Chapitre 1
« Parfois le mensonge explique mieux que la vérité ce qui se passe dans l'âme. » - Maxime Gorki
Ce vieux pub Moldu crasseux et désaffecté était la bouffé d'air d'Alvy. Vraiment, elle s'y sentait si bien qu'elle n'aurait eu aucun mal à oublier qu'une goule s'était pendue au plafond, si tel avait été le cas. Que dire de sa décoration composée de crânes en plastique, de draps noirs en lin tirés le long des murs et de ces tables en bois aussi collantes que si l'on leur avait jeté un sortilège de glue perpétuelle ? C'était le paradis, celui qu'elle imaginait dans ses songes à la nuit tombée. Juste l'obscurité et un bourdonnement sourd créer par des centaines de voix s'entrechoquant les unes aux autres.
Alvy redoutait le calme apparent. Il cachait toujours quelque chose de… désagréable.
La musique sauvage sortant tout droit des tripes de Moldus à moitié dépressifs et drogués complétait le charme de ce pub, pourtant caricatural à souhait dans le style « rebuts de la société Moldue ». Mais à quoi bon se décarcasser à paraître original ? Ce pub avait une âme et chaque objet avait une histoire, certains datant même de trois siècles en arrière. Et de toute façon, les gens se réfugiaient ici pour boire des litres de bières et non critiquer le mauvais goût des banquettes en cuir de vachette.
Peu importe les sarcasmes de ses camarades de Poudlard, Alvy adorait ce pub. Elle avait d'ailleurs un sacré don en matière de vidange spirituelle. Elle était experte dans l'art de rendre son esprit hermétique à toutes les railleries qu'on lui jetait à la figure. Notamment celles qui crachaient sur son bon vieux Moldu de père – longue barbe grise semblable à celle du professeur Dumbledore et godillots de motards boueux – gérant d'un bar atypique dans la banlieue de Londres.
Quand on ne la connaissait pas – et peu de personnes se vantait du contraire – Alvy était confondue avec un amalgame détestable de nonchalance, d'hypocrisie et de suffisance, tout particulièrement lorsqu'elle ignorait ceux qui avaient un jour éprouvé le curieux désir de lui adresser la parole. Mais non. Alvy n'était pas hypocrite, à l'inverse, elle montrait à tous son visage sincèrement las, éreinté et désintéressé. L'éclat soi-disant espiègle de ses yeux marrons n'était en réalité qu'un torrent de désolation et de désœuvrement.
Sauf lorsqu'elle était dans ce pub et qu'elle ressentait les effluves de l'alcool, du cuir et du sel, comme s'ils étaient au bord de la mer et qu'elle n'avait qu'à tendre l'oreille pour écouter les grognements du Kraken. Alvy travaillait ici tous les étés pour « aider son père dans ses affaires ». Les clients étaient avares de compliments envers ses yeux insipides depuis qu'ils avaient appris qu'elle était la fille chérie du patron. Alvy n'en avait cure s'ils croyaient qu'ils pourraient consommer gratuitement avec de simples « salut poupée, t'as un beau petit lot », ils se mettaient gravement le doigt dans l'œil.
« Non mais regarde-moi qui est entré », se plaignit Erza, qui passait un coup de chiffon humide sur le comptoir. « Ces abrutis n'ont aucune limite. »
Le regard d'Alvy dériva lentement sur les êtres vivants du pub, tandis que la musique tambourinait dans sa boîte crânienne et lui provoquait des lancées douloureuses. Outre le nain qui complotait avec deux femmes drapées de robes sorcières en étoffes violettes, elle ne capta rien qui ne nécessitait vraiment son entière attention.
Erza était à Poudlard avec Alvy dans l'illustre maison Serdaigle. Jamais elle n'avait rencontré quelqu'un de plus « altéré » qu'Alvy. Elle n'était pas démente en soi. Juste bizarre, trop bizarre. La seule et unique chose qui passionnait Alvy dans la vie était le cinéma Moldu. Elle s'y rendait souvent avec son père durant les vacances scolaires et était capable de disserter des heures sur le jeu d'acteur d'un certain « Johny Dipp » ou d'un « Colin Fist ». Un comble de critiquer ces Moldus alors qu'elle-même ne savait pas sourire sans paraître stupide ou hypocrite.
Le manque de réaction d'Alvy irrita Erza qui avait serré son chiffon si fort entre ses mains qu'elle l'avait déchiré en deux.
« Tu pourrais être un peu plus intéressée par ce qui t'entoure ou du moins faire semblant d'avoir une réaction… potable. »
Une grimace hautement lasse naquit sur les lèvres sèches et croûtées d'Alvy. Pourquoi faisait-elle tout un foin pour… pourquoi faisait-elle tout un foin exactement ? Alvy laissa un doigt glisser sur son menton en s'étalant sur le comptoir, prête à se livrer à l'exercice contraignant des potins entre filles.
« Tu ne les reconnais pas ? » s'agaça Erza dont les mains serraient frénétiquement un second torchon. « Pourtant on ne les loupe pas ceux-là, regarde-moi leurs têtes d'abrutis, ne me dis pas que tu ne les reconnais pas ? »
Sa seconde tirade avait un ton plus affligé qu'autre chose. Alvy remarqua enfin ses cinq nouveaux clients dont parlait manifestement Erza, mais elle n'en démordait pas, elle ne les avait jamais vu. Et elle savait pertinemment que dans approximativement vingt secondes, elle aurait déjà oublié leurs existences. Elle avait une mémoire un peu défaillante.
