Deux cavaliers se détachaient sur une lumière rougeoyante dans le lointain. Ils se tenaient droit sur leurs selles, le regard fixé sur le rougeoiement. Ils semblaient ne jamais devoir bouger tant leur immobilité était totale. Mais l'un d'entre eux lâcha soudainement
- Pauvres fous...
Puis il donna un petit coup de talon à sa monture qui débuta la descente d'un pas nonchalant. Le second homme le suivit sans un mot. Devant eux une énorme cité était en flamme, illuminant le ciel d'une grande lueur rouge flamme.
Aprés une heure environ du rythme lent et cadencé de leurs chevaux et les cavaliers se trouvèrent devant la porte de la Cité. Ordinairement elle se composait de deux énormes battants sculptés de milliers de runes qui pulsaient d'énergie pure. Mais il ne restait plus qu'un battant debout et sa surface était aplanie, comme martelée de milliers de coups. Toujours sans un mot mais avec une inclinaison tout juste perceptible de la tête les voyageurs entrèrent. C'était un silence de mort qui régnait à présent, tout juste entrecoupé de clameurs qui venaient d'un autre quartier encore en proie aux pilleurs. L'endroit où ils se trouvaient avait été frappé en premier et les maisons étaient déjà en cendre, seul dépassant quelques poutres calcinées. Des maisons qui se dressaient habituellement à des dizaines de ruis de hauteur gisaient à présent, comme désossées.
L'orgueil, se prit à penser le premier et plus loquace des cavaliers c'est l'orgueil qui les a perdu.
Il était vêtu d'un long manteau marron délavé qui indiquait son statut de voyageur endurci, et portait en dessous un surcot qui cachait bien une cotte de maille. A sa taille pendait une longue épée et deux poignards ornaient les fontes de sa selle. Il dissimulait son visage sous un sombre capuchon et ses traits restaient dans l'ombre. Cependant sa silhouette fine et son air assuré trahissaient une certaine expérience de la vie. Son compagnon quand à lui portaient sur ses imposantes épaules le même manteau à ceci prés que sur lui il semblait trop petit. De toute évidence il possédaient la force brute à son paroxysme.
Ils laissèrent leurs chevaux aller à leur guise au milieux des ruines fumantes, traversant de grandes rues, se rapprochant un peu plus du centre de la Ville. Maintenant ils étaient agressés par diverses odeurs, allant de la classique fumée à celle du sang versé. Ici et là gisaient des guerriers. De tout évidence les défenseurs s'étaient battus jusqu'au bout et au dernier homme.
Devant un cadavre étalé face contre terre et dont l'armure d'or prouvaient le rang élevé le premier cavalier s'arrêta et mit pied à terre. Se penchant sur le corps en surmontant sa répugnance, il le retourna pour voir son visage.
Ryan me damne !
Mengonart en personne !
Le visage était celui d'un jeune homme aux traits fins déformés par la douleur. Son agonie avait dû être affreuse car la blessure avait été portée en plein ventre, assez fort pour le tuer mais pas assez pour lui épargner une longue mort. Mais la plus grande particularité du guerrier résidait en une paire d'oreille pointue qui témoignait de sa race.
Les Elfes ne pardonneront jamais aux Hommes la mort d'un tel héros...
Mengonart était en effet un prince elfique, et même s'il en existait des dizaines dans chacun des Douze Forêts il portait tout de même le titre de Défenseur du Royaume Sylvestre. Même si ce royaume constitué des forêts réunis n'existaient plus depuis la Chute, le titre était encore important et sa signification lourde de sens. Le Défenseur du Royaume Sylvestre était un général influent la plupart du temps, et Mengonart avait été le meilleur entre tous ses prédécesseurs. Hélas il vivait des heures sombres.
L'homme se releva pour se tourner vers son ami.
Je te propose d'aller au Palais voir ce qu'il en reste Vaniart, puis de ficher le camps d'ici. Après tout ce ne sont pas nos affaires. Ou plus nos affaires.
