La véritable fin de Prison Break
Ou réfutation de la monade leibnizienne
co-écrit avec le très déjanté Laus
Il avait senti qu'on saisissait fermement le devant de son tee-shirt, et la langue de Maytag entre ses lèvres piégées par la surprise. Tiré en avant, il avait dû prendre précipitamment appui sur une main pour ne pas se vautrer lamentablement dans ses bras ; l'autre avait claqué sur le poignet de son protégé lorsque ses doigts s'étaient refermés autour, mais sa position instable ne lui avait pas permis de se débattre assez efficacement pour sauver la chasteté de cet organe qu'il avait d'ordinaire trop bien pendu. Tweener aurait probablement résumé la situation en disant qu'il s'était fait rouler le patin d'une vie de quarante piges – caractérisée par une grande parcimonie amoureuse mais tout de même… venant d'un mioche de vingt deux ans, la chose était plutôt vexante. Son mignon s'était rapidement retiré et lui avait souri derrière la lame de rasoir qu'il tenait à présent entre ses lèvres. Il l'avait prise entre ses doigts et avait haussé les épaules :
- Un petit fantasme stupide que j'avais…
T-bag s'était efforcé de garder contenance malgré le traumatisme qu'il venait de subir. Quelque chose de très raffiné, de très neuf et de très frais irradiait au fond de lui. Jusqu'à présent, il n'avait fait que déployer par ses actes le péché de son père. Ses velléités de rédemption passées n'avaient été qu'un premier sursaut de son essence, révoltée contre les prédicats que sa monade lui imposaient. Ce sursaut n'était cependant resté qu'au stade embryonnaire, car Hollander l'avait aimé pour qui il était, et non pas ce qu'il était. Or, aussi paradoxal que cela puisse paraître, on ne pouvait prétendre aimer T-bag qu'en chérissant ce qu'il était, en plus de simples traits de caractère. Ce baiser qu'il venait de recevoir goûtait, adorait et rassurait des horreurs connues, des tortures et des crimes abominables. Il l'avait bouleversé en ce qu'il était parfaitement conscient. Ce baiser enthousiaste et averti avait donné sa bénédiction à son être tout entier, sans aucune restriction, et c'était justement cela qui avait mis Theodore en face de la relativité de sa condition.
Il y eut comme un flottement dans l'air. Le temps se contracta l'espace d'un instant. Au loin la lourde masse de Jaz Hoyt retomba progressivement sur le sol, ses lourds paliers de chair vibrant successivement à mesures que le choc s'amortissait dans tout son corps, le tout se concluant par un splendide tremblotement convulsif digne d'une gélatine britannique. Le biker rata de peu son switch contre l'équipe renoi. Dominic Purcell, alias Lincoln Burrows, poursuivit son "beuh" hardiment introduit, ses sourcils bovinement écarquillés sur son regard de grand singe courroucé fixant le ciel avec un air grognon. Il y avait aussi quelque chose d'amphibien dans la façon dont cet homme attendait l'orage, il avait d'ailleurs autrefois été homme grenouille dans une équipe de recherche de saphirs dans une fosse sceptique près du Canal de Panama. Puis les tremblotements du ventre de Jaz Hoyt reprirent leur fréquence normale, la rupture de phase occasionnant une forte poussée énergétique compensatoire qui projeta Hoyt haut dans les airs. Pour la même raison Michael Scofield se retrouva immédiatement téléporté dans la cellule 40 de la prison de Fox River, plusieurs paquebots sombrèrent dans divers océans, une famille de chinois accablée par la famine se retrouva détentrice du record mondial d'alpinisme et tous les détenus du pénitencier de haute sécurité d'Oswald purent s'échapper dans la plus grande zizanie.
Theodore décolla non sans mal ses lèvres de celles de son giton bien décidé à les lui monopoliser et tâcha tant bien que mal de maîtriser les ruades de son mignon. Celui-ci finit par tarir ses protestations pour le considérer avec une certaine déception. Mais bientôt l'étonnement s'empara du jeunot qui perçut pour la première fois la peur dans les prunelles si souvent froides de son maître. Ce dernier le dévisagea à son tour, son visage froissé cerné par l'incompréhension, ce à quoi Maytag répondit par une lueur d'indécision qui se mua peu à peu en un encouragement visuel. Ses sourcils se soulevèrent et sur son visage où l'aube naissante d'un sourire confiant pointait derrière l'éclat de la lame de rasoir, quelques larmes brillantes vinrent parfaire un masque de candeur tendre et naturelle. Sur le terrain de basket, plusieurs matons armés de longues perches essayaient de faire descendre Jaz Hoyt du panier où il s'était bien malencontreusement retrouvé pendant que le capitaine Bellick aboyait des ordres inintelligibles dans son pâteux jargon de gras péquenot du patelin. Un peu plus loin, vêtu d'une robe de bure brune, Dominic Purcell poursuivait sans discontinuer sa prestation de chants grégoriens si propice à la méditation. A un maton curieux qui nous rapporta ses propos, il confia simplement :
- J'attends la pluie.
