Parle-leur de café, de gâteaux, de piétons
Elle aurait pu s'arracher les cheveux en pleurant. Devant elle, la page blanche ouverte par Microsoft Word sur l'écran de l'ordinateur portable semblait la narguer.
« Vous savez, miss, plus on attend pour boire son café, moins le goût vous plaira. »
Elle leva les yeux. Le type devait avoir dans la trentaine, des cheveux châtains, et la considérait d'un regard ambré placide. Elle loucha sur la tasse en porcelaine qu'elle n'avait pas touchée depuis que celle-ci avait été posée sur la table.
« Peut-être que je préfère le café froid. »
« Tous les goûts sont dans la nature » concéda le type avant de sortir un Carambar. « Ca vous dérange si je m'assois ? »
Elle eut un geste vague de la main.
« Faites comme chez vous. »
Il eut un bref sourire. Elle se remit à fusiller son écran de son regard le plus charbonneux.
« Une thèse récalcitrante ? » interrogea le type.
« Si seulement » grogna-t-elle. « Au moins, une thèse, c'est un point de départ, mais que voulez-vous qu'on écrive quand on n'a même pas de sujet pour son roman ? »
Une étincelle pétilla dans les iris brun-jaune.
« Oh ho. Des aspirations d'écrivain, à ce que je vois. »
« Aspirations, c'est le bon mot » grommela-t-elle. « Sur quoi je pourrais bien écrire, je vous le demande un peu ? »
Le type haussa des sourcils châtains.
« Et bien, si tu veux un sujet, regarde autour de toi. »
Elle regarda. Sur la table, un paquet de gâteaux secs posés à côté de la tasse de café froid. Le type en face d'elle. Les autres tables d'aluminium disposées sur l'esplanade, vides et occupées. Les passants en vestes, blousons ou simples chemises qui s'agitaient sur la place.
« Alors ? »
Elle fit la moue.
« Mais c'est la vie de tous les jours, ça. C'est pas un sujet. »
« Qui t'a dit ça, Valentine ? La vie, c'est un roman à elle toute seule. La vie, ça passionne les vivants. »
Elle plissa le front.
« C'est trop facile de dire ça. »
Le type eut un sourire espiègle.
« Dans ce cas, ça devrait être facile à écrire, non ? Dis-le à tes lecteurs. Parle-leur de café, de gâteaux, de piétons. Et regarde ce qu'ils en pensent. »
Elle sentit ses lèvres se retrousser.
« Vous êtes marrant, vous. »
« Je sais. »
Tout à coup, elle tiqua.
« Attendez, je vous ai pas dit mon nom… »
Mais lorsqu'elle leva la tête, l'autre avait disparu. Pas trace de lui sur la place. Il restait juste un emballage de Carambar sur l'aluminium de la table. Elle avala sa salive.
L'espace de plusieurs secondes, elle resta figée. Puis ses doigts trouvèrent les touches de l'ordinateur portable, et commencèrent à courir sur le clavier.
Un titre s'inscrivit sur la page Word.
Parle-leur de café, de gâteaux, de piétons…
