Hey ! AN très rapide pour bien clarifier : BROllexa. Voilà c'est dit, bonne lecture !
La situation était désespérée. Un chou, presque pourri, sûrement véreux voilà tout ce qu'Aurora avait pu rapporter à sa famille ce soir là. Harassée, les genoux sales, les ongles indécrottables, affalée sur leur seule chaise, Bellamy supposa que la journée avait été interminable.
On arrivait dans la pire saison, le mois de Février avait été glacial et le mois de Mars serait d'autant plus pluvieux disaient les vieux du village.
La nourriture commençait à manquer, cruellement. Les pommes de terre de l'année passée que l'on avait rationnées étaient terminées, les topinambours terminés, les carottes et les haricots terminés, la viande salée…
Bellamy eut un rire sans joie à cette pensée qui ne sembla pas sortir Aurora de sa torpeur, la viande n'était plus qu'un lointain souvenir.
Il enrageait, bouillonnait. Il se mit à faire les cent pas, dans leur minuscule maison. Tournant comme un lion en cage, il observa leur lieu d'habitation. Une seule pièce, un seul lit où sa mère et sa sœur dormaient chaque nuit, un baquet d'eau qui servait à absolument tout, une chaise, un tabouret, quelques écuelles et ustensiles et une seule rechange par personne.
Voilà.
Voilà tout ce que possédait la famille Blake, immigrée de Corse pour le continent quatre ans auparavant et qui avait échoué ici après que le père les ait abandonnés. Un taudis, situé dans un village à l'écart du bourg avec quelques arpents de terre peu fertiles pour récolter l'été la pitance d'une année.
Bellamy se remémora avec émotion la Corse, sa terre natale les gens, la nourriture, la vie tout simplement. Ici tout n'était que froid, marais et faim.
La voix fatiguée de sa mère le tira de ses pensées.
-J'ai parlé de toi à Henry encore une fois. Il m'a dit qu'il serait peut être enclin à te prendre pour les premières récoltes.
Aurora était journalière, une employée agricole travaillant ponctuellement dans les fermes qui avaient besoin d'aide pour quelques jours.
Henry était un petit paysan, qui depuis leur arrivée dans le village, les avaient toujours soutenus. Embauchant Aurora certains jours vides, ayant souvent un légume ou un petit sac de grain à donner quand la famine se faisait sentir, il n'avait pas tourné le dos aux nouveaux arrivants. Bellamy soupira, ils n'étaient plus des nouveaux arrivants !
4 ans !
4 ans que la famille s'était installé dans ce trou putride et on les considérait pourtant toujours comme des parias. Aurora et Bellamy avaient dû supporter les injures, les chuchotements malsains, les regards dédaigneux à l'église et surtout les refus d'emploi.
Personne ne voulait employer Aurora, si ce n'était Henry ou quelques fois le vieux Jacques à moitié sénile, et encore moins Bellamy.
Il était grand, plutôt bien bâti et aurait travaillé sans relâche si on lui avait juste laissé sa chance.
Mais la peur de l'autre était plus forte que tout dans cette France profonde.
Bellamy voulut répondre, plutôt mentir à sa mère que la nouvelle de ce possible futur emploi le comblait de joie, mais il n'était pas dupe.
Henry avait une famille à nourrir lui aussi et son aide au Blake était mal vu au village. Les femmes murmuraient des paroles en latin maudissant sa maison et ses occupants, les hommes crachaient sur les terrains en passant sur le chemin et ils ne se privaient pas de s'exclamer haut et fort sur ce qu'Aurora avait bien pu lui faire pour qu'il l'embauche si souvent.
Bellamy était fou de rage mais impuissant. C'était parfaitement le mot qui convenait, impuissant. Il n'était pas maître de son destin, voué à mener une vie minable ou à disparaître.
Bellamy a 22 ans, on travaille depuis plusieurs années normalement à cet âge là, on est déjà marié à cet âge là, on habite plus chez sa mère à cet âge là. Voilà les ragots qu'il pouvait entendre sur son passage les rares fois où il allait au bourg.
A chaque fois il aurait voulu se retourner et crier à la figure de ces vieilles bigotes qu'il aimerait travailler s'il avait du boulot ! Qu'il serait déjà marié si toutes les filles n'étaient pas dégoûtées par lui à cause de leurs parents ! Qu'il aurait déjà quitté le nid familial s'il n'avait pas eu à s'occuper de sa mère et de sa sœur de 12 ans !
Le baquet d'eau, vide, valsa victime d'un coup de pied rageur. Heureusement Octavia était dehors, dans le jardin, elle ne devait pas voir cet accès de fureur. Il hurla brièvement, de douleur et de colère, pensant que cela le soulagerait. Ce ne fut pas le cas.
-Je sais plus quoi faire Bell'.
Aurora semblait éteinte, au bout du rouleau, mentalement et physiquement. Sa maigreur était bien visible en cette fin de journée épuisante.
