—Alerte, La malédiction, elle arrive !

La sentence inéluctable de Grincheux, suivie du tintement des cloches, résonnèrent dans tout le château. Là, sous l'une des grandes tours beiges accouchait Blanche Neige, fatiguée, démolie, désespérée. Elle n'entendait plus rien de la vie et la mort qui l'entouraient, tous ces sons noyés par ses propres cris et ses pensées, pensées lui laissant entendre qu'elle ne pourrait, une fois l'accouchement terminé, que dire adieu à sa merveilleuse petite Emma, et qu'elle n'aurait peut-être pas même le temps de la tenir une unique fois dans ses bras de mère nouvelle.

Et cette fin arriva. Ce dernier cri de douleur, accompagné rapidement par celui du nouveau-né, dont l'air frais qu'il venait de découvrir lui arracha une souffrance pulmonaire et une crise de larmes. Sa première crise de larmes, et la dernière à laquelle Blanche assisterait jamais.

Charmant sourit, inconscient des pensées néfastes de son épouse, et lui déposa le nourrisson dans les bras : leur petite princesse était tellement belle que pendant un court instant, la reine oublia qu'elle allait devoir s'en séparer pour le bien du royaume, et plus important encore, pour celui d'Emma.

Celle-ci avait arrêté de pleurer et se recroquevilla dans les bras de sa maman, qui prit enfin conscience du tintement des épées de ses soldats qui tentaient de retarder l'inévitable. Alors, elle dit avec tristesse à son mari :

—Notre plan a échoué ; je ne pourrai pas aller dans l'armoire magique, mais... Emma doit y aller. Emmène-la, fais en sorte qu'elle ait le temps de disparaître ; nous nous retrouverons mon amour, comme nous l'avons toujours fait !

Le roi voulut protester, mais se rendit à l'évidence : sa femme avait raison. Il fallait que leur fille ait toutes ses chances. Alors, avec réticence et tristesse, il jeta un dernier regard à Blanche, l'embrassa, puis disparu avec le nouveau-né. Il eut tout juste le temps d'entendre sa femme éclater en sanglots lorsque des soldats de la garde noire se jetèrent sur lui, épées hors du fourreau, prêts à l'abattre et voler le bambin...

...mais une montée d'adrénaline l'aida à atteindre la chambre de la petite, dans laquelle il déposa Emma et un baiser sur son front, avant de l'enfermer avec son amour à l'aide d'une petite clé, qu'il jeta ensuite par la fenêtre. Mais dans sa procédure, il n'aperçut point les deux soldats noirs qui avaient fait irruption dans la pièce, et lors que l'un le transperçait de son épée, l'autre brisa le verrou qui maintenait fermées les portes de la petite garde-robe en bois. Il eut juste le temps d'attraper sans douceur la petite fille, et regarda avec sadisme ce père à demi mort sur le sol, regardant son enfant lui être arrachée.

Les deux hommes disparurent retrouver leur reine, fiers d'avoir mené à bien cette mission, et ils la trouvèrent sur le balcon de la chambre qu'elle et son mari Leopold partageaient, lorsqu'il la violait, qu'elle se taisait et que le peuple avait encore un tant soi peu d'estime pour la jeune femme qu'elle était.

Ils la regardèrent alors : elle qui autre fois portait de longues robes dorées presque dignes de sa beauté, s'habillait désormais de noir, le symbolisme de l'enterrement, jour après jour, de sa digne innocence et de sa bonté. Elle n'était plus que l'ombre de la belle cavalière, cette héroïne qui avait sauvé Blanche-Neige, et qui voulait désormais causer la perte de ce doux flocon.

Soudain, Emma se fit à pleurer, usant toute la force que ses petits poumons lui accordaient, et Regina sursauta, relevant son visage larmoyant vers l'horizon.

—Pardon, Majesté, murmura le garde qui tenait le bébé dans ses bras. Voici l'enfant de Blanche-Neige, comme vous le désiriez.

L'homme au cœur de glace avait beau tenter et tenter de bercer cette petite chose pour la calmer, Emma continuait de crier, et Regina finit par se retourner, approchant d'un pas rapide des deux gardes, avant de voler la fillette aux bras du premier, et de la tenir contre sa poitrine en lui fredonnant une berceuse. Alors, doucement, les pleurs d'Emma devinrent gazouillis, et les gazouillis silence.

La reine releva la tête d'un air exaspéré, roula des yeux, puis posa finalement un premier regard sur la fille de son ennemie jurée : les grands yeux gris du bébé la fixaient avec curiosité, et ses lèvres, semblables à celles de sa mère, étaient entrouvertes. Elle s'accrochait à sa couverture blanche aussi fermement que possible, et Regina finit par jeter un œil au tricot, sur lequel le prénom Emma était magnifiquement brodé en lettres violettes.

—Emma, que vais-je bien pouvoir faire de toi..., murmura-t-elle de sa plus douce voix, avant qu'une fumée violette envahisse la pièce, brisant tout autour d'eux et les emportant vers un monde où seule la reine –et peut-être Emma– aurait le droit à une fin heureuse...