Bonjour, bonsoir. Cette fic est une réécriture d'une autre fic dont je n'étais pas très satisfaite.
Apparence
1
« De toute façon, tu es simplement jalouse de moi ! » Cette phrase prononcée par l'objet de ton mécontentement t'agaçait profondément ou te faisait doucement ricaner selon ton humeur. Ta sœur se trompait, tu n'étais pas jalouse d'elle. Tu te considérais trop intelligente pour l'être. C'était simplement que tu ne lui voyais aucune qualité.
« Clytemnestre, pourquoi n'essaies-tu pas d'être plus comme Hélène ? Pourquoi ne prends-tu pas exemple sur elle ? Pourquoi ne te montres-tu pas aussi gracieuse qu'elle ? » Prendre ta sœur comme modèle ? Non merci. Tu étais reconnaissante envers les dieux de ne pas lui ressembler. Ton entourage était-il si aveugle ou stupide pour voir en Hélène l'image même de la perfection ? Toi, heureusement, tu ne l'étais pas.
Oui, elle était belle, ça, tu ne pouvais pas le nier. Elle était d'une beauté grandiose, trop extraordinaire pour qu'elle ne fût pas d'origine divine. Les rumeurs disaient que Zeus en personne s'était accouplé à la reine Léda, votre mère, pour lui donner naissance. Et tout dans son physique corroborait ces dires. De son long cou gracile à ses jolis doigts fins, de sa peau laiteuse à ses cheveux dorés, tout chez elle attestait de cette parenté divine. On disait que le roi des dieux avait pris l'apparence d'un cygne pour féconder leur mère et Hélène avait la grâce de l'oiseau… son caractère hautain aussi.
Hélène était belle à en couper le souffle et ça s'arrêtait là. Et il n'y avait que les personnes aussi superficielles qu'elle pour estimer que cette particularité lui valait bien toute la jalousie des femmes et toute la convoitise des hommes. Tu ne faisais pas partie de cette catégorie de personnes et tu ne t'abaisserais jamais à leur niveau… De toute façon, ça lui aurait trop fait plaisir. Hélène aimait qu'on l'envie… ou, plus exactement, que l'on envie son apparence. Cela la confortait sans doute sur sa valeur. Et elle avait tôt appris à rehausser cet atout que son ascendance spéciale lui avait conféré.
Déjà toute petite, elle avait pris goût aux parures. Elle avait rapidement découvert comment les assembler au mieux pour que rien chez elle ne puisse être sujet à critique. Elle était la fille du roi des dieux et, à cause de cela, elle se devait d'avoir des tenues toujours parfaites. Elle savait quels bijoux associer à telle ou telle robe, quels tissus lui donnaient le meilleur teint et toutes les subtilités du maquillage. Elle n'avait même pas besoin de tout cela pour garder sa beauté renversante.
Tu trouvais parfaitement ridicule son acharnement à être l'Aphrodite terrestre. Tous ces colliers, bracelets et autres breloques qu'elle portait, et tous ces fards sur son visage la rendaient, à tes yeux, plus grotesque que sublime. Elle n'était pas grotesque en soi, elle avait du goût, tu le reconnaissais ; c'était juste que tu ne comprenais pas ses motivations. Elle savait qu'elle était belle, quel besoin avait-elle de l'être davantage ? De rendre son teint plus lumineux ou ses lèvres plus rouges ? Ne pouvait-elle pas se comporter comment une enfant ordinaire ? Oh, on pourrait se dire qu'elle se déguisait, qu'elle jouait à la femme avec ses bijoux et son maquillage. Elle ne jouait cependant pas. Elle y mettait trop de soin pour que ce fût un simple jeu.
Non, pour elle, l'apparence était primordiale. Cela dès le saut du lit. Il était hors de question pour elle de sortir de la chambre les cheveux ébouriffés. À son réveil, sa nourrice se tenait déjà prête avec le peigne pour ôter les nœuds qui se seraient insidieusement faufilés parmi les boucles blondes. Et puis, cette femme se laissait aller à toute son imagination pour lui réaliser des coiffures superbes. Et elle en avait de l'imagination quand il s'agissait des cheveux d'Hélène. Elle les badigeonnait d'onguents aux senteurs florales, les tressait, les torsadait, les relevait en chignons. Elle s'émerveillait de leur couleur et de leur texture ; elle aimait sentir leur douceur sous ses doigts. Tu partageais les mêmes appartements que ta sœur, tu l'avais vue faire. Tu l'avais entendue s'extasier : « Ô princesse, comme tu as de la chance ! Tes cheveux sont si magnifiques ! » Ça te donnait envie de te cogner la tête contre un mur et à ta propre nourrice celle de prononcer un commentaire narquois. Vous vous y abstenez toutes les deux et vous contentiez de les regarder d'un air blasé.
