A/N : écrit en réponse au thème "perte" pour la communauté d'écriture bingo-fr sur livejournal


En l'espace d'une seule seconde, elle vient de tout perdre.

Aslan les a pris à part, Peter et elle. Pour leur dire qu'ils étaient désormais assez grands, prêts à affronter le monde réel, et qu'ils ne reviendraient plus à Narnia. Peter a hoché la tête d'un air solennel, disant qu'il s'y attendait, et qu'il comprenait.

Susan, elle, ne s'y attendait pas, et elle comprend encore moins. Parce qu'elle n'a décidément pas l'impression d'être prête elle n'est pas prête à quitter Narnia (qui le serait ? Elle a vécu les meilleures années de sa vie ici), elle n'est pas prête à vivre dans ce monde réel qui est toujours en guerre alors que la paix vient enfin de s'installer ici. Elle n'est pas prête à perdre son innocence sous prétexte que ça y est, elle est assez mure pour porter des enfants. Elle n'est pas prête à perdre son pays sous prétexte qu'elle n'y est pas née. Elle n'est pas prête à le perdre lui sous prétexte qu'il doit gouverner Narnia seul, qu'il est le seul héritier légitime au trône. Susan a régné plus de dix ans ici elle a tout autant sa place à la tête du pays que Caspian.

Elle sait bien qu'ils n'ont pas eu beaucoup de temps ensemble, qu'elle le connait à peine, qu'elle ne sait pas vraiment si elle pourrait l'aimer, et c'est ce qui est le plus terrible, à vrai dire. Elle va partir, la tête remplie de questions, de « et si ? » sans réponses, d'énigmes qu'elle ne sera jamais capable d'élucider parce qu'Aslan la chasse de chez elle.

Et soudainement, elle est emplie d'une rage furieuse contre le vieux lion. Pour qui se prend-t-il, à la faire partir ainsi de sa demeure, de sa patrie, du seul endroit qu'elle peut encore appeler « chez moi » ? Elle veut protester, elle veut crier, elle veut supplier, elle veut pleurer, elle ne veut pas partir, elle ne veut pas perdre, mais à quoi bon ? Elle sait qu'il sera inflexible.

Et voilà que Caspian vient les chercher, les informer que tout le monde est sur la place, et elle sent son cœur se briser encore un peu plus. Elle n'est pas aveugle, Susan. Elle sait l'effet qu'elle fait aux garçons, elle l'a vu à Finchley. Elle sait ce que le regard du nouveau roi de Narnia veut dire, et pour la première fois, elle sait qu'elle porte le même. Et elle ne pourra rien y faire, parce qu'un vieux lion a décidé pour elle qu'elle était prête à tourner le dos à la meilleure chose qui lui soit jamais arrivée.

Ce n'est pas juste, rien de cela n'est juste, parce qu'elle s'en va, qu'elle ne reviendra pas, et elle pense à Lucy et Edmund qui pourront goûter aux joies de Narnia au moins une fois de plus, ce n'est pas juste. La jalousie brûle dans ses veines et ses entrailles et l'espace d'un instant, elle déteste son frère et sa sœur avant de se rappeler que ce n'est pas de leur faute, et elle s'en veut, mais pas autant qu'elle en veut à Aslan, parce que tout cela, c'est de sa faute.