiers qui arrivaient sur les lieux et commençaient à délimiter un périmètre de sécurité. Ils ne voyaient et n'entendaient plus rien. La seule vision qu'ils avaient, c'étaient ses flammes qui mouraient, dans lesquelles il leur semblait distinguer le visage tant aimé le seul son qui leur parvenait, c'était celui de son éclat de rire au moment où il les avait quitté.

- Tu veux m'accompagner Charlie ?

Il ne pourrait plus jamais, plus jamais l'accompagner ! Il se laissa tomber à terre : ne plus parler, ne plus bouger, ne plus respirer. Quelque part, très loin, il entendait une voix qui l'appelait. Il ne voulait pas y répondre, non. Tout ce qu'il voulait, c'était rester là, près de son grand frère.

- Tu veux m'accompagner Charlie ?

- Oui, oui Donnie. Je veux t'accompagner, je viens avec toi, attends-moi.

La voiture finissait de brûler dans le début de soirée torride. Charlie était étendu au sol, sans connaissance. Alan se tenait assis près de lui, incapable du moindre geste, de la moindre réaction. Les flammes se consumaient et avec elles c'était toute l'âme de la famille qui partait en fumée.


CHAPITRE II

Bureaux du F.B.I.

-Bon sang, il en met du temps, s'impatienta David en regardant sa montre.

- Il était où ? demanda Colby.

- Chez Charlie. Il m'a dit qu'il arrivait.

- Il faut tout de même une vingtaine de minutes pour venir de là-bas, temporisa Liz.

- A peu près oui, confirma David. Justement, ça va faire trois quarts d'heure !

- Il y avait peut-être de la circulation, supputa Nikki.

- Quoi ? A cette heure-là ?

- Pourquoi pas ? appuya Liz. Ou bien un accident.

- Bon, je le rappelle, décida Colby, on verra bien.

Il appuya sur la touche raccourci et, après quelques secondes, il raccrocha

- C'est sa boîte vocale.

Une ombre passa sur le visage de David. Liz lui demanda :

- Quoi ? Ne me dis pas que tu es inquiet ?

- Non, bien sûr, c'est juste que…

A cet instant, son portable sonna et il décrocha. Ses collègues virent son visage se contracter violemment tandis qu'il acquiesçait aux propos de son correspondant.

- D'accord, tenez moi au courant. J'attends vos précisions.

Sa voix était dure et l'équipe autour de lui était impatiente de savoir ce qui motivait sa réaction.

- Qu'est-ce qui se passe ? demanda Colby.

- Un appel de la police au standard. Apparemment un de nos agents vient d'être tué.

- Quoi ? Qui ? Où ça ?

- On n'a pas encore les détails. Le flic qui a appelé était apparemment un bleu plutôt secoué. Il semble qu'on ait piégé le véhicule du collègue.

- Mais comment savent-ils que c'est un agent du F.B.I. ?

- Je ne sais pas au juste. La famille je crois, ou les voisins. Ils nous rappellent dès qu'ils ont plus de détails.

Justement le téléphone sonnait et David décrocha de nouveau, fébrile, tandis que les trois autres se massaient autour de lui, tentant de surprendre des bribes de conversation, leurs cerveaux en ébullition ressassant sans arrêt les mêmes questions : quel était l'agent qui avait été tué ? Le connaissaient-ils ?

Et puis, ils virent David blêmir et chanceler, sous le coup d'une émotion profonde.

- D'accord, merci, nous arrivons, dit-il d'une voix blanche.

Il raccrocha et, au regard qu'il leur lança, ils comprirent. Mais Liz ne voulait pas y croire et, souhaitant par-dessus tout s'entendre dire autre chose que la vérité, ce fut elle qui questionna.

- Alors, qui est-ce ?

Ses yeux se posèrent, tour à tour, sur chacun de ses coéquipiers et ils virent que des larmes y brillaient. Liz insista : elle savait, mais elle avait besoin de se l'entendre dire.

- David ? C'est qui ?

- C'est Don.

Il avait eu de la peine à obliger les mots à franchir la barrière de ses lèvres tremblantes. Durant quelques instants, ils restèrent tous figés, incapables de parler, incapable même d'une pensée cohérente. Pas Don, non ! Pas ce chef parfois si intransigeant, mais toujours juste et plus dur avec lui-même qu'il ne l'était avec eux. Pourquoi, parmi les dizaines d'agents que comptait le bureau de Los Angeles avait-il fallu que ce soit lui ?

Et puis, soudain, ils retrouvèrent leurs réflexes professionnels et, d'un même élan, ils quittèrent le bureau pour se précipiter chez Charlie, là où on venait de leur confirmer que le véhicule détruit dans l'explosion était celui de l'agent spécial Don Eppes et que celui-ci était au volant quand tout s'était embrasé : il n'y avait aucune chance qu'il ait pu survivre.