Généralement, la matinée, tu la passais à l'extérieur avec tes frères, Castor et Pollux, une paire soudée et inséparable qui t'incluait parfois dans ses jeux. Moins, maintenant que vous aviez grandi. En plus, tu avais à présent d'autres occupations.
Depuis le départ de ta sœur aînée Timandra, partie l'année dernière pour épouser un roi, tu étais l'héritière du trône de Laconie. Chez vous, le trône se transmettait d'abord par la lignée féminine. Ton père ne l'avait hérité que parce qu'il n'avait pas de sœur. Et en tant que roi, il s'assurait que tu reçoives l'éducation nécessaire à une future souveraine de Sparte. Tu t'y donnas corps et âme. Tes précepteurs étaient fiers de ton assiduité. Tu avais un petit talent pour la gestion domestique, le calcul avait toujours été ton point fort. Tu arrivais à évaluer assez aisément les réserves de nourriture et de tissu. Tu remplaças facilement Timandra dans ce domaine.
La diplomatie était en revanche une autre paire de manches. L'art de la négociation n'éveilla jamais un quelconque intérêt chez toi. Peut-être à cause de ton caractère trop volcanique. Tu cachais difficilement ton ressenti ou tes émotions et tu étais très directe, parfois trop. Tu atténuais mal ton énervement ou ta lassitude. Tu n'aimais pas discutailler pendant des heures. Et parlementer prenait souvent du temps, trop de temps. Ton père, lorsqu'il recevait des délégations étrangères, t'invitait à rester « pour apprendre ». Qu'est-ce que c'était pénible de les entendre palabrer des heures durant !
Un jour, il t'avait pris à part après l'une de ces séances et t'avait demandé : « Clytemnestre, sais-tu pourquoi je veux tu sois instruite dans l'art de la diplomatie ?
- Pour lorsque je serai reine.
- Pas exactement. Vois-tu, recevoir des ambassadeurs ou négocier des traités sera à la charge de ton époux, t'avoua-t-il.
- Alors pourquoi ?
-Parce que tu seras reine de Sparte avant que lui ne soit roi. Ce sera ton rôle de le guider dans ses nouvelles fonctions. Tu seras en quelque sorte son professeur… Et certains hommes doivent être pris avec diplomatie. » avait-il ajouté en souriant. Tu avais ri discrètement. Puis un doute avait germé dans ton esprit. « Père, et si je ne devenais jamais reine de Sparte ? Si comme Timandra, j'épousais un roi et devais renoncer à la succession ?
- Alors, Hélène deviendrait mon héritière.
- Je ne suis pas certaine qu'elle fasse une bonne reine.
- Elle pourrait te surprendre.
- Elle ne pense qu'aux bijoux et aux habits. Elle ne s'intéresse à rien d'autre.
- Ça lui passera. Tu ne devrais pas la juger aussi mal.
- Tu penses sincèrement qu'elle ferait une bonne souveraine ?
- Elle aura beaucoup à apprendre, c'est vrai. Et elle devra faire des efforts mais je ne l'en pense pas incapable. » Oui, bien sûr, Hélène était déjà la princesse parfaite. Pourquoi ne serait-elle pas la reine parfaite ? Même superficielle comme elle l'était ? Cette discussion t'avait laissé un goût amer.
La seule façon pour ta sœur de devenir une bonne reine serait d'épouser un homme qui fasse un excellent roi, quelqu'un qui sache tenir le royaume. Parce que, tu en étais certaine, elle ferait en sorte d'en faire le moins possible et de laisser au malheureux qui aurait la bêtise de l'épouser toute la charge du pays. Tu ne la voyais pas assister aux audiences du peuple à ses côtés comme votre mère le faisait aux côtés de ton père. Elle saurait trouver des prétextes pour y échapper. Elle était douée pour trouver des prétextes.
