Ce jour-là, Kanon était tellement pressé qu'il n'eut pas le temps de déjeuner. Il était en retard à la réunion et, n'ayant pas de voiture, il devait prendre le métro, sur un trajet de trente minutes. Lorsqu'il arriva dans le transport bondé, il fut heureux de ne pas trouver de place où s'asseoir, car autrement il était sûr de se rendormir. Ça ne l'empêcha pourtant pas de somnoler debout durant tout le trajet. On lui avait laissé entendre que la nouvelle était assez importante et il s'en voulait d'avoir ignoré son réveil. Teruki allait lui tomber dessus pour sûre et Bou se moquerait un peu de lui. Il savait que les autres n'en tiendrait pas compte très longtemps, mais il avait toujours l'impression qu'il faisait quelque chose de mal et passait son temps à s'excuser auprès d'eux.
Il entendit le nom de son arrêt et se rua ver la porte pour être sûre de sortir le premier et de pouvoir quitter la station le plus rapidement possible. Les locaux de Loop-Ash étaient situés à quinze minutes de là. Il était donc en retard d'une heure et quart, chose parfaite pour mettre leur manager en rogne.
Il figea sur place. Il s'était dépêché en pensant aux autres membres du groupe. Il n'avait pas du tout songé à leur manager. Il leva les yeux et vit qu'il s'était stoppé juste devant l'entré de l'immeuble où était le label. Sans s'en rendre compte, il tourna les talons et parti en courant. Il bouscula quelqu'un au passage, mais il ne prit pas le temps de s'excuser. Il refit tout son trajet en sens inverse, deux fois plus pressé que lorsqu'il était sorti de chez lui, et ne prit la peine de se reposer qu'une fois chez lui. Il s'écroula sur son lit, incapable de penser à quoi que ce soit, et ne bougea que pour décrocher le téléphone lorsque celui-ci sonna.
« Hai? Kanon desu…
-Kanon-chaaaaaaaan! Fit la voix de Bou. T'es en vie au moins…
Avant que le blond ne puisse rajouter quoi que ce soit d'autre, Kanon reprit la parole.
-Je suis désolé de pas être venu à la réunion, je ne me sens pas bien, si c'est ce que tu veux savoir.
Bou ne répondit pas, mais il l'entendit dire quelque chose, ainsi que les voix de Teruki et de Miku. Un instant plus tard, le chanteur avait le téléphone dans les mains et sa voix résonnait dans les oreilles du bassiste.
-Le manager dit pourtant qu'il t'a vu par la fenêtre. À ces mots, le noiraud retint son souffle. Il dit qu'il t'a vu arriver, figer sur place et repartir et en bousculant un gringalet, continua la voix à l'autre bout du fils.
Kanon détestait mentir, mais comme il ne voulait pas parler trop longtemps avec eux, surtout à propos du manager, c'est ce qu'il fit.
-Je ne vois pas pourquoi il m'a vu là, j'étais dans mon lit et je dormais…
Ce fut au tour de la voix du batteur de se faire entendre.
-D'accord1 Moi je m'en fiche que ce soit vrai ou pas, mais j'espère que tu vas venir répéter demain! Kanon acquiesça d'un simple bruit et Teruki reprit sur sa lancée. Matsui-san nous a dit aussi de te prévenir qu'il aurait un entretient particulier avec toi par la suite. Enfin, voilà quoi! Repose-toi bien et à demain! »
Et ils mirent fin à la communication. Le stress de Kanon, déjà grand depuis le début de la matinée, s'amplifia à la simple idée de cet entretient avec Matsui-san. Il savait déjà ce qui allait se passer et cette idée l'empêcha de dormir. Le lendemain allait être un vrai cauchemar.
Miyavi se dirigeait tranquillement vers la porte de l'immeuble quand un jeune homme d'une vingtaine d'années, mais plus jeune que lui, le bouscula sans même s'arrêter pour s'excuser. En le voyant si jeune et si pressé, il se dit que les jeunes d'aujourd'hui étaient beaucoup trop stressés. Il ne s'en préoccupa pas plus longtemps et se dirigea vers l'accueil.
« Erika-chan! Comment vas-tu?
La standardiste ainsi interpellée se retourna, le sourire aux lèvres.
-Miyabi-kun! Ça fait longtemps qu'on ne s'est pas vu! Que me vaut l'honneur de cette visite?
Il s'assit sur le comptoir, pendant qu'Erika retournait derrière son écran, avant de lui répondre.
-De un, on dit MiyaVi et non pas MiyaBi! Dit-il en appuyant très fort sur le V et le B. De deux, c'est n'est malheureusement pas toi que je viens voir, mais Mina-chan[1… Il m'a dit qu'il serait là aujourd'hui et demain, et comme je suis en congé pour cinq jours depuis hier, j'en ai profité pour venir lui faire une surprise…
Le sourire d'Erika resta le même, mais ses yeux s'attristèrent quelque peu. Cela ne l'empêcha pourtant pas de lui répondre sur le même ton jovial que les fois d'avant.
-Je suis désolée de te l'apprendre, mais il est parti, il y a environ une heure… Mais demain, je sais qu'il arrivera vers dix heures et repartira dans les environs de une heure. Tu n'auras qu'à repasser, je lui dirai de t'attendre. »
Déçu et motivé à la fois, le guitariste embrassa la jeune femme sur la joue en signe d'au revoir et de remerciement et se dirigea vers la sortie. Il avait manqué son coup aujourd'hui, mais il gardait confiance que ça fonctionne. Demain, il serait là.
