Chapitre premier: Les ombres d'Antara

Une pluie lourde et glacée martelait les pavés de la ville. Le genre de temps qui incite les gens à rester chez eux. De toute manière, il était plus de 23h et plus personne ne s'aventurait dehors à ce moment-là. Les parages n'étaient pas sûrs. Des événements surprenants se produisaient depuis plus de trois mois. Des tempêtes inexpliquées, des tremblements de terre... C'était comme si la nature donnait des avertissements. Comme si quelque chose de terrible allait bientôt se produire...
Un bruit de trot se fit entendre. Un cavalier venait de dépasser les premiers pâtés de maison. Il s'arrêta vers l'arrière de la ville. Là, on voyait des roches disposées en cercle. Il tendit la main et une ouverture apparut. Il y descendit.
Le seul témoin de cette étrange attitude fut un chat noir, qui disparut dans une lucarne entrouverte. La pluie continua de tomber.
Tout redevint tranquille.

A l'intérieur du tunnel, tout était éclairé par des torches. Enfin, l'homme arriva dans une grande salle au plafond voûté. Là, une grande table ronde en pierre s'y trouvait. Assis autour, huit autres personnes. D'abord, une femme. Elle était vêtue d'une robe argentée et d'une cape noire identique à celle du dernier arrivant. Ses longs cheveux étaient bleus et retenus en arrière par une attache d'argent. Ses yeux étaient d'un bleu glacé, semblable à un lac gelé. Près d'elle, un homme aux cheveux bleus mi-longs et à la cape noir également observait le nouvel arrivant d'un air solennel. La forme de son visage et ses yeux du même bleu que ceux de la femme laissaient aisément deviner leur lien de parenté. Les deux avaient aussi la même peau diaphane, qui leur donnait l'air de noyés. Assis près d'eux, un homme aux cheveux pourpres et au regard de braise. Il était vêtu de noir, et portait la même cape noire que les autres. En réalité, ils en portaient tous une. Son teint pâle paraissait encore plus maladif à la lueur des torches et ses yeux étaient emplis de cruauté. Près de lui, un autre homme aux cheveux noirs de jais et aux yeux pourpres comme sa tunique caressait le pommeau de son épée d'argent d'un air cruel. Assis plus loin, deux hommes d'une cinquantaine d'années parlaient. Ils avaient tous les deux des cheveux bruns assez long et des yeux d'un gris froid. Ils arrêtèrent leur conversation en voyant entrer le nouveau venu. Ils étaient tous deux vêtus également de noir. Encore plus loin, un vieillard aux yeux d'un violet foncé ne disait rien, semblant regarder dans le vague. Il avait beau paraître chétif, on lui devinait une vigueur encore présente malgré son grand âge, rien qu'à la manière dont les jointures de ses mains étaient crispées. A côté de lui, une jeune femme aux prunelles bleu-violet et aux long cheveux blonds, vêtue de blanc et de sa cape noire, regardait les alentours.
C'est près d'elle que le nouvel arrivant vint se placer. Il retira sa capuche, dévoilant pour la première fois son visage. Celui-ci était ridé. Il était visiblement encore plus âgé que les autres, mais on voyait bien une grande force en lui. Ses yeux étaient froids, couleur d'améthyste terne. Ses cheveux blancs étaient retenus en arrière par une natte serrées.
- Content de te voir enfin, Eolos, dit l'homme aux cheveux pourpres. Quelles sont les nouvelles?
- Il est temps d'agir vite, répondit-il. Elle en est déjà à son huitième mois et nous n'avons toujours pas décidé au final. Allons-nous laisser un novice détruire tout ce que nous avons réussi à construire en si peu de temps?
- Au final, tu ne veux plus le recruter, dit la femme aux cheveux bleus. Quelles en sont donc tes raisons? Tu crains que finalement, il n'hérite de la nature douce de son illustre père?
- Oh non. C'est bien pire...
Il marqua une pause et dit:
- Il y'a plus d'un enfant qui naîtra d'ici la fin de ce mois-ci... Le fils serait à nous... Mais Elle... sûrement pas... Trop de données ont changé. Nous ne pouvons maintenant plus nous en tenir au plan initial.
La blonde assise près de lui comprit:
- La fille aurait été une petite emmerdeuse, c'est bien cela?