Le dénommé Vaniart se contenta d'un hochement de tête éloquent et ils reprirent leur chemin
Il leur fallut prés d'une heure pour parvenir au Palais, évitant les colonnes de l'armée victorieuse qui paradaient dans les ruines au rythme de chants guerriers qui parlaient de viscères et de corps malencontreusement privés de leurs têtes. Ici encore les portes étaient éventrée. Il semblait que les derniers combats s'étaient déroulé dans le jardin, qui comme dans toute maison elfique normale se trouvait entre la porte et les pièces proprement dites. Les corps humains se faisaient encore moins nombreux par terre tandis qu'augmentaient les elfes tués. Le premier homme marqua un temps d'arrêt devant le spectacle du jardin jonché de morts, et c'est avec peine qu'il fit les quelques ruis avant le palais proprement dit. A l'intérieur la vue n'était pas meilleure, mais il devait aller jusqu'au bout.
ça va aller Bregon ? s'enquit Vaniart d'une voix sourde
Oui. J'espère. Je ne pensais pas trouver telle désolation. Pourquoi avoir tué jusqu'aux femmes ou aux enfants alors qu'ils ne combattaient pas ? dit il en désignant un immense charnier dans une des salles.
Ils pouvaient voir du couloir où ils avançaient que le gigantesque Hall avait abrité quelques heures auparavant presque toute la population non belligérante de la Cité. Maintenant on n'y voyait plus que des monceaux de corps. L'horreur avait été atteinte avec le viol des femmes et le massacre des jeunes enfants.
L'horreur est humaine tu le sais
Ils progressèrent vers le centre du palais, rencontrant partout le même spectacle de mort. L'odeur devenait insoutenable mais elle ne semblait pas gêner les deux hommes qui arrivèrent enfin au Ryan-Wyll. Cette endroit était le plus important dans chaque maison elfique car elle contenait l'autel des Dieux où les membres de la famille devaient faire leurs prières. Le Ryan-Wyll du palais avait vu la pire des abominations pour un elfe car l'autel gisait, éventré, et tous les prêtres avaient été joyeusement étripés.
Bregon s'agenouilla devant le lieu de culte souillé et murmura une rapide prière. Puis il s'en approcha et palpa les bas reliefs quelques instants. Il finit par appuyer sur l'un d'entre eux qui coulissa, dévoilant une cache sous l'autel. Il y ramassa un petit coffret qu'il cacha sous son manteau sans le présenter à Vaniart. Son compagnon ne s'en offusqua pourtant pas. Puis ils entreprirent de rebrousser chemin au milieu des défunts.
Au détour d'un couloir, ils entendirent soudainement des cris s'élever à quelques ruis de leur position qui les firent stopper net
Aller les gars, fouillez moi ce palais, les deux chevaux ne sont pas venus tous seuls ! Il doit rester quelques pourritures d'elfes dans les coins. Etripez les, mort aux Oreilles-Longues !
Poussant un juron, ils firent demi tour dans un grand chuintement de cape et se mirent à courir. Même si Bregon connaissait le palais, ils pouvaient très bien tomber sur un autre groupe à tout instant. Haletant sous le poids du coffret, Bregon tourna brusquement sur la droite et s'engagea dans une pièce.
Referme la porte vite !
Vaniart pesa aussitôt de tout son poids sur le battant qui malgré son apparente lourdeur se ferma sans problème. Hélas, il avait mit tout son poids dessus, la pensant difficile à bouger, et elle se referma si vite que le bruit sec qu'elle fit en claquant alerta les ennemis.
Par ici Chef ! Ils sont là.
Alerté par la perspective d'être pris par de tels barbares qui semblaient bien supérieurs en nombre, Bregon eut la fugace tentation de se mettre à paniquer. Mais ses yeux se faisant à l'obscurité de la pièce, il reconnut l'endroit où ils étaient et poussa un petit cri de joie.
Vaniart, qui était en train de barricader l'entrée à l'aide de meubles se retourna vers son ami, se demandant si les nerfs ne venaient pas de lâcher, libérant la tension accumulée.
