Partie 1 : L'oncle Tony

Chapitre 1

A la mort de son maître, Hydromelle perdit tout espoir.
Le souvenir de ce corps sanglant s'éteignant peu à peu sous un voile de larmes couvrant les paupières de la jeune naine, le mouvement des lèvres encore chaudes cherchant à prononcer leurs dernières paroles aux oreilles assourdies par les sanglots, l'affolement alentours tandis que les autres nains tentaient de le réchauffer par des couvertures et de le soigner par des cataplasmes, la petite âme étourdie par la résonance des battements de son cœur, effondrée par la mort qui renouvelait son étreinte encore et encore sur ses proches , toutes ces pensées étaient comme des lames perforant peu à peu son esprit encore enfant.

Pourquoi cet acharnement ? Pourquoi était-elle partie dans les montagnes ? Elle ne pouvait plus sauver personne à l'aide de la médecine si pauvre des Nains, qui n'avait rien pu faire pour celui qu'elle respectait plus que toute personne. Elle n'avait plus rien à perdre, plus aucune pensée, alors elle frappait de toutes ses forces à l'aide de son petit gourdin d'apprentie. Personne ne lui rendrait ce que la vie lui avait donné de meilleur, plus jamais elle ne retournerait dans la forge en portant un petit ballot de matériaux utiles à ce vieux nain jovial qui l'accueillerait au coin du feu en l'invitant à boire un vin chaud pour la réchauffer, puis lui parlerait des étranges créatures de ce monde pour l'endormir. Elle s'éloignait lentement de toute vie, de tout âtre, de tout ce qui ne la faisait plus que souffrir, lui rappelant trop le sourire du maître forgeron qui l'avait prise sous son aile.
Frapper. Jusqu'à en perdre le sens de toute chose existante. Perdre sa propre existence dans le combat. Tomber, puis se relever, et frapper encore.
Doucement, elle sentit l'épuisement atteindre ses muscles, ses entrailles, ses veines. Elle s'étendit dans la neige.
Le froid éternel de sa contrée natale lui faisait un nid de coton. Elle se sentit bien.

« Alors, on se réveille ? »

Cette voix était familière. Elle ressemblait à celle de la naine qui lui avait appris à creuser dans la mine de charbon, des années auparavant. Cette femme disait que la jeune Hydromelle se débrouillait plutôt bien pour son âge.
Elle ouvrit les yeux. C'était bien Sangria qui se tenait devant elle. Partie chercher des pattes d'araignée dans la montagne avoisinant les mines, elle avait trouvé son ancienne élève couchée sur le sol et l'avait ramenée dans sa maison, au milieu du village des Nains.

« Alors, que faisais-tu seule dans la montagne ? Ce n'est pas bon de se battre à bout de forces. Regarde-toi on dirait une âme en peine. Tu me fais penser aux morts vivants qui hantent la mine abandonnée de l'est ! »

Les deux femmes restèrent silencieuses. Elles ne s'étaient pas parlées depuis que cet aîné, ce grand nain forgeron, avait emmené la jeune mineuse pour lui apprendre le métier de la forge. Hydromelle savait mieux creuser que fabriquer des objets mais son maître avait tenu à lui enseigner patiemment son art.
Pourquoi ? Personne n'en avait jamais rien su.

Après avoir appris la terrible nouvelle, Sangria lui apporta de quoi se restaurer un peu et s'en alla fouiller dans sa bibliothèque, puis revient avec un livre qu'elle ouvrit aussitôt en s'asseyant à sa table de salon.
Pendant que la jeune naine buvait son bol de cidre chaud au miel, sa première enseignante écrivit quelques lignes sur un parchemin. Ecrire. Elle n'avait jamais pensé à apprendre cela. Elle connaissait maintenant les noms des matériaux et ne savait lire que les recettes des armes de base, comme son petit gourdin.

« Voilà. Apporte cette missive au village des Elfes. Ils sauront retrouver ton oncle Tony qui est parti vivre dans la forêt, après avoir reçu je ne sais quel coup sur la tête... »

La jeune naine se saisit du papier sans le lire et le mis dans la poche de son pantalon de toile bleue. Une nouvelle mission ? Dans la forêt ? Voilà qui commençait à être... ennuyeux.
Voyant sa mine déconfite, Sangria mit un doigt sur ses lèvres et sourit.

« J'ai une autre idée. Tu acquérras sûrement de l'expérience sur le chemin, alors pourquoi tu ne suivrais pas les pas de ton maître, comme il l'a toujours voulu ? Pourquoi tu ne te mettrais pas à forger et vivre de la vente des armes et armures ?
- La vente... Je ne suis pas portée sur le sou.
- C'est vrai. Tu as toujours pensé ainsi. Pour une naine, c'est assez singulier.
- Croyez-vous que je puisse m'entendre avec les Elfes ? Ils sont hautains et mesquins.
- Essaye d'éviter de les taquiner ou de raconter des blagues de tavernes. Tout ce que tu auras à faire sera trouver quelqu'un qui te conduise à ton oncle. L'entente est secondaire. »

Des tavernes. Il n'y en avait pas chez les Elfes, du moins, aucune qui ne serve de l'alcool aussi bon que dans les tavernes Naines. Trouverait-elle un compagnon de beuverie ? Un compagnon de route pendant son long voyage ?
Sans hésiter une seconde de plus, elle fit son bagage et partit vers la forêt.