J'écris cette lettre en ce soir du dix-huit août .Une fois que minuit sera passé,

je la mettrai dans une bouteille et je la jetterai dans la marrée montante de Montauk.

Papa,

Je ne sais pas beaucoup de chose de toi. Quand j'interroge Maman, ses prunelles se perdent dans l'horizon. C'est comme si elle se souvenait. De toi. De l'amour. Du bonheur. Puis elle me regarde, et le sourire qui apparaît sur son visage est triste. Elle répond vaguement. Que je te ressemble. Que je t'aimerais. Qu'elle t'aimait. Que tu m'aimais.

Je ne pose pas trop de question. Car ça la rend triste. Et je n'aime pas la voir triste. Je suppose que tu n'aimerais pas non plus. Parce qu'elle est tellement belle quand elle sourit. C'est comme quand elle est à Montauk. Elle a l'air heureuse. Même sans toi.

Pourquoi es-tu parti, Papa ? Elle me répète toujours que tu n'es pas mort. Que tu es perdu en mer. Mais qu'est-ce que la mer peut bien avoir de si dangereux pour t'avoir capturé ? Elle me semble si calme, si douce. Familière. Elle est comme un refuge pour moi. Comment peut-elle être cruelle au point de te tenir éloigné de nous ? Éloigné de moi ?

Je me plais à penser que je te ressemble, comme le dit Maman. Que nos visages ont les mêmes traits. Que je tiens mes yeux vert d'eau de toi. Que tes cheveux sont encore plus bouclés que les miens. J'essaye d'imaginer ton sourire quand je me sens seul. Ta voix quand je n'arrive pas dormir. Tes regards quand je me sens fière de moi.

Qui es-tu, Papa ? Qui es-tu ? Quel homme a-t-il bien pu séduire Maman comme tu l'as fait ? Tu dois forcément être exceptionnel. Comme un prince. Maman ne mérite rien de moins. Et elle ne mérite pas d'être seule. Tu n'avais pas le droit de la laisser seule. Pourquoi devais-tu aller en mer ? C'était pour ton métier ? Maman ne me répond jamais. Je ne sais pas ce que tu fais dans la vie. Je ne sais même pas ton nom ! J'essaye d'imaginer. Philippe. Pascale. Paul. Patrick... Ils semblent proches, mais rien ne convient à l'image que je me fais de toi. C'est comme si tu étais insaisissable.

J'aimerais que tu sois là. Souvent. Je ne le dis jamais à personne. A qui je pourrais le dire, de toute façon ? Je n'ai pas d'ami. Pas de famille. Pas de père. Qu'en penserais-tu, Papa, si tu étais là ? Que me dirais-tu pour me remonter le morale ? Je n'ose pas m'imaginer. Je n'ose pas espérer.

Je ne suis plus un bambin qui ne comprends pas le subtilité de la vie. Mais je ne peux m'empêcher de rêver de toi. Et dans mes rêves, tu es fière de moi. Tu ne dis rien. Tu n'as pas besoin de mot. Tu poses juste les yeux sur moi, et j'ai l'impression d'être un héros. Parfois, tu me serres dans tes bras, tu prononces mon prénom, tu ébouriffes mes cheveux.

Ça me parait tellement réel, tellement naturel que j'ai mal en me réveillant. Notre vie sans toi, c'est comme la mer sans sel, totalement vide de sens.

Je sais que je ne suis plus un bambin, et qu'espérer que tu reviennes est inutile et naïf. Mais, je t'en supplie, Papa.

Reviens.

Ton fils, Percy.