« Mais Alvy quand même ! Tout le monde en parle tout le temps à Poudlard ! »
Alvy plissa les yeux pour tenter de transpercer l'obscurité du bar et d'observer d'un œil distrait les visages de ces personnes qu'elle était, manifestement, censée connaître. De prime abord, ils ressemblaient à de parfaits crétins – seulement parce qu'ils pointaient leurs doigts partout pour commenter la décoration et riaient comme des hyènes au beau milieu des motards Moldus qui fréquentaient le pub.
Ce n'était pas la première fois que des élèves de Poudlard pénétraient dans l'antre de son père. Pas qu'elle les reconnaisse sur le moment. Alvy savait qu'ils étaient venus ici parce qu'elle les entendait médire sur elle tout le long de l'année restante. Enfin, c'était Erza qui les écoutaient et leur hurlaient dessus des immondices dignes à faire frémir un troll des cavernes. Alvy se contentait de rester silencieuse, le regard creux et vide, à attendre que les plats des elfes de maison veuillent bien pointer leurs délicieux fumets sur la table. C'était toujours ainsi, Alvy l'indifférente n'entendait rien, si bien qu'Erza écoutait et parlait pour deux.
« Ce n'est pas vrai ! Tu ne te souviens pas de la crasse que m'a fait l'abruti qui se passe sans arrêt la main dans ses cheveux comme s'il était le roi du monde ?
- Non, la fille me dit quelque chose en revanche… »
Une seule fille accompagnait ces quatre garçons. Ses longs cheveux roux détonnaient sur le rideau noir qui les précédait et sur ces petits crânes blancs que son père avait exposés sur chaque table. Elle semblait inquiète et jetait des regards angoissés aux habitués qui la fixaient sans discrétion. Le garçon à la main ensorcelée – anormal de passer sa main de ses cheveux trois fois en dix secondes – avait coulé son bras libre autour des épaules crispées de la fille. Elle n'avait pas l'air d'apprécier ce rapprochement.
« C'est Lily Evans. Il y a des rumeurs qui prétendent qu'elle sera Préfète-En-Chef à la rentrée. Mais j'avoue que je suis surprise de la voir avec Potter, je croyais qu'elle le détestait.
- Hum.
- C'est tout ce que tu as à dire ? »
Alvy haussa les épaules nonchalamment. Elle avait appris l'existence de l'être humain dénommée Lily Evans cinq secondes plus tôt, alors elle n'allait sûrement pas extrapoler sur le dégoût que cette fille manifestait pour le bras envahisseur du binoclard. Il était épuisant d'entretenir une conversation de plus de trois phrases sur un sujet aussi barbant.
« Autour d'elle, ce sont les maraudeurs, relata Erza d'un ton assuré, comme si c'était une évidence.
- Ah, vaguement entendu parler.
- Vaguement ?
- J'ai croisé celui-là une fois à l'entrée du cinéma », dit-elle avec une pointe de déception dans la voix en pointant Peter, maintenant qu'elle l'avait enfin reconnu. « Il n'aime pas le cinéma Moldu, tu le crois ça ? »
Erza n'aurait pas pu être plus dépitée qu'en cet instant. Alvy ne se souvenait des maraudeurs qu'à cause de Peter, le plus discret, parce qu'il avait osé lui dire qu'il n'aimait pas le cinéma et que ses amis maraudeurs non plus. Il serait sûrement parti en la traitant de folle si elle lui avait fait son sempiternelle discours sur le manque de jugeote des sorciers qui ignoraient encore cette merveilleuse invention des Moldus.
Alvy avait grandi dans une famille Moldue et n'avait su qu'elle était une sorcière qu'à ses onze ans lorsqu'elle avait reçu sa lettre de Poudlard. Son père non plus n'avait jamais su. Patricia, sa défunte épouse, était morte avec son secret cinq ans après qu'Alvy soit née dans la normalité la plus totale.
« En attendant il faut que quelqu'un les serve, alors à toi le privilège », sourit cyniquement Erza. « Pas question que je m'en approche. »
De son flegme légendaire, Alvy empoigna un plateau et son calepin, emboîta le pas d'un ivrogne tanguant jusqu'aux toilettes et s'arrêta devant ses cinq nouveaux clients. Ils l'examinèrent tous avec un certain intérêt, presque moqueur si on ne se focalisait que sur le rictus de Black.
« Vous voulez boire quoi ? »
Soudain, Lily hoqueta de peur lorsque le vieil ivrogne s'étala sur elle, s'étant finalement rappelé qu'il ne cherchait pas les toilettes mais la porte du bar pour fumer une clope au clair de lune.
« Allez Evans, détends-toi, t'as accepté de venir alors assume un peu.
- Toi Black je te conseille de la mettre en veilleuse, je vous signale que vous m'avez obligée à venir. Je n'ai pas la moindre envie qu'on retrouve mon cadavre dans la cours arrière ! Non mais vous avez vu cet endroit ? On ne s'entend même pas parler, je jure que je vais vous étriper avant de sortir d'ici !
- Calme-là un peu James », se lamenta Sirius, puis il reconsidéra enfin Alvy. « On va prendre cinq bières et ces cinq shot comme ceux-ci », compléta-t-il en montrant ce qu'une femme engloutissait à la table d'à côté.
Alvy haussa un sourcil, passablement étonnée par le sourire charmeur que lui refourguait Black. Il ne devait pas fréquenter les bars Moldus souvent pour oser commander une biture pareille. Mais elle n'insista pas – ce n'était pas son genre – et repartit le pas traînant au comptoir pour divulguer le contenu de la commande à Erza.