Bellamy ne sut quoi répondre. Il entreprit d'aller chercher de l'eau à la pompe pour que sa mère puisse se laver et prit le pichet en bois.
A peine sorti il entendit des bruits de respiration et d'enfoncement. Sa sœur bêchait la terre de leur lopin avec une vigueur impressionnante. Cela n'avait aucun intérêt à cette période de l'année et la terre était dure comme du caillou mais Octavia s'acharnait, enfonçant la fourche avec trop de force, sautant et s'appuyant dessus de tout son poids avec rage, retournant quelques mottes de terre avec peine.
Et c'est ici que Bellamy comprit. Il avait vu Octavia comme un fardeau dès le jour de sa naissance. C'était une bouche de plus à nourrir dans la famille mais cela n'était pas un problème à l'époque.
Il s'était voilé la face pendant toutes ces années, pensant être le nouvel homme de la famille.
Mais en voyant sa sœur si teigneuse, si acharnée il retomba de son piédestal. Maintenant il s'en rendait compte.
Aujourd'hui le fardeau c'était lui.
Le regard désespéré d'Octavia, jamais il ne pourrait l'oublier. Sa main serrant comme un étau celle de sa mère, les yeux emplis de larmes. Dans ses orbes chocolat, Bellamy apercevait la détresse. La peur de perdre son frère unique, le sentiment d'abandon, la certitude d'un adieu.
Bellamy avait envisagé toutes les possibilités et intégré l'armée lui apparaissait comme le seul choix possible. Ils n'avaient pas d'argent, pas de contact, aucune échappatoire. Ils n'avaient pas assez de nourriture pour subvenir à toute la famille et il devenait maintenant clair que jamais personne n'embaucherait Bellamy même si c'était pour racler le fumier.
On pouvait retourner le problème dans tous les sens, la solution était toujours la même : Bellamy devait partir. L'armée avait semblé le choix logique. Le consul appelait tous les hommes de la nation à combattre les ennemis européens qui se liguaient contre la France. De plus les soldats recevaient un solde, faible certes, mais bien suffisant pour permettre à sa famille de survivre.
De plus Bellamy avait la certitude d'avoir un repas chaud dans la journée et de dormir avec une couverture ce qui n'était plus le cas ces dernières années.
Le service des postes avait affiché un écriteau deux semaines auparavant, tout homme voulant s'engager pouvait le faire à la caserne militaire la plus proche.
Moins d'une semaine après le jour de la révélation qu'il surnomma « jour du chou », qui était pourri et véreux d'ailleurs, Bellamy prit sa décision. Il partirait pour Bordeaux, ville la plus proche début mars.
La date fatidique approchait, et il fut évident que la décision était la bonne puisque la nourriture s'amenuisait de plus en plus.
Le matin du départ, Bellamy enlaça sa mère qui lui prodigua peu de conseils.
-Prends soin de toi. Reviens nous, dit-elle doucement.
C'était tout, elle était comme lui, ou plutôt il était comme elle. Peu expressif, mais le regard disait tout.
Octavia en revanche…
-Ne pars pas, Bellamy ! Pars pas, on va trouver une solution. Les larmes et les hoquets rendaient ces paroles presque incompréhensibles.
Des soirées entières avaient été nécessaires pour la réconforter après des heures de discussions. Rien n'y avait fait, pour elle Bellamy partait, pour toujours.
-Ecoute-moi.
Bellamy prit ce visage, ce si joli visage dans ses mains et lui expliqua une dernière fois.
-Je dois partir. Je le dois. Tu es une fille intelligente O', je ne peux pas rester ici. Je ne peux pas sinon ça sera la fin de notre famille, tu comprends ?
Octavia pleura de plus belle, son corps était agité de soubresauts, Bellamy sentait les larmes couler sur ses doigts. Il fallait qu'il s'en aille. Maintenant !
Sinon il n'en aurait plus la force. Il serra sa sœur dans ses bras de toutes ses forces quelques secondes puis planta un baiser sur ses cheveux.
Il ramassa son baluchon qui contenait deux pommes, quelques légumes et les 3 derniers francs qu'il restait à la famille. Aurora avait insisté pour que Bellamy les emporte, la famille ne pouvait de toute façon pas les dépenser au village.
Bellamy regarda sa mère, sa sœur, sa maison et essaya d'imprimer cette image dans sa mémoire.
-Je reviendrais ne t'inquiète pas O'.
Il prit le chemin du village et au moment où la piste faisait un crochet, il se retourna et observa une dernière fois. Sa mère lui fit un signe tristement, faiblement, sa sœur pleurait, une main couvrant sa bouche, l'autre en poing serré. Le regard désespéré d'Octavia, jamais il ne pourrait l'oublier. Le cœur gros il se retourna et il disparut pour sa famille.
Nous sommes le 2 mars 1803 et ici commence l'épopée héroïque et tragique de Bellamy Blake, lieutenant et camarade éternel d'Alexandria.