Tu ne jalousais pas Hélène, c'était vrai, mais il y avait quand même une chose que tu lui enviais : sa capacité à obtenir tout ce qu'elle voulait. Tu ne savais pas de qui elle tenait cette faculté – peut-être de Zeus – mais tu aurais bien aimé avoir le même don. La persuasion, chez elle, était innée. Elle savait quelle mine arborait pour qu'on lui passe ses caprices. Toi, tu avais vite appris à ne pas réclamer, à ne pas faire montre d'impatience. Elle avait vite appris à se servir de son charmant minois et de tout un arsenal de mimiques, de battements de cils et de suppliques pour qu'on lui accorde ce qu'elle souhaitait ou qu'on ne la punisse pas. Peu à, peu, elle trouva rapidement normal qu'on lui passe tout parce qu'elle était une demi-déesse. Tu avais déjà subi des remontrances ou reçu quelques tapes parce que tu te montrais trop turbulente étant petite ; Hélène jamais. Elle était fille de Zeus, de simples mortels ne pouvaient pas réprimander un enfant de père divin. Et elle était sage, tranquille. Elle n'embêtait personne. À part toi, bien entendu.
Tu l'apprécierais, honnêtement, si elle ne s'évertuait pas à n'être qu'un joli visage. Tu aurais aimé qu'elle fût plus vive et moins égocentrique. Qu'elle fût une enfant normale qui joue, court, trébuche, se fait des bosses, fait des bêtises, rit, pleurniche et boude. Une vraie sœur avec qui tu te chamaillerais pour des broutilles, puis avec qui tu te réconcilierais rapidement pour qu'ensuite vous vous amusiez ensemble. Une sœur qui t'accompagnerait pour jouer des tours à Castor et Pollux ou faire tourner vos nourrices en bourrique. Elle n'était malheureusement pas une enfant normale.
2
Tu étais spéciale. La fille de Zeus, disait tout le monde. Et ta nature semi-divine t'obligeait à être irréprochable. Tu n'étais encore qu'un bébé que l'on te mit à part des autres. Même de Pollux avec qui, selon les dires, tu partageais le même père. Cela se voyait que vous étiez des enfants d'un dieu, la couleur de vos cheveux le prouvait. Ceux de Pollux étaient plus foncés que les tiens, plus châtain clair que blonds, mais ils l'étaient bien moins que ceux du reste de votre famille. Ton père terrestre, ta mère, Timandra, Clytemnestre et Castor, même la petite Philonoé, encore un bébé, tous étaient bruns. Les seules exceptions étaient Pollux et toi. Tu aurais préféré ne pas en être une.
Sans compter que Pollux, s'il était aussi un demi-dieu, avait plus hérité que toi du côté humain. Pour ta part, tu avais davantage hérité de celui divin.
Ça aurait été sans doute plus facile pour toi si tu étais né garçon. Zeus avait de nombreux fils engendrés avec des mortelles. Tu te serais mêlé à toute la masse des princes et héros qui l'avaient pour géniteur. De filles mortelles, en revanche, il n'en avait qu'une, et cette unique fille c'était toi. Rien que ton sexe te mettait à part ; il te distinguait au sein ta famille semi-divine comme ta nature te mettait à part au sein de ta famille terrestre.
Cette distinction t'avait, pendant un temps, fait éprouver du ressentiment. Ensuite, tu avais fini par la voir comme normale. Tu étais la fille du Maître de l'Olympe, il allait de soi que l'on ne te traite pas comme les autres. Tu étais un bijou précieux, une perle qu'il fallait conserver dans un écrin protecteur. Tu étais spéciale.
Et parce que tu étais si précieuse, tu vivais protégée. Il était hors de question pour toi de t'amuser dehors comme tes frères et sœurs. Il y avait trop de risques pour toi à l'extérieur, trop d'éléments qui pourraient altérer ta beauté. Le soleil aurait brûlé ta peau, le vent t'aurait décoiffée, la pluie t'aurait enrhumée, les cailloux auraient écorché tes genoux et la terre aurait sali tes vêtements. Tu profitais seulement de l'air frais sur le toit de la maison aux heures les moins chaudes lorsque le vent soufflait sans force et que la pluie ne tombait pas. Quelquefois, tu t'accordais un instant sur un banc à l'ombre des platanes qui bordaient le palais. Tu ne t'aventurais pas plus loin, Dircé, ta nourrice, en aurait fait un malaise.