« Non mais qu'est-ce qu'ils croient ? Ils vont être assommés par des mammouths s'ils boivent le Petrushka Vine. Et ils n'ont même pas l'âge d'abord !
- On sert tout le monde, c'est la politique de la maison. Mon père s'en fiche s'ils sont mineurs tant qu'ils paient.
- Merci pour ton manque de réaction », s'agaça-t-elle. « Et ton père finira en prison un jour, tu peux me croire.
- Tu ne diras rien tant qu'il te paie », fit remarquer Alvy d'une voix monocorde.
Erza brisa deux verres sous le coup de la colère dont les briques se répandirent sur le sol telle une petite pluie scintillante. Aux antipodes d'Alvy, Erza était passionnée et vivante, fougueuse et réactive. Pas un cadavre mou qui se promenait tout le temps dans les couloirs de Poudlard d'un air absent.
« Il paraît qu'ils ont été arrêtés par la brigade magique, Black et Potter, la semaine dernière. On les a pincés dans un endroit où ils n'auraient pas dû se trouver. Je vois que cela ne les a pas empêchés de recommencer et je comprends mieux pourquoi ils sont ici, personne ne risque de les arrêter même s'ils hurlaient qu'ils avaient tué quelqu'un, jeter la tête et les pieds dans une poubelle et manger le reste au petit-dej », maugréa Erza.
Alvy déposa prudemment les bières sur son plateau et attendit qu'Erza s'active pour préparer les shot. Un autre client la héla, elle laissa donc son amie maudire les maraudeurs dans son coin et prit quelques commandes avant de revenir au comptoir. Erza avait rageusement jeté de la poudre verte dans deux des verres, substance qu'elle conservait dans une petite besace nouée à sa taille.
« Ceux-là sont pour Black et Potter. Ne te trompe pas surtout, ils vont bien apprécier. »
Alvy jeta un regard nonchalant aux deux verres en question et porta son plateau avec aisance jusqu'à leur table.
« Ces Moldus ont des endroits vraiment sympas, s'extasia Black en s'étalant sur la banquette d'un air impertinent.
- Dis pas ça devant Lily ! »
Ce couinement aurait été adorable pour Alvy s'il n'était pas sorti de la bouche de ce Peter. Elle s'efforça de ne rien montrer de son ressentiment quand elle déposa en silence les boissons devant eux. Alvy accrocha le regard du seul garçon qui ne parlait pas et se contentait de l'observer, en retrait, les bras croisés sur sa poitrine. Peut-être était-il de mauvaise humeur, déprimé ou malade. Son teint était abominable à la lumière des bougies. Cependant, ses yeux chocolat étaient loin d'être éteints comme il était de coutume chez les malades – Alvy n'en avait jamais vu d'aussi étincelants. Et pourtant, elle en avait vu des tas au cinéma. Le garçon lui offrit un maigre sourire avant de plonger ses lèvres dans sa bière, délaissant le shot en toute impunité. Lily Evans en fit d'ailleurs de même.
Ignorant les deux briseurs d'ambiance, Black, Potter et Peter levèrent leurs verres et trinquèrent joyeusement. Alvy retourna à sa place de prédilection, le comptoir, ramassant quelques bouteilles par-ci par-là sur les autres tables.
« Ils les ont bus ces crétins », ricana Erza une fois qu'elle fut arrivée à sa hauteur. « On va bien rire. »
Alvy passa derrière le comptoir et nettoya la vaisselle en imaginant sa vie si elle réussissait à créer un cinéma sorcier, où les spectateurs auraient la possibilité d'entrer dans le film et d'y participer pour en modifier le dénouement. Mais personne ne s'y intéresserait à part elle. Lorsqu'elle parvint à cette fâcheuse conclusion, Alvy devint maussade comme si un Détraqueur lui chatouillait les amygdales. Elle était en train de sécher le restant des chopes propres lorsque l'irréparable s'était produit. Erza avait éclaté de rire et camouflait ses mimiques de joie derrière sa main. Alvy jeta un coup d'œil à la table que son amie fixait et n'eut aucun réaction en voyant Potter, ainsi que Peter rire tels des gorets comme s'ils avaient été touchés par un Rictusempra. Inutile de préciser qu'ils avaient plein de pustules rougeâtres sur le visage et que leurs ventres avaient tellement grossi qu'ils étaient en lice pour concourir avec le Père Noël.
« On dirait ton grand-père, constata Alvy simplement.
- Réussi non ? Je m'y suis attelée toute l'année et je trouve que le résultat est plutôt concluant. »
Lily avait lâché un hurlement rauque, étouffé par Black qui avait aplati sa main sur sa bouche pour l'empêcher d'attirer plus l'attention sur eux. Peter et James étaient très bruyants et rotaient à n'en plus finir. Alvy vit que les trois autres, ceux qui n'avaient pas bu le mélange d'Erza, paniquaient. Evans tenta de percer les pustules à Potter en vain.
Soudain, le regard noir de Black se glissa sur Alvy et il bondit de la banquette pour foncer droit sur elle. Alvy déglutit et lâcha sa vaisselle dans l'évier.
« Toi ! T'as mis quoi dans leurs verres ? s'empressa-t-il d'aboyer à son adresse.
- Absolument rien », rétorqua-t-elle franchement.
