Chapitre 1
Alohomora (Prologue)
Le soleil était encore loin de se lever sur Arendelle que déjà, le royaume s'éveillait. Les marchands s'activaient dans la rue principale pour présenter leurs stands le plus tôt possible, et les marins nouaient sur le port les cordages des navires de pêcheurs revenant du large. La majorité des chaumières fumaient déjà des premiers petits déjeuners, et la journée s'annonçait radieuse d'après la clarté du ciel qui surplombait le village.
La Lune éclairait toutes ces grouillantes mais calmes activités de sa lueur ancestrale, néanmoins elle n'était pas seule dans cette tâche naturelle : les aurores boréales ondulaient avec splendeur et teintaient les carreaux des fenêtres de mille couleurs froides apaisantes. Quiconque levait les yeux pour les admirer avaient les iris attendris, emplis d'émotion, et plusieurs habitants éveillés à cette heure consentaient à interrompre de temps à autre ce qu'ils faisaient pour observer ce phénomène toujours magnifique.
Mais le village d'Arendelle n'était pas la seule partie du royaume à être éveillée.
À quelques centaines de mètres de là, de l'autre côté d'un long pont de pierre, se dressait le château aux toits couverts d'un bleu cyan caractéristique et distinguable dans la nuit. Quelques torches, suspendues aux murs extérieurs, éclairaient faiblement la cour, et d'autres situées régulièrement le long de la muraille guidaient les soldats dans leur ronde nocturne. Au dernier étage du château, au niveau de l'aile Ouest, une fenêtre était entrouverte. Et c'était bien la seule de toute la forteresse. Il ne faisait donc aucun doute, puisque nous étions en plein hiver, que la pièce ainsi aérée était actuellement occupée par la seule personne en ces lieux capable d'ouvrir une fenêtre à cette heure de la nuit sans être gênée par le froid glaçant en cette saison.
La Reine Elsa d'Arendelle ouvrit les yeux. Ou plutôt, les ré-ouvrit. Elle ne parvenait pas à trouver le sommeil, quoi qu'elle fasse. Après moult changements de position, moult tentatives de penser à autre chose, rien n'y faisait : impossible de fermer les yeux suffisamment longtemps pour s'endormir.
Agacée, la blonde platine jeta ses draps loin d'elle en grommelant. Elle se redressa et s'assit sur le bord du lit, puis fixa les mèches qui lui tombaient sur le visage au-dessus de son oreille gauche. Passant distraitement une main le long de ses cheveux dénoués, son regard immobile se perdit sur le parquet. Ses pensées étaient tourmentées, une fois encore, par le même sujet depuis deux semaines maintenant. Elle crispa ses yeux, soupirant longuement, chassant les images qui lui venaient à l'esprit. Elsa se secoua la tête, puis se redressa d'un coup sec et marcha dans la pièce.
Sa chambre était grande, aussi commença-t-elle à y faire les cent pas en enchaînant les allers-retours entre la coiffeuse et son lit. D'un pas régulier sur le parquet, qui grinçait à chaque passage, elle marmonnait tout en réfléchissant. Un bras recroquevillé contre elle, l'autre main fermée en un poing contre sa bouche qui marmonnait en boucle les mêmes phrases, elle tournait encore et encore sur elle-même, dans la pièce plongée dans la pénombre.
Le vent se leva au-dehors, et vint pousser délicatement le carreau de la fenêtre entrouverte. Ce mouvement attira son attention, et elle s'arrêta subitement de marcher, pour se diriger vers l'alcôve. Elle ferma aussitôt la fenêtre, sans raison spécifique, plus par réflexe qu'autre chose. Changer l'habitude de treize ans d'isolement dans sa chambre était difficile, même après tout ce temps. Ce passage de sa vie lui laissait une trace, et ses effets étaient indéniablement éternels, malheureusement. Elsa grimaça à son geste et baissa la tête en glissant sa main le long de la poignée, puis reprit lentement place au milieu de la pièce.
Marchant distraitement, elle poursuivit la trajectoire répétitive d'aller-retours qu'elle effectuait depuis plusieurs dizaines de minutes. Quelques temps après, ses chuchotements devinrent de plus en plus nerveux, et elle grogna brusquement de colère contre elle-même en frappant des poings la cheminée auprès de laquelle elle passait. Elsa arrêta de marcher et s'appuya, bras tendus, contre la pierre froide de l'encadrement de l'âtre, la tête penchée vers le bas. Elle s'efforça de reprendre une respiration normale et de calmer son angoisse. Involontairement, elle fixa l'intérieur du foyer, dans lequel venait de tomber quelques cendres après qu'elle ait frappé la pierre.