C'était pour elle que tu restais sagement à l'intérieur. Elle s'inquiétait tant pour toi. Le monde était un repère de dangers et toi, fille de Zeus, tu devais faire particulièrement attention. Ton père divin serait très mécontent s'il t'arrivait quelque chose et punirait Sparte toute entière. Tu préférais éviter une telle chose.
Alors, tu jouais d'une autre manière que tes frères et sœurs. Lorsque tu n'étais pas occupée par tes leçons de musique ou d'écriture quotidiennes, tu t'amusais à mettre ton aspect le plus en valeur possible. Clytemnestre apprenait à être une bonne reine mais toi tu ne recevais pas tout cet enseignement. Apparemment, ton père adoptif ne voyait pas d'intérêt à ce que tu le reçoives. De toute façon, il préférait ta sœur…
Tu jalousais la relation entre eux, tout comme tu enviais celle qu'elle avait avec vos frères. Ils l'incluaient plus facilement dans leurs jeux, sûrement parce qu'elle ne les trouvait pas idiots contrairement à toi. Ils passaient leurs temps à se bagarrer ou à se lancer des défis sans raison et Clytemnestre se faisait à chaque fois l'arbitre de leurs compétitions absurdes. Toi, tu avais une autre manière de te divertir, une manière que tu estimais nettement moins stupide que de jouer à se battre mais que Clytemnestre jugeait bien plus ridicule.
« Franchement, tu n'as pas besoin de toutes ces parures, Hélène ! » t'avait-elle lancé un jour où elle t'avait regardée essayer plusieurs colliers. Ce que tu as entendu derrière ces mots, c'était : « J'en ai assez que tu me fasses de l'ombre ! » Quelle rabat-joie, ta sœur ! Tu avais bien le droit de t'amuser comme tu le souhaitais, non ? Et si le jeu de te faire belle te plaisait, elle n'avait rien à te dire ! Et puis elle n'y connaissait rien ; son apparence ne l'avait jamais beaucoup intéressée.
Au fur et à mesure, pourtant, ce jeu s'était transformé en nécessité. Cette beauté était tout ce que tu avais de remarquable, mais tu te demandais parfois si les gens ne l'exagéraient pas. Ou même s'ils ne disaient pas cela pour faire plaisir à ta mère. Léda éprouvait une grande fierté d'être la mère de la plus belle fille au monde et personne n'aurait aimé la contredire à ce sujet. Oui, tu étais très jolie, tu en avais bien conscience, mais d'une beauté qui dépassait toutes les autres ? Vraiment ? Personnellement, lorsque tu te regardais dans le miroir, tu ne la trouvais pas si extraordinaire que ça. Alors, tu t'aidais de maquillage et de métaux précieux pour qu'elle paraisse à tes yeux assez satisfaisante pour ne pas faire mentir les rumeurs.
De plus, si tu ne prenais pas soin de ton apparence alors plus rien ne te rendrait spéciale et, même si tu l'avais parfois souhaité auparavant, tu n'avais en réalité pas envie de devenir banale.
Tu aurais aimé avoir d'autres atouts que ton physique, avoir l'esprit vif de ta cousine Pénélope ou le franc-parler de Clytemnestre, mais il fallait t'en contenter. Et tu n'allais pas cracher dessus. Les gens parlaient déjà d'Hélène, l'enfant à la beauté stupéfiante, alors que tu n'avais que huit ans. Ils n'auraient jamais rien dit sur Hélène, la fille comme toutes les autres. Il t'aurait fallu un mari exceptionnel pour que l'on parle de toi, mais on t'aurait connue uniquement à travers lui. Tu ne voulais pas de ça. Tu ne voulais d'ailleurs même pas te marier. Le mariage de Timandra l'année dernière t'avait fait perdre tes illusions concernant cette institution.
On lui avait donné pour époux Echemos, le roi d'Arcadie, un quarantenaire au visage grêlé peu attrayant. Il avait un air peu commode et maussade. Timandra n'avait pas été contente du choix de vos parents, mais en fille obéissante elle s'y était conformée sans protester. Tu espérais avoir, contrairement à elle, le choix de ton futur mari.