Ses yeux gris l'analysaient sous toutes les coutures. Alvy spécula sur son regard franc, qui ne pouvait appartenir qu'à un gobelin détroussé tant il était orageux. Mais Black dut se rendre compte qu'Alvy n'était qu'une coquille vide car il se désintéressa aussitôt d'elle et chargea Erza qui sifflotait innocemment au comptoir.
« Ça vous apprendra à boire alors que vous n'avez pas l'âge », le nargua son amie malgré les menaces qui fusaient de la bouche de Black.
Observant Lily se presser autour de James et Peter, Alvy regretta qu'Erza ait empoisonné leurs verres. Leur chahut irritait les autres clients du pub. Et son père n'aimerait surtout pas que ses petits camarades sèment le désordre ici et fassent un vacarme digne d'un Magyar à pointes.
« Vous devriez vous en-aller maintenant », tonna Alvy sèchement à Lily.
La rousse releva ses grands yeux verts sur elle, vraisemblablement abasourdie, mais ne pipa mot. Elle se contenta d'aider James à tenir debout et l'emmena dehors en évitant soigneusement les regards lascifs des hommes présents. Alvy fixa ensuite froidement Peter qui s'étalait à ses pieds en ricanant entre ses doigts boudinés.
« Tenez, désolé pour le dérangement. »
Cette voix douce et calme interpela Alvy qui sursauta sur place. Le garçon au regard étincelant était tout près d'elle et lui tendait de la monnaie Moldue. Elle était un peu anxieuse de sentir ce regard lumineux braquer sur elle. Uniquement sur elle.
« Non, ce n'est rien, désolé pour… ça. »
Elle pointa négligemment Peter du doigt. Le garçon rangea sa monnaie en la remerciant tout de même pour les bières et aida son ami à se relever dignement. Alvy hocha la tête d'un air désapprobateur. Ce Peter avait eu ce qu'il méritait. Le cinéma Moldu, pourri ? Ces mots lui écorchaient encore les oreilles aujourd'hui.
Elle partait du principe que tous les sorciers qui méprisaient le cinéma avaient raté leur vie. Ni plus ni moins.
Alvy se retourna tel un robot et contempla la dispute de Black et Erza derrière un motard aux épaules carrées. Ils se hurlaient dessus sans gêne, sans se soucier des clients qui n'avaient rien à faire de leur divergence d'opinion. Alvy soupira un peu. Son amie était une vraie harpie et de toute façon, hurler comme si on lui avait enfoncé une fusée de chez Zonko entre les fesses ne résoudrait jamais rien.
Quand il eut débarrassé le plancher, Alvy revint auprès de son amie et elle n'ouvrit plus la bouche de la soirée, même lorsqu'Erza lui récita tous les défauts de Black. Alvy hochait la tête de temps en temps pour lui prouver qu'elle l'écoutait d'une oreille. Mais elle aurait été incapable de ressortir un des défauts cités, sauf si elle se concentrait de toutes ses forces. Rien n'était plus inintéressant que la vie des habitants de ce Château à courants d'air.
« C'est un coureur de jupon, un vrai abruti qui se sert de son sourire pour embobiner tout le monde, il pue la fiente d'hippogriffe et Merlin sait comment ça sait mauvais ! Ma fois, il s'est fait prendre à son propre jeu », répétait-elle pour la centième fois.
Alvy haussa les épaules. Elle n'était plus vraiment sûre de savoir de qui elle parlait – sa mémoire de poisson rouge était une véritable bénédiction. Alvy subit ce manège jusqu'à la fin de leur service, aux environs de trois heures du matin. Les deux Serdaigle passèrent un coup de serpillère et rangèrent la salle aussi vite que leur permettaient les bavardages incessants d'Erza.
Alvy poussa un profond soupir de contentement en fermant la porte du pub à clé dans le silence le plus complet. Elle ne rêvait plus que de son lit douillet. Alvy se surprit à cogiter sur ce silence qui l'enveloppait à présent. Le silence ne mentait jamais. Il révélait toujours ce que les bavards incessants ne pouvaient exprimer par des mots. Somme toute, il devait être le meilleur ami d'Alvy qui ne se complaisait que dans le mutisme et la négligence, et pourtant non. Il était de loin son pire cauchemar.
Le lendemain, Alvy se traîna dans la cuisine et bailla à rivaliser avec un dragon édenté. Son père était assis à la table et mangeait déjà un toast couvert d'une plaque entière de beurre, ainsi que d'une minuscule tranche de saumon fumé. Il disait toujours avoir un petit appétit le matin.
Alvy lui plaqua un bisou sur sa joue rosée et chauffa du lait dans une casserole. Elle planta quelques cuillérées dans le cacao en poudre pour le désolidariser et en versa dans son lait fumant.
« Comment ça s'est passé hier ma chérie ? Tu as reçu des pourboires ?
Le rituel matinal de son père. Toujours lui demander si elle avait eu des pourboires. Beaucoup de parents jugeaient et récompensaient leurs enfants aux notes qu'ils recevaient à l'école mais pas le père d'Alvy. Pour lui, c'était rhétorique et logique : si elle travaillait bien, que le pub était animé et que personne ne faisait de grabuge, elle recevrait de généreux pourboires de ses clients. Plus les pourboires enflaient, plus elle travaillait bien. Qu'elle trémousse son fessier vulgairement si cela lui permettait d'avoir plus de pourboires ! En effet, Patrick n'en avait rien à faire de ses notes à Poudlard – pourtant majoritairement excellentes. La maison Serdaigle accueillait après tout des élèves particulièrement intelligents.
