- Rose !
- Oh, je ne vous avais point vue, grommela la grosse dame du tableau, à moitié endormie. Elle grogna, se réveilla à demi en froissant sa robe rose. Au terme de quelques secondes angoissantes pendant lesquelles je me demandai si elle allait ouvrir ou bien me laisser là, elle pivota lentement sur elle-même pour me laisser passer. Je me faufilai par l'ouverture avec un soupir de soulagement. Au moment où j'entrais dans la salle commune de Gryffondor, une salve d'applaudissements nourris m'agressa les oreilles.
- Marie ! Nous t'attendions ! Tu es enfin arrivée ! Entre ! Vite !
Je fis un large sourire à la foule en délire, accompagné d'un magnifique geste de la main. Je pouvais à peine entrer dans la salle commune tant les élèves étaient nombreux, se bousculant pour me voir, me toucher, me parler. J'essayais de répondre à toutes les sollicitations, mais c'était impossible. Tous les élèves s'étaient donné rendez-vous en même temps, je ne savais plus où donner de la tête. Le clou du spectacle fut bien sûr la demande en mariage de deux Maraudeurs sur quatre. C'était fabuleux, magnifique. Tout à fait banal pour moi !
Eh oui, j'étais tout simplement la plus belle fille de l'école, la plus intelligente et tout le monde m'aimait. Même les filles, qui avaient tout pour être jalouses de moi, ne pouvaient s'empêcher de me trouver gentille et adorable. J'étais amie avec toutes les filles bien, nous nous retrouvions souvent entre nous, histoire de parler entre filles, de tout et de rien. J'étais à la pointe de la mode, je distribuais conseils et critiques. Ensuite, tous les garçons étaient à mes genoux, me suppliant de sortir avec eux. Le premier de la liste était bien sûr le magnifique Sirius Black. Lui et son sourire charmeur faisait tourner la tête de toutes les filles, mais il ne s'intéressait pas du tout à elles. Il n'avait d'yeux que pour moi. Et, personnellement, je me faisais une joie de le laisser languir aussi longtemps que je le voulais. Le deuxième sur cette longue liste de prétendants n'était personne d'autre que Remus Lupin, un autre Maraudeur. Avec ses yeux charmants et ses petites attentions, il était la tendresse incarnée. Il avait toujours le mot gentil pour tout le monde et était très tolérant. Comment les départager ? De plus, ils faisaient partie du groupe des Maraudeurs, le gang le plus en vogue à Poudlard. Comment ne pas parler de James Potter en prime ? Enfin, il est hors course, il ne fait que de baver devant la petite Lily Evans. Je ne sais guère ce qu'il lui trouve d'ailleurs, tout le monde sait que c'est moi la plus belle !
Je repoussai donc les deux demandes en mariage, leur signalant au passage que nous n'avions que seize ans, donc que nous étions trop jeunes pour ce genre de bêtise. Ils ne désespérèrent pas et dans la cacophonie de la foule, je pus clairement entendre qu'ils tenteraient leur chance à nouveau l'année prochaine. Cela me fit éclater de rire et ce fut le début d'une grosse rigolade en salle commune, chacun étant enchanté par mon rire divin, qui se répercutait dans la grande salle ronde. Une fois que nous avions tous bien plaisanté, la salle parut se calmer un peu. Un première année vint vers moi et me tendit son parchemin, l'air chagriné.
- Il faut que tu m'aides ! Je n'ai pas tout compris à mon devoir de Potions et je ne dois pas avoir une nouvelle mauvaise note, sinon Slughorn sera furieux contre moi !
Toute la détresse du monde se trouvait dans ses yeux. Je lui assurai avec sympathie que j'allais l'aider. Ce n'était pas la première fois que j'aidais les élèves. J'étais tellement intelligente que tout le monde me demandait conseil ! C'était évident. Je lui souris d'un air maternel et il retrouva instantanément la joie de vivre. Les Gryffondor avaient bien entendu écouté notre conversation et une nouvelle salve d'applaudissements retentit dans la salle. Je fus acclamée de toutes parts, les uns déclarant que personne n'était aussi gentille et généreuse que moi, les autres bavant littéralement à mes pieds en me signalant qu'ils avaient besoin d'aide eux aussi. Amusée par leur demande, j'articulai clairement que rien ne me ferait plus plaisir que d'aider tout le monde. Sirius soupira à mon oreille en murmurant qu'il était le premier à s'inscrire pour avoir des cours personnels avec moi. Je lui lançai un clin d'œil coquin auquel il répondit par un sourire charmeur. Nous étions en phase. Il était tout simplement fantastique ! Peut-être que j'allais me décider pour lui finalement. Mais Remus ne s'avoua pas vaincu aussi facilement ! Il était de l'autre côté et il me susurra à l'oreille qu'avec lui, j'aurais le grand frisson. Deux hommes merveilleux, si complémentaires ! Pourquoi ne pouvais-je pas prendre les deux, tout simplement ? J'allais leur soumettre l'idée lorsque…
Lorsque la foule se remit en mouvement, me projetant contre le tableau de la salle commune qui venait à peine de se refermer. Les cris et les applaudissements étaient de plus en plus forts mais cette fois-ci, personne ne s'était tourné vers moi, bien au contraire. Mon sourire n'était jamais apparu sur mon visage et je n'eus pas besoin de lever la main pour saluer la foule. J'avais les yeux par terre tandis que j'essayais de me faufiler dans la salle pour rejoindre mon dortoir, réservé aux sixième année. Je savais parfaitement qui était au centre de la pièce : l'équipe de Quidditch de Gryffondor, James Potter en tête de file, son Vif d'or à la main, les cheveux encore dans le vent. Notre équipe venait de gagner le premier match de la saison au terme d'un suspens digne des Maraudeurs. Nom d'un dragon, il ne pouvait pas se bouger lui ? J'étais à deux pas de l'escalier en colimaçon du dortoir des filles, mais un grand bellâtre me barrait la route.