A l'entendre, on aurait dit qu'elle était déjà morte.
- Je ne l'aurais pas mieux dit... Elle ferait échouer nos plans à coup sûr!
Il se leva:
- Antara est à nous. L'empire de cet incapable d'Antinos est à nous. Le monde entier sera à nous. Notre temps est venu...
Il ajouta:
- Mais qu'aucun de vous ne s'en mêle. Si elle et les bébés doivent mourir, il vaut mieux qu'on ne puisse pas remonter jusqu'à nous...
- Nous comptons sur toi!
Eolos eut une étincelle dans son regard violet. Il dit enfin:
- Nous sommes les ombres d'Antara. Nous deviendrons bientôt celles du monde...

- La situation d'Antara devient vraiment préoccupante...
Près du repaire des oiseau-rocs avait été bâtie une tour de marbre. C'était là que se tenait la ligue Jupiter. Formée il y'avait deux ans par les deux mystiques d'air qui avaient aidé à renverser Antinos. Ils étaient maintenant une trentaine au total à l'avoir rejointe. Une dizaine d'entre eux montait les oiseau-rocs à l'exemple d'Ivan. Et tous ces mystiques venaient surtout du continent d'Antara.
La situation était préoccupante car depuis peu, Antara semblait être devenue le théâtre d'événements étranges. Il y'avait d'abord eu d'étranges tempêtes, qui semblait provoquée par un excés de psynergie de Jupiter. Ensuite, il y'avait eu cette épidémie... Un mal étonnant qui ne touchait que les mystiques. La ligue des mystiques de Mercure à Imil avait eu fort à faire. Leurs meilleurs guérisseurs n'avaient pas trouvé de remède, tout juste un moyen d'empêcher la contagion. Ce qui était très inquiétant, c'était que les rares qui en réchappaient semblaient ne plus pouvoir contenir toute leur puissance. Après la létargie qui les saisissait jusqu'à les entraîner dans la mort, il y'avait ce dernier stade où ils finissaient par mourir, consumés par leur énergie vitale... Enfin, dans un dernier cas, la maladie disparaissait de façon innatendue, sans qu'on ne puisse comprendre pourquoi. C'était les cas les plus rares. En réalité, ils n'étaient que cinq à avoir eu cette chance. Deux d'entre eux étaient encore des enfants dont les pouvoirs d'adepte ne s'étaient même pas encore éveillés.
Ils étaient quatre, réunis dans la salle du sommet. Elle était de marbre, tapissée de violet. Un dôme de verre formait le toit, et les rayons du soleil levant l'éclairaient déjà, baignant le décor d'une belle lueur dorée. Mais les quatre visages semblaient soucieux. Il y'avait deux hommes et deux femmes. Le plus vieux d'entre eux avait les cheveux blanc, d'un blanc d'ivoire lumineux tressés à l'arrière et des yeux d'un violet très foncé. L'autre possédait de longs cheveux vert turquoise et paraissait jeune. Ses yeux d'un violet sombre brillaient d'une lueur intelligente. Les deux femmes étaient aussi différentes l'une de l'autre. La première paraissait grande et forte, ses longs cheveux violets étaient ramené en arrière par une attache fine. Seules deux mèches encadraient le devant de son visage pâle et fin. Ses grands yeux améthystes brillaient d'inquiétude. Assise à côté d'elle, il y'avait une femme blonde aux cheveux courts, donc les yeux verts éméraude tranchaient avec la robe violette attestant de son statut qu'elle portait. Elle semblait ne pas avoir plus de dix-neuf ans, mais ses traits étaient déjà emplis de la gravité que confère l'expérience. L'homme aux cheveux blancs prit la parole:
- Votre frère se fait attendre, Hamo, dit-il d'un ton glacial en regardant la femme aux cheveux violets. J'espère que vous lui avez bien communiqué l'horaire de cette réunion...
Hamo se sentit piquée. Le maître Eolos la détestait, elle et Ivan et ne se privait jamais de leur témoigner son hostilité. Elle était maintenant bien contrainte de prendre la défense de son idiot de frère cadet qui était allé à l'encontre de toutes les règles depuis deux ans. Elle ne l'aurait jamais imaginé évoluer ainsi! Quand elle l'avait revu la première fois au temple Lama, il lui avait semblé d'une nature douce et calme, et par conséquent, obéissante. Mais elle s'était trompée! Par la suite, il s'était révélé d'une intelligence vive, mais surtout d'un entêtement sans égal, son voyage avec les autres mystiques qui avaient sauvé Weyard à présent à trois reprises lui avait permis d'affirmer son caractère. Et maintenant, il la mettait dans une situation bien délicate.