« Pas grand-chose », admit-elle en haussant les épaules, « Erza en a eu plus que moi. »
- C'est normal fille, sa poitrine est plus grosse que la tienne et elle s'habille mieux que toi.
- Oui sûrement. »
Alvy bailla encore dans la manche de son pyjama et se gratta les yeux pour enlever des croûtes sèches qui la dérangeaient.
« Cette fille est étonnante », poursuivit son père, « elle fait tourner la tête de tout le monde… quand est-ce qu'elle revient à la maison ? »
Le regard avide de son père rendait Alvy perplexe. Lorsqu'Erza était dans les parages, elle était aussi transparente que si elle s'était cachée sous une cape d'invisibilité.
Erza était la seule de ses camarades qui avait l'autorisation paternel de fouler le parquet grinçant et délabré de la maison. Mais ce n'était pas bien grave, personne n'aurait eu envie de lui rendre visite de toute façon.
« Peut-être demain. On va acheter nos fournitures sur le Chemin de Traverse.
- Je devrais vous accompagner. »
Il gonfla le torse fièrement. Alvy se demandait parfois si son père n'avait pas le même âge qu'elle. C'était l'adulte le plus immature et irresponsable que la terre ait porté. Mais elle l'aimait énormément parce qu'il était sa seule famille et elle l'aimait encore plus dans un siège de cinéma.
« Tu devrais rester au lit, tu es malade. Le médecin a dit que tu devais te reposer. Ta cochonnerie est sérieuse.
- Ma cochonnerie ?
- Oh… c'est euh… on m'a dit que c'était une cochonnerie ce que tu as attrapé… mais je sais pas… je n'en sais rien. »
Alvy secoua vivement la tête et chassa cette idée de son esprit distrait. Son père ne choppait pas de cochonnerie, qu'est-ce qu'Erza lui avait encore fait bêtement croire ? Elle sirota son lait bruyamment pour dissiper le quiproquo, jetant des coups d'œil à la mine sombre de son père. Alvy s'était abstenue de chercher de plus amples informations concernant sa cochonnerie sur internet, à la bibliothèque publique du quartier.
« Je pense qu'il est préférable que tu nous rejoignes manger une glace à Fortarôme une fois qu'on a fini nos achats. »
Elle ne faisait jamais de phrases aussi longues, sauf avec son père où elle se sentait assez à l'aise pour discuter comme de vrais êtres humains.
« Mais je ne peux pas venir sur le Chemin de Traverse sans toi !
- Alors tant pis. »
Son impassibilité énerva son père qui avait manifestement très envie de revoir Erza. Deux semaines qu'il était confiné à la maison pour soigner sa cochonnerie et deux semaines qu'il n'avait pas pu la mater sous tous les angles.
Alvy engloutit le reste de son lait chocolaté d'une traite et lava son verre, ainsi que la casserole en silence. Son père marmonnait sans cesse dans son dos. Il n'était pas ravi d'être prisonnier de sa propre maison. Seulement, Alvy préférait qu'il se repose et guérisse plutôt qu'il sorte se pavaner dehors avec son haleine écœurante d'après-fête.
« Je vais travailler au cinéma. Ne m'attends pas, je reviendrai tard ce soir. »
Il était presque quatorze heures. Le premier film n'était qu'à quinze heure mais il fallait qu'elle prépare les sucreries et le pop-corn elle-même aujourd'hui. Greg, l'autre étudiant engagé par le cinéma, était malade.
« Tu y vas tôt ! » lui reprocha son père en se dandinant sur sa chaise. « Je suis tout seul toute la journée moi. Tu pourrais rester un peu avec ton vieux père.
- Greg est malade, mais lui n'a pas choppé de cochonnerie apparemment », lui fit-elle remarquer d'un ton badin.
Alvy ne saisissait pas vraiment la différence qu'il existait entre la maladie de Greg et la maladie de son père, malgré les explications de six pieds de longs d'Erza. À croire qu'elle s'en fichait complètement. Et c'était probablement le cas en son for intérieur. Son père menait la vie qu'il avait choisie... ce n'était pas de sa faute.
« Tu me prends du jambon et du pain en revenant s'il te plaît ? À moins que tu veuilles laisser ton vieux père mourir de faim dans d'atroces souffrances. »
Elle acquiesça malgré le plomb de culpabilité que son père avait cru bon d'attacher à ses entrailles, embrassa sa joue et monta dans sa chambre enfiler des habits Moldus. Elle ressortit de sa chambre dix minutes plus tard avec la dégaine d'un sac à patate – elle n'avait pas acheté d'habits neufs depuis très longtemps. Pourquoi ? Parce que faire les magasins était un véritable supplice, surtout lorsque son père y fourrait son grain de sel. Alvy longea le couloir entièrement boisé de l'étage supérieur de la maison et pénétra dans la salle de bain. Elle était équipée sommairement, mais c'était suffisant pour eux. La maison d'Alvy n'était pas un exemple de propreté mais elle avait décidé qu'elle travaillait trop pour s'en occuper. Elle avait tout juste le temps de faire ses devoirs entre deux services au pub et son boulot au cinéma.
Sa journée fut plus exaltante dès le premier pas qu'elle posa au cinéma. Elle ne vit d'ailleurs pas le temps passer. Des tas de Moldus se pressèrent à son guichet pour l'avant-première d'un film d'horreur. Alvy aurait aimé le visionner avec du bon pop-corn recouvert de caramel, mais elle n'avait personne avec qui y aller. Erza détestait ce genre de film et son père avait une cochonnerie.