- Euh, excusez-moi…
Il se tourna vers moi, comme s'il découvrait ma présence. J'étais tellement petite qu'il avait une tête de plus que moi facilement. D'autant plus que je me tenais bien courbée pour prendre le moins de place possible et que je regardais par terre dans l'espoir de disparaître par magie. Je n'avais pas encore eu la chance de découvrir cette fameuse formule qui aurait si utile pourtant ! Le benêt détailla des yeux ma coiffure toute défaite, mes cheveux bruns qui ne ressemblaient à rien ou mon uniforme recousu à maints endroits. Je pouvais sentir son regard qui se baladait, me jugeant et m'estimant. Il finit par ricaner, sans bouger d'un pouce. Je devais être une sous-espèce de Doxy pour lui, je commençais à avoir l'habitude de ce genre d'attitude. Je le regardai d'un air malheureux avant d'essayer de le contourner. Mais si je faisais un pas à droite, il avançait, si je partais dans l'autre sens, il reculait. Il prenait un malin plaisir à m'empêcher d'accéder à mon saint Graal : la quiétude de mon dortoir ! Je soupirai en tentant vainement :
- J'aimerais juste aller à mon dortoir, je ne veux pas vous déranger.
Il donna un coup de coude à son voisin et, en me désignant du doigt, il murmura à son oreille. Ils éclatèrent tous les deux d'un rire de troll qui, heureusement pour moi, passa plus ou moins inaperçu dans le brouhaha général. C'étaient sûrement des septième année, probablement jaloux qu'on ne leur porte pas plus attention. Comme ils ne se calmaient pas, quelques têtes se tournèrent bien sûr vers notre trio, aussi je me hâtai de passer devant mon tortionnaire tandis qu'il était trop occupé à s'esclaffer comme un débile avec son pote. Je posai enfin le pied sur la première marche. Alors que je grimpais l'escalier craquant sous mes pas, mon regard se posa sur les personnes qui avaient pris place au milieu de l'attroupement. Les Maraudeurs.
Enfin dans ma chambre ! Une forme sombre bougea dans un coin de la pièce. C'était Chendra qui m'accueillit par un miaulement plaintif. C'était une magnifique chatte avec de longs poils, aux rayures grises. Quand elle marchait dans le château la nuit, elle pouvait passer pour un fantôme ! On aurait dit qu'elle savait exactement ce qui passait par ma tête et devinait mon humeur car elle vint se frotter contre mes jambes d'un air réconfortant. Je la caressai machinalement en écoutant son ronronnement sourd. A part ma chatte, il n'y avait bien sûr personne dans la chambre, tout le monde était en bas pour saluer la victoire de Gryffondor. Je me laissai tomber lourdement sur mon lit, soudainement fatiguée. Je revoyais clairement les applaudissements et les sourires qui étaient pour moi. Je sentais avec exactitude le souffle de Sirius tout contre mon oreille. Je pouvais presque le toucher en fermant les yeux. Mais il était tellement populaire, et moi, j'étais tout simplement inexistante. Une élève parmi tant d'autres. Voire même moins que ça. Il ne savait pas que j'étais là et que je soupirais d'amour pour lui. Tout comme une nuée de greluches pendues à ses basques. Au moins, j'avais la décence de ne pas baver devant lui ou de lécher le sol qu'il avait foulé. J'avais un minimum de savoir vivre… et une fierté quand même ! Il ne me voyait pas, eh bien je n'allais certainement pas m'aplatir devant lui.
- Tu sais Chendra, c'est qu'un mec comme les autres. Il est même extrêmement arrogant et sûr de lui.
Le chat m'écoutait, couché à mes pieds. J'avais parfois l'impression qu'elle me comprenait. Puis, l'espace d'un instant, une clameur filtra par la porte, me replongeant dans le tourbillon de mon songe éveillé. C'était tellement bon d'être aimé des autres, d'être reconnu dans la foule, d'exister aux yeux des gens ! Mais tout cela n'avait été qu'un rêve…