- Vu les soucis qu'il a en ce moment, encore pire que les nôtres, ce n'est pas surprenant, répondit-elle d'un ton sec. Comment réagiriez-vous si vos confrères vous regardaient comme si vous étiez porteur de la peste à cause d'une prophétie?
Maître Eolos fronça les sourcils:
- Il est bien surprenant de vous voir le défendre alors que j'ai cru comprendre que vous n'approuviez pas son attitude...
- Il a fait son choix voilà deux ans, répondit-elle d'un ton grave. Pour limiter les dégâts, je n'ai plus qu'à l'aider comme je pourrais, bien qu'il ne m'écoute pas la plupart du temps. Nous nous étions mis d'accord pour surveiller la situation, Maître Eolos. Il n'est pas nécessaire de l'envenimer à coups d'humilliations!
Elle venait de lui clouer le bec. Eolos décida de laisser tomber la joute oratoire... pour l'instant.
A cet instant, la blonde dit:
- Il me semble entendre des pas dans l'escalier... Je crois bien qu'au final, il est ponctuel, Maître Eolos... Nous ne devions commencer que dans une minute encore, n'est-ce pas?
La porte s'ouvrit, laissant entrer le cinquième membre du conseil. Il garda une expression neutre, mais ses grands yeux d'améthyste laissaient transparaître clairement son agacement. Son visage avait pris une teinte bronzée à force de soleil et ses traits laissaient transparaître clairement un air d'adolescent trop vite grandi, qui contrastait avec la gravité et l'intelligence qui se manifestaient dans son regard. Il était vêtu d'une tunique et d'un pantalon noir sous une cape d'un violet assorti à ses yeux. Une fois de plus, le regard de Eolos foudroya nettement du regard la fine alliance qu'il portait à la main gauche. Depuis le début, il le voyait comme une véritable provocation, le signe éclatant de l'espèce de sacrilège qu'avait commis le jeune homme en épousant une femme à la destinée maudite. Hamo, elle regarda Ivan avec neutralité, tandis que les deux autres furent les seuls à avoir au contraire un petit sourire amical pour le jeune adepte de Jupiter.
- Merci de nous honorer de votre présence, Ivan, dit Eolos d'un ton sévére. Veuillez vous asseoir. Maître Léos, veuillez nous faire un rapport de la situation...
- Je reviens d'Imil, expliqua aussitôt le jeune homme aux cheveux de jade. Les cas de mal de la psynergie semble à présent disparaître. Ils n'ont déploré que sept morts pour une dizaine de village depuis quinze jours. En revanche, les deux cas dont nous avons parlé précedement sont toujours portés disparus. Et les guérisseurs ont constaté des choses assez étranges sur les malades...
Il marqua une pause et dit:
- Par exemple, l'un d'eux a eut l'idée d'examiner leur sang et y a trouvé les traces d'une subtance étrange... En réalité, c'était visible sans avoir besoin d'aucun artifice, je l'ai vu moi-même de mes propres yeux. C'était comme des sortes de caillots, mais ils brillaient et étaient d'une curieuse couleur violette...
- Comme des éclats de pierre psynergie? demanda Ivan.
- C'était un peu petit, mais ca ressemblait à cela...
- Etrange, murmura la femme blonde. Pour un peu, je dirais vraiment que les Ombres y sont pour quelque chose...
- En admettant que ce soit vrai, Cylia, comme espériez-vous les contrer? répliqua Eolos. C'est ce à quoi nous travaillons depuis des mois sans résultat...
Cylia le regarda dans les yeux:
- La création de pareil virus nécessiterait une connaissance de l'alchimie assez élevée... Seul un grand mystique serait capable de cela... Je me demande comment il aurait pu échapper à votre vision, vue toute la connaissance dont vous disposer par rapport à nous...
- Je n'aime pas vos insinuations, répliqua Eolos en fusillant la jeune femme du regard. N'oubliez pas que le don de voir ne se manifeste qu'aléatoirement dans la majorité des cas...