Devant la porte du bureau du manager, Kanon s'arrêta un long moment afin de s'obliger à respirer calmement. Il avait réussi à tenir tout au long de la répétition en se concentrant uniquement sur son instrument. Grâce à ça, il avait même reçut quelques éloges des autres comme quoi il s'était amélioré depuis la dernière fois. Seulement, au moment même où il avait cessé de jouer, le stress était remonté en lui de manière si intense qu'il en échappa presque sa bass. Maintenant, il se tenait devant la porte de l'homme qui le hantait et il n'avait qu'une seule envie; prendre ses jambes à son cou et fuir le plus loin possible cette pièce. Il se força pourtant à cogner deux fois et à entrer par la suite. C'était la manière qu'il avait de se faire reconnaître. Il aurait tant aimé s'enfuir, mais ça n'aurait fait qu'empirer la situation, qui n'était déjà pas à son meilleur. Il ferma le store avant que Matsui ne le lui demande et alla directement s'asseoir en face du bureau. Il attendit en silence que son hôte prenne la parole, la tête baissée, les yeux fixés sur ses genoux. Lorsque la voix de l'homme retentit, il y avait quelques infimes accents de colère qui firent comprendre au jeune musicien qu'il n'allait pas ressortir de la totalement indemne.
« Alors, comme ça, on s'amuse à manquer d'importantes réunions en faisant croire qu'on est malade, mais après s'être promené sous la fenêtre du bureau de son manager…
-Mais enfin, j'étais chez moi hier et je…
Il fut interrompu par le plat de la main de Matsui-san sur le bureau. La colère avait fait rougir son visage et l'homme d'affaire fulminait derrière sa moustache.
-Arrête de me mentir! Tu portes toujours la même veste, hier y compris, alors n'essaie pas de me faire avaler n'importe quoi!
Le bassiste baissa à nouveau le regard, qu'il avait levé lorsqu'il avait interrompu son aîné. Il sentit alors la main rugueuse de l'homme s'écraser sur sa joue, produisant le son qui accompagne toujours une gifle.
-Regarde-moi quand je te parle! »
Lorsqu'il releva la tête, les yeux pleins de larmes, le bourreau s'adoucit quelque peu et tenta de l'embrasser, mais fut immédiatement repoussé par les mains de sa victime. Le plus vieux prit les poignets du plus jeune d'une seule main et retenta l'expérience. Le musicien détourna le visage tout en tirant sur ses poignets, ce qui obligea Matsui à renforcer sa prise. Kanon arrêta tout de suite sa résistance, car il ne voulait pas avoir de marques qui puissent éveiller les soupçons. Le plus âgé le prit donc par la nuque de son autre main et l'embrassa profondément, tout en posant les mains du jeune adulte sur son sexe qui commençait à durcir. Celui-ci commença à y exercer une légère pression bien malgré lui, tout en sentant les larmes rouler sur ses joues. Cette activité des plus humiliante fut alors interrompue par la voix d'un jeune homme qui venait d'ouvrir la porte. Ne voulant pas laisser le silence s'installer, il se mit à parler dès que Matsui-san releva la tête.
« Je suis désolé de vous déranger, mais je cherche le local 4207, pourriez-vous me dire où c'est?
Le manager, quelque peu décontenancé par cette interruption inattendue, répondit du tac au tac.
-Et qui êtes-vous? Pourquoi vous a-t-on laissé entrer?
Kanon était resté de dos pour ne pas qu'on voit son visage, mais il venait de trouver son échappatoire et comptait bien s'en mêler au bon moment. L'intrus, lui, continuait comme si de rien n'était.
-Je suis l'ami de Minami et je venais lui rendre visite. Vous n'aurez qu'à demander à votre standardiste Erika, elle vous dira que c'est vrai.
C'est ce moment-là que le bassiste choisit pour se mettre de la partie, avant que l'autre ne lui donne ses indications.
-Si vous le permettez, monsieur… sa voix semblait sortir d'une autre personne, comme si elle ne lui appartenait pas. Je pourrais lui montrer où se trouve le local et je partirai ensuite chez moi.
Chez l'homme, l'érection n'en était plus une. Il se résigna donc à laisser partir son jouet, se disant qu'ils rattraperaient le temps perdu une autre fois.
-C'est d'accord, tu peux y aller. Mais, n'y crois pas trop… Cet entretient n'est pas terminé. »
Sur ce, il les congédia tous les deux. Kanon se précipita vers la sortie et ne s'arrêta qu'au coin du corridor. Miyavi arriva quelques instants plus tard et lui fit un sourire chaleureux. Ayant juste envie de partir, Kanon n'y fit pas attention et se dirigea vers le local 4207.
« Voilà, c'est là que se trouve Minami… Salut! »
Et il partit sans demander son reste, le plus loin possible de cet immeuble de malheur.
En entrant dans ledit local, Miyavi se retrouva derrière une troupe du personnel affairé à regarder Minami faire des poses pour l'appareil photo qui l'agressait avec son flash. Il s'installa sur une chaise dans le fond de la salle, le plus discrètement du monde, et attendit que son ami termine sa séance. Lorsque le batteur le vit, il lui fit un énorme sourire, mais fut immédiatement rappelé à l'ordre par le photographe.
La séance se termina vingt minutes plus tard que prévue, car le blond avec perdu toute sa concentration avec l'arrivé du châtain. Lorsqu'il fut enfin totalement libre, Minami alla rejoindre le chanteur, plus qu'heureux de le voir.
« Miya, mon frère, c'est trop top que tu sois là