Bagwell s'empara de la lame de rasoir qui défendait les lèvres de son favori et la jeta par-dessus les moulins ; il brisa son surin pour en faire un soc ; le drap blanc s'affaissa dans une petite danse de plis volatile ; dehors, on lâcha des pigeons qui prirent leur essor par-delà le bandana de Jaz Hoyt bigarré de sigles pacifistes. T-bag saisit la tempe de Maytag et le maintint fermement pour l'embrasser enfin de son propre chef, avec la même soif et la même exigence dont il faisait preuve lors d'activités d'ordinaire plus scabreuses, mais avec une détermination qui semblait plonger ses racines plus profondément que dans la surexcitation folâtre de son turbulent pénis. Le mohawk de Maytag tressaillit, et il se raidit d'aise avant de s'abandonner au baiser sans y croire vraiment. Un peu plus haut, Michael Scofield faisait les cent pas dans la cellule 40, essayant de trouver un moyen de déboulonner les goguenots à l'aide d'une simple carotte cuite qu'il chiperait à la cantine. Il se figea soudain, ses yeux ronds braqués sur la scène qui se déroulait en contrebas. Il tira avec inquiétude sur le pantalon de Sucre, allongé sur la couchette supérieure.
- Qu'est-ce qu'y a, papi ?
Gueule-d'Ange se contenta de désigner du doigt la cellule 16. Fernando inclina la tête, puis sauta du lit, incrédule. Tous deux s'approchèrent de la grille pour assister au spectacle pour le moins inhabituel que T-bag offrait à ses voisins d'en face. Ils ouvrirent de grands yeux, qui aux iris chocolat, qui aux iris céruléens, mais tous quatre à l'éclat perturbé et frémissant :
- Qu'est-ce que tu crois qu'ils fabriquent, au juste ? demanda Michael de sa voix sourde et étranglée par l'anxiété.
Sucre tourna vers son codétenu des prunelles interdites, chargées de peur et d'incompréhension.
- Ce mec est réputé, papi. Paraît qu'il aime bien attirer les plus jeunes dans sa cellule pour… leur faire des gentillesses si tu me suis.
- Tu appelles ça des gentillesses ? murmura le timbre sombre de Gueule-d'Ange. Tu n'entends pas les couinements de ce pauvre garçon ? Il est en train de lui faire du mal. GARDIEN ! GARDIEN !
- Qu'est-ce que tu veux, Scofield ? grommela Bellick avec mauvaise humeur en ramenant au bercail tous les galopins qui avaient osé s'échapper pour aller faire un match de basket nocturne.
- Gardien, on est en train d'abuser de cet enfant ! s'indigna-t-il en pointant un doigt accusateur sur les deux tourtereaux en pleine bagatelle.
T-bag tourna la tête vers l'extérieur, tout interdit en constatant que le drap qui couvrait toujours fidèlement ses ébats avait chu au sol, dévoilant sa soudaine turpitude. Il n'y avait que dans un moment pareil qu'une telle chose devait arriver… Maytag, les bras noués autour du cou de son maître, cligna des yeux tout égarés face à Bellick et aux quelques basketteurs délinquants qui constataient les faits. Le capitaine des matons se détourna aussitôt et marmonna simplement :
- La ferme, Scofield, ou je t'expédie au trou.
Il se remit en marche et, d'un doux mouvement de sa matraque, intima aux basketteurs de reprendre leur marche en direction des cellules ; on eut dit un garde-poule reconduisant ses volailles vers la basse-cour après une petite promenade. Sucre et Michael, bouche bée de conserve, le regardèrent s'éloigner tout en le toisant avec force reproches. Il restèrent soudés aux barreaux tout le reste de la nuit. En contrebas T-Bag, assisté de son giton, remettait avec une certaine irritation le frêle morceau d'étoffe qui lui offrait d'ordinaire une protection plus zélée. Il lança aux détenus de la cellule 40 un regard où perçait une menace silencieuse qui leur conseillait sérieusement de se mêler de leurs affaires à l'avenir, tortillant entre ses dents une langue contrariée. Dans les yeux de Maytag, frustré au dernier degré, on pouvait pratiquement lire « Tu mourras, garce, pour avoir gâché le plus beau moment de ma vie. ». Bagwell estima en hâte le nombre de basketteurs qu'il devrait liquider pour ce qu'ils avaient vu, puis le drap blanc fut réinstallé ; un ange passa pour saluer ce rétablissement du voile pudique ; puis le leader de l'Alliance se jeta sur son protégé, le renversant sur la couchette du bas où ils basculèrent cul-par-dessus-tête dans le plus bel embrouillamini de mains cramponnées et de pieds levés.