Ivan faillit pouffer de rire, mais se retint. Il avait déjà réussi à plusieurs reprises à avoir des visions contrôlées, à présent. Bon, il n'avait pas perçu de choses vraiment importantes, mais il avait perçu et savait que ce n'était probablement qu'une question d'entraînement, même s'il savait que sa propre soeur avait des difficultés à bien voir par moment. Ou Eolos était stupide, le comble pour un adepte de Jupiter aussi puissant que lui, ou il mentait. Et Ivan était prêt à parier sur la première solution. Le jeune homme s'était déjà demandé quelles étaient les véritables motivations d'Eolos. Aider ou au contraire, manipuler les autres mystiques dans l'ombre comme les pièces d'un échiquier?
En tout cas, personnellement, il ne lui faisait aucune confiance et il savait qu'il en était de même pour Hamo. C'était d'ailleurs bien la seule chose sur laquelle ils étaient d'accord.

Lorsqu'ils sortirent de la réunion, ils avaient toujours de nombreuses questions sans réponse. Ivan et Léos marchaient à présent dans la cour extérieure. La vue sur la montagne était tout simplement magnifique et le temps au beau fixe.
- Eolos continue à te regarder comme s'il voulait te bouffer tout cru, dit Léos d'un ton malicieux.
- Comme beaucoup de gens ici, répondit le jeune homme blond d'un ton léger.
- Les abrutis, soupira Léos. Comme si un mioche tout juste à l'état de conception pouvait faire mal à quelqu'un... C'est vrai, quoi! Une chance que ta femme soit bien loin d'ici, ils seraient capable de croire qu'elle pourrait les faire tomber raide morts juste en éternuant...
Ivan éclata de rire. Il aimait beaucoup Léos. Pour un adepte de Jupiter, il avait beaucoup d'insouciance et d'optimisme... Ainsi qu'un humour bien à lui. Il avait été admis au conseil à cause de sa puissance plus qu'à cause de son expérience, mais du haut de ses vingt-trois ans, il avait notament eut l'occasion d'affronter les mystiques d'Antinos qui avaient essayé d'annexer Antara voilà deux ans. Son goût de la liberté avait fait également de lui un excellent chevalier des oiseaux-rocs. Ivan et lui avaient sympatisé de suite. L'histoire de la prophétie lui avait fait un certain froid dans le dos, mais il partait du principe qu'un enfant était un enfant, et qu'une bonne éducation empêcherait sûrement de le voir basculer du côté du mal. Avec Cylia, il était donc son seul soutien au sein de la ligue Jupiter.
- Où est Cylia? demanda Léos au bout d'un moment.
- Elle se prépare à rentrer chez elle, dit Ivan. Pour un peu, je l'envierai. Sa vie privée n'interesse personne, par chance!
- Avec ou sans prophétie, je pense tout de même que la tienne en interesserait certains, répondit Léos d'un ton malicieux.
- De quoi tu parles? s'étonna le jeune homme blond.
- Des quelques rares jeunes femmes ici qui ont du mal à se concentrer quand tu passes dans les parages...
- Arrête ca, Léos, gémit Ivan, très gêné.
- Mais c'est vrai! On te regarde...
- Pfff! C'est Astréos qui les impressionne, gromella-t-il. Et surtout, c'est la prophétie qui fait de nouveau de moi l'objet de curiosité...
- Et moi qui voulait être positif...
- Ne t'inquiète pas pour mon état moral, répondit Ivan d'un ton plus joyeux. Vu que plus grand chose ne se passe ici, j'ai l'intention de prendre un peu de temps à moi...
Léos comprit:
- Tu vas partir?
- Exactement. J'ai une famille auprés de laquelle je tiens à retourner. Mon enfant ne naîtra pas sans que je me trouve à proximité... Au besoin, tu me feras rappliquer...
- Compte sur moi! Transmet mes hommages à ta chère dame!
- Je n'y manquerai pas!
Astréos atterrit près d'eux et Ivan se hâta de monter sur son dos. Puis il plana jusqu'à l'extrémité de la cour et se posa près de la jeune blonde qui arrivait:
- Cylia, je te dépose en chemin?
- Merci Ivan!
La minute d'après, ils s'en allaient dans les cieux...