20 décembre 2004.
Il était revenu de Roumanie pour les fêtes cette année-là.
D'abord, il y avait eu les protestations de ses collègues de la réserve. Puis l'accident de Portoloin. Et lorsqu'il arriva enfin au Terrier, boitant et clopinant, ce fut une Molly surexcitée qui faillit lui briser les côtes en le serrant dans ses bras.
— Charlie, enfin te voilà ! je me suis fait un sang d'encre, s'écria t-elle, Une heure de retard ! Une heure ! A t-on jamais vu ça ? Mais, mais... ta jambe ? C'est un dragon, c'est ça ? Je le savais ! Je le savais que ça te tuerait, de t'occuper de ces bestioles.
Charlie sourit, c'était du Molly tout craché, elle faisait toujours des montagnes pour un rien.
— C'est rien, maman, un accident de Portoloin, tenta-t-il de la rassurer.
— Tu nous as manqué. C'est bon de te voir de retour, l'accueillit Arthur Weasley.
— Merci Pa, moi aussi, ça fait du bien de vous revoir, répondit-il.
Soudain, une Ginny sortie de nulle part se jeta à son cou.
— Tu m'as manqué, Charlie, murmura t-elle contre sa peau. Ça va pas de rester aussi longtemps sans donner de nouvelles ?
C'est lorsqu'elle se détacha de lui qu'il remarqua un petit être dans ses bras. Ce devait être James, son fils. Son fils. Ginny, la petite Ginny était maman. Oh, il le savait. Elle lui avait écrit. Mais ça avait alors semblé si loin, si irréel. Et maintenant, ça lui faisait tout drôle. A lui qui n'avait jamais songé à ces choses-là. Lui qui vivait au jour le jour, qui allait où le vent menait.
— Toi aussi tu m'as manqué Gin, lui répondit-il alors.
— Au fait, je te présente James, dit-elle en souriant.
Il ébouriffa des cheveux imaginaires sur la tête du petit et sourit, attendri. Harry et Ron arrivèrent à ce moment-là. Ron lui donna une tape fraternelle dans le dos et Harry le salua tout en passant son bras autour de l'épaule de Ginny dans un geste protecteur.
Alors qu'ils s'apprêtaient à passer au salon, la porte d'entrée s'ouvrit soudain sur cinq nouveaux arrivants. Il y avait d'abord Fleur, qui tenait Louis dans ses bras, puis la petite Victoire, blonde comme les blés, main dans la main avec son père. Et enfin une jeune fille derrière eux que Charlie ne reconnut pas tout de suite. Il s'était mis à pleuvoir dehors, et elle portait une capuche rabattue sur son visage, si bien qu'il ne distinguait que sa bouche.
Bill salua Charlie. Et Fleur le serra dans ses bras. Puis elle se tourna vers la jeune fille qui était occupée à retirer sa cape.
— Voici ma sœur Gabrielle, informa t-elle Charlie de sa voix douce. Je ne sais pas si tu te souviens d'elle. Tu l'as peut-être vue à notre mariage. Mais c'est le premier Noël qu'elle passe ici
— C'est bon Fleur, je peux me présenter toute seule, la coupa la concernée.
Fleur laissa échapper un léger soupir mais hocha la tête et suivit les traces de son mari jusqu'au salon.
— Enchantée, reprit Gabrielle une fois Fleur partie. Gabrielle.
— Je me souviens, dit-il.
Et elle lui tendit une main pâle. Et ses yeux rencontrèrent les siens. Il tressaillit, comme gêné par le regard d'acier de la jeune fille. Il avait l'impression qu'elle lisait en lui comme dans un livre ouvert. Et cela l'agaça. Elle haussa un sourcil ; il se rendit compte qu'il n'avait toujours pas esquissé le moindre geste.
Il s'empressa de retirer sa main de sa poche et serra celle qu'elle lui tendait. Un peu trop brusquement, peut-être. Un peu trop fort, aussi.
Et beaucoup trop longtemps.
Lorsqu'il lui lâcha la main, il tenta de garder les yeux rivés au sol. Son regard le déstabilisait. Elle le mettait mal à l'aise, et il ne le supportait pas. Il ne comprenait pas. Il se morigéna intérieurement « Enfin, ressaisis-toi, tu as affronté des dragons bien plus intimidants que cette gamine, mon vieux. Allez, relève la tête, souris et rejoins les autres au salon. »
C'est ce qu'il fit. Ou essaya de faire. Son sourire était forcé, il le sentait bien. Mais le pire arriva lorsqu'il fit demi-tour pour se diriger vers le salon. Il leva un pied dans une démarche qu'il espérait assurée, mais ce n'est que lorsque celui-ci toucha le sol qu'il se souvint de sa jambe blessée. Une fraction de seconde plus tard, et sans avoir eu le temps de tenter quoi que ce fût pour sauver sa dignité, il se retrouva par terre.
Par terre. Lui. Charlie Weasley. Dresseur de dragons. Étalé au sol, devant une gamine de vingt ans qui devait bien rire de le voir ainsi. Il lui lança un coup d'œil. Elle pinçait ses lèvres dans une attitude qui aurait pu paraître sérieuse, mais la lueur d'amusement qu'il vit dans ses yeux lui prouva qu'elle se retenait simplement d'éclater de rire.
Et avant qu'il ne comprenne ce qu'il se passait, il fut debout, chancelant, une de ses mains s'accrochant fermement à celle de Gabrielle. Lorsqu'il s'en rendit compte, il la retira rapidement, comme si ce contact le brûlait.
— Avec le bruit qu'a fait ta chute, je me suis dit que tu n'aurais pas voulu que Molly arrive et te voie ainsi, dit-elle alors, comme pour s'excuser.
— Merci.
— Tu peux marcher ? s'enquit-elle, presque inquiète.
— Oui, oui, juste un accident de Portoloin.
Elle lui jeta alors un regard étrange et éclata de rire. Un rire franc. Clair. Et elle ne semblait pas prête à s'arrêter.
— On peut savoir ce qui te fais rire comme ça ? lui lança t-il.
Elle recommençait à l'énerver. A rire ainsi pour un rien. C'était vrai, quoi ? Qu'y avait-il d'aussi hilarant ? Il détestait ne pas comprendre. Il détestait ce qu'il ne comprenait pas.
— Excuse-moi, articula t-elle entre deux hoquets. C'est juste que Bill m'a raconté que tu élevais des dragons...
— Et ?
— Moi j'ai trouvé ça impressionnant, je veux dire ça doit être grandiose... Je t'imaginais plein de blessures de guerre infligées par des dragons venus de pays lointains, et voilà que tu me dis être blessé par un accident de Portoloin ! De Portoloin ! répéta t-elle comme s'il était idiot.
Il eut un vague sourire, faillit répliquer puis soupira.
— On ferait mieux de rejoindre les autres, proposa t-il plutôt.
— Oui, dit-elle simplement.
Et elle reprit son air glacial et distant. Il préférait les choses ainsi. Cette froideur entre eux. C'était mieux.