On est sauvés Vann, on est dans la salle aux Milles Murmures. C'est là qu'on enferme tous les princes de la Forêt une nuit pour leur initiation, les murs sont disposés de manière à laisser passer le vent. Ce même vent qui en soufflant entre les planches provoque des murmures si stressants que seul les Oreilles Royales peuvent les supporter.
A ce point du récit il est important voire vital de savoir que les Rois elfes sont tous choisis dans la même famille, et ce à cause d'une légende qui leur prêterait des capacité physiques bien supérieures à celles d'un elfe normal. Et les familles royales se servaient de cette légende pour conserver le pouvoir dans leur dynastie. En réalité les princes étaient bien souvent au dessous de la moyenne à cause de leur éducation qui privilégiait l'intellect au physique.
Tu connais le mythe sur les familles princières ? La chambre des Milles Murmures était faite pour perpétuer cette légende, alors qu'en réalité les jeunes princes ne passaient que quelques minutes dans la pièce. Ils sortent et ne reviennent qu'au matin pour que tout le monde les découvre sains d'esprit et qu'on dise qu'ils sont aptes à régner.
Mais si mes souvenirs sont bons la porte est gardée, comment veux tu qu'ils sortent ? Demanda un Vaniart irrité par un raisonnement qui ne leur servirait pas de toute évidence à quitter ce piége.
Tout juste mais ce que tu ignores c'est ça...
Et il arracha un panneau qui représentait une scène de chasse pour dévoiler une plaque plus claire que les autres. Il la poussa et un étroit couloir apparut à leur yeux
Vaniart en resta muet de stupeur. Le temps que son cerveau recolle les morceaux, la porte était déjà ébranlée par plusieurs coups massifs agrémentés de jurons. Il leur fallait se dépêcher de sortir.
Vaniart et Bregon se préparaient à entrer dans le souterrain quand un mouvement dans le noir attira leur attention
C'est dans des moments comme ceux là que l'on peut voir le degrés d'expérience d'un homme face au danger. Sans même se concerter, Bregon bondit sur la forme et la plaqua au sol, tandis que Vaniart se ruait sur la porte pour la soutenir contre les assauts extérieurs, afin de leur gagner du temps pour identifier l'intrus. La manoeuvre se fit en moins d'un instant, et Bregon avait déjà une dague sous le cou de l'inconnu
-Ton nom étranger si tu ne veux pas mourir. Dépêche toi la porte ne tiendra pas longt...
Il eut du mal à comprendre ce qu'il avait sous les yeux. Le visage était noirci par les cendres, les vêtements en lambeaux étaient couvert par un manteau qui ne valait pas mieux et les yeux s'agitaient en tous sens, comme fous. La seule chose qu'on pouvait voir distinctement c'était la paire d'oreille qui dépassait de la chevelure foisonnante.
Un survivant...
Bregon assura sa prise sur le pauvre hère qui essayait de s'enfuir, et partagea un regard avec son ami.
-Un poids mort à traîner lâcha Bregon
-Breg, on ne peut pas le laisser là, ils vont lui faire la peau. Tu laisserais quelqu'un de ta race se faire tuer sans...
-JE T'AVAIT DIT DE NE PAS PARLER DE ÇA DEVANT UN ETRANGER!
-...ta capuche est tombée Breg
En effet, dans le feu de l'action le manteau avait glissé et le visage de Bregon était visible. Ses traits fins caractéristiques de sa race étaient cependants burinés par l'âge et la fatigue des chemins. Cependant on voyait à ses yeux qu'il avait en lui une force ancestrale, qui malgré son air d'elfe usé par la vie lui permettait d'aller de l'avant. Lui donner un âge aurai été impossible, et il pouvait avoir aussi bien 50 ans comme 5 siécles. Quelques rides étaient déjà apparue, mais elles ne faisaient que renforcer cette impression de puissance paisible. Il arborait aussi, détail véritablement révélateur, une belle paire d'oreille dépassant de ses cheveux argentés. Il s'en rendit compte et essaya de la réajuster. C'était exactement le moment que choisit le prisonnier pour tenter de s'échapper, terrifié par les mains qui le tenaient. L'elfe ne réfléchit même pas et fonça droit devant lui...pour se faire cueillir par l'énorme main de Vaniart qui le propulsa immédiatement sur son épaule comme s'il n'était qu'un petit sac.