A vingt-trois heures, elle fit un crochet par l'épicerie du coin – la seule qui était ouverte à cette- heure-là – et acheta du jambon. Ses yeux se fermaient tous seuls. Une fois arrivée à la maison, elle rangea le jambon dans le frigo, se déshabilla et s'assit à son bureau. Sa lampe de chevet s'alluma tandis qu'elle se rendit compte qu'elle avait oublié le pain. Pas grave.
« Potions, histoire de la magie. »
Un sourire discret envahit ses lèvres. Elle était soulagée d'arriver au bout de ses interminables devoirs. Elle potassa longuement la nouvelle ère sorcière du vingtième siècle et la potion de Felix Felicis. Alvy s'endormit sur son bureau à l'aube, ses devoirs terminés.
On pourrait penser qu'Erza adorait son patron. Mais non. Le mot haïr serait plus fidèle au tableau qu'elle se dressait de Patrick Walch. Un pingre, un pervers et un mauvais père. Elle se gardait cependant de l'avouer à Alvy, elle qui vouait un véritable culte à son père. C'était compréhensible. Il était sa seule famille.
« Ton père t'invite au cinéma à chaque fois qu'il a quelque chose à se faire pardonner, comment peux-tu être aussi aveugle Alvy ? »
Elle n'en montra rien sur son visage impassible, mais cette pique l'agaça. Alvy défendait son père contre vent et marrée. Mais elle voulait vraiment voir ce nouveau film d'horreur Moldu qui sortirait à Noël.
« Alors il peut bien t'y emmener cette fois, il t'a fait travailler presque tous les soirs gratuitement cet été parce qu'il traine dans des endroits pas possibles et choppe des trucs dégoûtants. »
Alvy mordit dans son cornet de glace saveur Chocogrenouille-pistache.
« Toi tu pourrais venir.
- Pas question.
- Mais…
- Je vais déjà voir tous les autres avec toi Alvy. »
Elles étaient assises à la terrasse de Fortarôme depuis une quinze de minutes. Leurs achats s'entassaient sur la table tout près d'elles (leurs nouveaux bouquins de métamorphose et de sortilèges, leurs robes neuves et leurs ingrédients de potions). Alvy avait été échangé son argent de poche Moldu contre de l'argent sorcier.
« Je n'en reviens toujours pas que tu les as laissé filer sans payer. Et que tu aies interverti les verres ! Peter n'était pas visé, c'est Black que je voulais atteindre.
- Tu les as empoisonnés, tu voulais que je fasse quoi d'autre ? »
Ce soupçon de révolte se tarit bien vite dans le cœur d'Alvy. Elle baissa les yeux machinalement et lécha sa glace. Ce n'était pas bien grave qu'elle ait raté ce… comment s'appelait-il déjà ? Alvy secoua la tête avec lassitude.
« Je leur ai juste rendu la pareille. Ils ne t'ont jamais rien fait à toi, mais ce n'est pas le cas du reste du Château. D'ailleurs, prépare-toi à être leur cible numéro un dès qu'on sera de retour à Poudlard. J'imagine qu'ils ne mettront pas longtemps avant de découvrir qui tu es. »
Erza donna un violent coup de coude à Alvy qui s'était calé dans sa chaise, ses yeux nébuleux voyageant de vitrines et vitrines.
« Tu m'écoutes ?
- Euh, excuse-moi... je regardais les… pigeons. »
Alvy esquissa un sourire, enfin une grimace, et déposa quelques mornilles sur la table. Cette année, les pigeons étaient à l'honneur dans les boutiques d'animaux domestiques. Alvy espérait de tout cœur qu'aucun élève de Poudlard ne s'abandonne à cette tendance désastreuse.
« Alors les filles, vous vous engraissez encore un peu plus ? »
Erza se tendit imperceptiblement tandis qu'Alvy continuait à observer les pigeons comme si elle n'avait rien entendu, ce qui était après tout normal vu qu'elle n'avait réellement rien entendu. Alvy riva nonchalamment ses yeux dénués de toute émotion sur le propriétaire de la silhouette qui lui gâchait le paysage.
« On ne t'a pas sonné Fols », répliqua Erza, « retournes prendre le thé avec tes amis Mangemorts.
- Tu devrais apprendre à te taire parfois, Alvy chérie est une experte, tu devrais en prendre de la graine.
- Retire tout de suite ce que tu viens de dire ! »
Erza avait plaqué ses mains sur la table. Ses traits déformés jaillissaient de haine, de dégoût et de ressentiment. Adam Fols était un Serpentard de leur année, Sang-Pur par excellence, avec son allure d'aristocrate et son sourire de tombeur de ces dames. Erza regrettait amèrement que sa pauvre mère ait osé le mettre au monde et n'ait pas eu la subtile idée de l'étouffer avec le cordon ombilical.
Comme si être un Sang-Pur excusait le fait d'avoir une cervelle atrophiée.
« Ah tu es là toi, lâcha finalement Alvy en baillant.
- Tu n'es pas avec ton père ? »
Sa langue de serpent se faufilait entre ses babines retroussées. Alvy fronça les sourcils.
« Tu vois bien que non ? Il est malade. »
Elle se retint de préciser « cochonnerie », car Erza aurait hurlé à la mort à côté d'eux. Et elle n'avait pas très envie de subir les foudres, le tonnerre et la grêle de son amie.