La cheminée n'avait jamais servi, puisque de toute sa vie, Elsa n'avait jamais eu le besoin de réchauffer sa chambre. Elle observa d'un air absent les cendres virevolter doucement vers le bas avant de se poser sur les vieilles bûches déjà recouvertes de poussière, et un long silence s'en suivit. Respirant doucement, Elsa se calma et se redressa. Elle regarda son lit, mais sentait qu'elle n'avait pas retrouvé le sommeil pour autant. Il fallait qu'elle prenne l'air.
Elsa se dirigea vers la porte, empoigna un gilet posé sur une chaise et l'enfila. Non pas qu'elle en ait besoin, mais elle croiserait probablement du personnel dans le couloir, et voir la souveraine en robe de nuit serait embarrassant. Blâmant son éternelle insomnie, délicieuse gratification de son angoisse chronique, elle tira la porte, qui était déjà entrouverte, et sortit dans le couloir.
Le silence ici était identique à celui de sa chambre, mais la pénombre était remplacée par les légères lueurs orangées des torches. Inspirant puis expirant un grand coup, Elsa esquissa un sourire. Elle appréciait particulièrement de marcher dans les couloirs la nuit tombée. Il s'agissait d'une habitude toujours agréable, car le silence du château l'apaisait. Marcher dans les corridors l'aidait à se vider la tête, à ne plus penser à rien. Ni à ses responsabilités, ni à l'accident traumatisant de son enfance, ni à la mort de ses parents, ni à l'hiver éternel, et ni au souvenir récent qui se fixait dans son esprit depuis deux semaines et l'empêchait de dormir.
Elle oubliait tout. Elsa cheminait simplement dans les corridors, calmement, et s'arrêtait de temps en temps aux fenêtres pour observer la Lune. Elle admira cette nuit-là, le sourire aux lèvres, les aurores boréales qui coloraient les murs de poétiques de lueurs jade et indigo.
Après plusieurs minutes de marche, elle pénétra dans l'aile Sud du château et croisa Nico, un garde musculeux qui était chargé de la sécurité nocturne dans cette zone, qui fut d'abord surpris de sa présence ; mais il inclina la tête avec révérence à son passage. Elsa lui sourit en retour, et le dépassa. Elle soupira discrètement une fois fait, soulagée qu'il ne lui demande pas ce qu'elle faisait à une heure pareille dans les couloirs, et si tout allait bien.
Le personnel avait l'habitude de la voir vaquer dans le château quand elle n'arrivait pas à s'endormir, mais quand elle était plus jeune ; désormais, depuis deux ans et demi, c'est-à-dire depuis le grand dégel, son moral allait bien mieux, a priori. Alors pourquoi, en cette nuit d'hiver, alors que tout allait très bien au royaume, la reine était-elle si préoccupée ? Nico tourna la tête, inquiet, mais connaissait suffisamment son travail pour savoir qu'il ne fallait pas lui poser ce genre de question, et poursuivit sa ronde.
Elsa continua de marcher lentement sur la moquette du couloir, rouge cardinal, qu'elle appréciait particulièrement car il étouffait le son de ses pas. Notamment en ce moment, puisqu'elle avait rapidement conçu des escarpins de glace en sortant de sa chambre, et leur discrétion sur le parquet était inversement proportionnelle à leur beauté.
Alors qu'elle empruntait le couloir des armures du rez-de-chaussée, avant de remonter vers celui qui menait à sa chambre, elle entendit un léger bruit provenant du fond, devant elle. Elsa se figea en tendant l'oreille et attendit que le son se répète pour vérifier qu'elle ne l'avait pas rêvé.
Un nouveau bruit retentit, plus fort, et fut rapidement suivi d'un fracas et d'un grognement. Les yeux écarquillés, Elsa avança prudemment et observa autour d'elle, cherchant de quelle porte du couloir cela venait, puis sursauta en réalisant que la dernière à gauche était légèrement entrouverte et qu'un fil de lumière en jaillissait.
Qui pouvait bien être là-dedans à une heure pareille ?
NDLA :
Une petite mise en jambes pour commencer cette nouvelle fic. Qui est derrière la porte ? À vous de cliquer sur le 2ème chapitre...