-Bien joué mon ami, filons d'ici à présent, la porte cède. Emporte donc ce fou si tu veux vraiment t'en encombrer
Et aussitôt il se dans le passage secret, suivit de prés par Vaniart avec son fardeau sur l'épaule. Ils eurent tout juste le temps de réajuster la plaque sur l'entrée avant que leurs ennemis ne réussissent à briser la barricade et à faire irruption dans la Chambre.
-Où qu'ils sont passés Chef ? C'est pas possible y'a pas d'autre sortie !
-Trouvez les moi ! J'offre cinq feuilleries pour le premier qui les aperçoit ! Éructa leur commandant ivre de rage.
Pendant ce temps là, à l'autre extrémité du Palais une trappe se soulevaient dans ce qu'on pourrai qualifier de jardin mais que les elfes considéraient comme faisant parti de la maison. Une tête entourée de fin cheveux couleur de lune en émergea, suivie de prés d'une autre toujours cachée par une cape.
Silencieux comme des ombres qu'ils ne pouvaient être sous le soleil au zénith, les deux compères longèrent le mur d'enceinte du Palais pour arriver à une poterne entrouverte. Ils sortirent tout en vérifiant que la voie était libre.
On va devoir abandonner les chevaux déclara Vaniart, d'après ce qu'on a entendu ils sont désormais sous bonne garde.
Hors de question et tu sais très bien pourquoi lâcha son compagnon tout en se dirigeant vers l'entrée principale où leurs montures les attendaient
Poussant un soupir résigné, Vaniart lui emboîta le pas. L'homme sur son épaule s'était calmé, comme s'il avait compris qu'ils ne lui voulaient aucun mal, ou alors c'était que la compagnie du colosse lui plaisait davantage que celle de l'autre elfe. Arrivés à quelques distance de leur but, ils purent constater effectivement les chevaux étaient gardés par trois hommes qui râlaient de ne pouvoir participer à la curée et espérer eux aussi recevoir les cinq feuilleries.
-Avec cet argent j'aurai pu enfin payer mes épousailles avec la jeannette, et pis...
-Bonjour messieurs
Les trois auquel on aurai difficilement pu décerner le titre de soldat tant leur équipement était vétuste et crasseux se retournèrent comme un seul homme vers la voix sourde. Ils tombèrent sur une espèce de géant qui brandissait deux épées.
-Et adieu messieurs
Ses mouvements étaient si rapides, si fluides qu'ils ne se rendirent compte qu'il avait bougé qu'en entendant le rire de la Mort qui les emportait. Deux têtes roulèrent à terre dans un flot de sang tandis que le dernier sentaient ses entrailles se déchirer sous les assauts d'une épée qui le transperçait.
Ils moururent sans comprendre comment, tout comme ils avaient vécus.
Bregon redonna le prisonnier à Vaniart. Pour jouer de l'effet de surprise et en éliminer un maximum dés le premier assaut le géant avait du se débarrasser du corps encombrant. Mais l'elfe ne semblait vraiment pas apprécier le voisinage de son congénère car il se débattait comme un diable, faisant pourtant preuve de peu de force, comme s'il était épuisé par de dures épreuves.
En tout cas on sait de lui qu'il ne m'aime pas, c'est déjà ça bougonna l'elfe aux cheveux argentés
Un sourire au lèvres, Vaniart chargea l'elfe sur son cheval et monta prestement, faisant pour cela un mouvement d'une souplesse insoupçonnée chez un titan comme lui. Sans un mot il se mit à cravacher le cheval, suivi par son ami.
Ils quittèrent la cité par la même porte que pour rentrer, évitant ainsi les restes de l'armée humaine qui pillaient les dernières maisons.
Ne jetant pas un regard derrière eux, il galopèrent vers l'ouest, le mystérieux survivant en travers de la selle de Vaniart.