« Pourrait-on être bientôt débarrasser de cet abomination ? Je n'ose pas y croire. »
Le ton admirablement moqueur d'Adam ne l'ébranla pas Alvy. Elle en avait l'habitude. Il tira la chaise à côté d'elle, ignorant les protestations haut-perchées d'Erza, et frôla sa main qu'elle retira précipitamment de la cuillère de sa glace, maintenant liquide à cause de la chaleur de ce mois de juillet. Adam glissa la cuillère de glace dans sa bouche d'un geste lent, ses lèvres se fondant parfaitement aux courbes imparfaites de la cuillère de Fortarôme et analysa attentivement la réaction d'Alvy. Elle le dévisageait d'une neutralité déconcertante mais ne détourna pas les yeux pour autant.
« Tu me parles tout le temps de mon père, tu as l'air de te beaucoup t'en soucier contrairement à ce que tu essaies de me faire croire, constata-t-elle platement.
- Tu te fiches de moi ? »
Alvy esquissa un bref sourire, récupérant sa cuillère calmement et la replongeant dans sa glace comme si rien ne s'était passé. Le Serpentard l'avait prise en grippe le jour où ils s'étaient percutés sur le Chemin de Traverse, trois ans en arrière, et que son père l'avait insulté de tous les noms. Le fier Sang-Pur s'était senti doublement insulté de par la nature Moldue de Patrick. Adam avait voulu se venger à maintes reprises mais il était forcé de constater qu'Alvy n'était pas très réceptive à ses chantages et ses coups bas. Elle était aussi insipide qu'une pierre calcaire couverte de boue.
Aussi bizarre que cela puisse paraître, Alvy n'était dérangée par la mine hautaine et la langue de vipère d'Adam. Sa présence était presque une bénédiction. Elle ne l'écoutait pas, le regardait de temps à autre pour flatter son immense égo, et répondait sporadiquement à ses piques. Ce n'était pas qu'elle le considérait comme un ami, elle n'était pas aussi stupide. Mais lorsqu'il était près d'elle, personne d'autre n'osait l'embêter, ni même l'approcher.
« Ton vieux Moldu de père, j'espère qu'il mourra pour l'exemple, je devrais peut-être m'en occuper moi-même… »
Son sourire insolent agaça Erza qui lui brailla froidement dessus pour qu'il disparaisse de leur vue. Adam partit en riant aux éclats, les mains dans les poches de sa robe de luxe, et s'engouffra dans l'Allée des Embrumes. Alvy soupira gravement de tout son soûl en repoussant sa glace contaminée par la salive d'Adam.
« Pourquoi tu ne te défends pas Alvy ?
- L'indifférence est la meilleure arme que j'aie », souffla-t-elle perdue dans l'océan sombre de ses pensées.
Erza leva les yeux au ciel mortifiée par l'attitude nonchalante d'Alvy. Elles récupèrent leurs affaires une heure plus tard après un silence de plomb les ayant plongées toutes deux dans un état second de dépressives.
Une semaine plus tard, Alvy se tenait sur le quai 9 ¾. Il était 10h30. Le train vapotait tranquillement dans son dos. Des élèves se ruaient déjà avec joie en son for, des cinquièmes années et sixièmes années principalement. Alvy observait d'un air amusé son père traîner sa valise jusqu'à elle, débitant tous les gros mots possibles et inimaginables pour un Moldu. Patrick avait un lumbago d'aussi longtemps qu'elle s'en souvenait mais il tenait à assumer son rôle de père, qui pour lui constituait à porter sa valise et la sermonner sur son vieux jeans délavé. Patrick était en sueur et s'épongeait le front avec deux mouchoirs, jetant des coups d'œil aux autres parents qui prenaient leurs enfants dans leurs bras.
« Je me rappelle la première fois qu'on est venu sur ce quai. Tu étais habillée de cette petite robe bleue que ta mère t'avait achetée avant de mourir. Elle me l'a dit, ce jour-là. Elle voulait que tu la mettes pour ta rentrée quand tu aurais onze ans. J'avais trouvé ça bizarre, mais… enfin ce n'est pas comme si j'aurais pu me douter de quelque chose. Mais elle savait que tu serais comme elle.
- Maman savait beaucoup de choses.
- Oui certainement. Elle était trop intelligente et qualifiée pour être une serveuse… »
Le regard vague de son père et ses lèvres pincées firent sourire Alvy. La nostalgie douce qu'elle lisait en lui était un très bel hommage à sa mère. Il ne l'avait pas oubliée toutes ces années, même s'il choppait des cochonneries dans tous les coins de Londres.
« Papa, il faut que tu montes ma valise dans le train.
- Maintenant déjà ? s'inquiéta-t-il en se massant le bas du dos.
- Je peux le faire aussi si tu ne te sens pas capable…
- Chut chut chut ! Les parents d'Erza arrivent, je vais monter ta valise pendant que tu les salues. »
Son père évitait sans arrêt les parents d'Erza, qu'ils les rencontrent dans un café, à la bibliothèque ou au cinéma quand ils récupéraient Erza après une séance tardive, quand elles étaient plus jeunes. Les parents de son amie étaient deux sorciers Sang-Pur et ils étaient très intéressés par Patrick et ses habitudes de Moldus. Ils posaient tout le temps des questions sur son travail – énormément depuis qu'il avait engagé leur précieuse et unique fille. Seulement, son père avait une peur bleue d'eux. Alvy n'avait jamais vraiment compris pourquoi.
« Bonjour Alvy, entonna la mère d'Erza, habillée d'une somptueuse robe vert olive.