Et s'il n'y avait pas eu Echemos la journée de célébration matrimoniale aurait été parfaite. Tu avais été emportée par toute cette effervescence qui avait régné dans le palais d'ordinaire calme. Exceptionnellement, tu avais même désobéi à Dircé et tu étais sortie en douce de la chambre pour observer le bal des prétendants de Timandra. Tu t'étais dissimulée derrière une jarre pour les regarder apporter des richesses de leurs contrées. Malheureusement, ta mère t'avait repérée et elle t'avait consignée dans ta chambre, puis elle avait fait la leçon à ta nourrice pour lui apprendre à ne pas te surveiller correctement. Ça avait été la dernière fois que tu avais fait le mur.
Heureusement, ton père Tyndare t'avait donné l'autorisation d'assister à la cérémonie. Pour l'occasion, tu avais pu sortir. Après tout, il aurait été étrange que tu ne fusses pas présente au mariage de ta sœur. Tu avais été enchantée par tout ce tu avais vu, senti, entendu et goûté lors de cet événement : Timandra et ta mère qui portaient leurs plus belles tenue, les fleurs parfumées lancées par milliers sur les mariés, les chants nuptiaux qui s'élevaient dans les airs, les figues sucrées que l'on avait servies pour le repas de noces. Oui, si le mari avait été plus plaisant tout aurait été parfait.
Ça, ça avait été un point sur lequel, pour une fois, Clytemnestre et toi aviez été d'accord. Vous plaignez toutes les deux votre grande sœur. Et l'une comme l'autre n'étiez pas pressées de vous retrouver dans sa situation.
Parfois, tu te prenais à imaginer quel genre d'homme tu épouserais. Ce n'était pas vraiment une pensée que tu aimais avoir mais elle te venait de temps à autre. Heureusement pour toi, ça n'arriverait pas avant plusieurs années. Et quand l'occasion se présenterait tu aimerais avoir droit à un homme jeune, beau, gentil et joyeux qui te couvrirait de cadeaux somptueux. Tu serais le centre de son univers. Tu ignorais encore ce que les dieux te réservaient.
Avant tes dix ans, tu n'avais pas encore idée de la convoitise que tu inspirais déjà chez les hommes de toute l'Achaïe. Déjà ton nom était parvenu aux oreilles du grand Thésée, vainqueur du Minotaure et roi d'Athènes. Veuf depuis le suicide de sa femme Phèdre, il avait eu en tête depuis qu'il avait entendu parler de toi de t'épouser. Bien sûr, tout cela tu l'ignorais encore.
Avant qu'il ne croise ta route, tu vivais ta vie d'enfant de dix ans insouciante. Ta rencontre avec lui se fit un après-midi de début d'automne. Ce jour-là, tu devais exécuter une danse sacrée au temple d'Artémis. Ce rituel pratiqué par les vierges de Sparte était l'occasion pour toi de sortir des appartements des enfants royaux. Arrivée devant l'autel de la déesse lunaire, tu te lanças. Tu mis tout ton cœur dans cette danse, tu la voulais la plus parfaite possible. Tu rêvais d'être comme la déesse, sauvage et indomptable, de ne pas être enserrée dans ton carcan. Tu jalousais son indépendance et faire partie de ses chasseresses était ton désir secret. Avec elle, tu courrais les bois, coursant le gibier, tu tirerais à l'arc. Pour l'instant, tu n'avais encore jamais manié un arc contrairement à Clytemnestre qui avait reçu l'enseignement de vos frères dans ce domaine.
Tu leur avais demandé un jour de t'apprendre. Ils avaient refusé. « Tu pourrais te blesser, t'abîmer les mains avec la corde et ça nous retomberait dessus. » Tu n'avais pas insisté longtemps.
Ta danse enfin terminée, tu sortis du temple. L'air était encore chaud dehors malgré l'heure assez tardive. Tu ne fis pas trois pas à l'extérieur pour rejoindre Clytemnestre, Pénélope et les autres jeunes filles venues voir Artémis qu'une main t'attrapa le bras et te tira dans les fourrés. Une autre main se plaqua sur ta bouche, étouffant le cri qui s'apprêtait à en sortir. « Chut ! fis une voix à ton oreille. Je suis Thésée, le roi d'Athènes. Tu n'as rien à craindre. »
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