- Ravie de vous revoir, Madame et Monsieur Prewett.
- Où est passé ton père ? s'enquit Erza.
- Il est allé monter ma valise dans le train.
- On devrait peut-être faire pareil papa. Le train part dans quinze minutes. »
Alvy se retourna et vit son père ressortir du train en se cachant derrière deux garçons. Les parents d'Erza le dépassèrent sans le voir. Alvy n'était pas étonnée qu'il se serve d'un stratagème ridicule pour les éviter mais elle était intriguée que deux élèves de Poudlard aient accepté de servir de remparts humains. En s'approchant d'eux, Alvy remarqua qu'ils riaient tous les trois ensemble d'une mine conspiratrice. Elle haussa un sourcil. Aucun de ses camarades n'avait jamais ri aux vannes douteuses de son père. La Serdaigle se planta à côté de lui comme une statue de cire. Patrick lui offrit un sourire rayonnant de fraîcheur en tapotant son épaule.
« Ces jeunes garçons m'ont aidé pour ta valise, la jeunesse a encore du bon. C'est tes amis Alvy ? »
Alvy dévisagea Potter et Black sans une once d'intérêt. Elle était prête à soupirer mais ravala ses suppliques lorsque son père lui décocha un regard noir.
« Je ne sais pas qui c'est, je me rappelle pas les avoir déjà vu. »
Ils parurent déconcertés. Alvy intercepta le regard méprisant de Black, tellement animé de dédain, qu'elle ne put y rester insensible. Qu'avait-il à la fixer comme si elle avait choppé elle-même une cochonnerie ? Le monde était décidément injuste.
« On s'est vu il y a une semaine, j'ai dû aller à St-Mangouste pour faire dégonfler mon ventre, s'emporta James Potter.
- Qu'est-ce que tu as fait Alvy ? »
Son père était paniqué, en apparence, car il n'avait pas la moindre idée de ce qu'était St-Mangouste. Il avait dû comprendre que Potter était allé consulter un chaman qui avait ordonné à une mangouste de lui perforer le bide avec ses petites griffes pointues. La magie était un concept tout à fait abstrait pour lui.
« Rien.
- Veuillez excuser ma fille les garçons, elle est un peu coincée et… mais regardez comme elle s'habille ! Vous êtes de solides gaillards vous, je parie que les filles vous tombent toutes dans les bras. »
Une bouffée de chaleur envahit ses joues et son cou comme une vague d'eau bouillante. Alvy ne savait pas si elle était gênée ou énervée. Elle ne ressentait rien d'habitude, son cœur était aussi sec qu'un désert de sable. Elle n'était pas douée pour exprimer ses… zantiments ?
« Vous n'avez pas idée », ricana Sirius en croisant les bras. « Votre fille devrait faire des efforts vestimentaires vous avez raison.
- Ah tu vois Alvy, ton ami est d'accord avec moi !
- Ce n'est pas mon ami, je me souviens même pas l'avoir vu un jour. »
Son ton était tout à fait courtois et monotone. Pas la peine de mêler des zantiments à sa vie tranquille, simplement à cause de crétins et de la tendance de son père à dénigrer sa garde-robe.
« On est dans la même école depuis six ans et on s'est vu au pub, rétorqua Black comme si elle était folle à lier.
- Alors, vous en avez pensé quoi ? C'est mon bébé ce pub ! La décoration a été rénovée il y a dix ans, j'en suis plutôt fier. »
Potter et Black eurent une révélation. Ils avaient surement compris que le pub appartenait à son père. Leurs regards s'éveillèrent comme deux billes possédées par l'âme d'un démon.
« Votre fille devrait revoir son accueil monsieur.
- Vous savez qu'elle m'a empoisonné ? »
Potter avait enfoncé le clou. Patrick ne fit pas attention à son petit air narquois digne d'une hyène.
« Alvy ! Qu'as-tu fait ?
- Rien, s'agaça-t-elle.
- C'est ça, pesta Black avec un sourire perfide.
- T'es peut-être ma fille mais ces garçons ne mentent pas. Et on ne maltraite pas les clients, tu devrais le savoir avec le temps ! C'est pour ça que tu n'as jamais de pourboire !
- Comment tu peux en être sûr hein ? claqua froidement Alvy.
- Ils ont dit la vérité sur tes vêtements. »
Alvy crut plonger la tête de son père dans la fumée de la locomotive pour abréger ses souffrances – non pas de zantiments ou d'émeausion ! – mais à quoi bon prendre cette histoire à cœur. C'était totalement désespérant et dénué d'intérêt. Elle ne savait même pas les noms de ces deux abrutis.
« Bon les enfants, je vais devoir y aller… on m'attend. J'espère vous voir aux prochaines vacances les garçons, je vous offrirai une bière. »
Alvy ordonna silencieusement à son père de détaler. Il pressa ses épaules délicatement et partit le ventre en avant, fier comme un commodore.
« Alors c'est ton père ? » se moqua Black en repoussant quelques mèches de ses cheveux derrière son oreille.
Erza étant réapparue avec ses parents, Alvy considéra cette discussion close et traîna ce qu'il restait de sa dignité à l'autre bout du wagon. Ils embrassèrent à coups de bave et de rouge à lèvres les joues creuses d'Alvy et étranglèrent Erza dans leurs bras. Le train était sur le départ. Alvy et Erza agitèrent leurs mains pour un dernier au-revoir et les deux parents ne devinrent bientôt plus que de minuscules crottes de mouche.
